Texte intégral
Mes chers amis,
Je voudrais tout d'abord vous exprimer toute ma gratitude pour la sincérité, la densité et surtout la qualité de nos débats.
Je veux aussi vous dire combien je suis heureux et fier de vous avoir réunis ici, à Amiens, un peu comme en famille pour nouer ce dialogue franc et direct mais toujours serein.
Nous avons su dépasser nos différences, aller au-delà de nos appartenances, oublier nos chapelles pour débattre sans tabous ni complaisance d'un thème passionnant : « le maire, acteur de la décentralisation ».
C'est aussi cela la noblesse de l'élu ! Écouter, dialoguer et échanger, dans le respect de l'autre, pour mieux se connaître et mieux se comprendre.
Permettez-moi à cet instant, Mesdames et Messieurs les élus locaux, de vous rendre un hommage sincère et mérité, vous les « nouveaux Hussards de la République », qui incarnez chaque jour notre « trinité » républicaine.
Oui, je tiens à saluer haut et fort votre engagement, votre courage et votre abnégation, vous qui constituez souvent les premiers recours et les derniers remparts d'une société qui vacille entre mondialisation, repli sur soi et dérive « communautariste ».
Mesdames et Messieurs les élus locaux, je voudrais, en conclusion de nos travaux, vous livrer mes réflexions, d'une part, sur le rôle du maire, premier « acteur de la décentralisation » et, d'autre part, sur les conditions qu'il nous faudra réunir pour vous donner les raisons de l'espérance et faire vivre notre « République des territoires ».
Mes chers amis, j'ai pu mesurer ce matin combien nous partagions une conception ambitieuse et exigeante de la décentralisation.
Pour le Président du Sénat, assemblée parlementaire à part entière dotée d'un bonus constitutionnel de représentant des collectivités locales, cette vision commune constitue, à l'évidence, un motif de véritable et très réelle satisfaction.
Car la décentralisation est une réforme bénéfique qui libère les énergies, raccourcit les circuits de décision et renforce l'efficience de l'action publique.
Cellule de base de l'organisation décentralisée de notre République, pilier de notre démocratie locale et espace de citoyenneté au quotidien, la commune constitue tout à la fois un repère et un refuge pour nos concitoyens.
C'est la raison pour laquelle le Sénat a souhaité conforter la place de la commune comme « premier échelon de proximité à égalité de droit avec les départements et les régions » dans le cadre de loi du 13 août 2004 relative « aux libertés et responsabilités locales ».
C'est aussi la raison pour laquelle le Sénat a conféré aux communes et aux intercommunalités la faculté d'exercer les compétences des départements et des régions, dans l'esprit et le respect du principe constitutionnel de subsidiarité.
Au total, les communes accomplissent avec efficacité les missions de proximité qui leur sont confiées en matière de lien social, d'aménagement du territoire, de développement économique ou encore de protection de l'environnement.
Les maires sont les véritables maîtres d'oeuvre de ces politiques locales. Ce sont eux les valeureux artisans des succès éprouvés et approuvés de la gestion locale. Des succès qui constituent aujourd'hui une promesse pour l'avenir.
Car les maires ont désormais un rôle nouveau, essentiel et décisif à jouer afin de maintenir la cohésion sociale, de relancer l'intégration républicaine et de remettre en marche « l'ascenseur social ».
Quatre domaines, qui constituent autant de priorités pour nos concitoyens, illustrent, à mon sens, cette extension des missions des maires et, plus globalement, des élus locaux.
- Premier domaine : l'emploi. Je suis convaincu que la participation des collectivités locales et l'association des élus locaux aux politiques de l'emploi renforceront leur efficacité.
Implantées au niveau communal, les « maisons de l'emploi » devraient d'ailleurs, à mon sens, rationaliser et favoriser les démarches de recherche d'emploi.
Comme vous, j'ai la conviction que les contrats aidés constituent une réponse adaptée au défi de l'emploi. Je crois néanmoins qu'en la matière, nous devons veiller à ne pas multiplier les dispositifs, à ne pas superposer les outils, à ne pas empiler les mesures.
Il en va de la lisibilité du système et de l'efficacité de ces contrats comme modalité de retour vers l'emploi durable.
- Deuxième domaine : le logement. Je crois qu'on ne peut pas mener une politique de logement social ambitieuse sans y associer l'expérience éclairée des élus locaux. Leur connaissance intime du « terrain » est en effet un bien trop précieux pour s'en priver.
J'ai constaté avec satisfaction que 58 % des élus locaux de Picardie considéraient l'obligation de 20 % de logements sociaux dans les communes de plus de 3.500 habitants comme un seuil juste et équilibré.
La réalisation de cet objectif fixé par la loi relative « à la solidarité et au renouvellement urbains », dont le Président de la République nous a rappelé l'exigence, se révèle une « ardente obligation ». Il s'agit, ni plus ni moins, de faire de la mixité sociale un véritable facteur d'intégration républicaine.
- Troisième domaine : l'éducation. J'ai pu constater ce matin que vous étiez quelque peu réticents à l'idée de prendre davantage de responsabilité en matière d'éducation.
Si je comprends vos hésitations, je crois qu'une société fragilisée, où l'école de la République laisse sur le « bord du chemin » de trop nombreux jeunes, doit davantage associer les collectivités locales à l'éducation.
Il en va de l'avenir de notre pays, de notre capacité à former, à intégrer et à préparer les jeunes générations à exercer leurs responsabilités de citoyens.
- Quatrième domaine : la sécurité. Je partage pleinement votre analyse : le maire, qui ne dispose pas des moyens nécessaires pour ses missions de maintien de l'ordre, n'a pas vocation à pallier les insuffisances, à suppléer les carences d'un État inefficient.
Je le dis très clairement : les maires n'ont pas à revêtir l'uniforme du gendarme ou à porter la robe du juge, ni même d'ailleurs à s'ériger en « pompiers de service », comme ce fut le cas lors des évènements de novembre dernier.
Mais ne nous trompons pas de débat ! Il ne s'agit pas de discuter du costume, de la casquette ou de l'insigne, mais bien de fédérer les énergies, de mobiliser toutes les forces et tous les atouts disponibles afin d'endiguer ces violences et ces incivilités qui polluent le quotidien de trop nombreux de nos concitoyens.
A cet égard, les liens de proximité et d'affection qui unissent le maire à ses mandants constituent un levier et un ressort essentiels dont nous aurions tort de ne pas tenir compte.
C'est pour cette raison que j'apporte mon soutien au projet du gouvernement qui fait du maire le pivot de la prévention.
Mesdames et Messieurs les élus locaux de Picardie, vous l'avez compris, j'ai une vision ambitieuse du rôle du maire comme premier « acteur de la décentralisation ». Mais ma ferveur ne m'aveugle pas au point de déformer ma perception de la réalité.
Je mesure très nettement tout le chemin qu'il nous reste encore à parcourir afin d'offrir à nos maires la possibilité effective de nourrir et de satisfaire cette ambition.
Pour y parvenir, deux exigences, indissociables et indiscutables, sont à mes yeux indispensables.
L'accomplissement de cette ambition passe, en premier lieu, par la pleine consécration du capital humain de la gestion locale, comme moteur de notre nouvelle « ère territoriale ». Elle passe, en second lieu, par l'octroi de moyens financiers suffisants et adaptés à l'organisation décentralisée de notre République.
- Il convient, premièrement, de reconnaître le socle humain de la décentralisation. L'affirmation de Jean BODIN selon laquelle « il n'est de richesse que d'hommes » prend tout son sens en matière de gestion locale.
En effet, rien n'aurait été possible sans le dévouement, le dynamisme, l'énergie, le talent et la détermination des femmes et des hommes -élus locaux et fonctionnaires territoriaux-, qui incarnent au quotidien la gestion de proximité.
L'ampleur des responsabilités locales implique d'abord d'ouvrir, encore une fois, le débat en faveur d'un véritable statut de l'élu.
A cet égard, la réflexion doit à mon sens être engagée autour de trois idées simples.
- Première idée : concilier davantage vie professionnelle et exercice du mandat. C'est essentiel pour garantir une représentation de toutes les catégories socio-professionnelles et éviter de « professionnaliser » à l'excès la fonction élective.
- Deuxième idée : renforcer la formation des élus locaux. Car nos élus sont confrontés à une complexité sans cesse accrue des lois et règlements, ainsi qu'une « judiciarisation » galopante de la vie publique. Donnons leur enfin les moyens d'y faire face.
- Troisième idée : valoriser le rôle, la mission et le travail de l'élu local. Car trop souvent encore, les élus locaux, et notamment les maires, soulignent le caractère trop ingrat de la fonction et déplorent un manque patent de reconnaissance.
Certes, la loi du 27 février 2002 relative à « la démocratie de proximité », qui s'est largement inspirée des travaux du Sénat, constitue un premier pas essentiel en direction d'un véritable statut de l'élu.
Cette loi demeure néanmoins perfectible. Poursuivons donc la réflexion ! Il en va de l'avenir de notre démocratie.
La relance de la décentralisation engagée en 2003 doit ensuite s'accompagner de la modernisation de la fonction publique territoriale que tous les acteurs de la décentralisation appellent de leurs voeux.
Cette modernisation passe par davantage de souplesse, en simplifiant notamment les modalités de recrutement. Elle passe aussi par davantage de compétence, en renforçant l'offre et la qualité de la formation tout au long du parcours professionnel. Elle passe enfin par davantage de reconnaissance en favorisant la prise en compte du « talent » de chacun.
Le gouvernement a pris la pleine mesure des attentes légitimes exprimées en la matière. Un projet de loi est en cours d'examen au Parlement. Le Sénat lui a d'ores et déjà apporté quelques améliorations lors de son examen en première lecture. Vous pouvez compter sur vos sénateurs pour, si besoin était, bonifier encore le texte en seconde lecture.
- Mesdames et Messieurs les élus locaux de Picardie, l'importance des missions qui vous sont confiées exige, en second lieu, de vous permettre de disposer de moyens financiers à la hauteur des enjeux.
Je ne vous surprendrai pas en affirmant qu'il y a urgence à procéder à la modernisation de la fiscalité locale, aujourd'hui à bout de souffle.
Comme vous, je considère que le pouvoir de lever l'impôt constitue une composante fondamentale du principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales. Un pouvoir qui participe au respect de l'autonomie financière des collectivités locales !
J'ai donc été particulièrement attentif à vos observations sur ce sujet. Je comprends vos craintes sur la réforme de la taxe professionnelle adoptée en loi de finances pour 2006.
Mais le plafonnement de la taxe professionnelle à 3,5 % de la valeur ajoutée ne m'apparaît pas de nature à remettre en cause l'équilibre du mode de financement des collectivités locales.
Il s'agit, en effet, d'une solution de compromis qui maintient l'équilibre entre d'une part, une imposition mesurée des entreprises et d'autre part, l'attribution aux collectivités locales d'une ressource dynamique.
Au-delà de la taxe professionnelle, c'est l'ensemble de la fiscalité locale qu'il nous faut remettre à plat.
Je pense notamment à la taxe d'habitation, impôt local de plus en plus décrié. Pour ma part, je suis de ceux qui jugent beaucoup trop injuste cet impôt. Nous devons considérer sa réforme comme une « ardente obligation » en nous fixant pour objectif de réduire les inégalités entre contribuables.
Garant de la solidarité nationale, l'État doit, quant à lui, prendre toute sa part dans la résorption des inégalités territoriales.
Je partage donc votre souci d'une péréquation renforcée par le jeu des concours financiers de l'État.
A mon sens, la dotation globale de fonctionnement réformée, la nouvelle DGF, concourt à la « réalisation » de l'objectif constitutionnel de péréquation que le Sénat a souhaité inscrire dans le marbre de la Constitution au même titre que l'autonomie financière.
Enfin, je saisis l'occasion pour vous délivrer un message rassurant : le gouvernement a entendu toutes vos craintes et a pris la sage décision, lors de la réunion du conseil d'orientation des finances publiques du 20 juin dernier, de reconduire, en 2007, le contrat de croissance et de solidarité. L'indexation des dotations de l'État sera donc fonction de l'inflation et de la croissance.
Pour moi, il s'agissait tout simplement d'une « impérieuse nécessité ».
Mesdames et Messieurs les élus locaux de Picardie, vous l'avez compris, les enjeux sont de taille ! Je sais pouvoir compter sur vous, comme vous pouvez compter sur nous, pour relever le défi de cette noble et grande « ambition territoriale ».
Comme les précédents, ces États généraux des élus locaux de Picardie, incarnation de la méthode sénatoriale, ne resteront pas lettre morte. Ils permettront d'alimenter notre réflexion et d'enrichir les débats qui ne manqueront pas de se poursuivre, avec passion, dans les mois à venir.
Ensemble, tournons nous résolument vers l'avenir pour démontrer toute l'énergie, toute la vivacité et toute la vitalité de nos territoires, au service d'une France moderne, d'une France humaine, d'une France solidaire.
Source http://www.senat.gouv.fr, le 3 juillet 2006