Texte intégral
Mesdames, messieurs,
Monsieur le Président,
Vous avez retenu pour thème de cette 5ème journée nationale pour la prévention du suicide :
Politique locale, politiques globales.
Vous affirmez, par la même, l'importance du travail de proximité, avec les élus territoriaux, au plus près de gens, pour prévenir ce fléau social et faire reculer le nombre de suicides, en France :
- Près de 200 000 tentatives par an, dont 12 000 morts.
- 95% des élus estiment que le suicide est un problème important et un quart d'entre eux pensent que ce problème est prioritaire. Tous les autres élus estiment qu'il doit être traité au même titre que les autres questions de santé publique.
Ce constat, révélé par l'enquête que vous avez menée en préparant cette journée, souligne l'action que je poursuis pour lutter contre le suicide.
Au mois de septembre 2000, j'ai réaffirmé notre objectif : diminuer de façon sensible le nombre de suicide par la mise en uvre d'un programme stratégique d'actions sur 5 ans.
Le suicide a une dimension individuelle marquée, mais il est aussi et peut-être surtout le reflet de l'échec,- échec de la relation à autrui, - échec de l'attention des autres, - échec enfin parfois de notre fonctionnement social où nous percevons la montée des processus de précarisation tant sur le plan affectif, psychologique que social.
L'étude récente de l'INSERM présentée par Marie Choquet et Xavier Pommereau vient encore de le démontrer : les idées et actes suicidaires des jeunes sont peu reconnus de l'entourage proche et le sujet reste encore tabou pour un tiers des suicidants. Et pourtant, le suicide est la seconde cause de décès en France chez les jeunes de 15 à 24 ans, c'est même la première de 25 à 34 ans.
Même si, comme vous l'écrivez fort justement le suicide des adolescents est " une insulte à l'avenir ", la mort par suicide touche aussi et plus largement encore les adultes et les personnes âgées.
Il faut donc se préoccuper de la mortalité suicidaire tout au long de la vie et rompre les solitudes.
Nous devons briser ce silence et, face à cette souffrance, avoir un engagement fort et réaffirmé.
Comme vous le savez, j'ai eu l'occasion pendant le Présidence Française de l'Union européenne de présenter les mesures que nous prenons en France pour les cinq ans qui viennent en matière de prévention des suicides.
J'ai réaffirmé notre objectif : passer sous la barre des 10 000 morts par suicides par an.
Les réalisations
1- Depuis 1998, prenant en compte la gravité de la situation, douze régions ont mis en place un programme régional de santé de prévention du suicide. La vocation de ces programmes est d'identifier rapidement après un état des lieux toutes les actions de prévention possibles, d'évaluer celles sur lesquelles on compte mais dont on ne mesure pas encore bien l'efficacité et, à partir de données épidémiologiques, de choisir les actions qui seront les plus efficaces et les plus pertinentes. Chaque région, en fonction de ses besoins propres, de ses ressources, a choisi un plan d'actions qu'elle souhaite tester. L'évaluation de ces actions développées sur le terrain est en cours et nous souhaitons en tirer des recommandations nationales.
2- A notre demande, en 1999, l'Agence Nationale d'Accréditation et d'Évaluation en Santé (ANAES) a élaboré des recommandations professionnelles sur " la prise en charge hospitalière des adolescents après une tentative de suicide " en collaboration avec la Fédération Française de Psychiatrie.
C'est à partir de ces recommandations que 60 établissements de santé sont en train d'évaluer leurs pratiques professionnelles vis-à-vis des jeunes suicidants au cours de leur hospitalisation.
3- Avec les associations, c'est l'évaluation des services de téléphonie sociale qui est engagée et nous avons élaboré un cahier de charges permettant d'améliorer la qualité de l'accueil et l'écoute des personnes en souffrance psychique.
La stratégie pour 2000-2005
A partir de cette dynamique, j'ai souhaité donner un nouvel élan à la politique de lutte contre le suicide, en mettant l'accent sur l'information, la mutualisation des expériences, sur la prévention. C'est à chacun d'entre nous, professionnel, citoyen d'une même communauté, de montrer sa disponibilité, sa solidarité à travers l'écoute et l'attention de l'autre.
Je souhaite que les actions que nous allons mettre en place et dont j'évaluerai annuellement le suivi puissent -au-delà de la prévention du suicide- apporter des réponses satisfaisantes à la souffrance qui s'exprime ainsi. Il s'agit également, comme de nombreuses associations nous l'ont demandé, de mieux accompagner les suicidants et leurs familles, pour améliorer la compréhension mutuelle et pour éviter les récidives.
Ce programme, présenté en septembre 2000 se décline selon quatre axes, que je souhaite rappeler :
- favoriser la prévention par un dépistage accru des risques suicidaires,
- mieux connaître les circonstances de suicides pour diminuer l'accès aux moyens létaux les plus souvent utilisés, réduire la facilité du passage à l'acte,
- améliorer la qualité de la prise en charge et du suivi à moyen et long terme,
- améliorer la connaissance épidémiologique.
I - Favoriser la prévention
I-1 Donner une cohérence au dispositif d'accueil et d'écoute des jeunes
Depuis trois ans, nous avons mis en place un important dispositif de points accueils jeunes (PAJ) et de points écoutes jeunes et parents (PEJ).
Les différentes évaluations de ce dispositif montrent la qualité et la pertinence de cette organisation : proximité, accueil sans conditions et travail en réseau, fédération des compétences, mutualisation des savoir-faire, appels à des pairs.
Dès cette année, je souhaite réaffirmer le rôle de ces structures et réunir dans un cadre commun l'ensemble du dispositif pour lui permettre d'être mieux articulé avec les autres dispositifs de prévention, en santé, en particulier les programmes régionaux de prévention et de soins (PRAPS), les réseaux d'écoute et d'accompagnement des parents. Je souhaite ainsi favoriser un réel travail de partenariat, au niveau local, associant les principaux partenaires concernés : l'école, les parents, l'ASE, la ville, la protection judiciaire de la jeunesse, la police , la gendarmerie, les services de la jeunesse et des sports.
Votre rencontre aujourd'hui apportera, j'en suis certain, un éclairage sur cette nécessité de coordination et de mise en réseaux des professionnels pour les jeunes suicidants.
En juillet dernier, avec Jack LANG et le Garde des Sceaux, nous avons signé une circulaire commune pour favoriser un partenariat actif entre les classes-relais (destinées aux enfants en voie de déscolarisation) et le dispositif de prise en charge pédopsychiatrique.
Il s'agit de permettre que les adultes au contact de ces enfants - qui vivent souvent des situations familiales et sociales très complexes - soient capables de dépister des comportements qui pourraient aboutir à une tentative de suicide.
En 2001 nous consacrerons 3,1MF pour la mise en oeuvre de cette mesure qui fera l'objet d'évaluation.
I-2 Former les intervenants au repérage précoce des situations de crise.
L'ANAES a organisé avec la Fédération Française de Psychiatrie une seconde conférence de consensus sur " la crise suicidaire : mieux repérer et prendre en charge "; ses recommandations sont parues en novembre dernier. Elle nous permet de disposer des recommandations pour établir un cahier des charges et former les personnes qui interviennent dans les dispositifs d'accueil. A terme, l'ensemble des intervenants, professionnels et bénévoles doivent avoir la possibilité de développer leur savoir-faire - cette formation sera progressivement étendue à tous les acteurs du champ social.
Deuxième axe : Mieux connaître les circonstances des suicides pour limiter l'accès aux moyens létaux.
Les chiffres sont parlants. En France, chaque année, 2 900 personnes se suicident par armes à feu, 1 200 meurent après un surdosage de médicaments volontaire, 450 se jettent sous un train ou un métro.
Les circonstances de ces suicides, le plus souvent impulsifs, doivent être mieux connues pour pouvoir les prévenir et les empêcher.
C'est dans cette perspective que nous avons d'ores et déjà mis en place deux études :
la première avec le ministère des transports, la SNCF et la RATP pour étudier les actions possibles limitant les suicides sur les voies
la seconde en lien avec le ministère de l'intérieur et la CNAM pour réfléchir à la possession et à la sécurisation des armes à feu.
Troisième axe : Améliorer la prise en charge
III - 1 Et tout d'abord à l'hôpital
L'hôpital joue un rôle central. L'hôpital doit prendre en charge l'aspect somatique mais aussi la souffrance psychique et ses conséquences. A la suite des recommandations de l'ANAES sur " la prise en charge hospitalière des adolescents après une première tentative " nous allons étendre les audits à l'ensemble des hôpitaux et en faire un des éléments forts de l'accréditation.
Nous poursuivrons également nos efforts pour renforcer les structures hospitalières prenant en charge les jeunes en difficulté.
Depuis 1998, une attention particulière a été portée aux actions hospitalières s'inscrivant dans le cadre de la prévention du suicide. Le bilan dont nous disposons montre que toutes les régions se sont mobilisées :
- soit en mettant à disposition du personnel pour des actions de coordination des réseaux de prévention,
- soit en renforçant les interventions psychiatriques dans un cadre préexistant (urgences, services de pédiatrie),
- soit en créant ou en renforçant des structures psychiatriques pour adolescents, notamment en hospitalisation,
- soit enfin -et je sais que cela soulève des interrogations auprès de certains d'entre vous- en créant des unités hospitalières dédiées aux suicidants.
Ainsi en 2000, chaque région aura consacré 1 à 7 MF à la lutte contre le suicide.
Enfin, dans un délai de trois ans, nous mettrons en place des unités de lits d'hospitalisation complète en psychiatrie infanto-juvénile dans les 17 départements qui en sont actuellement dépourvus. En 2001, ce sont 129 MF qui ont été prévus dans l'enveloppe hospitalière nationale pour cette action, dans le cadre d'une première tranche d'un plan triennal en faveur de la santé mentale.
III - 2 Améliorer la qualité des actions de prévention
L'élaboration d'actions de prévention est complexe et de nombreux intervenants insistent sur la nécessité de disposer d'outils (vidéo, brochures, ) validés mais le travail, quelquefois empirique, développé sur le terrain par la force et la nécessité d'agir représente un réel vivier de qualité.
Dans cette optique, le comité français d'éducation pour la santé a commencé à renforcer sa pédagothèque sur le thème du suicide et développe sa capacité de recensement, expertise et diffusion des outils de prévention. Je souhaite qu'ensuite nous soyons en mesure très vite -pouvoirs publics, professionnels et associations- de labelliser des actions d'éducation pour la santé.
De même, la réflexion sur la qualité d'accueil des services de téléphonie sociale sera poursuivie pour que rapidement des recommandations sur les pratiques validées puissent être diffusées et généralisées.
C'est dans le même souci de coordination nécessaire des actions de prévention, que le Gouvernement a décidé , lors du Conseil du Sécurité Intérieur du 30 janvier dernier, de mettre en place au niveau des inter-secteurs de psychiatrie infanto-juvénile, des coordonnateurs chargés de travailler en lien avec l'ensemble des professionnels concernés par la prise en charge des mineurs en grande difficulté.
III - 3 Les familles
Elles sont trop souvent oubliées. L'annonce d'un décès par suicide nécessite un savoir-faire qui fait souvent défaut et justifie un soutien psychologique. Or, peu d'institutions ont un protocole pour annoncer le décès, à fortiori le suicide.
Des recommandations seront établies pour l'hôpital, pour les centres de détention, mais aussi pour les associations et les bénévoles qui souvent se retrouvent en première ligne.
III - 4 Enfin nous allons favoriser l'accès à l'information sur l'offre de prise en charge sanitaire et sociale au niveau de chaque région
Une des leçons des programmes régionaux en cours est la difficulté d'accès à l'information. Les moyens existent, mais la personne en difficulté ne sait pas à qui s'adresser, comment en parler. C'est dans ce cadre que nous allons inciter chaque région à mettre en place des outils (annuaire, répertoire) sur l'organisation et les ressources existantes.
D'ores et déjà, toutes les Directions régionales des affaires sanitaires et sociales ont désigné un référent régional sur la prévention du suicide. Une première réunion entre ces référents et mes services s'est déroulée le 11 décembre. L'une de leurs missions prioritaires consistera à mettre en place des outils d'information sur les acteurs régionaux et locaux impliqués dans la prévention du suicide, à destination du public et des professionnels.
Quatrième axe : mieux connaître la situation épidémiologique.
Au-delà des chiffres habituels de mortalité, nous n'avons en définitive qu'une connaissance parcellaire de la réalité du phénomène. C'est dans ce cadre que nous avons décidé en particulier de mettre en place un pôle d'observation en continue sur la mortalité et la morbidité du suicide et des tentatives de suicide ; c'est désormais chose faite et il a commencé ses travaux avec notamment pour objectifs :
l'élaboration d'un protocole national d'harmonisation des pratiques de déclaration des décès par suicide et la diffusion de ces recommandations à l'ensemble des médecins généralistes,
de mettre en place un réseau de médecins généralistes sentinelle pour améliorer les connaissances sur les tentatives de suicide,
Vous voyez, il s'agit d'un programme ambitieux pour lequel dès cette année nous mobilisons des moyens nouveaux : les crédits affectés aux actions de prévention, de recherche et de formation sont passés de 0,85 MF en 2000 à 5, 7 MF cette année.
Voici de façon détaillée les premières réalisations de la stratégie française d'actions face au suicide. Je suis convaincue que dans ce domaine il faut une volonté politique forte, mettant en mouvement non seulement les professionnels et les institutions, mais aussi les usagers et les élus locaux.
Cette démarche de santé publique je l'ai voulue au sein du Secrétariat d'Etat à la Santé :
Elle a pour réalité outre ce programme stratégique de lutte contre le suicide :
- le plan pluriannuel de lutte contre le cancer dont je viens à Lyon d'en évaluer la première année de sa mise en oeuvre
- le plan nutrition dont j'ai dévoilé la semaine dernière le contenu
- le projet de lutte contre les démences séniles et plus particulièrement celles liées à la maladie d'Alzheimer
- le projet de réforme de l'éducation pour la santé en France qui fera l'objet d'un des chapitres de la future loi " santé ".
Tous ces programmes de santé se déclinent autour des trois champs qui seuls permettent une réelle amélioration de l'état de santé de chacun : bien évidemment il importe d'améliorer la qualité des soins prodigués lorsque l'état pathologique le nécessite. Mais le développement de la prévention, et en particulier celui de l'éducation à la santé peut amener les usagers à des changements notoires de comportement efficace.
Pour y parvenir l'un des enjeux les plus forts réside dans la coordination et les liens à tisser entre les politiques de soins et les politiques sociales et médico-sociales.
La mobilisation des acteurs au plus près du terrain, j'en suis convaincue, est un des outils de cette réussite.
Au terme de cette journée nationale de la prévention de lutte contre le suicide, je peux réaffirmer avec vous, l'enjeu pour demain que représente l'articulation d'une politique globale et des politiques locales, au pluriel.
(Source http://www.sante.gouv.fr, le 12 février 2001)