Déclaration de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, sur le rôle de la Commission nationale consultative des Droits de l'Homme (CNCDH)et la coopération internationale, Paris le 12 décembre 2005.

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Circonstance : Installation de la Commission nationale consultative des Droits de l'Homme (CNCDH), à Paris le 12 décembre 2005

Texte intégral

Madame la Ministre,
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
La Commission nationale consultative des droits de l'Homme a toujours su rester fidèle à l'héritage de son fondateur René CASSIN. Elle incarne la tradition française d'humanisme et d'attachement aux droits de l'Homme.
Aujourd'hui, votre commission joue un rôle indispensable face aux transformations profondes de notre société, qu'il s'agisse des nouveaux défis de la sécurité, des questions de bioéthique, ou de l'utilisation des nouvelles technologies.
1. Pour promouvoir les droits de l'Homme, la CNCDH a tout son rôle à jouer.
Au plan national, d'abord.
Gardiens vigilants du respect des droits de l'Homme dans notre pays, vous apportez un éclairage précieux dans la rédaction de nos lois. J'en veux pour preuve les deniers avis que vous avez rendus sur le droit des enfants, les droits des femmes et les droits des personnes handicapées.
* Votre indépendance garantit votre impartialité. Elle a été renforcée par la possibilité d'auto-saisine qui vous a été accordée.
* Votre légitimité se fonde aussi sur votre pluralisme. Vous réunissez organisations non gouvernementales, confédérations syndicales et organisations patronales, juristes et experts des droits de l'Homme. En cela, vous êtes le reflet de la société civile française dans sa pluralité.
* Vous avez enfin fait toute la preuve de votre sens du dialogue, notamment avec les administrations. Dans le cadre de la réforme de l'Etat, j'ai donné des instructions pour que le dialogue soit renforcé et j'ai demandé à l'ensemble des services d'y prendre une part active.
Ces atouts, je souhaite que vous les mettiez au service du combat que nous menons pour l'égalité des chances et contre les discriminations.
* Les événements que notre pays a connus ces dernières semaines nous l'ont montré : tous nos concitoyens ne partent pas dans la vie avec les mêmes chances. Trop de Français sont victimes de discriminations. Cette situation est inacceptable. Elle est contraire aux principes de la République et porte atteinte à la cohésion nationale.
Pour que personne ne soit laissé au bord du chemin, pour que chacun puisse construire un projet et trouver sa place dans la société, nous devons nous rassembler autour de nos valeurs fondamentales. Nous devons nous donner tous les moyens pour faire vivre l'égalité des chances.
C'est pourquoi, en accord avec le Président de la République, j'ai décidé de faire de l'égalité des chances la grande cause nationale de l'année 2006.
Je souhaite que votre Commission puisse rapidement me donner son avis sur le projet de loi sur l'égalité des chances qui sera présenté en conseil des ministres au mois de janvier prochain.
Vous prenez aussi toute votre part à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie. Le rapport que vous présentez chaque année sur la prescription de la loi du 13 juillet 1990 apporte une contribution indispensable à notre action.
Après plusieurs années de menaces et de violences, les actes d'antisémitisme enregistrent aujourd'hui une nette diminution : au cours de 2005, ils ont baissé de plus de 50 %. Dans le même temps, les faits de violences racistes et xénophobe sont également en fort recul.
Pour autant, nous devons rester vigilants. La lutte contre les discriminations est un combat de tous les instants qui demande énergie et détermination, c'est un combat de longue haleine pour changer les regards et les mentalités. Face à l'intolérance, face à la tentation du repli sur soi, nous devons sans cesse réaffirmer le message de liberté, d'égalité et de fraternité de la République.
Vous jouez également un rôle important au plan international.
D'abord pour donner votre avis sur l'élaboration du droit international et communautaire comme sur la situation des droits de l'Homme.
Vous avez été à juste titre étroitement associés à la présentation du rapport de la France au Comité contre la torture. Il s'agit d'une coopération exemplaire que je tiens à saluer.
Je souhaite que vous soyez consultés à l'occasion de la transposition du Statut de la Cour pénale internationale. Un avant-projet vous sera soumis au printemps. Vous serez également associés à la visite en France du Procureur de la Cour pénale internationale.
Vous êtes également un acteur important au sein des organisations internationales.
* Dans le cadre du réseau des Commissions européennes et de la Francophonie, que vous animez avec conviction, Monsieur le Président, la CNCDH joue un rôle déterminant. A cet égard, je soutiens votre volonté de travailler avec les Institutions de l'Union européenne.
* Par son engagement, par son action exemplaire, votre commission est également un modèle pour la création d'institutions similaires dans les pays du sud. Vous constituez un atout majeur pour notre politique de coopération pour la promotion de l'état de droit. Je souhaite que des partenariats avec le Haut Commissariat aux droits de l'Homme soient mis en place.
2. Votre rôle est d'autant plus important que notre pays a une responsabilité particulière dans la défense des droits de l'homme.
Aujourd'hui nous sommes face à un paradoxe.
La mondialisation a permis le rapprochement des peuples. Peu à peu une conscience mondiale émerge autour de valeurs partagées : la paix, le dialogue, la justice, la solidarité.
En même temps de nouveaux risques apparaissent, qui sont autant de défis pour la défense des droits de l'Homme :
D'abord, les conflits et les crises qui déstabilisent des régions entières entraînent de nombreuses violations. Des enfants sont enrôlés dans des factions armées, les violences sexuelles envers les femmes sont employées comme armes de guerre, des camps de réfugiés sont pris pour cibles et les attaques contre le personnel humanitaire se multiplient.
Nos sociétés sont aussi confrontées à de nouvelles formes de repli identitaire, qui favorisent l'intolérance et l'extrémisme. Par ailleurs la religion, les convictions, la culture ou l'orientation sexuelle sont trop souvent l'objet de discriminations ou de rejets.
Enfin, nous devons protéger nos concitoyens face au terrorisme. Cela implique, pour l'ensemble des pays menacés, de mettre en place de nouveaux dispositifs de surveillance et de nouveaux moyens d'action.
Face à ces nouveaux défis, nous devons plus que jamais défendre nos valeurs et nos principes.
Premier principe : l'universalité des droits de l'homme. Il y a aujourd'hui une tentation : celle du relativisme. Il nous faut donc affirmer qu'au-delà des différences et des spécificités culturelles ou religieuses, ce qui nous rassemble c'est la dignité intangible de la personne humaine. Les droits de l'homme sont universels, quelles que soient les cultures, quelles que soient les religions. C'est ce qui fait leur force.
Deuxième principe : la prééminence du droit. Il ne saurait y avoir d'exception à la règle juridique. Rien ne justifie le recours à la torture et à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Rien ne justifie la négation du droit d'asile.
Troisième principe : le multilatéralisme. Face aux défis auxquels nous sommes confrontés, aucun pays ne détient seul la solution. Pour être efficace, notre réponse doit être collective. Nous sommes convaincus que les Nations Unies restent l'enceinte incontournable pour prévenir et réprimer les violations des droits de l'Homme dans le monde.
Ces principes, la France les défend avec détermination sur la scène internationale.
Il reste de grands combats à mener, des combats pour lesquels la France est attendue :
D'abord en faveur de l'abolition universelle de la peine de mort. Cela reste un objectif prioritaire. La France souhaite la ratification par tous et l'application réelle des conventions existantes.
Nous voulons également mieux protéger les personnes contre les disparitions forcées. La négociation lancée à l'initiative de la France pour l'adoption d'une convention sur ce sujet s'est achevée en septembre dernier. 2006 sera une année clé pour l'adoption de ce texte. Ce thème pourrait être retenu par la CNCDH l'an prochain pour son prix des droits de l'Homme.
Nous agissons aussi pour lutter contre l'impunité. Vous connaissez à cet égard notre engagement pour la promotion de la Cour Pénale Internationale. Elle joue un rôle de premier plan dans le combat contre les violations et les crimes les plus graves.
* C'est à l'initiative de la France que le Conseil de Sécurité a saisi, pour la première fois, la Cour Pénale Internationale sur la situation des droits de l'Homme au Darfour.
* C'est aussi à l'initiative de la France que le Fonds de la Cour Pénale Internationale au profit des victimes a été créé. La justice pénale internationale pourra ainsi leur donner toute leur place, ce qui contribuera à sa légitimité et à sa crédibilité.
Pour mener ces combats, la France dispose d'atouts précieux.
L'engagement de l'Union européenne, qui parle d'une seule voix dans le domaine des droits de l'Homme ;
Le dialogue au sein de la Francophonie, sur la base de la charte de Bamako ;
La mobilisation des « défenseurs des droits de l'Homme », dont vous êtes aujourd'hui les meilleurs représentants.
Aujourd'hui nous avons besoin de rassembler la communauté internationale. La France et ses partenaires européens sont pleinement mobilisés pour soutenir la réforme des Nations Unies dont le sommet de New York en septembre dernier a fixé le cadre. Nous avons ainsi avancé sur trois sujets majeurs.
D'abord, le principe de responsabilité de protéger. Pour la première fois, la Communauté internationale a reconnu sa responsabilité d'agir pour protéger des populations en cas de génocide, de nettoyage ethnique, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre, lorsque l'Etat concerné refuse ou est incapable de le faire. C'est dans le cadre des Nations unies seulement que la communauté internationale peut assumer cette responsabilité collective.
Deuxième sujet : la création d'un Conseil des Droits de l'Homme, dont les modalités sont encore en négociation. Nous souhaitons un Conseil légitime, permanent et capable de se réunir rapidement pour traiter efficacement de situations graves et urgentes.
Troisième sujet : le renforcement du rôle du Haut Commissariat aux Droits de l'Homme.
* Nous avons soutenu l'accroissement significatif de ses moyens. Son budget régulier doit être doublé sur 5 ans. Nous veillerons à ce que cet engagement soit tenu.
* Nous souhaitons également que la Haute Commissaire puisse avoir directement accès à l'ensemble des organes des Nations Unies, y compris le Conseil de sécurité.
Mesdames, Messieurs,
Par votre réflexion et votre travail vous nous rappelez que le combat pour les droits de l'homme est une exigence permanente. Confrontée sans cesse à de nouveaux enjeux et à des changements profonds, notre société a plus que jamais besoin de repères et de fidélités à ses principes.
A chacun d'entre vous, je souhaite donc bon courage pour mener à bien la mission qui vous est confiée. Je vous remercie.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 14 décembre 2005