Interview de M. Pascal Clément, ministre de la justice, à France Info le 8 septembre 2006, sur son projet de réforme prévoyant notamment des enregistrements video chez le juge d'instruction ainsi que sur l'éventuelle nomination de son directeur de cabinet et ancien conseiller de Jacques Chirac, M. Le Mesle, au poste de procureur général de Paris.

Prononcé le

Média : France Info

Texte intégral

O. de Lagarde - Vous êtes garde des Sceaux, on va parler de cette réforme de la justice. Vous avez vu ce qui s'est passé hier lors du débat sur la privatisation de Gaz de France. Vous, votre projet sur la justice, vous avez bon espoir de le faire adopter avant la présidentielle ?
R - Ce n'est pas tout à fait comparable, ne serait-ce que pour une bonne raison, je vais vous dire pourquoi. Mon projet émane de la Commission d'enquête Outreau et je vous rappelle que les parlementaires l'ont votée à l'unanimité. Alors, il y aura sans doute des gens qui ne seront pas d'accord sur tout mais je n'invente rien. Tout ce qui est proposé était, peu ou prou, dans la Commission d'enquête Outreau votée à l'unanimité.
Q - Il arrivera quand à l'Assemblée nationale ?
R - Cela ne relève pas de ma compétence mais je peux l'espérer dans le courant de mois d'octobre.
Q - Excusez-moi de vous le dire mais, on est un petit peu perdus quand même entre les annonces et les rectificatifs concernant votre projet de réforme. Y aura-t-il des enregistrements vidéo dans les cabinets des juges d'instruction ?
R - En tout cas, c'est le projet qui a été arbitré par le Premier ministre et je voudrais dire pourquoi. Vous vous souvenez tous - on a tous été quand même profondément émus de l'affaire Outreau et quand on se souvient des témoignages des accusés d'Outreau - qu'il y a eu des critiques effectivement tant de l'enregistrement de la garde à vue au niveau de la police que du même enregistrement chez le juge d'instruction, de l'audience chez le juge d'instruction. Ne rien faire n'était pas possible et c'est d'ailleurs pour ça que la Commission d'enquête Outreau, et je rappelle qu'il y a des parlementaires de toutes les couleurs politiques, ont décidé cette proposition. Je la reprends dans mon projet. Or, ceux qui n'en sont pas d'accord, je leur pose une question : qui aujourd'hui en France peut préférer l'opacité à la transparence ? Aujourd'hui - vous êtes journaliste et Dieu sait que c'est votre métier de faire la transparence - tout le monde est favorable à la transparence. Alors, il ne faut pas prendre ça comme une défiance, ce n'est pas le débat, il s'agit de dire : "oui, le justiciable a droit à la transparence dans ce qui se fera dans la police et chez le juge d'instruction."
Q - Ces enregistrements seront-ils facultatifs ou obligatoires ?
R - Il y avait deux hypothèses, l'une et l'autre, et après arbitrage du Premier ministre, N. Sarkozy et moi nous sommes mis d'accord sur [le choix] "obligatoire". Un exemple, en Italie, aujourd'hui chez le juge d'instruction, ce n'est obligatoire que quand la personne est en détention. Or on s'aperçoit qu'en pratique, en Italie, les juges d'instruction italiens, même quand vous n'êtes pas en détention souhaitent enregistrer tellement c'est plus facile pour eux, ensuite ça les protège parce qu'on ne peut pas contester la manière, l'éthique de l'audition. Et qu'enfin, comme il n'y a pas de contestation, tout cela est beaucoup plus simple. Donc ce qui est aujourd'hui critiqué sera probablement adoré demain. De la même manière, pour la police, je suis allé à Londres et j'ai visité un commissariat de police et je les ai interrogés sur l'enregistrement des gardes à vue. Ils m'ont dit : "mais on ne reviendrait pas en arrière, cela se fait depuis 1988, aujourd'hui cela nous protège, nous les policiers, nous n'avons plus jamais la moindre contestation". Très honnêtement, c'est un outil moderne, c'est de la transparence, il ne faut pas y voir de la défiance et je pense que c'est un immense progrès. Que l'on se souvienne de l'émotion que nous avons tous partagé lors de l'affaire lors de lors de l'affaire Outreau.
Q - Alors, parlons de ces enregistrements. Dans les gardes à vue, toutes seront filmées ?
R - Uniquement dans les affaires criminelles, cela fait déjà 30.000 affaires criminelles par an...
Q - Cela fait moins de 10 % des gardes à vue ?
R - Oui, bien sûr. Mais enfin écoutez, c'est un début, peut-être que dans dix ou quinze ans, on ira au-delà. Actuellement c'est 30 000 soit 400 000 gardes à vue. Il faut aussi penser à l'aspect matériel...
Q - C'est un problème de budget ?
R - C'est un problème de budget, d'équipement - cela prend du temps - de manipulation, tout le monde ne sait pas bien faire. Cela prend un peu de temps. Il y a un petit changement culturel derrière tout ça, c'est ça le fond du débat.
Q - Et il y aura un changement culturel également chez les magistrats qui sont eux assermentés contre l'enregistrement des...
R - Il ne faut pas considérer cela, je le répète, comme un acte de suspicion parce que sinon on ne s'en sort pas et évidemment c'est très choquant. Ce n'est pas le débat. Il s'agit de dire : "sommes nous pour la transparence ?" La réponse est oui. Si on met de la transparence, on la met partout. Et je sais bien que chez le juge d'instruction, vous avez le greffier, vous avez l'avocat. C'est différent du problème des policiers. Mais je ne le vois pas cela, je le répète, en terme de suspicion mais en terme de transparence. C'est un progrès qui nous est demandé par tous ces accusés d'Outreau qui ont vraiment hurlé en disant : "tout ce qui a préparé notre accusation n'a pas été fait comme on aurait dû le faire !!" Bref, il y a contestation, il faut empêcher toute contestation. C'est la proposition à l'unanimité de la Commission d'enquête parlementaire d'Outreau.
Q - En même temps, avouez-le, c'est quand même du donnant-donnant avec les policiers qui sont contents d'avoir des enregistrements...
R - Moi j'appelle ça du "transparent-transparent", ce qui n'est pas tout à fait pareil, ça vaut pour tout le monde.
Q - N'y a-t-il pas une volonté, tout de même, de calmer la colère des policiers ?
R - Si vous permettez, je comprends que les policiers, c'est un problème important pour vous, moi je suis responsable d'une réforme de la JUSTICE. Et je dis que je m'adresse aux Français, aux citoyens, je vais faire une réforme qui permettra justement moins de détentions provisoires. Or, qu'est-ce qui nous a choqué dans l'affaire Outreau ? C'est la détention provisoire. Vous aurez un avocat, chaque fois qu'il y aura une mise en détention. Au bout de six mois de détention, la chambre de l'instruction de la Cour d'appel verra à fond votre dossier, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Bref, [il s'agit de] faire en sorte que vous ne restiez pas en prison si vous ne devez pas y rester. Or, on se souvient des près de trois ans ou deux ans pour un certain nombre d'accusés d'Outreau. C'est ça la réforme que je porte. Vous voyez, le Conseil national du Barreau qui représente tous les Barreaux de France, a dit hier : "surtout pas le statu quo même si nous ne sommes pas d'accords sur tout, surtout pas le statu quo". Eh bien je vous le dis, avançons.
Q - Est-ce qu'elle est suffisamment ambitieuse cette réforme, vous savez ce que certains disent, ils évoquent une "réformette" ?
R - Je m'aperçois que quand on dit qu'elle n'est pas ambitieuse, ça n'empêche pas des gens d'être déjà défavorables. Qu'est-ce que ça serait si elle était plus ambitieuse. Ecoutez, je ne sais pas si elle est ambitieuse. Elle reprend en partie, et pas évidemment en totalité, les propositions qui me semblent applicables tout de suite de la Commission d'enquête d'Outreau - qui a été votée, je le rappelle, à l'unanimité - on ne peut pas dire aujourd'hui que ça sort d'un tiroir de la Chancellerie. Cela sort de la réflexion de plus de 200 heures et d'une cinquantaine de parlementaires de tous bords.
Q - Qui va remplacer Y. Bot au poste de procureur général de la Cour d'appel de Paris, votre décision est prise ?
R - Alors, un petit mot d'explication. Qu'est-ce que c'est un procureur général ? Le procureur général c'est le responsable hiérarchique des procureurs d'un ressort de Cour d'appel. Le mot "hiérarchique", il faut le préciser dans le ministère de la Justice, c'est une hiérarchie atténuée. Ainsi par exemple, le garde des Sceaux que je suis, je suis hiérarchique sur les procureurs généraux mais qu'est-ce que ça veut dire ? Cela veut dire que je peux dire à un procurer général de poursuivre mais que je ne peux pas dire à un procureur général de ne pas poursuivre. Il en va ainsi du procureur général vis-à-vis de ses procureurs. Donc le procureur général de Paris n'est pas un juge indépendant, c'est un magistrat du Parquet. Et comme j'ai entendu l'inverse récemment sur une radio, je veux préciser ce préalable. Effectivement le poste sera libre le 6 octobre, il y a actuellement plusieurs candidats, le Conseil des ministres tranchera cette affaire là le 6 octobre.
Q - On parle de M. Le Mesle, c'est un nom que l'on a raison d'avancer ?
R - C'est un des noms possibles, M. Le Mesle...
Q - C'est votre directeur de cabinet, ancien conseiller de J. Chirac...
R - Oui, ancien sous-directeur des Affaires criminelles qu'effectivement Mme Guigou avait renvoyé en juridiction, on peut encore se demander comment. Je vais vous dire pourquoi ?
Q - C'est votre candidat ?
R - Attendez ! Mon candidat... ! Le perdre ? Sûrement pas, je n'ai pas envie de le perdre. La décision n'est pas prise mais il y a une chose de sûre : je ne connais aucun magistrat qui n'ait pas la sensibilité - si tant est qu'il en ait une, parce que je rappelle que ce n'est pas un magistrat engagé, il n'a pas de carte politique, il a servi effectivement le président de la République et il est aujourd'hui mon directeur de cabinet - mais je ne connais personne qui conteste ses qualités humaines et ses qualités intellectuelles et ses qualités de juriste. C'est sûrement l'un de nos magistrats les plus brillants et en plus tout le monde le sait. Alors, on peut faire de la mousse médiatique mais sachez que si jamais il était nommé - ce n'est pas décidé, ça sera décidé au moins d'octobre - eh bien honnêtement, je ne vois personne qui dirait au fond de lui-même : "c'est une nomination injuste". Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 8 septembre 2006