Interview de M. Pascal Clément, ministre de la justice, à RMC Info le 25 octobre 2006, sur les projets gouvernementaux de réforme de la justice, concernant notamment la responsabilité pénale du chef de l'Etat, l'enregistrement des gardes à vue ou la création de pôles de l'instruction.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Q- D'abord votre question aux auditeurs de RMC.
R- J'aimerais bien leur poser la question, suivante : pour vous, qu'est-ce que vous voudriez voir changer essentiellement dans la justice française ? Parce que souvent, on dit "la justice, les Français n'ont pas confiance, les Français la critiquent..." Je suis navré mais j'aimerais bien savoir quel est le point sur lequel les Français aimeraient que l'on apporte un progrès. Il est encore temps parce que je suis en plein...
Q- Vous avez encore quelques mois...
R- Voilà.
Q- Nous sommes le 2 juillet 2003 : promesse de J. Chirac ; le Conseil des ministres adopte un texte sur le statut pénal du chef de l'Etat. Ce texte prévoit la possibilité pour la justice de demander des comptes au Président sortant, il prévoit de clarifier la question de la responsabilité du chef de l'Etat devant les tribunaux ordinaires, de substituer à l'actuelle procédure devant la Haute cour de justice une procédure de destitution décidée par le Parlement. Début octobre : J. Chirac souhaite que ce texte puisse être examiné rapidement, soumis à la commission des lois de l'assemblée nationale, où en est-on ?
R- D'abord, je voudrais vous expliquez le fond. Le fond, c'est qu'avant qu'il y ait ce projet de loi, qui a été préparé par une commission présidée par le professeur Avril - c'est ce qu'avait souhaité le président de la République - le professeur Avril avait réuni une dizaine d'experts, qui étaient évidemment d'avis différents, de tendances et de sensibilités politiques différentes. Et en fait, [ils] avaient essentiellement repris la jurisprudence de la Cour de cassation qui s'applique aujourd'hui à l'homme J. Chirac. Autrement dit, nous ne sommes pas, déjà, depuis le début du quinquennat, dans une situation de non droit. Actuellement, J. Chirac suit la jurisprudence - ou est le bénéficiaire ou la victime, je ne porte même pas de jugement - mais disons les choses autrement : le président de la République est dans une situation juridique qui a été prévue et décidée par la cour de cassation. Alors quelle est-elle ? La cour de cassation a considéré que quand on est président de la République, ce n'est pas pour le Premier ministre et les ministres, c'est-à- dire élu au suffrage universel, pendant la période de temps où vous êtes à l'Elysée, vous ne pouvez être ni entendu ni poursuivi, mais que la prescription ne court pas. Cela veut dire que les cinq ans que vous avez passé à la tête de l'Etat ne vont pas servir à éteindre la faute que vous auriez pu commettre. Donc, aujourd'hui, le président de la République, je le répète, n'est pas dans une situation de non droit mais dans la situation voulue par la jurisprudence de la Cour de cassation. Le projet de loi qui est issu de la commission Avril a repris effectivement cette décision jurisprudentielle et a rajouté un deuxième volet qui est la destitution possible du chef de l'Etat. Chose qui peut rendre d'ailleurs un peu sceptique, sachant que c'est assez subjectif de considérer que si le chef de l'Etat commet un acte incompatible avec sa fonction, on sent bien que les gens ne seront pas du même avis suivant le camp politique dans lequel ils se trouvent. Mais cela a été décidé et cela a été présenté au Conseil des ministres. Le président de la République, il y a quelques semaines ou jours, a décidé de renvoyer ce projet de loi, pour examen, devant la commission de lois de l'assemblée nationale. Et après, cette affaire prospérera si nous en avons le temps, mais j'allais dire, ça y est, c'est dans les tuyaux.
Q- Si nous en avons le temps ?
R- ...Oui, mais attendez, est-ce que je peux finir ? Un dernier mot...Il ne faudrait pas laisser croire aux Français que, cela changerait les choses, ça ne serait la loi votée, que consacrer la jurisprudence qui est actuellement en marche.
Q- On est bien d'accord.
R- Oui, mais "bien d'accord", je suis le premier, je crois à l'avoir expliqué. Parce que, on avait l'air de dire que nous étions dans une zone de non droit, nous sommes dans une zone de droit, décidé par la Cour de cassation. La question est de savoir si on peut avoir le temps, je le souhaite, je crois que le Président le souhaite, d'aller jusqu'au bout, consacré par la loi, ce qui exact...existe déjà.
Q- Pardonnez-moi, ce texte a été adopté en Conseil des ministres le 2 juillet 2003, nous sommes en 2006. Trois ans ! Pourquoi attendre tant de temps ? Il sera peut-être examiné avant la présidentielle ?
R- Je vais vous dire, il y a des gens qui n'en sont pas d'accord. Par exemple, je crois que R. Badinter, pour ne citer qu'un illustre sénateur, n'est pas d'accord, avec...
Q- Alors, on ne présente pas le texte devant le Conseil des ministres ?
R- Non, mais, si, si. Parce que nous avons été tenus de présenter devant le Conseil des ministres un texte qui avait été préparé par la commission Avril, qui avait été nommée pour ce faire. Non. Très honnêtement, il n'y a pas...Il y a en revanche ce qui est très très important : oui ou non, y a-t-il un vide juridique ? Il n'y en a pas.
Q- Je vous lis ce mail de Pierre : "Vous recevez le ministre de la Justice, vous devez faire erreur ! Car je crois bien qu'en France, nous n'avons pas de ministre à ce poste. Si nous avions un Garde des Sceaux, nous l'aurions entendu s'élever contre les attaques inadmissibles du ministre de "tout", N. Sarkozy, envers les juges et la justice en général". Vous n'avez rien dit.
R- Alors, écoutez, c'est évidemment un procès d'intention assez scandaleux ! Il y a manière et manière de lire, et c'est bien cela le débat. Alors, je vais y venir. Le jour même où, effectivement, mon collègue de l'intérieur a attaqué, non pas tous les juges de Bobigny mais la jurisprudence du tribunal pour enfants de Bobigny, j'étais au Sénat, et j'ai immédiatement pris la parole pour rappeler d'abord que, s'agissant de la juridiction de Bobigny, c'était une juridiction qui travaillait beaucoup, plus qu'une autre, elle est strictement débordée par le travail et les affaires, que l'on ne pouvait pas généraliser sur même le tribunal pour enfants de Bobigny, parce que c'est un TPE qui a 15 ou 16 magistrats, de mémoire, et qu'on ne peut pas parler d'une jurisprudence commune à ces 15 magistrats. Une observation importante. Et qu'en fin, on n'a pas le droit, je crois, de prendre la question par ce bout-là. Mais...Et puis, je l'ai redis dans différentes radios, alors, je ne peux citer vos radios concurrentes, que je ne ferais pas par délicatesse puisque je suis à RMC, mais dans plusieurs radios bien connues et évidemment nationales. Mais ce que je n'ai pas fait, c'est dire du mal de N. Sarkozy. Et ceux qui m'attaquent et qui vous disent cela, ce sont des gens qui ne sont pas dans mon camp politique, ce sont des gens opposés, opposants, et qui auraient voulu que je dise des mots blessants, insultants sur M. Sarkozy. D'abord, je ne les pense pas, et je ne veux pas les dire. Je voudrais rappeler un souvenir politique à un certain nombre de gens : est-ce qu'ils se souviennent que Mme Guigou était ministre de la Justice ? Le nombre de querelles qu'elle a eues avec M. Chevènement ? Eh bien, cela a donné la chose suivante : un jour, M. Chevènement a décidé d'être candidat aux présidentielles, et puis il l'a fait. Et puis le lendemain que s'est-il passé ? M. Chevènement a fait perdre, et M. Jospin n'était même pas au deuxième tour. Alors, voyez-vous, les conseils de mes opposants pour que le Garde des Sceaux et le ministre de l'Intérieur soient en situation de querelle telle, qu'on puisse avoir après une division de la droite, eh bien merci, je rends leurs conseils, qu'ils les gardent, qu'ils le gardent !
Q- Regardons votre réforme, votre projet de réforme, présenté hier en Conseil des ministres, encore une fois. Alors, je regarde, on va prendre les mesures, on ne va trop s'attarder : "les gardes à vue seront enregistrées dans les affaires criminelles afin d'éviter toute suspicion de brutalité tranchée en cas de doute sur d'éventuels aveux. Pour ménager les susceptibilités policières, une caméra sera aussi placée dans le cabinet du juge d'instruction lors des auditions"...
R- Cela, c'est votre commentaire, ce n'est pas la vérité, ce n'est pas comme cela que je dis les choses.
Q- Ah bon ! Alors, pourquoi ?
R- D'abord, trois choses, toute vitesse : sur les questions d'Outreau, pourquoi tant de détentions provisoires ? Deuxième question d'Outreau, pourquoi un juge unique qui peut se tromper ? Est-ce qu'il y a des contrôles ? Est-ce qu'il y a des anti-dérapages ? Bon. Et troisième question : est-ce que l'on est sûr que, la procédure est assez contradictoire ? C'est à ces trois questions que je réponds dans l'un des trois projets de loi que j'ai présentés hier devant le Conseil des ministres, qui concernent la procédure pénale. Alors rapidement : sur la première question "la détention provisoire", aujourd'hui, quand vous vous êtes trompé, c'est parti pour une période assez longue. Puisque si le quantum de la peine qui relève des faits que vous êtes supposé avoir commis sont au-delà de dix ans, c'est-à-dire, au-delà, cela devient un crime, vous pouvez passer plusieurs années en détention provisoire, c'est ce qui s'est passé pour la quasi-totalité des 13 innocentés d'Outreau. Donc, là, c'est grave. Qu'est-ce que je prévois de nouveau ? Que la Chambre de l'instruction - c'est-à-dire, au niveau de la Cour d'appel par rapport au juge d'instruction, l'appel du juge d'instruction, si je peux m'exprimer ainsi, qui s'appelle la Chambre de l'instruction - que tous les six mois, sur demande des parties ou du président de la Chambre de l'instruction, il y ait la possibilité de regarder la totalité de l'affaire, mais pas simplement un petit aspect, la totalité, pour savoir si on ne s'est pas trompés depuis le début au niveau de l'enquête et au niveau de la détention. Deuxième chose : être plus contradictoires, c'est-à-dire, qu'on dit que les juges d'instruction auraient le défaut, de juger à charge et pas assez à décharge. Par exemple, l'ordonnance de renvoi, c'est-à-dire à la fin, quand le juge a fait son travail ; j'ai décidé qu'il y aurait deux colonnes : une colonne à charge, une colonne à décharge, pour bien obliger intellectuellement le juge à se demander : au fond, je pense qu'il est coupable, mais essayons de poser la question de savoir quels sont les éléments qui vont dans le sens inverse ? Et cet effort intellectuel ira vers l'objectivité. Et puis, les expertises : aujourd'hui, c'est le juge d'instruction qui choisit seul l'expert. Là, il pourrait y avoir con-choix (sic), proposition d'un autre expert. Les questions : seul le juge d'instruction aujourd'hui pose les questions, là elles seront posées ensemble, on gagnera du temps, ce sera intéressant. Voilà pour des nouveaux droits. Et puis, il y a le problème de la transparence et de la sécurisation de la procédure. C'est effectivement l'enregistrement, à la fois, des gardes à vue, à la fois chez le juge d'instruction. Un pays comme l'Angleterre fait l'enregistrement des gardes à vue depuis une dizaine d'années, j'y suis allé. Jamais il ne reviendra en arrière, c'est merveilleux pour eux, plus jamais un policier n'est critiqué, ou un gendarme chez nous. Autrement dit, les maltraitances, les chantages, tout cela, on ne peut plus critiquer, ce n'est pas vrai, c'est enregistré. Ils n'ont plus de critiques, jamais ils ne reviendront en arrière. En Italie, l'enregistrement chez le juge d'instruction, eux aussi, jamais ils ne reviendront en arrière. Pourquoi ? Parce que, chez le juge d'instruction, d'ailleurs la petite Duchaussoy hier je l'ai vue, à LCI, elle est une des 13 innocentées d'Outreau, et elle a dit : "Moi, j'aurais été vraiment contente si on avait pu avoir l'enregistrement chez le juge d'instruction, il ne serait pas arrivé ce qui est arrivé pour moi". Mettons-nous à la place de celui qui est réputé coupable, il a besoin de tous les moyens pour essayer de faire prouver son innocence, et en particulier, l'avocat plus l'enregistrement, eh bien c'est important d'avoir les deux. Donc, honnêtement, plus de transparence, et sécurisation de la procédure. Et puis enfin, la solitude du juge d'instruction...
Q- "Le pôle de l'instruction"...
R- "Le pôle de l'instruction", ce n'est pas tout à fait la collégialité que l'on aurait voulue mais c'est le début.
Q- Le début. Qu'en est-il de "la responsabilité des juges" ? Allez-vous déposer, vous-même...
R- Non...
Q- ... des amendements ? Un texte ? Franchement, qu'allez-vous faire ?
R- C'est une de mes petites aventures personnelles, qui laissera des souvenirs. J'ai dit une chose, et la presse dans son entier et un certain nombre de gens disent le contraire de mon discours. Alors, je veux bien que cette histoire ne soit pas claire, mais quand on dit par exemple qu'"on va préciser son texte", cela ne veut pas dire qu'on va le retirer, c'est mot à mot ce qu'il y a dans mon discours devant l'Union syndicale des magistrats. Donc, qu'est-ce qui s'est passé ? Le Conseil d'Etat m'a demandé d'enlever une nouvelle faute disciplinaire qui est créée dans ce texte de responsabilités, et qui est "la violation délibérée des principes directeurs du Code de procédure pénale et civile", et il considère qu'il pouvait y avoir confusion avec les voies d'appel, donc atteinte à l'indépendance des juges. La critique est sans doute fondée, très bien. Sauf que c'est déjà la jurisprudence du Conseil supérieur de la magistrature, et que c'est la proposition que m'avaient faite à l'unanimité les parlementaires de la commission d'enquête Outreau à l'Assemblée nationale. Donc, ça ne sortait pas du "jus de crâne" qui est le mien. C'était une affaire déjà bien connue. A partir du moment où il faut le corriger, je retire cette partie de texte puisque je n'allais pas la présenter comme telle, je n'aurais pas eu le droit, cela aurait choqué évidemment tout le monde si malgré les observations fortes du Conseil d'Etat je l'avais présentée hier devant le Conseil des ministres. Donc, c'est cette petite partie, cette faute disciplinaire que j'ai retirée, tout en disant : je vais la retravailler, donc je la renvoie à la réflexion. Et au moment où le débat viendra, je ne connais pas encore la date, dans les trois mois qui viennent, nous...
Q- Avant la présidentielle...
R- En tout cas, le président de la République a dit clairement et en Conseil des ministres qu'il souhaitait que l'ensemble des trois projets de loi soit voté avant la fin de la législature, et de la mandature présidentielle.
Q- Donc, qu'ajouterez-vous au texte lors de la discussion ?
R- Je vais garder cette notion de "violation délibérée" concernant les principes directeurs de la procédure pénale, mais avec des précisions qui aujourd'hui manquent, et que souligne le Conseil d'Etat.
Q- Lesquelles ?
R- Si nous savions lesquelles on aurait déjà réglé le problème. Il y en a une en particulier si j'ai bien compris, c'est que cela ne peut être fait qu'à la fin de la procédure, quand la décision est définitive. J'ai déjà pensé à celle-là, mais à mon avis il faut réfléchir à de nombreux experts.
Q- Au cours de la discussion on est bien d'accord, on parlera de "violation délibérée de la procédure pénale" ?
R- Oui, à condition que ce texte soit amendé dans le sens désiré par le Conseil d'Etat pour éviter toute inconstitutionnalité, ce qui est effectivement souhaitable.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 25 octobre 2006