Texte intégral
C'est avec curiosité et intérêt que j'ai lu la "charte pour l'urbanisme des villes du XXIe siècle", que vous venez de publier. Votre mobilisation m'a interpellée.
1. Vous voulez que l'approche de la ville s'affranchisse des catégories de la science et de ses disciplines, ainsi que du fractionnement de l'espace et du temps, qui l'a trop longtemps caractérisée.
2. Vous voulez participer à une évolution des villes qui résulte d'une action consciente et explicite. C'est là un enjeu essentiel, celui d'une construction démocratique de l'espace urbain.
3. Vous repérez l'influence de la vie urbaine sur les comportements et les aspirations des gens, qui produisent une nouvelle culture.
4. Vous constatez enfin que la mondialisation et l'impression d'éloignement du pouvoir régulateur rendent nécessaire la démocratisation d'un savoir jusqu'alors concentré.
Ces souhaits et ces constats, je les partage.
Comme vous, je ne peux que constater que l'urbanisation se poursuit : plus de 75 % de la population française est citadine, et l'on atteint près de 90 % en y ajoutant la population périurbaine. Le passage d'une société plutôt rurale à une société à forte dominante urbaine est une mutation majeure de la France du XXe siècle. Il s'agit non seulement d'une transformation complète des modes de vie, mais aussi d'une modification fondamentale de l'organisation du territoire.
De même, je suis convaincue du rôle déterminant des villes pour l'économie. C'est au niveau des plus grandes d'entre elles que s'organisent les branchements sur l'économie-monde. Elles constituent un point de convergence et de départ de l'information à très forte valeur ajoutée, d'échanges de savoirs rares, de coopérations dans des secteurs pointus Ce sont aussi les villes qui polarisent les grandes infrastructures de transport et les flux économiques.
Les villes constituent le lieu principal de formation de la richesse, et celui de la dynamique de l'emploi ; leur vitalité économique conditionne le destin des zones rurales.
Elles jouent aussi un rôle de refuge, au sens où elles concentrent l'essentiel des phénomènes de pauvreté et d'exclusion.
Elles soulèvent aussi des questions cruciales dans le champ du développement durable. Vous abordez explicitement ce point dans votre charte, en fixant comme impératif l'égalité d'accès aux ressources naturelles. Mais vous soulignez aussi la dimension sociale et culturelle du développement durable.
Des problèmes n'ont pas été surmontés : absence de maîtrise publique du foncier urbain, manque d'outils de contrôle ou insuffisante organisation des services gérant les déplacements ou le logement, sans oublier la laideur des entrées de ville, et bien sûr les multiples pollutions et nuisances.
Enfin, l'espace vécu s'élargit du quartier à la ville tout entière, mais ce processus s'accompagne d'un usage sélectif, voire ségrégatif de la ville.
Mais tout n'est pas perdu. Ainsi, les Agendas 21 locaux ou les Plans et Chartes de l'environnement créent de nouvelles formes de partenariat. La prise de conscience environnementale est considérée comme une valeur civique, et différentes actions sont entreprises pour modifier les comportements.
D'évidence, les villes rassemblent également des enjeux stratégiques pour la politique d'aménagement du territoire. Quelles peuvent être les pistes en ce domaine ?
Le premier principe est de réintroduire la prise en compte du temps long, lié au cycle des écosystèmes.
Conscients de la rareté des ressources naturelles et budgétaires, il nous faut, en deuxième lieu, considérer que la ville doit être capable de recycler en continu son tissu et ses fonctions, de se recomposer sur elle-même plutôt que de laisser en déshérence certains de ses territoires, tout en consommant l'espace alentour.
Il s'agit, ensuite, de privilégier une approche culturelle de nos villes, de reconnaître leur histoire singulière.
Enfin, la durabilité du développement des villes réside aussi dans la gestion des mobilités et des modes de consommation.
D'un point de vue local, le but est de dépasser les dysfonctionnements, et de hisser chaque agglomération à un meilleur niveau d'intégration économique, sociale, politique et démocratique.
À l'échelle nationale, dans l'optique d'un maillage du territoire, chaque ville est appelée à renforcer ses relations avec les autres agglomérations, mais aussi avec l'espace rural, pour lui donner accès à une offre de services diversifiée et de qualité.
Ces préoccupations guident notre approche de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Le projet de loi pour l'aménagement et le développement durable du territoire replace la ville au cur de nos préoccupations, sous l'angle du développement durable.
1. En premier lieu, il pose le principe d'un avenir pensé en termes de partenariat et de responsabilités partagées autour d'un projet commun. Il propose ainsi de renforcer la logique de projet au détriment des démarches de guichet, en prenant en compte la diversité des situations et le souci d'une action publique pertinente. Même si le chemin sera long, l'objectif est de parvenir progressivement à des obligations de résultats établis en commun, à partir de l'expérience concrète des acteurs, plutôt que des obligations de moyens.
C'est le sens de la priorité accordée dans le projet de loi à la mobilisation de territoires en agglomérations et en pays, fondés sur un diagnostic et un projet partagés.
Les agglomérations, qui auront par la suite vocation à s'organiser en établissements publics de coopération intercommunale, s'occuperont du développement économique, de l'aménagement de l'espace, des déplacements et des transports, de la politique de l'habitat, ainsi que de la qualité de l'environnement et des milieux. Elles doivent aussi s'engager concrètement dans une démarche de solidarité fiscale, par l'adoption d'une taxe professionnelle unique.
Dans la même perspective, les pays sont conçus comme des territoires de projet urbains et ruraux, au sein desquels doit se nouer une nouvelle relation de coopération et de complémentarité entre la ville et la campagne. Ils peuvent constituer le cadre d'une alliance entre cultures urbaines et cultures rurales, qui y ont un intérêt réciproque : offre de nature, d'espace et de calme pour les urbains, offre de services pour les ruraux.
2. Cette approche s'appuie, en second lieu, sur les schémas de services collectifs. Les schémas de transport, fondés sur l'intermodalité pour les voyageurs comme pour les marchandises, le schéma de l'énergie ou celui des espaces naturels et ruraux, entre autres, répondront aux besoins de services à court terme, et au souci de préservation des équilibres sociaux ou environnementaux à long terme.
Intégrant les coûts externes de santé, d'énergie, de nuisances autant que les problèmes d'accessibilité eux-mêmes, ces schémas doivent contribuer à faire basculer la perspective d'aménagement du territoire dans le sens du développement durable.
3. Cette approche nous guide aussi dans la préparation des contrats de plan Etat-région, et dans la mise en uvre des programmes européens sur notre territoire.
D'abord dans la méthode. Dans les prochaines semaines s'ouvre une première phase de concertation sur les objectifs et les stratégies des contrats de plan, avec les acteurs de terrain. La négociation proprement dite interviendra au second semestre 1999.
En termes de contenu, je prendrai l'exemple de la cohésion sociale et territoriale des villes. Les grandes villes constituent un défi majeur de la gouvernance des territoires. Ce défi a conduit la France à mettre en place, depuis quinze ans, des politiques de correction des "défauts de solidarité" des agglomérations.
L'urbanisme doit permettre à la cité d'être le creuset de la diversité sociale. Le souci de durabilité s'applique surtout à l'urbanité, dans son sens de capacité à susciter l'échange, et à matérialiser des symboles qui fondent la conception du " vivre ensemble ".
L'élargissement des contrats de ville à l'échelle des agglomérations, et leur intégration explicite comme élément de cohésion sociale et territoriale dans les contrats de plan, a pour objet de coordonner les réponses aux dynamiques de transformation à grande échelle avec les réponses aux initiatives locales. Le croisement de ces niveaux doit impérativement rencontrer les dynamiques des habitants eux-mêmes. Cela suppose la reconnaissance des contributions des quartiers, l'émergence de la parole des habitants et de nouveaux modes de relation entre décideurs et citoyens, ainsi que l'articulation des rythmes publics et sociaux.
Conclusion
Toutes les approches que je viens de vous exposer me semblent rejoindre étroitement vos analyses et vos propositions. En ce sens, j'appuie les orientations que recèlent " les cinq engagements des urbanistes pour faire progresser la vie de l'homme en société dans des villes plus participatives, plus justes, plus efficaces, plus agréables et plus sûres ".
Vous pouvez avoir, à ce titre, un rôle essentiel pour que se noue un débat public et contradictoire entre citoyens et décideurs, et pour faire en sorte notamment que ce débat soit nourri d'une plus grande connaissance des données, des impacts et des enjeux.
Pour ma part, je me félicite que l'urbanisme, technique d'organisation spatiale de la ville, se décloisonne, et articule désormais l'économie, la sociologie, et l'écologie.
Je suis disposée à accompagner vos initiatives d'animation du débat avec les acteurs, et de sensibilisation des administrations et des collectivités.
Votre charte alimente efficacement le débat public, à un moment où la redécouverte plus décentralisée et plus attentive du territoire peut contribuer à une réorientation des politiques publiques.
Je vous remercie.
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 7 septembre 2001)