Texte intégral
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Président du Conseil Régional, Cher Adrien ZELLER,
Monsieur le Président du Conseil Général, cher Philippe RICHERT,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Conseillers généraux,
Monsieur le Maire d'Orschwiller,
Je suis particulièrement heureux d'être parmi vous aujourd'hui, en ce lieu, à la fois superbe, prestigieux et symbolique qu'est le Haut-Koenigsbourg.
Heureux aussi de retrouver Philippe RICHERT que, je dois l'avouer franchement, je ne rencontre pas toujours avec autant de plaisir qu'aujourd'hui.
En effet, je le vois soit dans ses fonctions de Vice-Président du Sénat, notamment quand il préside une de séances de nuit dont le Parlement français garde le secret... ou, quand il participe à des délégations d'une Assemblée des Départements de France dont les thèmes de réflexion, les contributions au débat public tendent lentement, régulièrement mais sûrement à se réduire à une expression de plus en plus simple : donnez-nous de l'argent...
Au cours de cette après-midi en Alsace, en visitant un Lycée à Sélestat et en redécouvrant à vos côtés le Haut Koenigsbourg, j'ai justement voulu illustrer ces aspects de la décentralisation dont on ne parle pas.
La 1ère chose que je voudrais vous dire, c'est que, loin des discours, loin des postures, loin des fausses polémiques, en réalité, la décentralisation fonctionne.
La seconde chose, c'est que le domaine de la Culture, notamment du Patrimoine, offre sans doute une des plus évidentes illustrations de ce que peut produire l'initiative locale.
I) La décentralisation qui marche.
- 1) Si une erreur a été commise, c'est de croire que la décentralisation pouvait passionner les gens, être un slogan.
En réalité, je ne suis pas certain que nos concitoyens sachent très précisément ce que l'on entend par là.
En fait c'est tout simplement faire en sorte que les décisions soient prises au plus près de ceux qui sont concernés.
La perception en était sans doute différente en 1981, quand on est passé pour la première fois d'un système très centralisé, d'un système de tutelle de l'Etat sur les collectivités, à un système de partage du pouvoir avec les collectivités locales. C'était une vraie révolution. Les Français ont compris qu'il se passait quelque chose.
Mais la loi du 13 août 2004, portant ce que l'on appelle "l'acte II" de la décentralisation, ça n'est jamais que le prolongement, dans un esprit de clarification de ce qui avait été commencé 20 ans plus tôt.
En réalité, c'est un sujet de réforme administrative - on a déplacé le curseur de ce qui relève de l'Etat d'une part et des départements et des régions d'autre part. C'est un sujet très technique et en réalité, sur le principe, très consensuel : la plupart des propositions de la loi de décentralisation de 2004 sont issues du rapport de la Commission présidée par Pierre Mauroy à la demande de Lionel Jospin.
Même si la décentralisation ouvre de vraies perspectives en mettant plus de liberté, plus de dynamisme, plus de pragmatisme aussi dans l'action de l'administration, il était sans doute illusoire de croire que sur la place publique elle passionnerait les foules.
Le résultat, c'est que l'on entend que ceux qui tiennent un propos outrancier. Par exemple, un ancien Ministre des Finances devenu adjoint au Maire de Paris qui considère que l'Etat est "un mauvais débiteur" et qui émet "un titre de recettes". Juridiquement il a tort, complètement tort, mais au moins, il a obtenu une chose : que la presse écrite écrive son nom... un nom que l'histoire n'avait retenu jusque là que pour une réforme avortée de son ministère...
- 2) Le seul sujet un peu délicat, très franchement, aura été le transfert du RMI.
L'année du transfert a été une année de forte augmentation du nombre de RMistes, et a donc entraîné une dérive importante de la dépense.
Même si l'Etat a rempli toutes ses obligations en termes de compensation en reconnaissant aux départements un droit à compensation de près de 5 Mdseuros, cela n'a pas suffi.
A circonstances exceptionnelles, solutions exceptionnelles : le Premier ministre a décidé en 2004, de couvrir 100 % du déficit.
Pour 2005 et les années suivantes, il a décidé un accompagnement, à travers un fonds doté de 500 Meuros. Le résultat pour les départements, c'est aujourd'hui un delta de l'ordre de 340 Meuros. Je ne dis pas que c'est insignifiant - encore que cela ne représente pas plus de 1,3 % de votre budget d'aide sociale - mais cela signifie en tous cas que le sujet n'est plus désormais un sujet de compensation financière mais un sujet d'exercice ou non d'une responsabilité politique.
Le gouvernement croit que les départements peuvent être plus efficaces pour gérer le RMI ; être plus efficaces c'est mieux insérer ceux qui demandent à l'être, mais être plus rigoureux envers ceux qui abusent du système.
Certains départements - de tous bords - s'y sont engagés. Il est regrettable que certains refusent d'assumer cette responsabilité et préfèrent laisser filer des dépenses de RMI qui demain seront payées par les contribuables locaux.
- 3) dans la quasi-totalité des autres domaines, la décentralisation opère sans bouleversement une réforme profonde de notre administration
Dans le domaine de l'Equipement, au-delà des routes nationales, dont les deux tiers ont effectivement été transférés au 1er janvier dernier, la plupart de nos grands ports maritimes et plus d'une centaine de plate-formes aéroportuaires sont en voie d'être transférées.
L'intérêt des collectivités locales est démontré, et il est évident qu'il aurait été plus grand encore si l'Etat avait souhaité aller plus loin. Au passage, ce sont plus de 30000 agents du Ministère de l'Equipement qui vont passer de l'Etat aux départements, sans craintes ni appréhension parce qu'ils connaissent déjà les conseils généraux.
Dans le domaine de l'Education, où les réformes sont si difficiles, ce sont près 100 000 personnels TOS (un peu plus de 93 000 en fait) qui depuis le 1er janvier dernier ont changé d'employeur.
Je viens de rencontrer certains de ces personnels dans un lycée ; j'ai le sentiment que, dès lors que l'on s'efforce de répondre à leurs questions, bien légitimes, sur leur nouveau statut, leur recrutement par des collectivités de proximité qu'ils connaissent à travers les investissements conséquents qu'elles ont réalisés dans leur établissement, pour leur cadre de vie, est plutôt un motif de satisfaction. Souvent, ce qu'ils voient c'est qu'ils ne seront plus des anonymes.
On pourrait multiplier les exemples, transferts des formations sanitaires et sociales aux régions, transfert du Fonds de Solidarité Logement, transfert du fonds d'aides aux jeunes...
La réalité de la décentralisation n'est pas ce qu'on en dit : ni révolution, ni échec, elle marque une mutation pragmatique et réelle de notre mode d'administration.
II) S'il est un domaine où la décentralisation prend tout son sens, c'est bien celui des politiques culturelles
Il y a, à l'évidence, depuis la 1ère décentralisation, un vrai intérêt des collectivités locales, et une vraie légitimité de leur part, à intervenir dans ces politiques qui, par essence, ont besoin de ces "libertés locales" qu'incarnent les collectivités territoriales, a fortiori lorsqu'elle portent, comme ici en Alsace, une culture propre tellement forte.
- 1) La décentralisation répond à une attente
a) La 1ère décentralisation a été limitée mais convaincante :
Elle s'est limitée aux Bibliothèques départementales de Prêt ou archives départementales.
Mais dans ce champ restreint, les départements ont su insuffler une dynamique nouvelle.
En reconstruisant, au-delà des BDP, de véritables réseaux de lecture publique, qui reposent aujourd'hui souvent sur des techniques très innovantes.
En reconstruisant des archives départementales qui sont devenues de vrais instruments, non seulement de conservation, mais véritablement de l'exploitation des ressources par des publics diversifiés, notamment universitaires.
La reconstruction des archives départementales par le Conseil général du Bas-Rhin illustre cette ambition nouvelle, que l'Etat accompagne, de manière très significative, mais que très franchement il n'aurait pas été en mesure de conduire lui-même.
b) il y a, à l'évidence, un vrai intérêt aujourd'hui de la part des collectivités à s'approprier les outils d'une politique du patrimoine.
Celle-ci est perçue, à juste titre, comme un élément fort de valorisation du territoire et de la culture locale.
* Sur la liste des 167 monuments transférables, 107 ont fait l'objet d'une manifestation d'intérêt par une collectivité.
Ce succès est en fait proportionnel à ce qu'a été l'ambition du décret portant liste des bâtiments transférables : les critères retenus par la Commission Rémond, ont fait prévaloir une conception assez maximaliste de ce qui devait rester de la propriété de l'Etat.
Je ne doute pas que si l'Etat avait été plus audacieux il aurait trouvé preneur.
Je ne peux que me réjouir que le Château du Haut-Koenigsbourg ait réussi à échapper aux critères de la Commission Rémond et soit donc transférable.
C'est à l'évidence un symbole fort pour l'Alsace, que l'Etat donne à une collectivité locale la propriété de ce haut lieu de notre histoire, qui porte témoignage de tous les grands épisodes de la relation Franco-Allemande : de l'Empereur Frédéric Barberousse - le compagnon de croisade de Philippe Auguste - qui lui donne son nom "Château du roi" au Kaiser Guillaume II après le Traité de Francfort, en passant par les Ducs de Lorraine au 13ème siècle, ou les ravages de la guerre de trente ans qui auront un temps raison de splendeur.
L'Etat, je m'empresse de le préciser, Cher Président RICHERT, accompagnera ce transfert en s'engageant dans un programme pluriannuel de travaux dans le cadre du Contrat de Projet.
Le Haut-Koenigsbourg est le symbole le plus flamboyant de cette décentralisation dans le domaine culturel, mais il ne la résume pas.
* d'autres missions très importantes, même si moins visibles, sont également dévolues aux collectivités locales.
- Je pense au transfert de l'inventaire du patrimoine non protégé, qui est une mission à laquelle les élus locaux s'étaient généralement beaucoup associés dans un souci de connaissance du patrimoine décentralisé.
- Je pense aussi au transfert, à titre expérimental, des crédits relatifs à l'entretien et à la restauration des monuments historiques.
Les régions, qui étaient prioritaires, ne se sont pas précipitées pour être candidates. Puisque rien ne les y obligeait, elles ont eu raison de s'abstenir si elles n'étaient pas convaincues. A l'évidence, ce que l'on sait c'est que les moyens consacrés par l'Etat sont traditionnellement en deçà de ce que sont les besoins des propriétaires...
L'idée c'est bien, pour l'Etat, de conventionner avec des collectivités locales qui ont fait de cette politique du Patrimoine une vraie priorité et qui, en conséquence, sont prêtes à s'engager dans une logique qui ne soit pas "à l'euro près"...
- Je voudrais enfin souligner les perspectives nouvelles qu'ouvre l'article 98 de la loi de décentralisation qui permet le prêt de biens constituant les collections des musées de France. C'est à l'évidence la reconnaissance par l'Etat de la qualité du très riche et dynamique réseau des musées de France soutenus par les collectivités locales.
- 2) les transferts aux collectivités dans le champs culturel sont légitimés par la traditionnelle qualité des initiatives locales
Dans les faits, depuis 15 ans, les collectivités locales se sont impliquées bien au-delà de leurs compétences légales en développant des politiques culturelles riches et diversifiées.
Les collectivités locales sont ainsi devenues en 15 ans les premiers financeurs publics de la culture et sont désormais des pôles d'innovation culturelle.
Les seules communes de plus de 10 000 habitants, les départements et les régions consacraient en 2002 plus de 5,6 Mds euros à la Culture c'est-à-dire autant que l'Etat et ses établissements publics.
Compte tenu des rythmes de croissance très divergents des dépenses de l'Etat et des collectivités en la matière, et si l'on ajoute la part prise par l'intercommunalité, les collectivités sont probablement désormais nettement les premiers financeurs.
Là encore, le département du Bas-Rhin offre des illustrations auxquelles je veux rendre hommage :
- je pense au formidable exemple du "Vaisseau" à Strasbourg que vous avez inauguré en 2005. Ce lieu éducatif et ludique de découverte des sciences et techniques pour les 3 à 15 ans est une initiative pour le moins remarquable et une très belle illustration de ce que peuvent produire les libertés locales.
- je pense à votre initiative très récente des "centres d'interprétation du Patrimoine" qui vont permettre d'ancrer le patrimoine dans les différents territoires, d'optimiser l'attractivité des sites patrimoniaux, d'harmoniser les actions patrimoniales menées et de favoriser le développement d'actions de sensibilisation et d'éducation au patrimoine.
- je pense aussi au "centre de l'imaginaire" autour de Lalique à Wingen-sur-Moder. J'ai bien compris l'attente qui est la vôtre de voir ce projet reconnu dans le cadre des pôles d'excellence...
Je crois pouvoir vous dire que ce dossier est jugé comme un "bon" dossier sous réserve peut-être d'un engagement un peu plus fort du partenaire privé.
- je pense aussi à votre initiative interdépartementale, conduite avec le Haut-Rhin, de centre d'archéologie, qui sera à même de conduire les opérations de fouille et de diagnostic archéologique.
Pour peu qu'on se donne la peine de prendre un peu de recul sur la décentralisation... comme j'ai tenté de la faire ici, la décentralisation - si elle ne doit pas chercher à prétendre aux lauriers - ne mérite pas non plus les excès d'indignité dont on l'accuse.
Certaines discussions sur des fractions d'emploi me paraissent bien dérisoires comparées :
1) à l'enjeu : donner, à travers les élus locaux, une place plus grande aux libertés locales,
2) à l'énergie - et aux moyens - que les collectivités territoriales savent parfois mobiliser quand elles identifient un intérêt local.
Le "Français de l'intérieur" que je suis devenu - Alsacien d'origine - est très heureux d'avoir pu saluer la réussite de la décentralisation culturelle et le dynamisme des libertés locales, ici, dans ce département exemplaire du Bas-Rhin.
Source http://www.interieur.gouv.fr, le 14 juin 2006