Interview de M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, à RTL le 31 janvier 2006, sur l'examen en urgence du projet de loi sur le contrat première embauche (CPE), et sur la commission d'enquête autour du procès d'Outreau.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q- Les députés commencent, aujourd'hui, l'examen du projet de loi "égalité des chances", et ils discuteront donc, c'est jeudi, je crois, les amendements gouvernementaux qui introduisent le contrat "première embauche". S. Dassault était à votre place, hier, J.-L. Debré, et il disait : "Bravo ! Enfin une mesure libérale !" Partagez-vous cet enthousiasme, J.-L. Debré ?
R- Je ne comprends pas très bien. J'arrive de ma mairie. J'ai vu, hier, beaucoup de jeunes qui cherchent des emplois, ou qui cherchent un emploi. Et, franchement, je n'arrive pas à comprendre la position de ceux qui s'opposent à ce contrat "premier enfance" (sic).
Q- Première embauche !
R- "Première embauche, pardon. Qui favorise, accélère l'insertion des jeunes. Qui s'ajoute aux autres contrats. Moi je vois, toute la journée, des jeunes qui sont dans l'angoisse de trouver un emploi, encore plus grande lorsqu'ils n'ont pas de formation. Et là, on va leur offrir un contrat "première embauche", qui va leur permettre d'avoir accès à une formation : c'est ce qu'ils attendent. Alors, cette attitude qui consiste à refuser tout, à refuser toute expérience, à se réfugier dans l'immobilisme : je ne le comprends pas. C'est un instrument de plus pour essayer de faire baisser le chômage des jeunes qui, je vous le rappelle, atteint 23% pour les jeunes de moins de 25 ans, et plus de 40% ! 40% ! Pour les jeunes qui n'ont pas de formation. Or, ce contrat va permettre, également, une formation.
Q- Je vous parlais, J.-L. Debré, de quelqu'un qui était content : S. Dassault, qui disait : "Enfin, une mesure libérale !".
R- Mais je ne suis pas content. Je serai content lorsqu'il n'y aura plus, ou moins, de chômage des jeunes. Comme en Allemagne où l'on est passé, grâce à un contrat de type identique, de plus de 20% à moins de 11% de chômage des jeunes. Là, je serai content. Je ne sais pas si c'est libéral ou pas libéral.
Q- Le mot "libéral", vous n'aimez pas, J.-L. Debré !
R- Ce n'est pas cela. Tout ceci est complètement dépassé. Ce sont des mesures que l'on imagine pour essayer de régler des problèmes qui sont identifiés, précis, et personne n'a la solution toute faite. Si c'était facile, elle aurait été imaginée depuis longtemps.
Q- L'opposition vous promet une bataille d'amendement, à l'assemblée : cela va durer longtemps. Cela vous agace, J.-L. Debré ?
Non, cela ne m'agace pas parce que chacun a le droit de faire ce qu'il veut.
Q- Vous avez failli répondre "oui".
R- Mais je ne comprends pas ces combats d'arrière-garde. Nous avons une situation dramatique, parfois, avec des jeunes qui désespèrent de ne pouvoir espérer, et on va donner gentiment d'une bataille rangée, politique, politicienne ! Pourquoi, en réalité ? L'opposition, dans cette affaire, ne s'appuie pas sur des données précises. Elle fait de l'opposition politique. Elle veut faire durer le plaisir parce qu'elle s'accommode de cette situation, et moi, je n'arrive pas à m'accommoder de cette situation.
Q- C'est donc qu'il y a du plaisir, et c'est déjà pas mal ! Et l'UDF, le parti libre, ne votera pas le CPE.
R- Cela n'a aucune importance !
Q- Aucune importance ?
R- Aucune importance !
Q- Le Gouvernement a demandé au Parlement de procéder à cette lecture du projet de loi, en urgence. Et chaque fois que l'on demande au Parlement de faire quelque chose, il le fait. Il est docile, le Parlement !
R- Non. C'est un phénomène majoritaire. Ne caricaturez pas tout cela !
Q- Vous-même regrettiez, J.-L. Debré, au début de l'année, qu'il y ait trop de lois examinées en urgence.
R- Je regrette qu'il y ait trop de lois en urgence, parce que, trop de lois en urgence tue l'urgence. Mais quand il y a une nécessité... Alors, là, cela se justifie !
Q- Venez dans ma mairie, à Evreux, et vous verrez ces jeunes qui attendent, et ils ne comprennent pas que cela dure et que cela ne vienne pas rapidement. Donc, ce que je souhaite, c'est que le Gouvernement dépose le texte. Nous allons l'examiner dans les jours qui arrivent. On va, naturellement, prendre notre temps parce que le Parlement prend toujours son temps.
Q- Là, vous n'aurez pas le temps.
R- Mais ne faisons pas durer les choses. Il y a une attente, il y a une espérance. Eh bien, le politique doit répondre à cette attente et à cette espérance avec ce contrat "première embauche", qui vient s'ajouter aux autres contrats, notamment, au contrat apprentissage et à tout l'arsenal.
Q- - Il y en a un paquet, des contrats !
R- Oui, parce que la situation est diverse.
Q- On ne peut pas dire que le Parlement simplifie les choses : un contrat de plus !
R- Pensez-vous que la situation est simple ?
Q- Non, la situation n'est pas simple, mais le code du travail non plus !
R- On a beaucoup compliqué le code du travail, mais essayons de le simplifier, et essayons, surtout, de trouver de l'emploi pour les jeunes.
Q- Autre chose fait beaucoup parler, qui se passe aujourd'hui à l'assemblée Nationale : c'est le travail de la commission d'enquête autour de l'affaire d'Outreau. Le juge Burgaud sera entendu, mercredi prochain, et beaucoup dénoncent le climat de chasse-à l'homme, de bouc émissaire qu'il y a autour du travail de cette commission. Quel est votre avis, J.-L. Debré ?
R- D'abord, j'ai voulu cette commission, et j'ai voulu la publicité. Mais je rappelle aux uns et aux autres - je le ferai aujourd'hui - que cette commission n'est pas un tribunal.
Q- Aux uns et aux autres : c'est aux membres de la commission d'enquête ?
R- Oui. Tout à fait. Ce n'est pas un tribunal. Elle ne rend ni jugement, ni arrêt. Elle essaie, simplement, de faire un diagnostic pour savoir s'il y a eu dysfonctionnements de la chaîne judiciaire, ou s'il n'y a pas eu dysfonctionnements. S'il y a eu dysfonctionnements, quelles mesures préconise-t-elle pour corriger ces dysfonctionnements. Voilà son rôle.
Q- Il vous semble que les membres de la commission d'enquête parlent trop, et ont dit des choses qui ont dépassé la mesure, J.-L. Debré ?
R- Je trouve que, un : c'est bien que tout cela se fasse de manière transparente. Les uns et les autres devraient parler moins, et se concentrer sur le travail de cette commission.
Q- Le juge Burgaud sera auditionné, mercredi prochain, en présence des ex-accusés. Est-ce une bonne initiative, J.-L. Debré ?
R- Je vais vous dire tout à fait ce que j'en pense : non. Je pense que, là aussi, ce n'est pas un tribunal. Que la commission entende le juge et qu'elle l'entende, en présence de la presse : parfaitement. Mais on ne change pas les choses, et on ne le fait pas entendre avec l'ensemble des anciens accusés dans son dos. Je crois que c'est une mauvaise façon d'approcher la vérité.
Q- C'était le dernier mot de J.-L. Debré qui était l'invité de RTL, ce matin.
R- Non, parce que j'ai encore beaucoup de mots à vous dire. Et il y en a un : c'est de ne pas vous laisser le dernier mot !Source, premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 1er février 2006