Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur le rôle du Comité consultatif national d'éthique, la révision des lois sur la bioéthique notamment la recherche sur l'embryon et la levée des restrictions sur le don d'organe et sur la création prochaine d'une haute instance de suivi et de contrôle compétente dans les champs de la reproduction humaine, de la recherche en biologie du développement et de la génétique prédictive, Paris le 28 novembre 2000.

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Circonstance : Ouverture de la séance annuelle des travaux du Comité national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, à la Faculté de médecine René-Descartes, le 28 novembre 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Vice-Président du Conseil d'Etat,
Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Président de l'Université Paris-V,
Mesdames et Messieurs,
Après vous avoir accueillis, hier, à l'Hôtel de Matignon, à l'occasion des Journées annuelles d'éthique, je suis heureux de vous retrouver afin d'ouvrir la séance annuelle des travaux du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé. Je remercie votre Président, le Professeur Didier SICARD, de son invitation qui intervient à un moment important : celui de la révision des lois qui, depuis 1994, dans le champ étendu et sensible de la biologie humaine, ont posé ce que le philosophe Hans JONAS a appelé " des entraves librement consenties ". Ces textes ont en effet défini les limites au sein desquelles doit se déployer la vocation de la science, qui est de repousser toujours les frontières de la connaissance, dans le but d'améliorer la condition de l'être humain.
Cette rencontre est d'abord pour moi l'occasion de rendre hommage au Comité consultatif national d'éthique.
En signant le décret du 23 février 1983, le Président François MITTERRAND a créé une institution alors sans équivalent dans le monde. Il était en effet profondément novateur de confier à une institution permanente et indépendante la mission, je cite le décret, de " donner des avis sur les problèmes éthiques soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé ". Dans l'accomplissement de cette tâche, votre Comité a pu compter sur la diversité de sa composition. Personnalités représentant les principales familles de pensée, personnalités qualifiées, chercheurs dans les domaines des sciences biologiques et humaines : vous avez nourri une réflexion d'ensemble, sans jamais séparer les aspects techniques des questions étudiées de leurs dimensions morales.
Par vos journées annuelles, par vos rapports et vos avis, vous avez su nouer un dialogue entre la communauté scientifique et, à travers ses représentants, la société tout entière. " Consultatif ", votre Comité produit des avis qui font autorité. C'est là le signe incontesté de votre magistère et de la réussite de votre mission. C'est pourquoi je tiens à saluer, à travers vous, tous les membres actuels et passés du Comité, au premier rang desquels ses anciens présidents, les Professeurs Jean BERNARD et Jean-Pierre CHANGEUX.
Votre Comité sera prochainement saisi d'un avant-projet de loi très attendu.
Le Gouvernement a en effet engagé la révision des lois de bioéthique de 1994.
La France a été le premier pays à se doter d'une législation sur la bioéthique, au terme d'un travail approfondi d'analyse et de concertation, engagé dès le milieu des années 1980 et qui donna lieu, notamment, au rapport du Président BRAIBANT.
Les lois de 1994 prévoyaient leur révision dans un délai de cinq ans. C'est donc en 1999 que le Gouvernement a saisi le Conseil d'Etat d'une demande d'avis sur les évolutions du droit rendues nécessaires par le développement des recherches scientifiques comme par l'évolution de notre société. Ces sujets sont à la croisée de deux exigences fondamentales : le respect de l'intégrité de la personne humaine, le développement maîtrisé de la recherche médicale.
L'année 2000 a vu un important travail interministériel, engageant personnellement les ministres de l'Emploi et de la Solidarité, de la Justice et de la Recherche, ainsi que la secrétaire d'Etat à la Santé, et leurs services. Je veux ici remercier chacun de sa contribution. A partir du rapport du Conseil d'Etat, mais aussi de celui de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, et compte tenu des avis de votre Comité, de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, de l'Académie de Médecine, et du groupe européen d'éthique présidé par Mme Noëlle LENOIR, le Gouvernement a élaboré un avant-projet de loi.
Parmi les principales questions qui seront soumises au législateur figure celle d'autoriser ou non la recherche sur l'embryon. Avant tout, clarifions le débat : réservons le terme de " clonage " au clonage reproductif. Celui-ci est strictement interdit. Il le demeurera.
La découverte de cellules souches, totipotentes ou multipotentes, identifiables avant le stade de la différenciation tissulaire ouvre de réelles perspectives à la recherche thérapeutique. On a parlé de " cellules de l'espérance ". Grâce à celles-ci, des maladies aujourd'hui incurables connaîtront peut être, demain, un traitement. Des enfants immobiles pourront enfin se déplacer, des hommes et des femmes brisés pourront enfin se redresser. Des motifs tenant à des principes philosophiques, spirituels ou religieux devraient-ils nous conduire à priver la société et les malades de la possibilité d'avancées thérapeutiques ? Je suis convaincu que la société française aspire à ce que la prise en compte de valeurs fondamentales encadre, sans les rendre impossibles, l'avancée des connaissances scientifiques et leurs applications potentielles dans le domaine de la santé humaine. Ainsi, la procréation médicalement assistée, qui permit la naissance d'Amandine en 1982, avait bouleversé certaines références de notre société. Ce geste, à présent pratiqué chaque jour, est désormais communément admis.
C'est pourquoi l'avant-projet de loi qui vous sera soumis prévoit d'autoriser la recherche sur l'embryon dans une double perspective : d'une part l'amélioration des techniques de la procréation médicalement assistée, et d'autre part la recherche de nouveaux traitements à partir de cellules souches. Celles-ci pourront être obtenues à partir des embryons surnuméraires, actuellement congelés, ayant fait l'objet d'un abandon du projet parental et dépourvus de couple d'accueil. Ces cellules pourraient aussi être obtenues, si cela s'avérait un jour nécessaire, au sein de protocoles strictement définis et encadrés, par transfert de cellules somatiques. Nous inciterons enfin au développement des recherches portant sur des cellules souches obtenues notamment à partir du sang du cordon ombilical.
Une autre question soulevée par la révision des lois de bioéthique est celle du transfert d'embryon post-mortem. Faut-il revenir sur le choix fait par le législateur, en 1994, de réserver l'assistance médicale à la procréation à un couple formé d'un homme et d'une femme vivants ? Dans ce difficile débat, les préoccupations tenant au droit des parents de procréer sont confrontées à celles concernant les droits de l'enfant et son intérêt.
Le Conseil d'Etat, rappelant notamment les critiques que vous aviez formulées à l'égard de l'obstacle posé par le législateur en 1994, a proposé que le transfert chez la femme d'un embryon conçu avec son compagnon et du vivant de celui-ci, dans le cadre d'une procréation médicalement assistée, soit autorisé après son décès, sous la condition que ce dernier y ait expressément consenti de son vivant et sous réserve du respect, par la femme, d'un temps de réflexion au cours duquel elle bénéficiera d'une aide d'accompagnement. Ces propositions équilibrées, qui reposent sur l'existence d'un projet parental affirmé, ont été retenues dans l'avant-projet qui vous sera soumis.
Ce texte desserre les restrictions apportées au don d'organe par des personnes vivantes. Ces dons sont actuellement possibles de la part des père, mère, fils, fille, frère ou sur du patient, ainsi que de celle du conjoint en cas d'urgence. C'est là un frein au geste de solidarité espéré par des patients ayant atteint le stade où seule la greffe est l'espoir de la vie. Ces restrictions ne sont de surcroît plus justifiées en raison des progrès réalisés dans le domaine de la tolérance immunitaire. Le Conseil d'Etat a donc proposé l'élargissement du cercle des donneurs potentiels aux concubins ainsi que la suppression de la condition d'urgence pour le don du conjoint. Le Gouvernement s'est inscrit dans cette orientation en prévoyant en particulier d'autoriser le prélèvement sur toute personne majeure et capable ayant avec le receveur des relations étroites et stables, à la condition d'un contrôle de la recevabilité du don par une commission d'experts.
Mesdames et Messieurs,
L'an dernier, devant l'Académie des Sciences, j'avais indiqué ma conviction profonde : dans des domaines de recherche d'une telle sensibilité, le savant ou l'expert alertent, éclairent et conseillent ; l'autorité publique prend, en connaissance de cause, la décision et en assume la responsabilité. C'est dans cet esprit qu'a été élaboré et que vous est présenté l'avant-projet de loi. Mais le temps du chercheur et de la découverte est souvent plus rapide que celui du législateur et de ses textes. Il nous faut donc anticiper et organiser le suivi permanent des découvertes et des techniques en mettant en place une instance scientifique dont les prises de position feront autorité.
C'est pourquoi l'avant-projet de loi du Gouvernement propose la création d'une haute instance de suivi et de contrôle.
Elle sera compétente dans les champs de la reproduction humaine, de la recherche en biologie du développement et de la génétique prédictive. Elle apportera un éclairage complémentaire à vos avis éthiques si précieux.
En son sein, cette agence comportera un Haut conseil qui rendra des avis sur les demandes d'autorisation des protocoles de recherche dans les domaines nouvellement ouverts par la loi. Ces avis prendront en considération la pertinence scientifique des projets, l'importance des objectifs poursuivis et leur respect de la nouvelle législation. Ces avis seront rendus publics, mais la décision reviendra au Gouvernement.
Ce Haut conseil assurera également une veille concernant le développement des connaissances, des avancées techniques et l'application des résultats des recherches. Il veillera aussi au respect des principes consacrés par la nouvelle législation dans ces domaines. Ainsi, il pourra, le cas échéant, proposer des adaptations ponctuelles de la loi.
La composition de ce Haut conseil de dix-huit membres a été définie afin d'assurer son autorité et sa compétence dans le domaine de la biologie du développement. Le Président de la République et les présidents des assemblées parlementaires désigneront chacun une personnalité qualifiée. L'Académie des Sciences, l'Académie de Médecine ainsi que le CNRS, l'INSERM et l'INRA désigneront huit membres. Ce Haut conseil comportera en outre deux parlementaires, un membre du Conseil d'Etat, un membre de la Cour de Cassation et deux représentants d'associations de malades. Enfin, j'ai tenu à ce que votre Comité désigne l'un de ses pairs pour siéger dans cette instance.
En effet, le lien entre votre Comité et ce Haut conseil est indispensable parce que vos missions, si elles sont distinctes, sont complémentaires. Des échanges sont nécessaires et nous prévoirons que chaque instance puisse saisir l'autre.
Mesdames et Messieurs,
Dans quelques jours, l'avant-projet de loi révisant les textes de 1994 va vous être présenté pour avis. La Commission nationale consultative des droits de l'homme sera également saisie. En février 2001, l'avant-projet sera examiné au Conseil d'Etat, puis inscrit à l'ordre du jour du conseil des ministres en mars 2001, et discuté au Parlement au deuxième trimestre 2001. Au terme du processus législatif, et afin qu'aucun doute n'entache l'équilibre qu'il aura défini, il m'apparaît nécessaire que le Conseil constitutionnel examine le texte qui aura été adopté.
Ce processus est sans doute long, mais lorsqu'il s'agit de légiférer sur des sujets aussi fondamentaux que la vie et la santé, une réflexion approfondie est primordiale. Dans ces matières, comme sur tous ces sujets d'ordre à la fois scientifique et éthique, les points de vue doivent pouvoir s'exprimer et se confronter, le débat démocratique doit être alimenté rigoureusement, la transparence est de mise. Puis, vient le temps où le politique -Gouvernement et Parlement- décide. Mais le politique doit également faire en sorte qu'une veille, à la fois scientifique et éthique, soit assurée. La réflexion éthique, la réflexion scientifique et la réflexion politique doivent chacune trouver leur place, sans que l'une devienne l'instrument de l'autre.
C'est par cette démarche que nous veillerons à ce que les progrès de la science s'accomplissent au service de l'être humain, sous le regard de la société et dans le respect de ses valeurs. Cet impératif moral et démocratique doit inspirer chacun d'entre nous.
(Source : http://www.premier-ministre.gouv.fr, 30 novembre 2000)