Déclaration de M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique, sur la réforme de l'Etat, la gestion des ressources humaines, les négociations salariales et la simplification administrative, Paris le 23 janvier 2001.

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Circonstance : Voeux à la presse le 23 janvier 2001

Texte intégral

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
C'est une tradition bien établie que celle de cette rencontre à laquelle je vous remercie d'être venus si nombreux aujourd'hui, au cours de laquelle le ministre échange ses voeux avec la presse.
Je m'y plie d'autant plus volontiers que cette tradition est en l'espèce agréable et c'est donc de tout cur que je vous présente, pour vous et tous ceux qui vous sont chers, mes voeux les plus chaleureux pour l'année 2001. J'espère que, cette année, nous saurons vous fournir, comme l'an dernier, maintes occasions de commenter nos actions, pour les critiquer parfois, ou les saluer le plus souvent qu'il sera possible.
Cette tradition des voeux est une belle tradition, mais c'est peut être l'une des rares que je souhaiterais voir maintenir à terme dans ce ministère qui doit être celui du mouvement et du changement.
Nous voulons réformer en profondeur l'Etat.
De ce point de vue, l'intitulé du ministère peut, dans sa dichotomie, prêter le flan à la critique : il aurait, tel Janus, deux faces, l'une consacrée à la modernisation des administrations, l'autre à la gestion en bon père de famille de la fonction publique. Ce n'est pas ma conception : la réforme de l'Etat englobe la fonction publique parce qu'elle a une incidence sur la vie et le travail des fonctionnaires, qu'elle ne peut exister sans l'adhésion des agents publics et qu'elle n'aurait de la modernité que l'apparence si elle était, selon le vieux schéma de l'administration napoléonienne, décidée en haut, imposée par le haut, sans concertation avec ceux qui ont pour charge de l'appliquer. Il n'y a pas ici deux ministres, l'un qui préparerait des simplifications administratives, qui installerait l'observatoire de l'emploi public, préparerait les administrations à la réforme de l'ordonnance de 1959 et l'autre qui gérerait de manière atemporelle les problèmes statutaires ou la rémunération des fonctionnaires.
La réforme de l'Etat est un tout et ce tout comprend la modernisation de la fonction publique, c'est-à-dire, notamment, la modernisation du recrutement, des carrières, et plus généralement, la gestion des ressources humaines et le dialogue social.
Pour réussir cette réforme, il nous faut de la volonté, de la constance, du débat, mais il nous faut aussi nous défaire de quelques mauvaises habitudes dont la gestion quotidienne de l'Etat est encore parfois prisonnière. A mes yeux, la principale de ces mauvaises habitudes est de considérer les choses à court terme, de décider pour parer au plus pressé, au lieu de s'inscrire dans la durée et la continuité. Regarder plus loin que l'année qui s'avance pour tracer des perspectives, des orientations, des axes politiques est pourtant une garantie du succès. Je n'en prendrai comme exemple que la façon dont le Gouvernement a, dès juin 1997, fixé une politique pour le retour à l'emploi, indiqué le cap à suivre et s'est tenu à cette direction avec les résultats positifs que vous connaissez. Pourquoi ne pourrions nous pas dans la gestion des administrations procéder de la sorte ? C'est le pari que j'ai fait en arrivant ici il y a un peu moins d'un an, c'est celui de la confiance en nos administrations et en leurs agents ; c'est le pari de l'intelligence.
C'est la raison pour laquelle un des premiers dossiers que j'ai souhaité ouvrir est celui de la gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences au sein de l'Etat : continuer à gérer les emplois de l'Etat dans le strict cadre de l'annualité budgétaire, qui plus est en ne considérant que les postes et pas les personnes, c'est à dire les besoins et les capacités de recrutement, nous eût conduits dans les années qui viennent à laisser en déshérence des pans entiers du service public. Je dois dire que mes interlocuteurs, et pas seulement syndicaux, ont parfois été surpris que je soulève ce problème. Très vite il en ont compris l'importance et l'intérêt et aujourd'hui plus personne ne remet en cause le fait que c'est la seule approche possible pour la gestion de l'emploi public dans les années qui viennent.
Il en est de même avec la réforme de l'ordonnance de 1959, heureuse initiative parlementaire, qui est un des leviers fondamentaux de la réforme de l'Etat, car elle porte en elle une plus grande autonomie des services,une plus grande responsabilité des gestionnaires et elle assigne aux administrations une obligation de résultats, là où les débats budgétaires internes à l'exécutif, puis devant le Parlement, s'en tenaient à la mesure des moyens. Cette réforme permettra aussi de généraliser la pluriannualité budgétaire qui est une condition pour que les politiques s'inscrivent dans la durée, tant il est vrai qu'une politique sans moyens ressemble à un voeu pieux.
S'agissant de la gestion des ressources humaines, j'aurais pu me contenter de négocier avec les organisations syndicales un accord portant strictement et exclusivement sur la résorption de l'emploi précaire. C'eût été plus aisé. J'ai souhaité que cet accord comporte un second volet sur la modernisation du recrutement dans la fonction publique. Les mesures qu'il contient préparent l'avenir puisqu'elles permettent l'extension des recrutements sur titres ou de type troisième voie, qu'elles introduisent la validation des acquis professionnels, qu'elles relancent le processus de déconcentration des concours et qu'elles mettent en place des mécanismes permettant d'éviter la reconstitution d'une précarité que l'on s'efforce par ailleurs de réduire.
Il me semble qu'il devrait en aller de même pour le dialogue social dans la fonction publique. Nous voulons lui donner toute la place qui doit être la sienne dans un État moderne. C'est dire qu'il ne peut rester dans le formalisme qui est le sien aujourd'hui, les consultations des organismes paritaires étant souvent platoniques et les relations contractuelles entre l'Etat et les syndicats marquées par le " stop and go ".
C'est le cas bien sûr pour la politique salariale. L'archaïsme dont nous souffrons tient précisément à la discontinuité du dialogue social sur ce sujet central et - le paradoxe n'est qu'apparent - au caractère unilatéral de cette politique contractuelle.
La discontinuité tient à ce que depuis de très nombreuses années, une période d'accord a toujours été suivie d'une période de brouille, soit que l'accord se soit révélé insuffisant pour les fonctionnaires et que le contentieux en résultant soit trop lourd à surmonter avant que le temps ait apaisé les antagonismes, soit que l'accord ait été positif pour les agents, auquel cas, comme en 1996, c'est le Gouvernement, de droite, qui a décidé de geler dans un seul élan, le dialogue social et les salaires. Il y a donc une espèce de malédiction qui pèse sur le dialogue social en matière salariale que j'ai souhaité essayer de conjurer. Si nous ne sommes pas capables collectivement, Etat-employeur et syndicats de fonctionnaires, de nous inscrire dans la durée et la continuité, si nous continuons à concevoir un accord salarial comme un armistice entre deux périodes d'affrontements, alors qu'il devrait être la forme ordinaire d'un dialogue social apaisé, alors nous en resterons à un stade primaire de ce dialogue.
Mais, contrairement à des critiques faciles et partiales qui ont trop souvent cours, la responsabilité de cet état de fait n'incombe pas exclusivement aux syndicats ; l'Etat en porte aussi sa part : c'est ainsi que, traditionnellement, il n'engage une négociation que s'il est sûr qu'elle aboutira favorablement et qu'il s'abstient chaque fois qu'un doute est permis sur la bonne fin d'une discussion avec les représentants des fonctionnaires. C'est une manière de rendre unilatérale la politique contractuelle , parce que la négociation n'est pas une pratique ordinaire qui aboutit, c'est selon, à un échec ou à un succès, mais qu'elle est une faveur accordée par l'Etat de temps en temps aux représentants de ses agents. Ce n'est pas ma conception d'un dialogue paritaire et continu.
C'est dans cet esprit d'ailleurs que j'avais évoqué à la fin de l'année dernière, l'intérêt qu'il y aurait à ce que l'Etat et les syndicats se mettent autour d'une table pour réfléchir ensemble à leur pratique du dialogue social. La négociation sur la négociation devra un jour s'engager. C'est l'intérêt des fonctionnaires, c'est celui des usagers aussi puisqu'une des vertus d'un dialogue social apaisé est que l'on consacre son énergie à améliorer le service rendu à l'usager plutôt qu'à des querelles internes stériles.
Le respect dû aux fonctionnaires consiste à ne pas les traiter comme une catégorie à part, comme une caste, qui en échange de privilèges, se verrait imposer le silence : de même que je refuse l'idée de traiter les fonctionnaires au plan de leur salaire sans considération de l'intérêt général qui s'attache à la maîtrise des dépenses publiques, de même je souhaite qu'ils soient des acteurs de l'Etat et de sa modernisation.
Les négociations salariales se sont heurtées jeudi dernier à une incompréhension. Je souhaite que chacun analyse les propositions substantielles du Gouvernement et réfléchisse aux conséquences de ces propositions dans la durée, sans se polariser sur une année particulière.
L'année 2001 sera marquée encore par des chantiers qui présentent cette caractéristique commune de préparer l'avenir. Le développement de la gestion des ressources humaines, et notamment la réforme en profondeur de l'encadrement supérieur, et l'approfondissement de la déconcentration seront les deux axes principaux de mon action. Bien sûr les chantiers ouverts en 2000 se poursuivront, qu'il s'agisse des travaux de l'observatoire de l'emploi public, de la mise en place progressive de la nouvelle gestion publique rendue possible et nécessaire par la réforme de l'ordonnance de 1959, du développement de l'administration électronique, dossier sur lequel nous n'avons plus à rattraper un retard mais à conforter une avance, ou encore du suivi des dossiers européens que la présidence française a permis de mettre sur les rails, alors que prévalait trop souvent la crainte irraisonnée que la construction européenne soit un danger pour nos administrations et notre fonction publique.
Nous poursuivrons également la démarche volontariste de simplification administrative, engagée avec la suppression des fiches d'état-civil et les décisions prises, le 11 janvier, lors de la réunion de la COSA. A ce titre, je tiens à remercier tout particulièrement la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, en la personne de sa présidente, Mme PRUD'HOMME, et de sa directrice-générale, Mme MOREL. La CNAF a fait en effet de gros efforts ces dernières années pour moderniser et simplifier ses relations avec les usagers. Le dossier sur les demandes d'aides au logement mis à votre disposition est particulièrement convaincant, et je vous invite vivement à soupeser le dossier avant, et après ... Les deux téléprocédures qui vous sont présentées, sur la demande d'aide au logement pour les étudiants et l'inscription aux concours de professeurs, illustrent bien quant à elles l'apport des technologies de l'information aux relations entre l'Etat et ses usagers.
Mais je crois que l'administration du 21ème siècle doit fondamentalement être plus attentive à ses agents et à leurs aspirations, et donc aux opportunités de carrières qu'elle leur offre, et plus proche des usagers, c'est-à-dire moins centralisée. C'est donc ces deux chantiers - gestion des ressources humaines et déconcentration -que j'entends nouvellement ouvrir cette année.
La réforme de l'Etat a besoin de continuité et de vision à long terme. J'ai le sentiment que nous avons progressé. S'il reste encore beaucoup à faire, j'ai en tout cas le sentiment que les critiques récurrentes d'esprits aigres qui se plaisent à dénigrer le fonctionnement de l'Etat et le comportement de ses agents est de plus en plus déconnecté de la réalité : notre Etat est en mouvement.
Nous avons la chance qu'aujourd'hui les critiques fondamentalistes sur le rôle et la place de l'Etat se soient tues, ou soient devenues inaudibles. Roger FAUROUX, dans l'ouvrage récent et souvent critique dont il est co-auteur, écrit lui-même : " le vrai problème n'est pas celui de la dimension de l'Etat. Nous avons besoin, dans ce siècle agité, d'un Etat rapide". Eh bien, nous y travaillons, nous avons déjà engrangé des résultats, et nous allons continuer en 2001. .
(Source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 24 janvier 2001)