Texte intégral
« Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les conseillers, je suis très heureux de vous retrouver, comme je l'avais été, lorsque nous avions examiné un projet d'avis sur le secteur HCR - hôtellerie, café, restauration - il y a quelque temps.
Tout d'abord, je voudrais saluer la qualité des travaux de la section, et de son rapporteur, Léon Salto. Vous avez su, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les conseillers, dans l'esprit de dialogue et de concertation qui caractérise le Conseil économique et social, établir un diagnostic partagé sur les transformations du commerce et de la consommation à l'oeuvre dans notre société, proposer des réponses concrètes et dégager un consensus en invitant la société française à poursuivre sa réflexion sur un certain nombre de sujets.
Comme l'a rappelé le rapporteur, avec les nouvelles formes de distribution, qu'il s'agisse du hard-discount, des magasins d'usine ou des « retails parks », avec le renouveau de la vente à distance, le commerce électronique et internet, avec l'Europe et la mondialisation, la curiosité incessante des consommateurs pour de nouveaux produits, et de nouvelles formes de distribution, le commerce change. Il change parce que ses moyens évoluent, mais aussi pour s'adapter aux attentes des consommateurs, qui elles-mêmes évoluent.
Votre projet d'avis se fonde sur une auto-saisine générale, complétée par une saisine du gouvernement sur la problématique spécifique du repos dominical et comporte trois grands chapitres : les relations commerciales, l'urbanisme commercial et le repos dominical.
Les relations commerciales sont au coeur de la vie quotidienne de nos concitoyens. Notre législation a ici pour objectif de maintenir les conditions d'une concurrence saine et loyale, mais aussi de protéger le commerce de proximité en interdisant en particulier la revente à perte, dispositif qui est l'un des piliers sur lesquels, à la différence d'autres pays, repose le système de commerce français.
Notre législation de l'urbanisme commercial, quant à elle, a pour vocation d'assurer un équilibre entre la grande distribution qui s'est développée dans la périphérie de nos villes, et le commerce de proximité qui, bien souvent, en anime le coeur. Les consommateurs sont attachés à cette forme de commerce qui a quasi complètement disparu dans certains pays réputés ultra-libéraux.
Enfin, la règle du repos dominical est, elle aussi, profondément ancrée dans notre société. Cette règle, assortie de dérogations, est la plus répandue au sein des pays de l'OCDE. Elle a une justification historique de protection de la vie familiale, car le dimanche est bien souvent l'un des seuls jours où la famille peut se réunir, mais aussi un rôle économique puisqu'elle préserve le petit commerce. On sait très bien en effet qu'un petit commerçant ne serait pas en mesure de survivre si, sept jours sur sept, il était exposé à la concurrence de formes de commerce beaucoup plus puissantes et organisées.
Sur ces trois questions, vous avez su échapper aux caricatures et à l'opposition systématique et stérile entre les ultraconservateurs, qui souhaiteraient ne rien toucher, et les ultra-libéraux, qui voudraient que la liberté s'applique sans frein, sans limite, partout. Vous avez su être pragmatiques, vous avez su avancer et je vous en félicite.
En France, en effet, nous sommes attachés à une législation sur la revente à perte, à une régulation de l'équipement commercial et à la règle du repos dominical. Le débat n'est pas de savoir s'il faut maintenir ces règles ou les supprimer : le débat a pour but de les aménager avec pragmatisme, de savoir comment les appliquer, avec quelles dérogations, quelles exceptions, quelles mises en oeuvre. Vous avez réussi à le dépassionner et à éviter les procès en conservatisme ou en ultralibéralisme qui auraient pu détourner l'attention vers de faux problèmes.
Par ailleurs, ces trois sujets appellent des formes législatives à courte échéance, quelle que soit la majorité qui sortira des urnes en juin prochain. Prenons par exemple le sujet de la réforme de la loi Galland qui régit les relations commerciales. Elle a déjà fait l'objet d'une première réforme avec la loi du 2 août 2005, que j'avais eu l'honneur de présenter au Parlement. Cette loi prévoit un assouplissement progressif du mode de calcul du seuil de revente à perte, permettant de basculer vers l'avant ce que l'on a appelé les marges arrière, qui ont, depuis 1997, capté au profit de certains opérateurs économiques une partie du pouvoir d'achat des ménages français. Ces derniers ont d'ailleurs fait le procès de l'euro à la place du procès de cette loi, qui a fait gonfler artificiellement les marges arrière. La nouvelle loi, votée en 2005, prévoit un point d'étape courant 2007 et une nouvelle évolution législative qui permettra de poursuivre l'évolution vers le triple net. Votre projet d'avis préconise d'évoluer vers plus de clarté et de transparence. C'est un souhait que je partage, votre travail se situant parfaitement dans le cadre des dispositions de la loi du 2 août 2005.
Je profite d'ailleurs de l'occasion pour vous donner en avant-première - les chiffres ne seront publiés que demain - les résultats relatifs aux prix de consommation des produits de marque, ceux sur lesquels les Français fixent de façon parfois un peu irrationnelle leur propre système d'évaluation de l'inflation. Ces produits, connus de tous, bien souvent fabriqués par des multinationales, ce sont ceux que l'on retrouve dans le panier de la ménagère. Entre 1997 et 2004, ils ont connu une inflation de l'ordre de 3 à 4 %. Depuis les accords Sarkozy, notamment, nous avons infléchi cette évolution, l'inflation atteignant encore 0,88 % en 2006. Mais depuis l'application de la nouvelle loi sur les relations commerciales, nous sommes passés en déflation, avec un rythme d'évolution des prix de 2,23 % en janvier 2007. C'est ce chiffre qui sera rendu public demain. Sur l'ensemble des produits de grande consommation, enfin, tous paniers confondus, nous sommes passés d'un rythme annuel d'inflation de 0,20 % en janvier 2006 à un rythme de déflation de 0,16 % en janvier 2007. Compte tenu du montant extrêmement important de cette catégorie de commerce - près de 1500 milliards d'euros -, une évolution de 1 ou 2 % représente plusieurs centaines de millions d'euros qui peuvent être ainsi restitués aux consommateurs français en pouvoir d'achat Mais il est vrai qu'on oublie trop souvent que le pouvoir d'achat est aussi un phénomène dépendant de l'évolution des prix.
En ce qui concerne l'urbanisme commercial, la France n'a cessé, depuis la célèbre loi Royer, de chercher la bonne solution. Cette loi, très souvent remaniée, sera à nouveau remise sur le chantier. Elle est en effet d'abord remise en cause au niveau européen, puisque la Commission, qui vient de transmettre à la France un avis motivé préalable à la saisine de la Cour de justice de la Communauté européenne, demande à la France de revoir sa législation sur l'urbanisme commercial, la jugeant non-conforme au principe de la liberté d'établissement et de la libre prestation de service. D'autre part, l'adoption il y a deux mois de la directive sur les services nous conduit à la transposer, donc à modifier la législation sur l'urbanisme commercial. Enfin, durant ces trente dernières années, on a pu constater les difficultés d'atteindre les objectifs fixés par le législateur : alors que le dispositif législatif devait assurer un meilleur équilibre entre les différentes formes de commerce, le nombre de mètres carrés autorisés chaque année a été multiplié par trois en dix ans, alors que le commerce de proximité poursuit son repli. Ce repli doit cependant être nuancé, car si certaines formes de petits commerces sont menacées, d'autres au contraire, connaissent un véritable dynamisme.
Cela étant dit, la prise en compte prioritaire du seul critère de surface de vente a conduit à la multiplication de petites et moyennes surfaces et à la constitution de zones commerciales faisant une place insuffisante à ce que l'on pourrait ranger sous le terme de développement durable : l'architecture, l'urbanisme, l'insertion dans les paysages, la concordance avec les réseaux de transports urbains, le rôle dans la cohésion sociale, l'ouverture à de nouveaux emplois, notamment les emplois accessibles à des publics qui en sont écartés. Toutes ces considérations, absentes de notre législation, doivent y être réinsérées. La France est un pays qui a su embellir le coeur de ses villes, dont bien souvent ceux qui découvrent la France sont frappés par la beauté, mais épouvantés en même temps par ces entrées de ville qui défigurent les plus belles de nos agglomérations. Et cela, qu'on peut appeler la France défigurée, n'est pas au coeur, mais à l'entrée de nos villes, bien souvent dans des zones commerciales.
Enfin, cette législation a trop souvent conduit à une opposition entre centre-ville et périphérie, alors que l'avenir du commerce est de les réconcilier. En outre, on déplore la sur-administration et la complexité de la législation, en particulier la juxtaposition de deux procédures et de deux autorisations différentes, l'une d'urbanisme commercial, avec la CDEC puis la CNEC, l'autre d'urbanisme général, avec le permis de construire. Tout cela a conduit à une procédure excessivement lourde, complexe et trop longue. On déplore aussi des incohérences d'aménagement entre le plan local d'urbanisme et les décisions qui sont prises sur le fondement de la loi sur l'urbanisme commercial. Certaines situations sont ainsi inextricables : des bâtiments se construisent avec un permis de construire, tandis que de l'autre côté, l'autorisation d'urbanisme commercial a été annulée par le juge. Comment les citoyens ne seraient-ils pas surpris par cette contradiction du droit ?
Afin de préparer, dans un esprit de consensus, le terrain à une réforme ultérieure qui ne pourra intervenir qu'après les élections présidentielles, j'ai installé le 25 octobre 2006 la Commission de modernisation de l'urbanisme commercial, qui réunit parlementaires, élus locaux, fédérations de commerces, promoteurs, aménageurs, architectes, urbanistes, sociologues, associations de défense de l'environnement et encore représentants des consommateurs, bref, des hommes et des femmes qui ont pu travailler ensemble dans un esprit constructif. J'ai mis en ligne il y a dix jours, sur le site de mon ministère, les conclusions de cette commission, et je ne doute pas que le Conseil économique et social pourra trouver là matière à réflexion.
Il s'agit d'une part de réintégrer l'urbanisme commercial dans l'urbanisme général, tant il est vrai que le commerce fait partie de la ville. Séparer le commerce de la ville est probablement une erreur : il faut donc en tirer une conclusion sur le plan juridique, une seule autorisation devant permettre de construire et d'exploiter un commerce. Il s'agit d'autre part, et c'est un élément important de développement durable, de substituer au seul critère de la surface de vente des critères d'aménagement du territoire, d'équilibre entre centre-ville et périphérie, de qualité de l'urbanisme, ou d'insertion dans le paysage, tout en réfléchissant à la contribution à l'effet de serre des bâtiments. Tous critères qui pourraient être détaillés dans un outil nouveau : le schéma de développement commercial qui, lui, pourrait être opposable aux tiers et donc aurait valeur de règlement d'urbanisme, tout en étant en accord avec les SCOT et les PLU. J'observe, là aussi, que votre projet d'avis est parfaitement cohérent avec les réflexions menées au sein de cette commission.
S'agissant enfin de l'application de la règle du repos dominical dans le secteur du commerce, force est de constater que la situation atteint aujourd'hui un degré de complexité qui confine bien souvent à l'injustice. L'addition de multiples dérogations a rendu ce dispositif de moins en moins lisible, parfois même incohérent. A cet égard, deux exemples sont particulièrement éclairants.
Le premier est celui des zones touristiques d'affluence exceptionnelle, pour reprendre les ternes de la loi. Dans ces zones, des arrêtés ont été pris dans des sens divergents pour des enseignes adjacentes aux activités très proches, le préfet concerné devant apprécier l'expression « faciliter l'accueil des touristes ou leurs activités de détente ou de loisir d'ordre sportif, récréatif ou culturel. » Tous les préfets n'en ont visiblement pas la même opinion... De nombreux contentieux ont vu le jour, qui ont porté ce sujet devant l'opinion publique. Ainsi à Paris, rue des Francs-Bourgeois, des arrêtés d'acceptation et de refus de dérogation ont été pris pour des enseignes voisines vendant exactement le même type d'article ; mieux encore, cette rue relevant pour ses numéros impairs de la compétence de l'inspecteur du travail du III ème arrondissement, et pour ses numéros pairs de celle de l'inspecteur du travail du IV ème arrondissement, seuls les magasins des numéros impairs ont été verbalisés et sont aujourd'hui condamnés à fermer sous astreinte. Où est l'équité ? Où est la justice ? Sur l'avenue des Champs-Élysées, un arrêté de refus a été pris à l'encontre de l'enseigne Lacoste, alors que des arrêtés d'autorisation ont été pris pour les enseignes voisines, Nike et Quicksilver, l'ensemble de ces enseignes distribuant pourtant des articles de sport. Là encore, où est l'équité ? Où est la justice ? De même une enseigne de prêt-à-porter féminin, Anne Fontaine, est considérée comme « facilitant l'accueil des touristes ou leurs activités de détente ou de loisir d'ordre sportif, récréatif ou culturel » dans le Calvados, mais pas dans la zone touristique de la rue des Francs-Bourgeois à Paris : là aussi, cherchez l'équité et la lisibilité... Il est donc indispensable de se pencher sur ces sujets.
Deuxième exemple : les dérogations aux dérogations. Le code du travail prévoit que lorsqu'un accord est intervenu entre les syndicats d'employeurs et de travailleurs d'une profession et d'une région déterminées sur les conditions dans lesquelles le repos hebdomadaire est donné au personnel, le préfet du département peut, par décret, sur la demande des syndicats intéressés, ordonner la fermeture au public des établissements de la profession ou de la région pendant toute la durée du repos. Sur cette base, un accord collectif départemental a été pris dans l'Hérault le 24 novembre 2004, revenant sur la dérogation au repos dominical bénéficiant aux magasins alimentaires pour les commerces d'une surface de vente de plus de 300m². L'arrêté préfectoral reprenant cet accord, entré en vigueur en septembre 2005, aurait empêché la plupart des touristes qui fréquentent le département de se fournir en denrées essentielles à leur arrivée dans l'Hérault, les locations commençant le plus souvent le samedi. Nous avons dû intervenir auprès du préfet afin qu'un nouvel arrêté soit pris, permettant la réouverture des magasins jusqu'à 1000m² pour la saison d'été 2006.
Ceci posé, je me félicite que le Conseil économique et social ait choisi sur cette question du repos dominical une démarche en deux temps, consistant d'abord à proposer des avancées concrètes sur les problèmes bien identifiés, des remèdes aux aberrations que je viens d'évoquer, comme celui des zones touristiques ou des dérogations aux dérogations, puis engager dans les prochains mois une réflexion plus large sur la question. Comme vous, je suis convaincu que cette règle du repos dominical assortie de dérogation doit être maintenue et actualisée pour répondre à l'évolution de notre société. J'ai d'ailleurs noté l'intérêt que vous avez porté aux exemples étrangers et j'ai moi-même dit toute l'attention que je portais au modèle espagnol qui, dans certaines régions, a autorisé l'ouverture le dimanche du petit commerce et interdit le même jour l'ouverture du grand commerce. La démarche a eu pour effet positif la revitalisation du commerce de coeur de ville, qui se trouve libre de toute concurrence vis-à-vis de la grande périphérie et peut gagner des parts de marché afin de rétablir son modèle économique, plus fragile que celui de la grande distribution.
Cette réflexion mérite d'être poursuivie et vous remercie de la contribution très importante que vous allez pouvoir apporter à ce débat. Je suis convaincu que c'est par la voie de la recherche du consensus que, sur un sujet qui partage les Français, nous puissions progresser et trouver des solutions législatives. Certains se demandent à quoi bon réfléchir, compte tenu d'échéances qui sont proches dans le temps, mais lointaines sur le plan politique ? Mais n'est-ce pas l'honneur de ceux qui ont à charge l'intérêt général que de travailler pour ceux d'après ? C'est tout du moins ce que je m'efforce de faire.
Je vous remercie. » (Applaudissements)
source http://www.ces.fr, le 6 mars 2007
Tout d'abord, je voudrais saluer la qualité des travaux de la section, et de son rapporteur, Léon Salto. Vous avez su, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les conseillers, dans l'esprit de dialogue et de concertation qui caractérise le Conseil économique et social, établir un diagnostic partagé sur les transformations du commerce et de la consommation à l'oeuvre dans notre société, proposer des réponses concrètes et dégager un consensus en invitant la société française à poursuivre sa réflexion sur un certain nombre de sujets.
Comme l'a rappelé le rapporteur, avec les nouvelles formes de distribution, qu'il s'agisse du hard-discount, des magasins d'usine ou des « retails parks », avec le renouveau de la vente à distance, le commerce électronique et internet, avec l'Europe et la mondialisation, la curiosité incessante des consommateurs pour de nouveaux produits, et de nouvelles formes de distribution, le commerce change. Il change parce que ses moyens évoluent, mais aussi pour s'adapter aux attentes des consommateurs, qui elles-mêmes évoluent.
Votre projet d'avis se fonde sur une auto-saisine générale, complétée par une saisine du gouvernement sur la problématique spécifique du repos dominical et comporte trois grands chapitres : les relations commerciales, l'urbanisme commercial et le repos dominical.
Les relations commerciales sont au coeur de la vie quotidienne de nos concitoyens. Notre législation a ici pour objectif de maintenir les conditions d'une concurrence saine et loyale, mais aussi de protéger le commerce de proximité en interdisant en particulier la revente à perte, dispositif qui est l'un des piliers sur lesquels, à la différence d'autres pays, repose le système de commerce français.
Notre législation de l'urbanisme commercial, quant à elle, a pour vocation d'assurer un équilibre entre la grande distribution qui s'est développée dans la périphérie de nos villes, et le commerce de proximité qui, bien souvent, en anime le coeur. Les consommateurs sont attachés à cette forme de commerce qui a quasi complètement disparu dans certains pays réputés ultra-libéraux.
Enfin, la règle du repos dominical est, elle aussi, profondément ancrée dans notre société. Cette règle, assortie de dérogations, est la plus répandue au sein des pays de l'OCDE. Elle a une justification historique de protection de la vie familiale, car le dimanche est bien souvent l'un des seuls jours où la famille peut se réunir, mais aussi un rôle économique puisqu'elle préserve le petit commerce. On sait très bien en effet qu'un petit commerçant ne serait pas en mesure de survivre si, sept jours sur sept, il était exposé à la concurrence de formes de commerce beaucoup plus puissantes et organisées.
Sur ces trois questions, vous avez su échapper aux caricatures et à l'opposition systématique et stérile entre les ultraconservateurs, qui souhaiteraient ne rien toucher, et les ultra-libéraux, qui voudraient que la liberté s'applique sans frein, sans limite, partout. Vous avez su être pragmatiques, vous avez su avancer et je vous en félicite.
En France, en effet, nous sommes attachés à une législation sur la revente à perte, à une régulation de l'équipement commercial et à la règle du repos dominical. Le débat n'est pas de savoir s'il faut maintenir ces règles ou les supprimer : le débat a pour but de les aménager avec pragmatisme, de savoir comment les appliquer, avec quelles dérogations, quelles exceptions, quelles mises en oeuvre. Vous avez réussi à le dépassionner et à éviter les procès en conservatisme ou en ultralibéralisme qui auraient pu détourner l'attention vers de faux problèmes.
Par ailleurs, ces trois sujets appellent des formes législatives à courte échéance, quelle que soit la majorité qui sortira des urnes en juin prochain. Prenons par exemple le sujet de la réforme de la loi Galland qui régit les relations commerciales. Elle a déjà fait l'objet d'une première réforme avec la loi du 2 août 2005, que j'avais eu l'honneur de présenter au Parlement. Cette loi prévoit un assouplissement progressif du mode de calcul du seuil de revente à perte, permettant de basculer vers l'avant ce que l'on a appelé les marges arrière, qui ont, depuis 1997, capté au profit de certains opérateurs économiques une partie du pouvoir d'achat des ménages français. Ces derniers ont d'ailleurs fait le procès de l'euro à la place du procès de cette loi, qui a fait gonfler artificiellement les marges arrière. La nouvelle loi, votée en 2005, prévoit un point d'étape courant 2007 et une nouvelle évolution législative qui permettra de poursuivre l'évolution vers le triple net. Votre projet d'avis préconise d'évoluer vers plus de clarté et de transparence. C'est un souhait que je partage, votre travail se situant parfaitement dans le cadre des dispositions de la loi du 2 août 2005.
Je profite d'ailleurs de l'occasion pour vous donner en avant-première - les chiffres ne seront publiés que demain - les résultats relatifs aux prix de consommation des produits de marque, ceux sur lesquels les Français fixent de façon parfois un peu irrationnelle leur propre système d'évaluation de l'inflation. Ces produits, connus de tous, bien souvent fabriqués par des multinationales, ce sont ceux que l'on retrouve dans le panier de la ménagère. Entre 1997 et 2004, ils ont connu une inflation de l'ordre de 3 à 4 %. Depuis les accords Sarkozy, notamment, nous avons infléchi cette évolution, l'inflation atteignant encore 0,88 % en 2006. Mais depuis l'application de la nouvelle loi sur les relations commerciales, nous sommes passés en déflation, avec un rythme d'évolution des prix de 2,23 % en janvier 2007. C'est ce chiffre qui sera rendu public demain. Sur l'ensemble des produits de grande consommation, enfin, tous paniers confondus, nous sommes passés d'un rythme annuel d'inflation de 0,20 % en janvier 2006 à un rythme de déflation de 0,16 % en janvier 2007. Compte tenu du montant extrêmement important de cette catégorie de commerce - près de 1500 milliards d'euros -, une évolution de 1 ou 2 % représente plusieurs centaines de millions d'euros qui peuvent être ainsi restitués aux consommateurs français en pouvoir d'achat Mais il est vrai qu'on oublie trop souvent que le pouvoir d'achat est aussi un phénomène dépendant de l'évolution des prix.
En ce qui concerne l'urbanisme commercial, la France n'a cessé, depuis la célèbre loi Royer, de chercher la bonne solution. Cette loi, très souvent remaniée, sera à nouveau remise sur le chantier. Elle est en effet d'abord remise en cause au niveau européen, puisque la Commission, qui vient de transmettre à la France un avis motivé préalable à la saisine de la Cour de justice de la Communauté européenne, demande à la France de revoir sa législation sur l'urbanisme commercial, la jugeant non-conforme au principe de la liberté d'établissement et de la libre prestation de service. D'autre part, l'adoption il y a deux mois de la directive sur les services nous conduit à la transposer, donc à modifier la législation sur l'urbanisme commercial. Enfin, durant ces trente dernières années, on a pu constater les difficultés d'atteindre les objectifs fixés par le législateur : alors que le dispositif législatif devait assurer un meilleur équilibre entre les différentes formes de commerce, le nombre de mètres carrés autorisés chaque année a été multiplié par trois en dix ans, alors que le commerce de proximité poursuit son repli. Ce repli doit cependant être nuancé, car si certaines formes de petits commerces sont menacées, d'autres au contraire, connaissent un véritable dynamisme.
Cela étant dit, la prise en compte prioritaire du seul critère de surface de vente a conduit à la multiplication de petites et moyennes surfaces et à la constitution de zones commerciales faisant une place insuffisante à ce que l'on pourrait ranger sous le terme de développement durable : l'architecture, l'urbanisme, l'insertion dans les paysages, la concordance avec les réseaux de transports urbains, le rôle dans la cohésion sociale, l'ouverture à de nouveaux emplois, notamment les emplois accessibles à des publics qui en sont écartés. Toutes ces considérations, absentes de notre législation, doivent y être réinsérées. La France est un pays qui a su embellir le coeur de ses villes, dont bien souvent ceux qui découvrent la France sont frappés par la beauté, mais épouvantés en même temps par ces entrées de ville qui défigurent les plus belles de nos agglomérations. Et cela, qu'on peut appeler la France défigurée, n'est pas au coeur, mais à l'entrée de nos villes, bien souvent dans des zones commerciales.
Enfin, cette législation a trop souvent conduit à une opposition entre centre-ville et périphérie, alors que l'avenir du commerce est de les réconcilier. En outre, on déplore la sur-administration et la complexité de la législation, en particulier la juxtaposition de deux procédures et de deux autorisations différentes, l'une d'urbanisme commercial, avec la CDEC puis la CNEC, l'autre d'urbanisme général, avec le permis de construire. Tout cela a conduit à une procédure excessivement lourde, complexe et trop longue. On déplore aussi des incohérences d'aménagement entre le plan local d'urbanisme et les décisions qui sont prises sur le fondement de la loi sur l'urbanisme commercial. Certaines situations sont ainsi inextricables : des bâtiments se construisent avec un permis de construire, tandis que de l'autre côté, l'autorisation d'urbanisme commercial a été annulée par le juge. Comment les citoyens ne seraient-ils pas surpris par cette contradiction du droit ?
Afin de préparer, dans un esprit de consensus, le terrain à une réforme ultérieure qui ne pourra intervenir qu'après les élections présidentielles, j'ai installé le 25 octobre 2006 la Commission de modernisation de l'urbanisme commercial, qui réunit parlementaires, élus locaux, fédérations de commerces, promoteurs, aménageurs, architectes, urbanistes, sociologues, associations de défense de l'environnement et encore représentants des consommateurs, bref, des hommes et des femmes qui ont pu travailler ensemble dans un esprit constructif. J'ai mis en ligne il y a dix jours, sur le site de mon ministère, les conclusions de cette commission, et je ne doute pas que le Conseil économique et social pourra trouver là matière à réflexion.
Il s'agit d'une part de réintégrer l'urbanisme commercial dans l'urbanisme général, tant il est vrai que le commerce fait partie de la ville. Séparer le commerce de la ville est probablement une erreur : il faut donc en tirer une conclusion sur le plan juridique, une seule autorisation devant permettre de construire et d'exploiter un commerce. Il s'agit d'autre part, et c'est un élément important de développement durable, de substituer au seul critère de la surface de vente des critères d'aménagement du territoire, d'équilibre entre centre-ville et périphérie, de qualité de l'urbanisme, ou d'insertion dans le paysage, tout en réfléchissant à la contribution à l'effet de serre des bâtiments. Tous critères qui pourraient être détaillés dans un outil nouveau : le schéma de développement commercial qui, lui, pourrait être opposable aux tiers et donc aurait valeur de règlement d'urbanisme, tout en étant en accord avec les SCOT et les PLU. J'observe, là aussi, que votre projet d'avis est parfaitement cohérent avec les réflexions menées au sein de cette commission.
S'agissant enfin de l'application de la règle du repos dominical dans le secteur du commerce, force est de constater que la situation atteint aujourd'hui un degré de complexité qui confine bien souvent à l'injustice. L'addition de multiples dérogations a rendu ce dispositif de moins en moins lisible, parfois même incohérent. A cet égard, deux exemples sont particulièrement éclairants.
Le premier est celui des zones touristiques d'affluence exceptionnelle, pour reprendre les ternes de la loi. Dans ces zones, des arrêtés ont été pris dans des sens divergents pour des enseignes adjacentes aux activités très proches, le préfet concerné devant apprécier l'expression « faciliter l'accueil des touristes ou leurs activités de détente ou de loisir d'ordre sportif, récréatif ou culturel. » Tous les préfets n'en ont visiblement pas la même opinion... De nombreux contentieux ont vu le jour, qui ont porté ce sujet devant l'opinion publique. Ainsi à Paris, rue des Francs-Bourgeois, des arrêtés d'acceptation et de refus de dérogation ont été pris pour des enseignes voisines vendant exactement le même type d'article ; mieux encore, cette rue relevant pour ses numéros impairs de la compétence de l'inspecteur du travail du III ème arrondissement, et pour ses numéros pairs de celle de l'inspecteur du travail du IV ème arrondissement, seuls les magasins des numéros impairs ont été verbalisés et sont aujourd'hui condamnés à fermer sous astreinte. Où est l'équité ? Où est la justice ? Sur l'avenue des Champs-Élysées, un arrêté de refus a été pris à l'encontre de l'enseigne Lacoste, alors que des arrêtés d'autorisation ont été pris pour les enseignes voisines, Nike et Quicksilver, l'ensemble de ces enseignes distribuant pourtant des articles de sport. Là encore, où est l'équité ? Où est la justice ? De même une enseigne de prêt-à-porter féminin, Anne Fontaine, est considérée comme « facilitant l'accueil des touristes ou leurs activités de détente ou de loisir d'ordre sportif, récréatif ou culturel » dans le Calvados, mais pas dans la zone touristique de la rue des Francs-Bourgeois à Paris : là aussi, cherchez l'équité et la lisibilité... Il est donc indispensable de se pencher sur ces sujets.
Deuxième exemple : les dérogations aux dérogations. Le code du travail prévoit que lorsqu'un accord est intervenu entre les syndicats d'employeurs et de travailleurs d'une profession et d'une région déterminées sur les conditions dans lesquelles le repos hebdomadaire est donné au personnel, le préfet du département peut, par décret, sur la demande des syndicats intéressés, ordonner la fermeture au public des établissements de la profession ou de la région pendant toute la durée du repos. Sur cette base, un accord collectif départemental a été pris dans l'Hérault le 24 novembre 2004, revenant sur la dérogation au repos dominical bénéficiant aux magasins alimentaires pour les commerces d'une surface de vente de plus de 300m². L'arrêté préfectoral reprenant cet accord, entré en vigueur en septembre 2005, aurait empêché la plupart des touristes qui fréquentent le département de se fournir en denrées essentielles à leur arrivée dans l'Hérault, les locations commençant le plus souvent le samedi. Nous avons dû intervenir auprès du préfet afin qu'un nouvel arrêté soit pris, permettant la réouverture des magasins jusqu'à 1000m² pour la saison d'été 2006.
Ceci posé, je me félicite que le Conseil économique et social ait choisi sur cette question du repos dominical une démarche en deux temps, consistant d'abord à proposer des avancées concrètes sur les problèmes bien identifiés, des remèdes aux aberrations que je viens d'évoquer, comme celui des zones touristiques ou des dérogations aux dérogations, puis engager dans les prochains mois une réflexion plus large sur la question. Comme vous, je suis convaincu que cette règle du repos dominical assortie de dérogation doit être maintenue et actualisée pour répondre à l'évolution de notre société. J'ai d'ailleurs noté l'intérêt que vous avez porté aux exemples étrangers et j'ai moi-même dit toute l'attention que je portais au modèle espagnol qui, dans certaines régions, a autorisé l'ouverture le dimanche du petit commerce et interdit le même jour l'ouverture du grand commerce. La démarche a eu pour effet positif la revitalisation du commerce de coeur de ville, qui se trouve libre de toute concurrence vis-à-vis de la grande périphérie et peut gagner des parts de marché afin de rétablir son modèle économique, plus fragile que celui de la grande distribution.
Cette réflexion mérite d'être poursuivie et vous remercie de la contribution très importante que vous allez pouvoir apporter à ce débat. Je suis convaincu que c'est par la voie de la recherche du consensus que, sur un sujet qui partage les Français, nous puissions progresser et trouver des solutions législatives. Certains se demandent à quoi bon réfléchir, compte tenu d'échéances qui sont proches dans le temps, mais lointaines sur le plan politique ? Mais n'est-ce pas l'honneur de ceux qui ont à charge l'intérêt général que de travailler pour ceux d'après ? C'est tout du moins ce que je m'efforce de faire.
Je vous remercie. » (Applaudissements)
source http://www.ces.fr, le 6 mars 2007