Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur les Droits de l'Homme, la lutte contre le racisme et la xénophobie, le projet de loi sur les libertés publiques face à internet et le projet de révision des lois de bioéthique et sur la lutte contre les dictatures, Paris le 21 mars 2001.

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Circonstance : Remise du rapport annuel sur le racisme par la Commission nationale consultative des droits de l'homme, à Paris le 21 mars 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
La remise de votre rapport annuel sur le racisme et la xénophobie est un moment important dans l'action nécessaire contre les discriminations dans notre pays. Cette année encore, votre rapport reflète la densité et la qualité du travail de la Commission nationale consultative des Droits de l'homme. Je souhaite saluer son nouveau Président, Alain BACQUET, qui a succédé, le 15 décembre 2000, à Pierre TRUCHE à qui a été confiée la Présidence de la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Je tiens à remercier ce dernier d'avoir remarquablement conduit vos travaux. Je voudrais également exprimer au Président BACQUET toute ma confiance, ainsi que ma gratitude pour avoir accepté de prendre la tête de la Commission. Que ce soit par ses avis, son rapport annuel ou sa capacité à mettre en lumière les enjeux de l'avenir, celle-ci remplit un rôle précieux pour le Gouvernement.
Les avis de la Commission éclairent la réflexion du Gouvernement sur toutes les questions relatives aux Droits de l'homme.
J'avais souhaité que votre Commission soit saisie plus souvent. Je me réjouis que cela ait été le cas durant l'année 2000.
La Commission a en effet été consultée sur deux grands projets de loi, l'un concernant le respect des libertés publiques dans le domaine de l'informatique, l'autre relatif à la révision des lois de 1994 sur la bioéthique. Sur ce second projet, le Gouvernement a sollicité en même temps l'avis du Comité consultatif national d'éthique. Les inquiétudes que vous avez formulées trouvent naturellement leur place dans le large débat qui doit se poursuivre au Parlement sur ces questions fondamentales. Votre avis nuancé a nourri la réflexion du Gouvernement, qui a introduit dans le Code civil une disposition prévoyant l'interdiction de toute discrimination fondée sur les caractéristiques génétiques. Les craintes exprimées sur le risque de trafic d'ovocytes ont été prises en compte. Quant aux recherches sur les cellules souches, il nous a semblé qu'elles devaient être autorisées dans le cadre de protocoles strictement encadrés, après avis public de l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines. Il faut en effet répondre au grand espoir qu'inspirent ces recherches pour le traitement de maladies aujourd'hui incurables.
La Commission a également été sollicitée à l'occasion d'une proposition de loi sur le renforcement de la prévention et de la répression à l'encontre des groupements à caractère sectaire. Interrogée sur l'opportunité de la création d'un délit de " manipulation mentale " qui a inquiété les représentants des grands courants de pensée religieux, votre Commission a estimé qu'il valait mieux préciser la formulation des délits déjà prévus par le code pénal, en insistant notamment sur la notion de dépendance psychologique et physique. Le Gouvernement et le Parlement ont soigneusement tenu compte de cet avis.
J'ai estimé qu'il ne fallait pas seulement solliciter la Commission sur des textes en projet, mais qu'il fallait également lui demander son avis sur les grandes questions qui animent les travaux du Gouvernement. Dans cet esprit, j'ai souhaité vous interroger sur la situation des étrangers mineurs isolés. Pour garantir le respect de leurs droits, la Commission a estimé qu'il était nécessaire de désigner un administrateur ad hoc à même de les assister dans tous les actes de la vie civile. Des dispositions législatives allant dans ce sens sont en cours d'élaboration.
Comme je m'y étais engagé, les avis de la Commission sont désormais mieux suivis. L'intérêt que le Gouvernement porte à ses travaux doit trouver son aboutissement dans un véritable échange. C'est le sens de la circulaire du 12 mars 2001: il est désormais fait obligation à chacun des ministres de répondre, dans un délai fixé par le Secrétariat général du Gouvernement, à l'avis qui lui a été adressé par la Commission. Je me réjouis qu'un véritable débat puisse ainsi naître, dans un souci commun d'explication et de transparence.
Mesdames, Messieurs,
Au-delà de vos avis, le Gouvernement entend aussi la mise en garde que vous formulez sur les problèmes du racisme.
Votre rapport annuel sur le racisme appelle en effet à la vigilance dans notre pays.
En France, le racisme et la xénophobie persistent, dans les mots comme dans les actes. Le sondage réalisé par votre Commission avec le concours du Service d'information du Gouvernement permet d'évaluer l'ampleur de ces inacceptables tendances dans l'opinion publique. Je sais que certains d'entre vous s'interrogent sur la formulation des questions posées. Il vous appartient de réfléchir aux adaptations nécessaires de cet instrument de mesure. En l'état, ce sondage, interprété avec toute la précaution qui s'impose, dresse le constat inquiétant de la persistance -à un niveau alarmant- des attitudes racistes et xénophobes dans notre pays.
Plus préoccupant encore fut, durant l'année 2000, le passage de la violence verbale à l'acte de violence. Les préjugés racistes se sont cristallisés en des violences plus nombreuses, sous l'effet des événements internationaux. La crise israélo-palestinienne a joué un rôle de catalyseur : la situation dans les territoires occupés a fait naître un sentiment de révolte et d'indignation qui a servi de faux prétexte à la résurgence, dans notre pays, d'un antisémitisme inadmissible. Des magasins ont été souillés, des synagogues détériorées, des cimetières israélites profanés, des femmes et des hommes menacés pour la seule raison de leur appartenance religieuse ou de leur origine. J'ai condamné fermement tous ces actes qui rappellent des heures sombres de notre histoire. J'ai veillé à ce que tout soit fait pour que ces manifestations d'antisémitisme cessent. La volonté d'apaisement partagée par les représentants des communautés religieuses -qu'ils ont exprimée ici même lorsque je les ai reçus- y a contribué, de même que la mobilisation de l'ensemble des services de l'Etat.
Face à la persistance des préjugés raciaux et des attitudes xénophobes, facteurs de peur et de haine, l'éducation et le dialogue sont seuls à même d'avoir un effet profond sur les consciences. Les discriminations -dont je tiens à souligner qu'elles sont condamnées, selon votre sondage, par la majorité des Français- peuvent, elles, dans le même temps, être contrées de façon plus directe, sous l'effet des mesures prises par le Gouvernement.
Notre combat contre la discrimination ne faiblit pas. Il est impératif que l'accès au travail, au logement et aux services publics soit égal pour tous, sans considération aucune de sexe, de religion ou d'origine. C'est la condition du pacte républicain. C'est pourquoi la proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations dans le monde du travail constitue une avancée véritable, notamment parce qu'elle aménage la charge de la preuve au profit des victimes. La lutte contre les discriminations passe par l'accès de tous à une pleine citoyenneté, qui nécessite des actions concrètes, proches des Français. J'ai donc annoncé, lors des Assises nationales de la citoyenneté qui se sont tenues le 18 mars 2000, l'élargissement du rôle des commissions départementales d'accès à la citoyenneté. J'ai également souhaité la mise en service d'un numéro d'appel gratuit, le 114, qui permet aux personnes s'estimant victimes de discriminations d'être aidées. L'afflux des appels a montré l'existence d'une forte demande.
Le succès de ces mesures doit beaucoup à la participation des associations, des organisations de défense des Droits de l'homme et des syndicats, qui accompagnent l'action de l'Etat au niveau local. Je tiens à leur rendre hommage à tous. Ils peuvent compter sur le soutien du Gouvernement pour leurs actions de lutte contre les discriminations et de défense des Droits de l'homme.
Mesdames, Messieurs,
Par vos travaux, vous nous indiquez également les enjeux de l'avenir.
Nous devons uvrer à garantir le respect des Droits de l'homme dans les domaines qui les ignorent encore et dans les endroits du monde où ils sont bafoués.
Au rythme des avancées scientifiques et techniques, de nouveaux défis se posent au Droit. Je pense à ceux que nous devons relever dans les domaines de la bioéthique, de l'environnement et de l'internet, qui nous imposent une réflexion renouvelée sur la formulation et les conditions d'application des Droits de l'homme.
L'internet illustre bien ce nouveau défi. C'est bien sûr un lieu où se déploie la liberté d'expression et d'échange ; mais c'est aussi le vecteur de propos et de produits inadmissibles. Nous ne pouvons accepter que l'internet devienne un espace où le respect de la personne soit bafoué. Le Gouvernement veille donc à ce que les conditions d'un fonctionnement respectueux du droit y soient réunies. C'est dans cet esprit que votre Commission sera prochainement saisie pour avis sur le projet de loi relatif à la société de l'information. En outre, pour assurer la confiance des utilisateurs, le " forum des droits sur l'internet " contribuera à renforcer leur information et à favoriser le dialogue. Mais l'internet étant une toile mondiale, c'est aussi et surtout au niveau international qu'il faut promouvoir les valeurs auxquelles nous tenons. La France a participé activement aux travaux du Conseil de l'Europe sur le projet de Convention sur la cybercriminalité. Elle a également attiré l'attention de ses partenaires sur la nécessité de considérer le racisme sur l'internet comme un délit. Il faut aller plus loin encore pour que ceux qui portent atteinte aux Droits de l'homme sur la toile ne restent pas impunis.
Une autre question continue de se poser : celle de la violation persistante des Droits de l'homme par des régimes dictatoriaux et autoritaires. La répression arbitraire se poursuit. Des massacres de masse se perpétuent. Les discriminations s'étendent. La communauté internationale a pu croire que les actes barbares commis au siècle dernier ne pouvaient se reproduire. Pourtant, la violation des Droits de l'homme persiste, sous des formes organisées et politisées qu'il faut combattre. Je pense aujourd'hui, comme vous tous, à l'Afghanistan, à ce régime qui a détruit les bouddhas géants de Bamiyan et qui, surtout, cloître les femmes, leur dénie les droits fondamentaux à la santé et à l'éducation, leur impose le port du burqa, cette robe-prison qui les réduit à l'état d'objets. La communauté internationale doit dénoncer les crimes commis par les régimes dictatoriaux tels que celui des talibans. Elle a également une responsabilité vis-à-vis de ceux qui fuient ces régimes.
L'absence de droits civiques alliée à une pauvreté persistante entraîne la fuite vers des pays plus respectueux de la liberté et aussi plus riches. Ces flux de femmes et d'hommes nous posent à nous, pays démocratiques d'Europe, la question des conditions de leur accueil. Nous devons mettre en uvre une politique commune au niveau européen, et dialoguer avec les pays d'émigration afin d'encourager leurs efforts de démocratisation et de développement économique.
Les atteintes aux Droits de l'homme prennent une ampleur insupportable. C'est pourquoi j'appelle de mes vux des prises de position fermes au niveau mondial pour que, dans tous les domaines et dans toutes les régions du globe, les Droits de l'homme soient respectés. Les gouvernements et les organisations internationales doivent pouvoir compter sur la collaboration de la société civile et des organisations non-gouvernementales, dans le respect des responsabilités de chacun.
Mesdames, Messieurs,
Les travaux de votre Commission, et notamment sa contribution à la préparation de la Conférence mondiale contre le racisme qui se tiendra à Durban en août prochain, reflètent sa détermination à protéger les droits de chacun, à lutter contre toute forme de discrimination et d'abus. Votre vigilance nous est salutaire, car la violation des Droits de l'homme, quelle qu'en soit la gravité et où qu'elle se produise -à l'étranger, mais aussi chez nous-, ne saurait être ni ignorée, ni tolérée. Le fondateur de la commission dont la vôtre est l'héritière, mais aussi l'un des pères de la Déclaration universelle des Droits de l'homme, René CASSIN, déclarait : " l'homme ne peut exercer ses droits contre les droits d'autrui ". C'est de cette même conviction que vous tirez, Mesdames et Messieurs, la force de votre engagement.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 23 mars 2001)