Interview de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et président de l'UMP, à France 3 le 7 décembre 2005, sur le passé colonial de la France et le débat sur la loi du 23 février 2005, et le rapport des renseignements généraux sur les violences urbaines.

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Intervenant(s) : 
  • Nicolas Sarkozy - Ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et président de l'UMP

Média : France 3

Texte intégral

AUDREY PULVAR - Nicolas SARKOZY, bonsoir.
NICOLAS SARKOZY - Bonsoir, merci de m'avoir invité.

AUDREY PULVAR - Mais, merci d'être venu. Vous avez souvent dit que rien ni personne ne vous empêcherait d'aller où vous souhaitez aller. Vous êtes allé en Corse, alors qu'il y avait des menaces formulées à votre encore, vous êtes allé à plusieurs reprises dans les banlieues, y compris ces dernières semaines. Qu'est-ce qui s'est passé?
NICOLAS SARKOZY - 46 fois.

AUDREY PULVAR - ?qu'est-ce qui s'est passé, vous avez eu peur d'aller en Martinique ?
NICOLAS SARKOZY - Non, je crains que non. Qu'est-ce qui s'est passé, c'est tout simple. Ça fait 23 ans qu'un ministre de l'Intérieur n'a pas été en Martinique. Il y a un gros travail à faire en Martinique, de lutte contre l'immigration illégale, de lutte contre la criminalité, de développement de l'aménagement du territoire. Il y a un travail très important à faire. Il se trouve que la polémique récente à propos du passé colonial de la France ? nous y reviendrons ? a créé une tension. Je suis un homme de rassemblement, j'ai besoin que nous puissions travailler avec tous les élus. A quoi servait-il d'aller en Martinique à un moment où on ne peut pas travailler ? Vous avez vu les déclarations d'un certain nombre d'élus de gauche, qui se moquent bien de l'avenir de la Martinique, qui n'ont comme seul intérêt que de créer de la polémique. Alors j'ai donc décidé, par sagesse et par responsabilité, parce que mon rôle de ministre de l'Intérieur c'est de maintenir l'ordre ?

AUDREY PULVAR - Et vous allez les recevoir, ces élus, à Paris?
NICOLAS SARKOZY - ? par sagesse, j'ai donc décidé que j'irai dans quelques semaines en Martinique, ce n'est pas un problème. Parce que ce que je veux, c'est rassembler. Alors je recevrai les élus martiniquais, nous essaierons de trouver les voies et les moyens de résoudre les problèmes de Martinique. J'irai en Martinique, j'irai à la Guadeloupe, comme partout ailleurs. Mais je veux y aller de façon utile, et pas pour susciter des polémiques et surtout pour donner à l'extrême gauche une tribune qu'elle ne mérite pas.

AUDREY PULVAR - Alors sur cette loi, cet amendement dans la loi sur les rapatriés qui pose tant de problèmes, ? la loi de la honte ?, disent ces intellectuels et ces politiques martiniquais, qu'est-ce que l'UMP attend pour l'abroger ? On sent bien que cette loi vous gêne, y compris dans les rangs de l'UMP ?
NICOLAS SARKOZY - Non, d'abord ce n'est pas une question de l'UMP, et puis je rappelle que cette loi a été votée il y a un an et qu'elle n'a suscité aucune polémique. Et donc permettez-moi de dire à vos téléspectateurs juste un mot ?

AUDREY PULVAR - Mais elle en suscite aujourd'hui, et dans les rangs de l'UMP, on sent bien que tout le monde n'est pas à l'aise avec cette loi.
NICOLAS SARKOZY - ?juste un mot : le Parti socialiste était là, ils n'ont rien dit lorsque la loi a été votée il y a un an. Donc ce n'est pas la peine de venir faire les malins aujourd'hui ?

AUDREY PULVAR - Non mais, je vous parle de vous, là, Monsieur SARKOZY.
NICOLAS SARKOZY - Non mais, je vais vous le dire, je vais vous le dire. Premièrement, je crois qu'il faut cesser avec la repentance permanente en France pour revisiter notre histoire. Mais ça devient ridicule ! Il faut faire attention. Nous avons voté il y a quelques années, l'UMP en premier, une loi qualifiant l'esclavage de crime contre l'humanité. Bon. Qu'est-ce que dit cet amendement ? Il dit : le colonialisme ce n'est pas bien, naturellement, mais on ne peut pas, et ça n'a rien à voir avec les Départements et Territoires d'Outre-Mer, ça n'a rien à voir avec la Martinique, ça avait tout à voir avec ?

AUDREY PULVAR - Ça concerne la colonisation outre-mer, donc y compris la Martinique.
NICOLAS SARKOZY - ?avec l'Afrique du Nord, où un certain nombre de parlementaires ont voulu dire qu'il y a eu des instituteurs qui ont alphabétisé, qu'il y a eu des médecins qui ont soigné, et qu'il fallait laisser aux historiens faire leur travail de l'histoire ?
JEAN-MICHEL BLIER - Tout à fait, Nicolas SARKOZY ?
NICOLAS SARKOZY - ? mais cette repentance, je vais vous le dire quand même, Monsieur BLIER, cette repentance permanente qui fait qu'il faudrait s'excuser de l'histoire de France, permettez-moi de vous le dire, parfois touche aux confins du ridicule. Et je suis persuadé que ça exaspère nombre de nos concitoyens. Pour le reste, en Martinique, il y a une sensibilité particulière sur cette question, je le comprends parfaitement, et en différant de quelques semaines mon voyage, c'est aussi une façon de respecter les Martiniquais, pour leur dire : on va trouver les voies et les moyens de lever les malentendus. Voilà ce qu'il faut faire, et voilà ce que je fais.
JEAN-MICHEL BLIER - Juste en un mot, sans parler de devoir de repentance, mais on voit bien que chez les intellectuels, chez les historiens, il y a tout un travail à faire aujourd'hui, un travail de mémoire, je ne parle pas de travail de repentance, un travail de mémoire sur le rôle de la colonisation, sur l'esclavage. On a vu la semaine dernière l'émotion qu'a suscitée l'anniversaire d'Austerlitz, à cause de Napoléon et de l'esclavage?
NICOLAS SARKOZY - Mais enfin, permettez-moi de vous dire, je veux dire juste une chose là-dessus?
JEAN-MICHEL BLIER - ? est-ce que la société française doit faire aujourd'hui ce travail de mémoire ?
NICOLAS SARKOZY - ? non mais, je veux quand même dire une chose. Les Anglais, ça ne les gêne pas de fêter Trafalgar. Permettez-moi de vous dire qu'on ne peut pas réduire Napoléon aux aspects négatifs de son action. Et ne pas célébrer Austerlitz n'a pas beaucoup de sens. Donc justement, laissons les historiens faire ce travail de mémoire, et arrêtons de voter sans arrêt des lois pour revenir sur un passé revisité à l'aune des idées politiques d'aujourd'hui. C'est le bon sens. Pour le reste, il y a des malentendus, et il y en a en Martinique, il faut prendre le temps de discuter pour les lever, et chacun comprend ce que je veux dire. Quant à l'UMP, vis-à-vis de la Martinique et de la Guadeloupe, l'UMP est la famille politique qui a de tout temps été celle qui était le plus attachée aux Départements et Territoires d'Outre-Mer. Nous, nous n'avons jamais fait cause commune avec les indépendantistes. Donc l'UMP n'a pas de leçons à recevoir en la matière. Et j'aiderai la Martinique à se développer.

AUDREY PULVAR - Nicolas SARKOZY, on va parler aussi d'autres thèmes de l'actualité. Pendant les événements de banlieue, à propos de ces événements, du moins, vous avez parlé de ? racaille ?, de ? Kärcher ?, avant ces événements. Ce sont des termes qui ont un peu marqué les Antillais, qui vous ont interpellé à ce sujet. A propos de ces événements, un rapport confidentiel des Renseignements Généraux semble infirmer les déclarations que vous avez faites concernant l'identité des personnes appréhendées pendant les violences du mois dernier. On voit tout de suite avec Emmanuelle LAGARDE et Michel ANGLADE?
NICOLAS SARKOZY - Je peux dire juste un mot ?

AUDREY PULVAR - Oui ?
NICOLAS SARKOZY - Ce ne sont pas les mots qui choquent. Quand j'appelle un voyou ? un voyou ?, c'est qu'il le mérite. Ce qui choque, c'est qu'il y ait des bandes qui peuvent se croire propriétaires d'un territoire et qui font régner la terreur auprès de braves gens qui se lèvent le matin pour aller travailler. Donc ne mélangeons pas les choses. Et s'il y a quelque chose qui a été choquant ?

AUDREY PULVAR - Ce sont les termes qui ont heurté les Antillais.
NICOLAS SARKOZY - Non ! Ce qui est choquant, et ce qui heurte les Antillais, notamment les Antillais d'Ile-de-France, c'est qu'on vienne brûler leurs voitures, et que ces voitures sont brûlées par des voyous. Ça, ça choque. Mais que j'appelle un voyou ? un voyou ?, je ne pense pas que ça ait beaucoup choqué.

AUDREY PULVAR - Alors à propos de ce rapport confidentiel des Renseignements Généraux, on voit tout de suite avec Emmanuelle LAGARDE, donc, et Michel ANGLADE, les grandes lignes de ce rapport, et on en reparle tout de suite après.
EMMANUELLE LAGARDE - Jamais les violences urbaines n'avaient duré aussi longtemps. Jamais elles n'avaient touché autant de communes simultanément, près de 300. Mais le rapport des Renseignements Généraux est formel : ? Aucune manipulation n'a été décelée ?, rien n'accrédite ? la thèse d'un soulèvement organisé ?.
FRANCK STEPHAN, RENSEIGNEMENTS GENERAUX, DELEGUE SYNDICAL SNOP - A aucun moment il n'a été question, ou il n'a été constaté, par toutes les sources concordantes du travail des Renseignements Généraux sur le terrain, que des mouvances ou des gens qui se revendiqueraient de connotations religieuses ? ou islamiques, pour le dire ?, étaient derrière ces problèmes-là.
EMMANUELLE LAGARDE - Ni intégristes religieux, ni caïds des quartiers. Pourtant, début novembre, alors que cette crise inédite s'étend à la France entière, le ministre de l'Intérieur analyse ainsi la situation :
NICOLAS SARKOZY - Il faut que l'ordre républicain revienne. Si ce n'est pas l'ordre de la police républicaine, ça sera soit l'ordre des bandes, soit l'ordre des mafias, soit un autre ordre, celui d'un certain nombre d'extrémistes.
EMMANUELLE LAGARDE - Depuis, la question des discriminations sociale et ethnique est revenue au c?ur du débat. Le rapport des RG trouve d'ailleurs là les causes de cette révolte populaire : les jeunes des quartiers sensibles ? se sentent pénalisés par leur pauvreté, la couleur de leur peau et leurs noms ?.
LAURENT MUCCHIELLI, SOCIOLOGUE, CHERCHEUR AU CNRS - C'est à mon sens la première fois qu'effectivement sont mis en avant à ce point-là les problèmes sociaux, ce qui traduit peut-être le fait qu'effectivement on commence à se dire, dans plusieurs secteurs de la police nationale, que la théorie du complot du ministre de l'Intérieur, que ce soit les complots des mafieux, des caïds, des barbus, des rappeurs ? que sais-je encore ?, cette théorie est un leurre, et qu'en réalité, derrière, il y a des gros problèmes sociaux.
EMMANUELLE LAGARDE - Une révolte spontanée, mais avec un réel potentiel politique, que chacun tente de récupérer. Sur ce terrain, les extrémistes politiques ou religieux sont désormais à l'?uvre, c'est la conclusion du rapport des Renseignements Généraux.

AUDREY PULVAR - Monsieur le ministre, vous parliez de mafias, de trafiquants dérangés dans leurs habitudes. Le rapport des RG, lui, parle d'un mouvement non-organisé, il parle de malaise social. Alors qui se trompe ?
NICOLAS SARKOZY - Non mais, ce n'est pas exact. Alors je sais bien que le système médiatique est réducteur. Le rapport des RG, c'est moi qui l'ai commandé et c'est moi qui l'ai eu, dans sa totalité. Qu'est-ce qui s'est passé ? L'immense majorité des gens que nous avons arrêtés, 5.000 dossiers, il y en a 800 qui se sont retrouvés en prison ; qui peut penser que les magistrats aujourd'hui mettent en prison des gens qui n'ont jamais eu affaire à la justice avant ? Nous nous sommes retrouvés face à des bandes organisées, sur un territoire donné, et bien sûr que ces gens avaient déjà eu affaire à la justice. Qu'il y ait des injustices dans les quartiers ?

AUDREY PULVAR - Ce n'est pas ce que disent les magistrats?
NICOLAS SARKOZY - ? ce n'est pas exact. Ce n'est pas exact. Un mineur sur deux déféré était connu des services de police, et 70 % des adultes déférés étaient connus des services de police et de la justice. Mais dans ce cas, comment expliquer qu'il y en ait 800 qui se soient retrouvés en prison ? Est-ce que vous croyez qu'on condamne aujourd'hui quelqu'un à de la prison ferme pour sa première infraction et pour son premier délit ? Mais il suffit de demander aux gens dans les banlieues ce qu'ils en pensent : ils savent parfaitement que sur chaque territoire il y a un certain nombre de bandes qui se sont approprié les territoires, et c'est ces gens-là que nous avons trouvés en face ?

AUDREY PULVAR - Donc vous contestez les conclusions de ce rapport ?
NICOLAS SARKOZY - Alors l'explication, le chercheur, là, que vous avez interrogé, est certainement un monsieur très estimable, et de toute manière, ces explications, ça fait 30 ans qu'on les entend en France : c'est de la faute de personne, c'est de la faute de la société, et s'il y a de la violence, c'est qu'il y a de la misère. Mais si tous les gens qui étaient au chômage brûlaient la voiture du voisin, il y aurait plus de voitures brûlées. Et cette culture de l'excuse, qui veut dire que la responsabilité individuelle n'existe pas, ne correspond en rien à la réalité. La vérité, c'est que la première cause d'exclusion dans nos quartiers, c'est qu'il y a des délinquants et des voyous qui font régner la terreur. Et c'est bien eux auxquels les services de police ont eu affaire. Et c'est d'eux dont il faut débarrasser les quartiers.

AUDREY PULVAR - Donc la réponse est sécuritaire ? Donc la bonne réponse est sécuritaire ?
NICOLAS SARKOZY - Non, Madame PULVAR, elle n'est pas que sécuritaire. Mais je voudrais vous dire qu'une association qui vient faire de la prévention, quand il y a des caïds qui trafiquent de la drogue, comme dans un certain nombre de quartiers, que voulez-vous qu'ils fassent comme travail ? Il faut d'abord débarrasser ces quartiers des gens malhonnêtes, des voyous et des violents. Est-ce que vous croyez que les gens qui sont capables de mettre le feu à une handicapée dans un bus, vous croyez que c'est un jeune dés?uvré ? Non, c'est un voyou. Celui qui est capable d'assassiner monsieur IRVOAS, à Epinay, pour lui voler un appareil de photo, c'est un voyou, ce n'est pas un jeune.
JEAN-MICHEL BLIER - Nicolas SARKOZY, hier soir il y avait un bureau politique de l'UMP, manifestement passionnant. On a parlé de soutien, d'investiture, de primaires. On a l'impression qu'on a joué sur les mots, que c'était de la sémantique. J'ai envie de vous demander : au fond, hier soir, qui est-ce qui a gagné, qui est-ce qui a perdu ?
NICOLAS SARKOZY - Non, je crois que d'abord, ce qui a gagné, c'est l'unité de la famille. Moi je suis président de l'UMP, et mon premier devoir, c'est de rassembler cette famille politique, et d'éviter qu'elle ne donne le spectacle de la division. Qu'est-ce qu'on a dit ? On a dit trois choses. Premièrement, qu'on souhaitait tous qu'il y ait un seul candidat de notre famille à l'élection présidentielle. Parce que, divisée, la famille perd. Un seul candidat. Et ça, nous sommes tous d'accord. Deuxièmement?
JEAN-MICHEL BLIER - Sûr, il n'y aura qu'un seul candidat ?
NICOLAS SARKOZY - Enfin, tous ceux qui étaient présents l'ont demandé. Donc, l'ayant demandé, ils auront à coeur de l'appliquer.
JEAN-MICHEL BLIER - Il ne peut pas y avoir un candidat en dehors de l'UMP, du soutien de l'UMP ?
NICOLAS SARKOZY - Tous ceux qui étaient présents, et qui ont voté la réforme que je propose, ont souhaité cela.
JEAN-MICHEL BLIER - Ont accepté la règle du jeu ?
NICOLAS SARKOZY - Exactement. Et parmi eux il y a quelques candidats potentiels, ou en tout cas crédibles. Deuxième élément, on s'est engagé à ce que tous les adhérents de l'UMP votent pour choisir celui qu'ils souhaitaient soutenir. C'est enfin la démocratie totale. Dans ma famille politique, l'adhérent votera, et c'est lui?
AUDREY PULVAR - Très rapidement, Monsieur SARKOZY.
NICOLAS SARKOZY - ?et troisième chose, nous avons décidé qu'on le ferait en janvier 2007. C'est très exactement ce que j'avais proposé, et ce que j'avais promis. Parce que ce que j'ai dit en devenant président de l'UMP, j'essaye de le tenir.
AUDREY PULVAR - Merci, Monsieur SARKOZY, pour toutes ces précisions.
NICOLAS SARKOZY - Merci de m'avoir invité.

(Source http://www.u-m-p.org, le 12 décembre 2005)