Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur la réforme de l'impôt et les orientations de la politique fiscale sur 5 ans, Paris le 3 juin 1996.

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Circonstance : Remise le 3 juin 1996 du rapport de M. Dominique de la Martinière sur la réforme fiscale

Texte intégral

Point de presse sur la réforme de l'impôt,
Monsieur le Premier Ministre
Aujourd'hui, je voudrais vous parler de la situation économique, budgétaire et fiscale de notre pays. L'économie française, en ce milieu d'année 1996, est en bonne voie et plusieurs signes encourageants ont été connus au cours des derniers jours, je les rappelle très rapidement :
1) La croissance du premier trimestre a été deux fois plus rapide qu'annoncée. Nos exportations ont atteint ce dernier mois des chiffres records, ce qui montre que nos entreprises sont compétitives.
2) L'inflation demeure maîtrisée, le franc est en bonne forme, les dépenses d'assurance maladie au mois d'avril se sont stabilisées, elles ont même légèrement décrues, et, enfin, c'est évidemment le plus important, le chômage est en baisse pour le deuxième mois consécutif - une baisse modeste, certes, mais une baisse qui porte surtout sur le chômage de longue durée et sur le chômage des jeunes- Comme vous le savez, c'était là nos deux objectifs prioritaires.
Ces résultats peuvent être jugés modestes, mais ils sont encourageants, et je crois surtout qu'ils sont solides, parce qu'ils reposent sur le travail et les efforts consentis par les Françaises et les Français, depuis un an maintenant Ces efforts ont notamment permis une baisse sans précédent des taux d'intérêt, et je suis sûr - je ne suis pas le seul d'ailleurs - que cette baisse va continuer à diffuser ses effets bénéfiques dans l'ensemble de notre économie au cours des mois et des années qui viennent.
Voilà le bref rappel que je souhaitais faire.
Le moment est maintenant venu de passer à une phase nouvelle de notre action, celle de la baisse des impôts, avec une double préoccupation en tête : d'abord améliorer la vie quotidienne des Français qui sont tous contribuables, qu'ils paient l'impôt sur le revenu, les cotisations sociales - qui ne sont pas à proprement parler des impôts, mais qui sont des prélèvements obligatoires -, la TVA ou d'autres impôts encore.
Améliorer donc la vie quotidienne de nos concitoyens et aussi libérer les forces vives de notre pays, favoriser cet esprit de conquête de nos entrepreneurs et de nos entreprises dont le Président de la République parle si souvent. C'est la raison pour laquelle, le gouvernement est maintenant en mesure de donner le coup d'envoi de la réforme des impôts et je voudrais, à ce propos, vous livrer quelques réflexions, à la fois sur la méthode, sur les principes qui nous guideront et, également sur les premières orientations de cette réforme.
La méthode tout d'abord : nous ouvrons aujourd'hui une période de dialogue et de concertation, et je n'annonce pas ce soir un plan à prendre ou à laisser, tout ficelé. J'ai demandé a un groupe de travail, présidé par Monsieur de La Martinière, de me faire un rapport. Ce rapport a été remis ce matin dans les délais prévus. Il sera publié demain et je précise tout de suite que, pour l'instant, il n'engage que ses auteurs et n'est pas, pour l'instant, repris en compte par le Gouvernement.
Sur cette base, nous ouvrons la concertation. Concertation avec le Parlement : j'ai reçu tout à l'heure les présidents des deux commissions des finances de l'Assemblée Nationale et du Sénat, Pierre Méhaignerie et Christian Poncelet, qui vont, eux-mêmes, réunir leur commission et engager un travail de fond, mais cette concertation s'adressera aussi aux partenaires sociaux, que je vais recevoir dans les prochaines semaines, et, de façon générale, à l'opinion publique avec un rendez-vous. Ce rendez-vous, c'est bien sur septembre puisqu'avec le budget 1997, le gouvernement présentera un programme de 5 ans qui présentera à la fois l'évolution des dépenses publiques et les baisses d'impôt. Voilà pour la méthode.
S'agissant des principes, je voudrais rappeler des vérités toutes simples, qui sont des vérités de bon sens, que le rapport la Martinière rappelle d'ailleurs fort opportunément :
- la première, c'est qu'il n'y a pas de vraies réformes des impôts, sans baisse des impôts. On ne peut pas réformer à enveloppe constante, si j e puis dire,
- la deuxième, non moins de bon sens, c'est qu'il n'y a pas de baisse des impôts s'il n'y a pas de limitation des dépenses publiques, puisque les impôts servent à payer les dépenses. Si les dépenses ne sont pas tenues, les impôts ne peuvent pas baisser.
C'est la raison pour laquelle il ne faut pas mettre la charrue avant les boeufs. Et je ne vous donnerai pas aujourd'hui, au risque de décevoir votre curiosité, de chiffres ou d'enveloppe, tout simplement parce que nous progressons étape par étape. Juin-juillet, c'est le bouclage des dépenses et en septembre, nous vous présenterons les objectifs chiffrés de baisse des impôts.
Je suis néanmoins en mesure aujourd'hui, et c'est mon troisième point, de vous donner les grandes orientations de cette réforme, les orientations prioritaires et j'en distinguerai quatre.
- La première consistera à baisser, pendant 5 ans, toutes les tranches du barème de l'impôt sur le revenu et pour bien marquer qu'il y a là une volonté politique forte, le barème des 5 prochaines années sera soumis au vote du parlement dans la loi quinquennale. Nous demanderons au Parlement de voter le barème des 5 prochaines années de façon que les contribuables sachent clairement quelles sont les baisses dont il pourront bénéficier année après année.
Dans ce cadre, nous nous intéresserons particulièrement au cas des personnes qui deviennent imposables lorsqu'elles retrouvent un travail. A l'heure actuelle, dans un certain nombre de cas, on n'a pas intérêt, sur le plan fiscal, à reprendre du travail parce que tout d'un coup on est pénalisé fiscalement et, entre la situation de non travail et celle de travail, il n'y a qu'un très faible avantage. Donc, il faut corriger cela. De même, nous nous intéresserons en priorité au cas des familles modestes. Voilà le premier objectif: baisse générale du barème de l'impôt sur le revenu.
- Deuxième objectif, il s'agit de l'abaissement des cotisations salariales maladie. Vous connaissez tous le problème. Le financement de l'assurance maladie a été assuré traditionnellement par des cotisations qui pesaient exclusivement sur les salaires. Ce n'est pas bon, parce que cela pénalise les salariés et parce que cela accroît le coût du travail que les entreprises doivent supporter.
Nous avons commencé à corriger cette situation - nos prédécesseurs l'avaient fait avec la cotisation sociale généralisée- nous avons poursuivi dans cette voie depuis un an. Il faut aller plus loin maintenant et, petit à petit, sur 5 ans, abaisser les cotisations salariales maladie pour transférer le financement vers une cotisation universelle à base plus large, et donc à taux plus faible, qui sera bien sûr, rendue déductible. Cette réforme faisait partie intégrante de ma réforme de la sécurité sociale, le rapport de la Martinière en confirme la légitimité et la faisabilité, ce qui est important.
Ces deux premières orientations constituent une réforme constitutionnelle extrêmement importante du prélèvement direct en France.
- Troisième orientation prioritaire : la réforme de la taxe professionnelle; inutile de dire pourquoi il faut la réformer. Nous nous attacherons à deux aspects : tout d'abord taxer moins lourdement les nouveaux investissements Quand une entreprise investit, même si la collectivité n'a pas augmenté le taux de la taxe professionnelle, le poids de la taxe augmente. Voilà quelque chose qui est anti économique, qu'il faudra corriger en taxant moins lourdement les nouveaux investissements. On peut s'attendre à une reprise substantielle des investissements dans notre pays au cours des prochains mois et des prochaines années. Ne serait-ce que du fait de la baisse des taux d'intérêt, il ne faudrait pas que ce mouvement soit freiné par le jeu de la taxe professionnelle.
Autre excès de la taxe auquel il faut porter remède, ce sont les différences excessives de taux entre communes dans une même agglomération et ceci constituera un des axes de la réforme.
- Enfin, quatrième objectif prioritaire : nous programmerons à 5 ans, et bien entendu en fonction de la croissance obtenue, la suppression des prélèvements exceptionnels que nous avions dû instaurer en 1995 pour arrêter la dérive du déficit : ceci concerne notamment la TVA ou l'impôt sur les sociétés.
Voilà les grands objectifs. Vous voyez bien ce que nous souhaitons faire : des impôts moins lourds, plus justes, plus simples. Dans ce contexte, il faudra aussi, bien sûr, mettre en oeuvre les propositions qui ont été faites récemment pour mieux lutter contre la fraude. Je voudrais insister, pour conclure, sur le fait qu'il s'agit là d'une base de discussion, que maintenant le dialogue et la concertation vont s'ouvrir et que tout reste évidemment conditionné par notre capacité à maîtriser les dépenses publiques. Il faut dépenser mieux pour dépenser moins. Si nous y parvenons, et je crois que nous sommes en mesure de le faire, alors ce programme quinquennal de baisse des impôts pourra avoir toute son ampleur et toute son ambition.
Voilà ce que je voulais vous dire pour présenter le cadre général de l'exercice et je suis maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions. Je sais bien que le rapport La Martinière n'est pas encore diffusé, vous l'aurez demain, mais les questions sur la fiscalité sont toujours nombreuses.
(source http://www.archives.premier-ministre.gouv.fr, le 15 mai 2002)