Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et président de l'UMP, sur le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration, devant la Commission des lois de l'Assemblée nationale, Paris le 29 mars 2006.

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Circonstance : Audition devant la Commission des lois de l'Assemblée nationale, à Paris le 29 mars 2006

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Le Conseil des ministres, ce matin, a adopté le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration.
Cinq semaines nous séparent de la discussion publique à l'Assemblée nationale : je sais que le temps d'examen du projet de loi par votre commission est compté. Aussi, je me réjouis que cette audition puisse se tenir sans retard, dès maintenant, afin de vous présenter ce texte de 84 articles, regroupés en 7 titres.
Je tiens d'ailleurs à préciser que, tel qu'il vous est soumis, sous réserve de quelques rédactions de détail, le projet de loi a été approuvé par l'assemblée générale du Conseil d'Etat. C'est une garantie d'équilibre et de respect des principes constitutionnels auxquels nous sommes tous attachés.
Ce projet de loi est l'expression d'une volonté : transformer profondément la politique d'immigration.
Je n'ai pas voulu d'une énième réforme du droit de l'immigration, qui viendrait modifier à la marge, par un ensemble d'ajustements techniques, l'ordonnance de 1945 devenue le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Dans mon esprit, ce texte est l'expression d'une volonté de transformation profonde de la politique de l'immigration.
Je veux rompre avec une forme de "pensée unique" qui porte préjudice à la France autant qu'aux immigrés.
Depuis des décennies, des experts nous disent que les questions d'immigration et d'intégration doivent être dissociées. Il existerait un droit universel à l'immigration, s'imposant à l'Etat. Quant à l'intégration, les mêmes experts affirment qu'elle est un faux problème. Pour ne pas "stigmatiser" les nouveaux arrivants, il importerait de ne pas les considérer comme des migrants et de les prendre en compte dans le cadre de la politique de la ville.
En proposant pour la première fois un projet de loi qui associe l'immigration et l'intégration, j'ai décidé de briser ce tabou.
Ma philosophie est simple : pour moi, il ne fait aucun doute que l'immigration et l'intégration sont deux enjeux étroitement imbriqués. Pour une raison évidente : faire entrer en France un grand nombre de migrants sans se donner les moyens de les accueillir, d'organiser leur insertion dans la société française, conduit à des situations ingérables. L'intégration est un processus long, complexe, coûteux.
Je rejette de la manière la plus nette le poncif habituel des mouvements d'extrême droite, selon lesquels il existerait des cultures "impossibles à intégrer" et qui prêchent le concept, totalement mensonger, de l' "immigration zéro".
Il est temps de parler clair : la France n'a pas vocation à être repliée sur elle-même - car la claustrophobie et la consanguinité sont les vecteurs du déclin national ! -, mais elle n'a pas non plus les moyens d'accueillir tous ceux qui voient en elle un eldorado.
Pas plus que l'intolérance des partisans de l' "immigration zéro", je n'accepte l'angélisme de ceux qui estiment que les hommes sont interchangeables, que l'intégration est un faux problème, que l'on peut faire table rase de son passé et de sa culture. Je ne partage pas la candeur de Jack Lang et Hervé Le Bras, qui, dans leur récent ouvrage "Immigration positive", s'en remettent à la "vertu de l'oubli" comme le premier vecteur de l'intégration.
Le décalage est aujourd'hui immense entre la perception des phénomènes d'immigration par une petite frange politico-intellectuelle des élites parisiennes, et celle de l'immense majorité des citoyens de notre pays. En appeler à l'ouverture générale des frontières, à l'abrogation des reconduites à la frontière, à la régularisation générale des sans papiers, c'est facile quand on habite les quartiers privilégiés.
Mais dans notre pays, il y a aussi une majorité silencieuse de Français, de toutes origines - dont beaucoup sont d'ailleurs issus de l'immigration récente -, qui ont compris que les choses n'étaient pas aussi simples. Les Français, dans leur grande majorité, de toutes origines, parce qu'ils sont confrontés à la réalité, ont pris conscience des risques, pour l'unité nationale et la cohésion de notre pays, d'une immigration sans limite et sans projet d'intégration.
"Nous ne pouvons plus recevoir un flux massif et incontrôlé sans que cela n'hypothèque gravement et tout ensemble, d'abord l'équilibre social de la Nation" déclarait Michel Rocard en 1990. Depuis, les difficultés se sont accumulées.
La France compte 2,4 millions de chômeurs ; il manque à notre pays 500 000 logements sociaux. Le drame de l'immigration, telle qu'elle s'est déroulée à la fin des années 90 et au début des années 2000, c'est que beaucoup de nouveaux arrivants se trouvent sans logement décent et sans emploi : le taux de chômage des personnes originaires de certaines nationalités atteint 30 à 40 % !
Les conséquences de cet état de fait peuvent conduire à de véritables tragédies. Je pense bien sûr aux incendies des 25 et 29 août 2005 à Paris qui ont entraîné la mort de 24 personnes originaires d'Afrique, dont de nombreux enfants, logés dans des squats et des taudis insalubres.
D'où l'exclusion, la ghettoïsation croissante d'une partie de la population immigrée, qui est la première victime d'une telle situation.
Comment envisager l'intégration de populations qui n'ont ni travail, ni logement dignes de ce nom? Nous assistons au risque d'une fragmentation croissante de la société française qui conduit à la division, à la violence et au racisme.
La Cour des Comptes a parfaitement analysé la gravité de la situation dans son récent rapport sur l'accueil des migrants : "La situation d'une bonne partie des populations issues de l'immigration la plus récente est plus que préoccupante. Outre qu'elle se traduit par des situations souvent indignes, elle est à l'origine directe ou indirecte de tensions sociales ou ethniques graves, lourdes de menaces pour l'avenir."
On ne saurait mieux dire !
Depuis 2002, je me suis efforcé de redresser la barre d'un navire à la dérive.
Je le dis en toute franchise, et sans esprit partisan : en mai 2002, la situation que j'ai trouvée en arrivant au ministère de l'Intérieur était dramatique.
Les demandes d'asile avaient quadruplé en cinq ans: de 20 000 en 1997 à 82 000 en 2002. La zone d'attente de Roissy débordait de tous les côtés. Le hangar de Sangatte se présentait dans toute l'Europe, dans le monde entier, comme le symbole honteux du chaos migratoire français.
Les flux d'immigration régulière s'étaient accrus d'un tiers en cinq ans : 120.000 en 1997 à 160.000 en 2002, sans compter les communautaires ni les enfants. Cette augmentation aurait pu se justifier si elle était en rapport avec les capacités d'accueil du pays, si elle était régulée. Mais il n'en est rien, précisément.
En quatre ans, un travail considérable de remise en ordre a été accompli.
La loi sur la maîtrise de l'immigration du 26 novembre 2003 a donné au gouvernement de nouveaux outils de lutte contre l'immigration irrégulière.
Je n'en ferai pas la description. Vous avez voté cette loi. Vous en connaissez le bilan puisque votre excellent rapporteur, Thierry Mariani, l'a dressé dans un document remarquable qu'il vous a présenté le 2 mars dernier.
Je rappellerai seulement que le nombre des reconduites à la frontière exécutées a doublé en trois ans : de 10.000 en 2002 à 20.000 en 2005.
Cette évolution a été facilitée par l'allongement de la durée de la rétention administrative, introduit par la loi du 26 novembre 2003 - de 12 à 32 jours maximum -, et par le développement de la capacité de rétention administrative - 968 places en juin 2002, 1 447 places aujourd'hui, 2 500 places en juin 2007. Elle s'explique aussi par une très forte mobilisation des préfectures et des services de police. Je n'ai pas craint de leur fixer des objectifs quantitatifs annuels d'éloignement. Mois après mois, préfecture par préfecture, je suis ces indicateurs. Je veille à ce que l'administration de l'immigration obéisse, sur le terrain, aux objectifs politiques que le législateur de 2003 lui a fixés.
Une autre mesure clef décidée en 2003 est la généralisation des visas biométriques. Nos postes consulaires délivrent 1.900.000 visas de court séjour chaque année. Il est évident qu'une part de ces visas sont détournés par des personnes qui, introduites régulièrement en France, s'y maintiennent irrégulièrement. Le système de visas biométriques permet, tout simplement, de connaître l'identité et la nationalité de ceux qui, comme par hasard, ont perdu la mémoire... Etendu à l'ensemble des consulats d'ici à la fin 2007, ce système facilitera les mesures d'éloignement, en identifiant les étrangers clandestins et leur nationalité.
En attendant la pleine application du système des visas biométriques, des actions diplomatiques vigoureuses nous permettent aujourd'hui d'atteindre des résultats un peu plus satisfaisants en matière de délivrance des laissez-passer consulaires : 45 % de réponses positives et dans les temps, contre moins de 20 % il y a quelques années.
Autre résultat encourageant : le flux global de l'immigration régulière est durablement stabilisé, pour la première fois depuis dix ans. Le nombre des premiers titres de séjour délivrés, hors ressortissants communautaires, a même légèrement baissé en 2005 : 164 234 (- 2 %).
En outre, la réforme du droit d'asile du 10 décembre 2003 a permis de réduire fortement les délais d'examen des demandes d'asile qui sont passés de plus de deux ans en 2002 à huit mois aujourd'hui. Le nombre total des demandeurs a chuté : 82.000 en 2002, 65.000 en 2004, 60.000 en 2005. Il continue à s'effondrer en 2006. Si la tendance observée sur les deux premiers mois de l'année 2006 se confirme, nous enregistrerons cette année 15 000 demandes d'asile en moins que l'année dernière !
Mais je n'affiche aucun triomphalisme.
Malgré les progrès accomplis, la situation de l'immigration en France est loin d'être satisfaisante.
Les flux migratoires restent très déséquilibrés.
Les régularisations, qui marquent l'échec de l'Etat dans la maîtrise des flux, représentent encore une proportion très importante de l'immigration en France : environ 20 000 cartes sont délivrées chaque année à ce titre.
L'immigration "pour motif familial" occupe une place très importante dans les flux migratoires : près de la moitié - 82.000 en 2005. Chez nos partenaires européens, le niveau de l'immigration familiale est bien inférieur: 66.000 en Allemagne et 35.000 en Grande-Bretagne en 2004.
Certes, je suis profondément attaché au principe constitutionnel de protection de la vie familiale ainsi qu'à l'article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme sur le droit au respect de la vie privée et familiale. Mais je voudrais que les choses soient claires : c'est au pouvoir politique, au gouvernement, au législateur, de définir dans quelles conditions s'applique en France le droit à la vie privée et familiale !
Faire venir des familles quand on n'a pas les moyens de les accueillir, ce n'est pas faire preuve d'humanisme. C'est jeter des femmes et des enfants dans une voie sans issue. Et c'est conduire notre pays à une situation très difficile.
L'immigration pour motif de travail - utile aux entreprises et favorable à l'intégration puisque liée à l'occupation d'un emploi - reste à un niveau marginal - 11 500 cartes de séjour délivrées à ce titre en 2005. Nous sommes le seul pays développé qui s'interdit de faire venir sur son territoire des migrants dont il peut avoir besoin pour contribuer à la croissance et à la prospérité.
Nous sommes, en réalité, plongés dans un système totalement paradoxal. Au prétexte de protéger l'emploi national, on cadenasse, par un système extrêmement lourd de contrôles a priori effectués par l'administration du travail, l'introduction de travailleurs pourvus d'un emploi. Et dans le même temps, contre toute logique, on laisse entrer en France le flux de l'immigration familiale - qui impacte fortement le marché du travail en faisant venir dans notre pays des étrangers, la plupart du temps très peu qualifiés et peu insérés !
C'est un système de Gribouille.
Et c'est un système qui n'assure pas le lien entre immigration et intégration. C'est là, je crois, la source essentielle du malaise français sur l'immigration.
Il est urgent d'en sortir. Les Français nous le demandent !
Je vous propose de changer la logique de l'immigration en France.
Pour changer la logique de l'immigration en France, le projet de loi poursuit 5 objectifs.
Premier objectif : retrouver une maîtrise quantitative de l'immigration.
Je ne veux plus que la France subisse les flux migratoires. Je veux la doter d'instruments permettant de les organiser, de les réguler, de les choisir.
Pour y voir clair, il faut d'abord prévoir. Dorénavant, le gouvernement définira chaque année des objectifs prévisionnels de visas et de titres de séjour en fonction des capacités d'accueil de la France. Le rapport qui sera remis au Parlement en juillet prochain comportera, pour la première fois, ces objectifs quantitatifs annuels. Nous sommes en train de les définir, à partir des études du ministère des Finances et du Conseil d'analyse stratégique. Nous devons voir loin. Non pour planifier de manière rigide. Mais pour disposer de repères chiffrés.
Je veux, de plus, que notre nouvelle politique soit bien comprise par les candidats à l'immigration, dans les pays d'origine. Ils doivent savoir que, désormais, on ne pourra plus entrer clandestinement en France, ou grâce à un visa de tourisme, et espérer obtenir, contre toute logique, en faisant la queue à un guichet de préfecture, un titre de séjour permettant de s'installer durablement. C'est pourquoi la délivrance d'un visa de long séjour, par un consulat, devient la condition nécessaire de l'immigration en France. Désormais, pour immigrer en France, il faudra avoir sollicité l'autorisation préalable de l'Etat avant d'entrer sur le territoire français. Les exceptions à ce principe ne seront que résiduelles.
Dans le même esprit, je vous propose d'abroger le système des régularisations dites "de droit", après 10 ans de séjour illégal. Ce dispositif, introduit par les lois de 1997 et 1998, revient à récompenser une violation prolongée de la loi républicaine. Il donne aux étrangers l'image d'une France où il peut être profitable de ne pas respecter les règles de l'Etat de droit. Il faut en finir. J'ajoute que la suppression de la "régularisation automatique" n'interdit pas, bien au contraire, de prendre en compte des situations humanitaires qui méritent toute notre attention. Les préfets garderont la possibilité de régulariser, au cas par cas, "au fil de l'eau".
Retrouver une maîtrise quantitative de l'immigration, c'est aussi rendre plus efficaces les outils de lutte contre l'immigration clandestine. Dans cet esprit, je propose une profonde simplification des procédures d'éloignement. Sans méconnaître le droit des étrangers à ce qu'un juge administratif se prononce sur leur situation, je souhaite simplifier le travail des préfectures et des tribunaux administratifs, qui perdent leur temps en formalités inutiles. La principale innovation consiste à fusionner en une seule décision - un refus de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire - deux décisions jusqu'alors distinctes - le refus de séjour et l'arrêté de reconduite à la frontière.
Deuxième objectif : maîtriser l'immigration familiale.
Je vous invite à redéfinir les règles du rapprochement familial, au service d'un objectif précis : s'assurer que les conditions sont réunies pour permettre l'insertion de la famille dans la société française.
Je vous propose, d'abord, de réformer la procédure de regroupement familial. Le migrant qui souhaite faire venir sa famille devra séjourner régulièrement en France depuis au moins 18 mois et non plus un an, durée indispensable pour préparer la venue de sa famille. Il devra se conformer aux principes qui régissent la République française - et ce faisant, il devra faire la preuve de sa volonté d'intégration à la société qui l'accueille, lui et sa famille. Il devra être en mesure de pourvoir aux besoins de sa famille par les ressources de son seul travail et non des prestations sociales.
Mais cette réforme du regroupement familial n'aurait pas de sens si, dans le même temps, nous laissions subsister, sans changement, des voies d'immigration familiale détournées : celles des régularisations au titre du respect de la vie privée et familiale. Elles sont en forte augmentation ces dernières années - 12.000 cartes délivrées en 2005. Elles échappent à toutes les garanties essentielles prévues pour le regroupement familial : logement, ressources. J'ai donc décidé d'encadrer cette forme de régularisation en la soumettant à plusieurs conditions : pour obtenir une carte de séjour à ce titre, l'étranger présent en France devra justifier de l'ancienneté, la stabilité et l'intensité de ses liens en France, de la nature de ses liens avec la famille restée dans son pays, de ses conditions d'existence en France ainsi que de son insertion dans notre société.
De même, je vous propose de mieux lutter contre les mariages de complaisance, dont le seul objet est de procurer un titre de séjour et, à terme, la nationalité, au conjoint de Français. Vous le savez : les mariages mixtes expliquent l'essentiel de l'augmentation des flux migratoires réguliers en France : de 14 303 en 1997 à 50 270 en 2004.
Cette évolution reflète en partie l'ouverture internationale de la société française. Toutefois, de multiples témoignages de terrain - préfets, élus, responsables associatifs, particuliers - font aussi état d'une utilisation détournée du mariage. Ce phénomène peut receler des pratiques inacceptables au regard des valeurs républicaines, de la dignité des personnes et de la liberté individuelle: mariages blancs moyennant une rémunération, mariages forcés de jeunes filles pour obtenir des papiers ou "fraude sentimentale", c'est-à-dire mariages conclus dans le but d'obtenir un titre de séjour, suivis d'un abandon qui était prémédité.
Je ne vous propose évidemment pas de remettre en cause le droit d'un Français à épouser une personne de nationalité étrangère. Je me félicite, d'ailleurs, que le projet de loi récemment présenté par le Garde des Sceaux constitue un instrument utile pour contrôler la validité des mariages. Mais je souhaite que nous allions plus loin.
Le projet de loi prévoit, à cette fin, quatre mesures destinées à combattre les abus liés au mariage, à l'origine de situations dramatiques :
- d'abord, l'exigence d'un visa de long séjour pour le conjoint de Français qui sollicite le droit au séjour en France : en d'autres termes, le mariage ne donne plus automatiquement droit à une carte de séjour puisqu'il faut, préalablement, avoir obtenu, dans son pays d'origine, un visa de long séjour ;
- l'exigence de trois ans de vie commune, avant la délivrance de la carte de résident de dix ans, désormais soumise à une condition d'intégration ;
- la possibilité, en cas de rupture de la vie commune, d'un retrait de la carte de résident dans les quatre ans à compter du mariage ;
- enfin, un allongement de la durée de vie commune nécessaire à l'acquisition de la nationalité française : ce délai sera désormais de 4 ans après le mariage, et de 5 ans lorsque le couple n'a pas vécu 3 ans en France.
Troisième objectif : promouvoir une immigration choisie.
Je veux que notre pays, comme toutes les grandes démocraties européennes, soit capable d'accueillir les migrants utiles à son économie, étudiants ou professionnels.
Je propose, d'abord, la création d'une carte de séjour "talents et compétences" d'une durée de trois ans, renouvelable, destinée à des migrants hautement qualifiés, qui contribueront au dynamisme de l'économie française ou au développement de leur pays d'origine. Leurs conditions de séjour seront facilitées - et leur famille pourra les accompagner sans formalité excessive. Il s'agit de simplifier la vie des "talents" que la France souhaite attirer chez elle.
Je souhaite, de plus, un assouplissement des conditions de recrutement à l'étranger, dans les secteurs et les bassins d'emplois qui sont handicapés par une pénurie structurelle de main d'oeuvre. Il s'agit, pour le dire en termes techniques, de déroger au principe dit de "l'opposabilité de la situation de l'emploi".
Dans le même esprit, je vous propose de mettre en oeuvre des procédures simplifiées d'installation en France en faveur d'étudiants ayant été choisis dans leurs pays d'origine. Les jeunes diplômés étrangers, venant de terminer leur master en France, pourront en outre bénéficier d'une autorisation de séjour de 6 mois pour chercher un travail.
Je répondrai par avance à deux objections qui me sont faites, parfois, lorsque j'évoque l'immigration choisie.
Première précision : la lutte contre le chômage des Français ou étrangers résidents en France demeure bien évidemment, plus que jamais, la priorité absolue de la politique économique du gouvernement. Aucune ouverture globale de l'immigration de travail n'est envisagée. Un rapport récent du Centre d'analyse stratégique - l"ex-Plan - montre la persistance de goulots d'étranglement dans quelques secteurs précis - restauration, BTP, emplois domestiques. Mon unique objectif est de permettre aux entreprises, dans des circonstances spécifiques, de recruter alors qu'elles ne parviennent pas à trouver sur le marché du travail français la main d'oeuvre nécessaire au développement de leur activité. Et cela dans l'intérêt de l'emploi des Français. Accueillir de manière régulée l'immigration de travail est aussi, je tiens à le souligner, une manière de lutter plus efficacement contre le travail clandestin.
La seconde objection est présentée par ceux qui voient aussi dans mon projet le risque d'une aggravation de la fuite des cerveaux des pays les plus démunis. Je ne peux pas laisser passer cette critique.
Il faut arrêter de se mettre la tête dans le sable. D'après la Commission européenne : "54 % des immigrés originaires du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, titulaires d'un diplôme universitaire, résident au Canada et aux Etats-Unis, tandis que 87 % de ceux qui n'ont pas achevé leurs études primaires ou secondaires se trouvent en Europe".
Faut-il poursuivre dans cette voie ? Les meilleurs en Amérique du Nord, les autres en Europe ? Je veux réduire cet écart en favorisant la venue en Europe et en France de migrants qualifiés à des fins d'études ou professionnelles. Ce qui n'est pas synonyme d'immigration définitive.
Ce que je veux, c'est encourager la mobilité, la circulation des hommes et des compétences.
Faire appel à quelques ingénieurs indiens ou chinois ne risque pas d'entraver la croissance phénoménale de ces deux pays. Faire venir 1.000 informaticiens de l'Inde, qui compte 900 millions d'habitants, ne s'apparente en rien à un pillage des élites. En revanche, la nouvelle loi ne devra en aucun cas favoriser l'immigration à titre définitif, par exemple, des médecins et professionnels médicaux des pays démunis, qui ont tant besoin d'eux. Cette politique devra s'appliquer dans le cadre d'une concertation étroite entre la France et les pays d'origine.
L'immigration choisie comporte un autre volet, que j'évoquerai brièvement : celui de la dimension européenne de notre action. Transposant des directives européennes, le projet de loi simplifie encore le régime du séjour des Européens en France, en leur donnant un droit au séjour permanent après cinq ans de séjour légal. Il précise aussi les conditions de la mobilité, en Europe, des étrangers qui y bénéficient d'un statut de résident de longue durée ; cette circulation ne peut se faire que si ces personnes disposent de ressources stables et suffisantes, sans recourir au système d'aide sociale.
Quatrième objectif : conditionner l'immigration durable à l'intégration.
Pour lutter contre la montée du communautarisme et la fragmentation de la société française, il faut revenir à une idée simple : on ne peut immigrer durablement en France que si l'on fait l'effort de s'intégrer à la société française, en parlant notre langue, en partageant nos valeurs.
Désormais, l'obtention de la carte de résident de dix ans, qui exprime le plus souvent une installation définitive en France, sera soumise, sauf exceptions, à une condition d'intégration renforcée. L'étranger devra faire la preuve de trois éléments : son engagement personnel à respecter les principes qui régissent la République française, le respect effectif de ces principes et une connaissance suffisante de la langue française.
Ainsi, le non-respect des lois françaises ou des comportements contraires aux valeurs de la République - atteintes aux droits des femmes, à leur liberté individuelle ; violences sur les femmes et les enfants, renoncement manifeste à exercer l'autorité parentale - entraîneront un refus de délivrance de la carte de résident. Le respect de cette condition d'intégration sera apprécié par le préfet après avis du maire. Je suis convaincu, en effet, que les maires doivent aider les préfets à juger si un étranger est bien intégré. Il s'agit de donner toute sa portée à un dispositif esquissé par la loi de 2003.
Dans le même esprit, l'étranger demandant à être rejoint par sa famille devra prouver qu'il se conforme aux valeurs de la République et que, ce faisant, il prend le chemin de l'intégration.
Je vous propose, surtout, que le contrat d'accueil et d'intégration soit rendu obligatoire pour tous les migrants qui entrent en France à des fins d'installation durable. Et je souhaite que son contenu soit renforcé. Ce contrat ne doit pas être un papier que l'on signe et que l'on oublie. Il comportera donc des engagements de l'Etat à l'égard du migrant : formation linguistique et civique, protection contre les discriminations, orientation dans les démarches pour obtenir un emploi, un logement, s'adapter à la société française. En contrepartie, le migrant prendra des engagements à l'égard de la société qui l'accueille: apprendre la langue française, respecter les lois et les valeurs de la République. Le respect de ce contrat constituera le critère décisif d'évaluation de l'intégration effective du migrant lorsqu'il souhaitera obtenir une carte de résident.
Cinquième objectif : lutter contre l'immigration clandestine outre-mer.
Je me suis rendu au début du mois aux Antilles. Et j'ai pris connaissance avec grand intérêt du rapport de la mission d'information sur Mayotte, qui m'avait auditionné le 25 janvier.
A situation particulière, réponse particulière. Sans méconnaître l'unité de la République, je suis convaincu que la situation de l'immigration à Mayotte, mais aussi en Guyane et en Guadeloupe, appelle une réponse législative adaptée.
Qu'il s'agisse de faciliter les contrôles de véhicules et d'identité, de détruire des embarcations utilisées par les passeurs de clandestins, ou de lutter avec détermination contre les reconnaissances frauduleuses de paternité et l'exploitation de travailleurs clandestins à Mayotte, le projet de loi comporte une batterie de mesures qui permettront aux services de l'Etat d'agir plus efficacement contre l'immigration clandestine dans ces territoires.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Je voudrais, pour conclure, vous dire que ce projet de loi, parfois caricaturé, échappe aux simplifications. Il ne s'agit pas d'opposer, de manière manichéenne, la rigueur au laxisme, la fermeture à l'ouverture, la droite à la gauche. Il s'agit de constater, honnêtement, que notre politique d'immigration a besoin d'une profonde transformation. Il s'agit de faire oeuvre utile pour la France.
C'est bien l'ambition de ce projet de loi : poser les fondements d'une nouvelle politique française de l'immigration.
Fermes à l'encontre de ceux qui détournent les procédures, nous devons être justes à l'endroit de ceux qui aiment la France et souhaitent participer à notre histoire commune.
En liant étroitement immigration et intégration, je vous propose de demander aux migrants de faire un effort personnel, responsable, pour rejoindre la communauté nationale. Et je vous propose, en retour, de convaincre les Français que l'immigration, si elle est choisie, est bien une chance pour la France.
Je ne doute pas que, dans les cinq semaines qui nous séparent de la discussion publique, le travail de votre commission permettra d'enrichir le projet de loi. Le gouvernement, naturellement, sera très ouvert aux amendements qui permettront d'améliorer le projet. Je fais pleinement confiance à la Commission des lois et à son rapporteur, dont je sais l'excellente connaissance de ce dossier, pour aller dans cette direction.
Un dernier mot : le projet de loi que je vous propose n'a de sens que s'il s'accompagne d'une politique ambitieuse d'aide au développement des pays les plus démunis. C'est l'un des grands enjeux des années à venir, qu'il faut garder en tête lorsque nous écrivons la loi de l'immigration dans notre pays.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 mars 2006