Article de M. Christian Poncelet, président du Sénat, dans "Le Journal du Parlement" de décembre 2000, sur la politique de l'eau et sa gestion par les collectivités locales alors que le gouvernement prépare un projet de loi sur l'eau, intitulé "Les élus locaux sont, sans doute, les "premiers écologistes de France".

Prononcé le 1er décembre 2000

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Média : Le Journal du Parlement

Texte intégral

LES ELUS LOCAUX SONT, SANS DOUTE, LES " PREMIERS ECOLOGISTES DE FRANCE ".
Force est de constater qu'il n'y aurait pas, en France, de véritable politique de l'environnement sans les collectivités locales qui assument, maintenant, près de 60 % du total des dépenses de protection de la nature et de l'environnement, soit plus de 150 milliards de francs par an. L'eau représente, avec un investissement annuel de près de 110 milliards de francs, le domaine d'intervention majeur des collectivités locales en matière d'environnement.
Sujet de préoccupation quotidienne des Français, l'eau, qui fut longtemps perçue comme inépuisable et gratuite, apparaît aujourd'hui pour ce qu'elle est : un bien rare, une ressource précieuse. La loi de 1992, dite loi Barnier, ne dit pas autre chose lorsqu'elle reconnaît l'eau comme " patrimoine commun de la Nation ".
Il était donc indispensable d'engager avec les gestionnaires de proximité de la politique de l'eau que sont les élus locaux un large débat. Débat d'autant plus nécessaire que le Gouvernement travaille, depuis près d'un an, sur un projet de loi sur l'eau, qui devrait être déposé devant le Parlement prochainement.
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En ce qui concerne le futur projet de loi sur l'eau, ce texte, qui en est après un an de travail à sa douzième version, a déjà très largement évolué et semble, d'ores et déjà avoir été " dépollué " de ses dispositions les plus contestables.
Ce premier résultat apparaît très largement comme le fruit de la réaction de mes collègues Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économique, et Jacques Oudin, président du groupe d'études sur l'eau, à l'approche initiale du Gouvernement, dont la réforme semblait avoir comme objectif majeur " d'en finir " avec les agences de l'eau.
Ce projet comporte cependant encore des orientations inquiétantes quant à l'avenir de la conception décentralisée de la politique de l'eau dans notre pays.
A cet égard, et bien que cette analyse puisse être considérée comme paradoxale de la part du président d'une assemblée parlementaire, je tiens à émettre les plus vives réserves sur l'ensemble des mesures que le Gouvernement présente comme destinées à renforcer le rôle du Parlement en ce qui concerne les redevances et les programmes pluriannuels des agences de l'eau.
Ce " paravent démocratique " porte, hélas, en germe les instruments d'une reprise en main étatique des moyens financiers des agences de l'eau.
Plus généralement, je ne saurais admettre remettre en cause la philosophie décentralisée de la gestion de l'eau dans notre pays.
Je suis d'autant plus déterminé à défendre cette philosophie que la future directive cadre sur la politique communautaire de l'eau consacre comme modèle de gestion dans ce domaine, le modèle français issu de la loi, à bien des égards visionnaire, de 1964 instituant une gestion décentralisée par grands bassins hydrographiques.
De ce point de vue, je m'étonne que cette transposition de directive ne soit qu'un appendice du projet de loi, au lieu d'en être la colonne vertébrale.
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Il convient en effet de rendre hommage au travail et à la façon dont les élus locaux assument leurs très lourdes responsabilités juridiques et financières dans le domaine de l'environnement et de l'eau en particulier, où ils doivent répondre aux exigences légitimes des Français, qui attendent, bien entendu, à la fois une eau de qualité, une eau au meilleur prix et une préservation de cette ressource en eau.
La dernière enquête du ministère des finances met d'ailleurs en évidence une maîtrise, certes récente, mais néanmoins remarquable de l'évolution du montant des factures d'eau, celles-ci n'ayant progressé que de 1,7 % en 1998 et 1999.
Il est donc indispensable de préserver ce début d'équilibre qui se trouve menacé, dans un certain nombre de communes de notre pays, par les problèmes que pose parfois le recyclage des boues produites par les stations d'épuration.
Force est, hélas, de constater qu'un certain nombre de réactions hostiles se sont manifestées à l'encontre du principal moyen de recyclage de ces boues, à savoir l'épandage agricole où se trouve posé depuis quelques temps la question de leur innocuité.
Nous sommes donc en présence d'un risque majeur pour l'équilibre financier du secteur de l'assainissement en France, car, vous le savez toutes les solutions alternatives à l'épandage agricole impliquent d'importants investissements supplémentaires.
Il est donc indispensable d'engager, au plus vite, une réflexion d'ensemble, afin d'éviter que ne soit mis en cause un mode de recyclage qui, somme toute, n'a rien de choquant pour peu que puisse être garantie la qualité des boues utilisées dans le domaine agricole.
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Plus généralement, je considère que le domaine de l'environnement constitue, pour l'ensemble des collectivités, et en particulier pour les départements et les régions, une nouvelle frontière qu'il est maintenant grand temps d'ouvrir.
C'est pourquoi, il me paraît parfaitement envisageable d'étudier un important transfert de compétences à ces deux niveaux de collectivité, dans le domaine de l'environnement. Transfert de compétences qui serait accompagné d'un transfert, à due concurrence, des ressources fiscales, issues de la toute récente " fiscalité écologique ".
Nous constatons, en effet, une regrettable dérive où la fiscalité dite écologique, principalement constituée par la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), est aujourd'hui gravement détournée de son objet.
Le produit de cet impôt, dont le montant avoisinera en 2001 7 milliards de francs, se trouve, de fait, affecté au financement ... des 35 heures ! J'avoue que le lien entre les deux m'échappe.
Or, il me paraît choquant que " l'argent de l'environnement " n'aille pas à l'environnement. Je suis certain que cette ressource pourrait être employée à meilleur escient par les collectivités départementales et régionales dans le cadre de compétences renforcées.
Dans le nouveau souffle que nous avons la volonté de donner à la décentralisation, l'extension du pouvoir de proximité dans les politiques d'environnement m'apparaît comme un objectif essentiel !
Dans cette perspective, il faudrait en particulier conforter le rôle des départements dans la gestion des espaces naturels sensibles et ouvrir aux régions la possibilité d'exercer un pouvoir direct dans les actions de programmation et de protection de la ressource en eau.
Enfin, il conviendrait de renforcer les moyens d'intervention des établissements publics territoriaux de bassin, dont l'établissement public d'aménagement de la Loire et de ses affluents (EPALA) constitue une incarnation emblématique, en matière de prévention des risques.
J'ai la conviction que, dans tous ces domaines, les collectivités locales, par leur connaissance du terrain, sauront faire " plus et mieux " que l'Etat !
(Source http://www.senat.fr, le 5 février 2001)