Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur les compétences du Sénat pour faire une politique "plus proche du citoyen", Berne le 21 avril 2006

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Circonstance : Voyage de M. Poncelet en Suisse les 20 et 21 avril 2006-VIIIème réunion de l'Association des Sénats d'Europe le 20

Texte intégral

Monsieur le Président,
Chers Collègues,
Mesdames et Messieurs,
Il est particulièrement judicieux d'avoir retenu, pour thème de nos échanges, l'idée d'une politique « plus proche du citoyen ». Dans le cas de la France, on peut citer deux exemples récents qui montrent toute l'importance de cette problématique.
En 2002, la France sortait d'une période de cinq ans de « cohabitation » entre un président de la République et une majorité parlementaire de tendance opposée. Beaucoup de citoyens avaient le sentiment que les responsables politiques étaient surtout préoccupés de se mettre mutuellement des bâtons dans les roues, et que les attentes prioritaires des citoyens passaient au second plan. Le résultat a été un vote protestataire d'une ampleur considérable : près de 30 % des voix sont allés à des partis extrémistes, et un candidat d'extrême droite a été présent au second tour.
Deuxième exemple : en 2005, les Français ont eu à se prononcer par référendum sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe. Je crois que mes compatriotes restent attachés, dans leur grande majorité, à la construction européenne. Mais beaucoup avaient le sentiment que ce nouveau traité était là pour régler des questions institutionnelles qui ne les concernaient que de très loin ; en revanche, ils ne trouvaient pas de réponse à leurs attentes les plus fortes, qui portaient sur la protection de l'emploi et la préservation des services publics. Le résultat a été un vote négatif.
On voit bien, par ces deux exemples, tout l'enjeu d'une politique « plus proche des citoyens ». Une politique qui semble s'éloigner du citoyen entraîne la montée des votes protestataires, à moins qu'elle ne provoque le désintérêt et l'abstention, ce qui n'est guère meilleur. Et finalement, c'est la capacité des responsables politiques à poursuivre de grands projets qui est compromise, car on ne peut rien construire de durable sans l'adhésion des citoyens.
Mais l'idée d'une politique « plus proche des citoyens », souvent évoquée, n'est pas au-delà des apparences une idée simple. Elle a au contraire plusieurs facettes, qui, toutes, concernent directement les Assemblées et notamment les Sénats.
Tout d'abord, une politique « plus proche des citoyens », c'est une politique plus proche de leurs préoccupations. Cela veut dire que les attentes prioritaires des citoyens doivent être au centre de la vie publique.
Ensuite, une politique « plus proche des citoyens », c'est une politique organisée pour les décisions soient prises le plus près possible des citoyens. Il faut prendre les décisions à l'échelon national seulement si l'échelon local ne suffit pas ; et il faut décider à l'échelon européen seulement si l'échelon national ne suffit pas.
Enfin, une politique « plus proche des citoyens », c'est une politique plus compréhensible par eux, car le manque d'information, de transparence, de pédagogie, ne peut qu'éloigner les citoyens de la vie publique.
Pour chacune de ces trois facettes, le Sénat français peut apporter une contribution :
·* Tout d'abord, comment mieux prendre en compte les préoccupations des citoyens ?
En théorie, dans une démocratie, les responsables politiques sont naturellement très attentifs à ces préoccupations, parce qu'ils craignent d'être sanctionnés par les électeurs, le moment venu, s'ils se montrent incapables d'y répondre.
Bien sûr, cela ne veut pas dire que les gouvernants sont amenés à suivre aveuglément les mouvements de l'opinion : au contraire, ils peuvent prendre le risque de les affronter, en pensant qu'on leur donnera raison plus tard, ou que la mesure impopulaire qu'ils veulent prendre est inévitable. Mais, dans tous les cas, la perspective du jugement des électeurs incite en principe les élus à être à l'écoute des citoyens.
La difficulté consiste à déterminer quelles sont les véritables priorités de nos compatriotes.
Sur ce point, les limites de la valeur des sondages sont bien connues. Non seulement les réponses des sondés dépendent beaucoup de la manière dont est posée la question, mais encore les sondages révèlent mal la force des convictions exprimées par des sondés. Par exemple, quelques mois avant le référendum sur le traité constitutionnel, la grande majorité des Français, selon les sondages, était favorable à ce que l'Union européenne se dote d'une « Constitution ». Au moment de voter, ils avaient d'autres priorités en tête : que l'Union soit dotée ou non d'une « Constitution » était devenu un point secondaire ; c'était le fonctionnement économique de la construction européenne et l'élargissement de l'Union européenne qui étaient critiqués.
Alors, que peuvent faire nos assemblées pour que les attentes prioritaires des citoyens soient mieux prises en compte en temps utile ?
Il y a d'abord, bien sûr, les contacts que peut avoir chaque parlementaire, sur le terrain, avec les électeurs. En France, la semaine parlementaire a été aménagée pour faciliter cette présence sur le terrain : en principe, sauf en période budgétaire, le Parlement siège du mardi au jeudi pour que chacun puisse être présent dans sa circonscription les autres jours.
On pourrait me dire : les sénateurs français sont élus au suffrage indirect, ils sont mal placés pour revendiquer un contact avec les électeurs. En réalité, la plupart des sénateurs sont en même temps directement élus sur le plan local, dans une commune, un département ou une région. De plus, contrairement à une idée reçue, le suffrage indirect ne coupe pas les sénateurs des préoccupations des citoyens : car les électeurs du Sénat, ce sont les élus locaux, qui sont eux mêmes au contact direct des citoyens et sont particulièrement bien placés pour comprendre quelles sont leurs priorités.
Ensuite, la qualité du travail parlementaire de consultation est essentielle. Les consultations menées en vue de l'examen d'un projet de loi permettent une écoute des partenaires sociaux, des associations, ou de personnalités qualifiées. Les auditions parlementaires « classiques », les « tables rondes », le lancement de forums sur Internet sont des instruments précieux pour cette nécessaire concertation.
Je dirai volontiers que les secondes chambres sont particulièrement bien placées pour mener ce travail de consultation ; en général, elles interviennent le plus souvent en deuxième position dans la procédure législative. Elles ont donc davantage de temps et de recul. La « navette » entre les deux assemblées est une occasion privilégiée de « rectifier le tir », en tenant mieux compte des préoccupations de l'opinion publique.
·* Mais une politique « plus proche des citoyens » suppose également que les décisions soient prises le plus près possible des citoyens. Qu'une préoccupation soit forte chez les citoyens ne signifie pas que tous les échelons doivent s'efforcer d'y répondre. Il faut au contraire toujours privilégier, autant que possible, l'échelon le plus proche des citoyens.
C'est une question d'efficacité : plus un échelon est éloigné du « terrain », plus son action risque d'être inadaptée, mal appliquée, et de donner lieu à des fraudes. C'est aussi une question de démocratie : plus un échelon de décision est proche des citoyens, plus il est contrôlable par eux et plus sa responsabilité peut jouer.
Une politique « plus proche des citoyens » doit donc s'appuyer sur le principe de subsidiarité. C'est vrai pour les relations entre l'Union européenne et ses États membres, c'est également vrai à l'intérieur des États membres, où l'État ne doit faire que ce que les collectivités régionales ou locales ne peuvent pas faire.
La France a beaucoup évolué sur ce point au cours des dernières années, et le Sénat a joué un rôle important dans cette évolution.
Nous avons révisé notre Constitution, pour faire de la décentralisation un principe constitutionnel. Nous avons également reconnu le principe de subsidiarité dans notre Constitution, qui précise désormais que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon ».
D'une manière générale, je crois que les secondes chambres, qui ont le plus souvent une base dans les pouvoirs locaux, peuvent faire beaucoup pour une politique « plus proche des citoyens » en agissant en faveur de la décentralisation et du respect du principe de subsidiarité.
·* Enfin, une politique « plus proche du citoyen » est une politique plus compréhensible par eux. Cela suppose des efforts dans plusieurs domaines.
Plus de simplicité, tout d'abord, dans les lois. Nos administrations ont tendance à produire des dispositifs terriblement alambiqués, qu'elles seules comprennent vraiment - et encore ! Il faut moins de lois et il faut que les lois soient compréhensibles.
Pour la première fois, en décembre dernier, le Conseil constitutionnel français a censuré certaines dispositions fiscales, en estimant qu'elles étaient si complexes que cela portait atteinte aux droits des citoyens. J'espère que cette décision va être le point de départ d'un renversement de tendance ! Je crois que les secondes chambres, par leur place dans le processus législatif, doivent pouvoir contribuer à mettre en oeuvre cette exigence de qualité de la législation.
Plus d'information et de transparence, ensuite. Pour sa part, le Sénat français fait en sorte que ses travaux répondent à cette exigence. Toutes nos réunions, que ce soit en séance plénière ou en commission, font l'objet d'un compte rendu qui est disponible sur Internet. D'une manière générale, le site Internet du Sénat permet aux citoyens d'accéder à un grand nombre d'informations sur l'activité du Parlement.
Par ailleurs, la chaîne « Public Sénat », qui est désormais très largement accessible, permet aux téléspectateurs de suivre nos principaux débats, s'ils en ont l'envie ! Outre la retransmission des débats, cette chaîne diffuse des interviews de parlementaires, des débats contradictoires, des magazines sur l'actualité internationale... Enfin, le Sénat publie un mensuel, « Le Journal du Sénat », qui est largement diffusé auprès des élus locaux.
Bien entendu, l'effort de simplification, d'information, de transparence n'est pas une exigence qui s'impose seulement aux assemblées parlementaires ! Elle vaut aussi pour les gouvernements, la presse, les associations... Mais les secondes chambres peuvent et doivent contribuer au respect de cette exigence.
Pour conclure, je dirais que, dans un pays comme la France, la vie politique peut, si l'on n'y prête garde et malgré cette force de rappel que constitue le risque de sanction électorale, facilement s'éloigner des préoccupations des citoyens.
C'est sans doute différent dans un pays comme la Suisse, où la démocratie directe a la grande place que nous connaissons. En France, il est significatif qu'on parle souvent de la « classe politique » ou du « microcosme » pour désigner le monde politique : cela montre bien qu'existe un sentiment de coupure entre la vie politique et les citoyens, et une forte aspiration à une politique « plus proche des citoyens ». C'est une exigence qui s'impose à tous ; mais je crois que le Sénat, par son enracinement local, peut tout particulièrement y contribuer.
Je vous remercie.Source http://www.senat.fr, le 28 avril 2006