Déclaration de Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés, sur la révision de la loi d'orientation de 1975, notamment l'intégration scolaire des jeunes handicapés, le maintien à domicile et l'insertion professionnelle, Paris le 15 janvier 2001.

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Circonstance : Colloque de l'ANCE "La loi d'orientation 25 ans après"

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Votre fédération a souhaité engager la réflexion sur le bilan de la loi d'orientation et sur les perspectives qui s'ouvrent pour faire aboutir le projet d'une société plus juste, plus fraternelle et donnant à nos concitoyens handicapés, la place qu'ils revendiquent légitimement et que la loi devrait leur garantir dans les faits.
Ayant moi-même, avec mes proches collaborateurs, abordé cette réflexion, je suis très heureuse de m'exprimer sur ce sujet devant vous aujourd'hui.
J'attends beaucoup de vos travaux d'autant que la question est intervenue dans le débat parlementaire jeudi dernier, à l'occasion d'amendement sur le droit à compensation.
J'ai rappelé, notamment qu'il ne paraissait pas de bonne méthode de réviser par morceaux les deux grandes lois qui encadrent la politique nationale en faveur des personnes handicapées.
Avec la révision de la loi 1975, à la fin du mois, nous allons entrer dans une autre logique, privilégiant la personne handicapée elle-même, l'accomplissement de ces potentialités, la reconnaissance des ses compétence, acquises ou reconstruites. Ce sont en effet les handicapés eux-mêmes qui, maintenant, défendent leurs droits et définissent les instruments qui leur permettront de vivre dignement.
S'agissant de garantir le droit à compensation, l'adoption d'un amendement ne peut exonérer du devoir de mener une réflexion plus approfondie, à laquelle le Gouvernement s'est engagé, et qui nécessitera de revoir la loi d'orientation.
La solidarité profonde qui nous rassemble dans l'application des droits fondamentaux et surtout des outils pour les exercer, fait de ces journées un moment privilégié d'échanges de débats, fructueux et utiles, qui permettront à la société civile de participer à la vie démocratique de notre pays. Le calendrier s'y prête particulièrement.
Le handicap est un concept qui s'est construit progressivement
Le terme de "handicap" s'est aujourd'hui imposé avec une telle évidence dans le vocabulaire courant qu'on oublie souvent que d'autres appellations occupaient le lexique de nos représentations collectives il n' y a pas si longtemps. On parlait alors "d'infirmes", de "débiles", "d'arriérés mentaux"... , d'inaptes
L'examen attentif de la génèse de la Loi d'orientation nous retrace l'histoire des rapports essentiels et changeants de notre société à l'altérité, la façon dont elle élabore successivement les images qu'elle s'en donne et la relativité de nos représentations sociales.
C'est en explorant systématiquement l'inadaptation et les inadaptés - définis par François BLOCH-LAINE dans son rapport précurseur de 1969 comme "les enfants, adolescents et adultes qui, pour des raisons plus ou moins graves, éprouvent des difficultés plus ou moins grandes à être et à agir comme les autres", que la réflexion qui accompagne la démarche planificatrice du début des années soixante dix allait ouvrir la voie aux grandes fondations du 30 juin 1975.
Il importait alors au Législateur d'affirmer les droits des personnes handicapées et les devoirs de la société afin que ces droits passent dans la réalité. Il convenait aussi de passer d'un système d'assistance à celui d'une solidarité nationale, dans une optique résolument pragmatique.
Dans cet effort de rationalisation, il s'agissait de rassembler et de mettre en cohérence les dispositifs préexistants en les subordonnant à quelques grands principes liés à l'affirmation du statut naissant de la personne handicapée
Lorsque la loi d'orientation fut adoptée à la quasi unanimité des parlementaires, l'importance de l'évènement n'échappa à personne. Par ailleurs, ce cadre s'est avéré suffisamment souple et évolutif pour intégrer les nécessaires adaptations qui ont suivi au fil des années.
Il s'agit d'abord de la loi du 10 juillet 1987 sur l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés, qui consacre la subordination de la réadaptation à l'objectif d'intégration et substitue une obligation de résultats à une obligation de moyens.
Il s'agit ensuite de la Loi du 12 juillet 1990 relative aux discriminations liées à la maladie ou au handicap qui sanctionne juridiquement les atteintes à la citoyenneté des personnes handicapées, et de la loi du 13 juillet 1991 relative à l'accessibilité des bâtiments recevant du public qui complète la loi d'orientation sur son chapitre sans doute le plus faible
Citoyenneté et handicap
Aujourd'hui, et fortement, ce que revendiquent les personnes handicapées, c'est une véritable citoyenneté, c'est bien sûr jouir de ses droits civiques.
Etre citoyen aujourd'hui en France, c'est aussi, pour chacun d'entre nous être reconnu, pouvoir agir, en son nom et celui des autres, adhérer aux valeurs qui nous rassemblent au sein d'une société fraternelle et solidaire, au-delà de nos différences, de quelque nature qu'elles soient.
C'est pourquoi il est de notre devoir de reconnaître à chacun une égale dignité et une égale capacité de responsabilité tout à la fois individuelle - la maîtrise de sa propre vie -, et collective - la participation à la vie de la communauté et à ses choix.
Périodiquement, des faits viennent nous rappeler que la question du rapport à la différence n'a pas encore trouvé de réponse totalement satisfaisante. Le handicap et les interrogations qu'il nous pose sont encore aujourd'hui, il faut le reconnaître, des sujets d'une brûlante actualité, qu'il s'agisse de ce que certains ont appelé le droit de naître et des questions éthiques qu'il pose à la société toute entière, qu'il s'agisse de la nécessité de revoir les dispositions de l'accueil protégé afin que des drames comme celui de l'Yonne deviennent impossibles.
Quelques mots sur les interrogations de l'arrêt Perruche sur l'accueil protégé .
La place de la personne handicapée dans notre société relève, encore, d'un fragile équilibre qu'il convient de consolider en renforçant, notamment, l'apprentissage de l'altérité : connaître délivre des craintes, savoir permet de prévoir et prévoir permet d'agir en garantissant partout les démarches de qualité respectueuse de la dignité et des besoins des personnes.
Agir, en portant une attention plus forte aux besoins de la personne handicapée -à ses besoins physiques, relationnels et sociaux , à ses aspirations culturelles, affectives. Agir pour que nos actions se centrent sur son choix de vie, librement exercé, et non pour que ce choix soit dicté uniquement par l'offre de services et un cadre de valeurs éthiquement non respectueux de la dignité humaine.
Créer les conditions d'un vrai choix de vie
C'est pourquoi je souhaiterais tracer devant vous les grandes lignes de l'évolution de la politique menée dans notre pays en direction des personnes handicapées depuis les dernières décennies.
Au tournant des années 70, il importait alors au Législateur d'affirmer les droits de ces personnes, de les reconnaître dans leur citoyenneté et de prescrire les devoirs de la société afin que ces droits passent dans la réalité. Il convenait aussi de passer d'un système d'assistance à celui d'une solidarité nationale qui reconnaisse la personne dans sa dignité et son altérité.
Certes, la volonté d'intégration est clairement définie dans l'article premier de la loi d 'orientation du 30 juin 1975, mais les actions conduites par les Pouvoirs Publics ont surtout contribué, pendant de nombreuses années, au développement de la prise en charge en institutions spécialisées.
Si elles étaient tout à la fois nécessaires et demandées par les associations représentatives des personnes handicapées, si elles se révèlent encore indispensables pour ceux qui sont le plus lourdement handicapés, ces solutions n'en ont pas moins pris le pas sur celles qui auraient pu favoriser le maintien en milieu de vie ordinaire, ignorant progressivement cette aspiration légitime des personnes handicapées et de leurs familles qui expriment de plus en plus souvent ce désir, cette volonté, de garder leur parent handicapé près d'eux pour lui offrir cette affection, cette attention, qui fait la qualité d'une vie.
Aujourd'hui, après cette longue période où les organisations représentatives des personnes handicapées ont été surtout animées par les parents, les familles, les amis, nous voyons se révéler des personnes handicapées, qui ont bénéficié de cette prise ne charge, de cette éducation, qui sont instruites, formées et qui ne veulent plus qu'on parle pour eux, qui ne veulent pas de la complaisance, encore moins d'assistance. Ces nouveaux interlocuteurs revendiquent la reconnaissance de leurs droits de citoyens, c 'est à dire de ces droits qui permettent à chacun de participer aux décisions qui concernent aussi bien sa vie, sa liberté d'aller et venir, de penser, que celles qui concernent la collectivité.
Pour répondre aux attentes et aux besoins de tous, en permettant une individualisation des réponses, il faut désormais créer les conditions de ce vrai choix de vie, de l'exercice de cette responsabilité.
Je ne reprendrai pas ici l'ensemble du programme extrêmement ambitieux qui a été annoncé par le Premier Ministre le 25 janvier dernier. Celui-ci a voulu à la fois marquer le caractère interministériel de la politique qui doit être menée à leur égard, mais aussi marquer l'engagement financier majeur pris au titre de la solidarité nationale : au total 2,5 milliards seront mobilisés d'ici 2003. Jamais l'engagement collectif n'a été aussi important en direction de nos concitoyens handicapés handicapées.
Je dirai seulement à quel point le fil rouge de cette politique, le fil rouge de la considération de la personne handicapée dans son parcours d'insertion, me tient personnellement à cur :
Pour les plus jeunes, nous avons fait se multiplier les processus d'intégration scolaire, et les services d'accompagnement ;
Pour les adultes, nous sommes en marche pour faciliter leur maintien à domicile et leur autonomie ;
L'insertion par l'emploi prend un nouvel essor avec des résultats extrêmement encourageants.
Bref je suis convaincue :
Tout en augmentant et adaptant les progrès scientifiques et médicaux, les moyens institutionnels de prise en charge des handicapés lourds, des autistes, des traumatisés crâniens ;
Tout en réfléchissant à partir de l'évaluation des initiatives existantes, aux modalités à inventer pour la prise en compte du vieillissement des personnes handicapées;
Je suis convaincue, dis-je, que l'intégration des personnes handicapées, mais aussi de toutes les personnes en situation de vulnérabilité qui expriment des besoins spécifiques dans notre société, progresse et progressera rapidement.
Le projet de loi rénovant l'action sociale et médico-sociale
Par ailleurs, le projet de loi rénovant l'action sociale et médico-sociale, qui sera examiné par le Parlement dans les jours qui viennent, va permettre de concrétiser cette ligne politique :
en ouvrant le champ des missions et en assouplissant les réponses institutionnelles ;
en permettant de multiplier les passerelles entre vie institutionnelle et vie à domicile ou en milieu ordinaire ;
en suscitant l'innovation ;
en développant des perspectives entièrement nouvelles, comme celles de l'évaluation et de la qualité ;
en confirmant la nécessité d'une planification équilibrant sur le territoire l' offre d'institutions et de l'offre de services ;
enfin et peut-être surtout, en donnant une véritable place aux usagers, en garantissant leur droit à la dignité, à l'information et à la participation à la vie de l'établissement qui les accueille.
C'est ainsi d'un outil totalement rénové dont disposeront les professionnels du champ médico-social et social.
Les mesures favorisant le maintien des personnes handicapées en milieu ordinaire et leur autonomie
J'aimerais plus particulièrement insister sur le volet le plus innovant de notre politique : il s'agit des mesures récentes prises pour favoriser le maintien ou le retour à domicile des personnes qui le souhaitent en respectant et en développant ainsi leur autonomie.
Je sais combien les associations représentatives des personnes handicapées ont déjà uvré pour mettre en place des prestations répondant à cette aspiration.
Beaucoup reste à faire, mais pour la première fois, en France, l'Etat va dégager des moyens conséquents sur trois ans afin de faciliter l'accès aux aides techniques et aux aides humaines qui faciliteront la vie à domicile ainsi qu'aux adaptations des logements qui permettront la vie dans les quartier ordinaires. Cet effort représentera un coût de 430 MF sur trois ans.
L'expérimentation menée depuis 1997 sur 4 sites pilotes pour la vie autonome nous a confirmé combien il est nécessaire, pour la personne handicapée, de pouvoir disposer en un même lieu, des fonctions d'accueil, d'information, d'orientation et d'évaluation des besoins.
Je sais que dans cette salle vous êtes nombreux à partager cette expérience, cette recherche.
La préconisation, par une équipe pluridisciplinaire, d'aides techniques, d'aides humaines, d'aménagements ou d'adaptations du lieu de vie, est aussi apparue de nature à améliorer la qualité et l'adaptation, la synergie, de ces aides, tout en facilitant la mobilisation des différents financeurs.
Au regard de son efficacité et des services rendus aux personnes handicapées, le dispositif sera étendu à l'ensemble de notre territoire d'ici 2003.
Parallèlement, Martine AUBRY et moi-même avons souhaité, dès décembre 1999, qu'une réflexion soit menée sur la formalisation de la reconnaissance d'un droit à la compensation des incapacités des personnes handicapées, quels que soient leur âge et l'origine de leur handicap. Ce droit impliquera la mise en uvre de toute mesure permettant d'assurer un processus dynamique d'égalisation des chances.
Les résultats de cette réflexion m'ont été remis à la fin du mois de décembre dernier. Pour essentielle que soit l'affirmation des droits, celle-ci doit être impérativement complétée par des mesures qui permettent l'exercice effectif de ces droits par des actions positives et concrètes. C'est pourquoi, j'ai demandé à mes services une étude particulièrement attentive, des solutions concrètes à mettre en uvre. Il nous faudra dépasser la simple affirmation de droits formels telle que la représentation nationale vient de nous le proposer lors des débats à l'Assemblée Nationale, du PLMS. Il est dans nos intentions, à E. Guigou et moi-même, de mettre en chantier la révision de la Loi d'orientation de 1975, maintenant que nous avons achevé la modernisation des institutions, mais notre effort, au-delà des prises de position de principe, portera sur l'amélioration concrète de la vie de nos concitoyens handicapés.
Conclusion
J'aimerai conclure en vous faisant part de ma conviction profonde :
- Aucune société ne peut s'édifier en ignorant la valeur individuelle de chacun ;
- Aucune société ne peut se construire sur l'exclusion ;
- Aucune société ne peut se contenter d'un idéal de vie médiocre.
C'est la raison pour laquelle je souhaite que nous uvrions, tous ensemble, pour changer durablement et profondément le regard que porte notre société sur la personne handicapée afin de lui permettre de profiter de ses potentialités, de lui permettre de donner libre cours à sa créativité, d'exercer ses talents, d'épanouir sa personnalité.
(source http://www.social.gouv.fr, le 24 janvier 2001)