Interview de M. Roger Karoutchi, secrétaire d'Etat chargé des relations avec le Parlement, à LCI le 11 octobre 2007, sur les polémiques autour des tests ADN dans le projet de loi sur l'immigration et la commission d'enquête parlementaire sur la libération des infirmières bulgares détenues en Libye.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- R. Karoutchi bonjour.
 
Bonjour.
 
Q.- Les députés UMP ont t-ils eu raison de se révolter contre les propos de F. Amara, secrétaire d'Etat à la Ville, qui considère « dégueulasse » l'instrumentalisation de l'immigration ?
 
R.- Ce n'est pas l'ensemble des députés UMP. Ils ont réagi - ou certains en tous cas ont réagi - un peu vivement mais la vérité, elle est simple : c'est que F. Amara, son vocabulaire, son caractère, on le savait et c'est justement là, la force de l'ouverture : c'est de la diversité. Alors je crois que chacun y mette un peu du sien, F. Amara c'est sûr, et puis l'ensemble des députés de la majorité. Mais je crois que c'est une bonne chose que cette diversité. Si tout le monde parlait de la même manière, si tout le monde disait la même chose, si tout le monde était monocolore, on ferait un parti unique au Gouvernement et ce serait ce qui s'est connu dans le passé. Mais pour autant, on ne peut pas faire ça aujourd'hui si on veut faire des réformes.
 
Q.- C'est quand même la preuve que l'ouverture a encore du mal à passer ?
 
R.- Non, c'est la preuve qu'il faut que les choses se fassent et comme lorsque vous construisez une maison, il faut que les briques s'imbriquent. Et donc progressivement, les hommes de gauche, les hommes d'ouverture, les femmes de gauche, les femmes d'ouverture, les hommes de droite, les femmes de droite, tout ce beau monde travaille ensemble, s'habitue à travailler ensemble. J'ai même vu que P. Devedjian voulait déjeuner avec F. Amara.
 
Q.- Petit déjeuner lundi. Vous n'aviez pas eu le temps de faire les présentations ? Vous, vous avez eu à...
 
R.- Moi, je n'ai pas eu à faire les présentations avec le secrétaire général du groupe. En revanche j'ai vu, moi, à plusieurs reprises F. Amara et je peux vous dire que je participerai avec elle à plusieurs réunions publiques en Ile de France.
 
Q.- Sur le fond, cette loi sur l'immigration passe en commission mixte paritaire la semaine prochaine, Sénat/Assemblée. On dit qu'un accord est proche. Quels en sont les termes ?
 
R.- En réalité, les députés et les sénateurs discutent. Alors sur le test ADN, la rédaction du Sénat qui est beaucoup plus protectrice que celle qui était issue de l'Assemblée va être probablement retenue.
 
Q.- On ne revient pas au texte du Gouvernement, sortie de première lecture ?
 
R.- Non. Je pense que ce sera le texte issu du Sénat qui sera retenu parce qu'il est beaucoup plus protecteur avec l'introduction de l'action d'un juge etc. Sur l'article 21, le fameux article 21, l'hébergement d'urgence. En réalité le texte du Sénat permettait l'hébergement d'urgence pour les sans papiers. Ce qu'il disait, c'est qu'il ne permettait pas une orientation durable d'insertion dans le logement pour les sans papiers. Alors on est en train de voir entre les députés et les sénateurs. S'il y a vraiment une incompréhension, enlever l'article et on verra plus tard comment on le réinsère dans un autre texte de loi de manière mieux rédigée peut-être qu'à la va-vite là. Mais sur le fond, je pense qu'on arrive à un accord.
 
Q.- Vous prônez le retrait de cet article 21 ?
 
R.- Je ne prône rien. Ce sont les députés et les sénateurs de la commission mixte paritaire - je rappelle que le Gouvernement n'y est pas - qui vont décider. Mais c'est vrai que s'il y a une incompréhension, il faut peutêtre le réécrire. Ceci étant, je tiens à le dire parce que j'étais avec B. Hortefeux jusqu'à 5 heures du matin au Sénat, la rédaction finale après le Sénat n'était pas une rédaction qui valait autant de réactions.
 
Q.- F. Fillon maintient le terme de "détail" pour ces tests ADN. C'est quand même beaucoup de légèreté par rapport à quelque chose d'essentiel, de symbolique.
 
R.- Sincèrement, alors là, moi je suis sorti de la réunion. Des journalistes se sont précipités sur moi en me disant : "Ah F. Fillon a dit détail". Sincèrement, je ne comprenais même pas ce qu'ils me disaient, tellement dans le discours, je veux dire le mot "détail" n'est pas interdit, le commerce de détail n'est pas interdit.
 
Q.- D'accord pour la polémique sur le mot mais détail pour les tests ADN, pour l'ADN ?
 
R.- Franchement, franchement, qui imagine, de près ou de loin, F. Fillon ayant des convictions extrêmes ou ayant des positions racistes ou ayant quoi que ce soit ! Franchement ce n'est pas convenable même de la part des journalistes de détourner le propos et le fond d'un discours. Ce n'est pas convenable.
 
Q.- Le musée de l'immigration ouvre sans inauguration officielle, en catimini. Est-ce que le Gouvernement est gêné de cette inauguration en même temps que la loi Hortefeux passe à l'Assemblée ?
 
R.- Non, je ne crois pas qu'il soit gêné. Je pense qu'il y a eu une série de difficultés. Pour être très franc, moi je n'ai pas été invité, d'autres non plus probablement.
 
Q.- C'est mal géré ?
 
R.- Non, je crois qu'il y a eu un petit peu de problème de calendrier, beaucoup plus que de problème politique de fond. Tout ça va se régler facilement. J'irai d'ailleurs le visiter. Je crois que C. Albanel y est allée. Et nous irons le visiter. Mais pour autant, il y a eu des problèmes de calendrier beaucoup plus que des problèmes politiques.
 
Q.- La commission d'enquête parlementaire s'installe aujourd'hui sur les conditions de libération des soignants bulgares détenus en Libye - c'est son appellation officielle. Alors est-ce qu'il y a matière à une commission d'enquête ou est-ce que comme d'autres, P. Ollier par exemple, vous considérez que c'est ni fait ni à faire ?
 
R.- Là, si je peux prendre une toute petite minute. J'ai un problème en tant que chargé des Relations avec le Parlement. C'est qu'aujourd'hui et depuis quelques mois, on assiste à une multiplication de demandes de commission d'enquête. On l'a eue pour les infirmières bulgares, on l'a pour EADS, on l'a pour deux ou trois autres sujets. La vérité c'est qu'évidemment, ça dessaisit les commissions permanentes des Assemblées par rapport à une commission d'enquête. Donc il y a un problème d'équilibre. On ne peut pas, lorsqu'un groupe, en l'occurrence le groupe socialiste, demande une commission d'enquête sur les infirmières bulgares, on ne peut pas dire d'office "non", sous peine de quoi l'opinion ou la presse nous dirait : ah vous avez des choses à cacher. Et en même temps, moi je ne peux pas autoriser toutes les commissions d'enquête, ou les laisser faire, parce que sinon je dessaisis de fait toutes les commissions permanentes. Et donc il faut un équilibre. Sur la commission d'enquête sur les infirmières bulgares, le président de la République, le Premier ministre, tout le Gouvernement, la majorité comme l'opposition sont d'accord. Il n'y a pas de souci.
 
Q.- Les auditions pourraient être télévisées. C'est une bonne idée ?
 
R.- Je crois que ça, ça va dépendre de la commission elle-même. Sincèrement a priori, je ne vois pas d'obstacle. Ca a été le cas pour la commission d'enquête Outreau. Ca a été le cas pour plusieurs commissions d'enquête. A priori, il n'y a pas de réserve là-dessus. C'est à la commission de décider.
 
Q.- La commission veut entendre le colonel Kadhafi qui passera sans doute à Paris dans cette période. Vous aiderez, le Gouvernement aidera à cette audition ?
 
R.- Sincèrement, je ne suis pas devin, je ne suis pas B. Kouchner. Si B. Kouchner y parvient, très bien. Je doute que le colonel Kadhafi vienne devant une commission d'enquête française. Mais enfin, bon.
 
Q.- Mais souhaitez-vous que la commission accepte l'invitation du président de la République française à aller à l'Elysée discuter avec lui de cette affaire ?
 
R.- A ma connaissance, cette invitation n'est pas lancée. Si jamais le président de la République le faisait, ce serait à lui de voir dans quelles conditions. Mais dans l'immédiat, ce n'est pas le cas. Je rappelle qu'il y a une séparation très nette des pouvoirs, en tout cas dans la Constitution actuelle, on verra si elle est réformée de ce côté-là, entre l'Elysée et le législatif. Pour le moment, le Parti socialiste, je le signale quand même, refuse même au nom de cette séparation que le président de la République vienne s'exprimer devant le Parlement. Il ne peut pas demander à ce que le président ne vienne pas s'exprimer, et en même temps, demander à ce que l'Elysée relève, si je puis dire, de la commission.
 
Q.- Alors à part le Président en France, tout citoyen est obligé de répondre aux convocations des commissions d'enquête parlementaire. Donc au nom de la loi, vous demandez à C. Sarkozy, si elle est convoquée, d'y aller ?
 
R.- Alors, monsieur Barbier, je ne doute pas de votre finesse et vous le savez parfaitement. Quand on dit en France, institutionnellement, "le président de la République" ça veut dire en réalité, vous le savez parfaitement, l'Elysée. Si, si.
 
Q.- On peut faire des thèses sur le sujet. Mais l'immunité, le privilège de juridiction, c'est le président intuitu personae.
 
R.- Nous ne faisons pas de thèse. Tout envoyé, tout acteur lié au président de la République n'a pas à répondre devant une commission d'enquête. Cela a déjà été le cas sous Mitterrand, ça a été le cas de manière précédente pour une série d'affaires. Là, le président de la République peut faire un geste mais c'est un geste volontaire. Si par exemple il dit : "mon secrétaire général C. Guéant qui a participé à ces négociations, je souhaite ou j'accepte qu'il vienne", c'est un geste volontaire. Parce que si C. Guéant ne le souhaitait pas, il ne serait pas tenu de répondre à la convocation, s'il y en avait une. Par conséquent, il y a un geste volontaire parce que je crois que le président de la République souhaite que les choses soient transparentes. C'est un très beau succès, cette affaire libyenne. On a libéré les infirmières qui étaient retenues depuis 8 ans, un médecin qui était retenu depuis 8 ans. Ecoutez franchement, très bien.
 
Q.- C. Sarkozy brille par son absence en France en ce moment. La Tribune de Genève dit ce matin : le couple est officieusement séparé. Qu'en savez-vous ?
 
R.- Rien du tout.
 
Q.- Vous êtes un proche du couple. Quand avez-vous vu Cécilia pour la dernière fois ?
 
R.- Les affaires privées relèvent de la sphère privée. Je n'ai rien à dire là-dessus.
 
Q.- La commission des finances de l'Assemblée a rejeté un dispositif du Gouvernement sur les dividendes des actions. Dispositif très compliqué mais il est jugé trop favorable aux hauts revenus. Voilà 600 millions d'euros de cadeaux fiscaux qui s'envolent en fumée. Le Gouvernement va rétablir ce dispositif ?
 
R.- Pour le moment, il y a débat. La commission des Finances, c'est son travail, a pris une décision. Nous verrons dans le débat budgétaire en Hémicycle, parce que c'est ça qui compte dans le débat, ce que l'ensemble des parlementaires souhaite. On va avoir naturellement - et les ministres concernés, C. Lagarde, E. Woerth vont faire ça dès aujourd'hui - il y aura des contacts avec l'ensemble des commissaires de la commission des Finances, avec le président de la commission, avec les groupes politiques. Et on va voir comment ça évolue. Et si ça veut dire que c'est une position définitive par rapport à l'Hémicycle, ou si ça veut dire qu'il y a matière à discussion et à amendement.
 
Q.- La réforme des institutions sera débattue par le Parlement en décembre avant un probable Congrès. Combien de députés élus à la proportionnelle souhaitez-vous, vous, pour que ça fonctionne bien exécutif/législatif ? Zéro, 20, 50, 100 ? 500 ?
 
R.- Moi je ne sais pas s'il faut de la proportionnelle.
 
Q.- Vous avez un doute ?
 
R.- J'ai un doute parce que je suis un ferme défenseur de la Vème République. Je crois qu'il faut qu'elle évolue. Je crois qu'il faut que le Parlement se modernise. Je crois qu'il faut que le rapport exécutif/législatif se modernise. Le rapport du comité Balladur évoquera la proportionnelle mais ce n'est pas dans la révision constitutionnelle. C'est une loi organique plus tard, puisque le mode de scrutin n'est pas dans la Constitution. Donc nous n'en sommes pas là. Il y a des débats entre nous sur savoir s'il faut ou pas de la proportionnelle. J'ai vu que certains en proposaient au Sénat, d'autres à l'Assemblée. Nous verrons ce que sera la synthèse.
 
Q.- D. de Villepin a saisi la DST en juillet 2004 de l'affaire Clearstream. Il dit aujourd'hui : « j'avais prévenu J. Chirac et J.-P. Raffarin ». Il va voir les juges aujourd'hui. Il leur a écrit cela. C'est une nouvelle manoeuvre de D. de Villepin ?
 
R.- Vous savez sur les affaires judiciaires, il faut être d'une prudence extrême. Non, je n'ai pas grand-chose à dire là-dessus. Je pense que D. de Villepin répond, ce qui est normal, comme tous les citoyens devant la justice. C'est la troisième convocation. On va voir ce qu'il en sort.
 
Q.- Le Congrès américain a reconnu cette nuit le génocide arménien perpétré par les Turcs en 1915. G. Bush est furieux. Et vous ?
 
R.- Moi, je ne suis pas furieux. J'ai voté cette reconnaissance au Parlement français il y a quelques années. J'avais même été l'un de ceux qui, au Sénat, avant même que l'ensemble du Parlement ne le reconnaisse, avait demandé sa reconnaissance. Je ne suis pas furieux, je pense que c'est toujours très difficile. On ne réécrit pas l'histoire, on ne refait pas l'histoire. Mais quand même, dans l'histoire c'est bien de reconnaître les malheurs.
 
Q.- R. Karoutchi, merci.  
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 11 octobre 2007