Interview de Mme Rachida Dati, ministre de la justice, à iTélé le 6 mars 2008, sur l'application de la loi sur la rétention de sûreté et sur le climat de la campagne électorale pour les élections municipales.

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Média : Itélé

Texte intégral

N. Iannetta et L. Bazin N. Iannetta : Elle est garde des Sceaux, elle est également candidate aux municipales à Paris et elle est une des ministres les plus courageuses du Gouvernement. C'est N. Sarkozy qui le dit. C'est R. Dati, notre invitée ce matin. Bonjour.
 
R.- Bonjour.
 
L. Bazin : Ca vous fait sourire. N. Iannetta : Oui c'est toujours mieux de commencer la journée avec un compliment, non ?
 
R.- Ca c'est sûr que c'est plus agréable.
 
N. Iannetta : Dans Le Figaro ce matin, une grande interview de N. Sarkozy. Il fallait passer à l'offensive pour le chef de l'Etat, à trois jours du scrutin ?
 
R.- Il a toujours été clair sur ce qu'il faisait. Donc, clairement, il rappelle ses engagements lorsqu'il était candidat à l'élection présidentielle. Il rappelle aussi les résultats qui ont été obtenus avec les réformes qui ont été engagées depuis qu'il est Président puisque les réformes qui ont été engagées depuis à peine dix mois, sont des réformes que la France attendait depuis près de trente ans.
 
N. Iannetta : Mais sur la forme, il reprend la main. C'était indispensable ? P. Devedjian l'avait demandé en début de semaine. Il avait dit : le président doit intervenir.
 
R.- Il est sur le terrain tous les jours. Regardez les résultats. Que ce soit, si je prends le dossier I. Betancourt. Ce dossier n'avait pas avancé pendant la dernière législature et dernière mandature. En quelques mois, il en avait fait un engagement de campagne, il y a eu en à peine six mois des preuves de vie d'I. Betancourt que nous n'avions plus. Sur la place de la France au sein de l'Europe, avec le traité de Lisbonne, la France reprend sa place au sein de l'Union européenne. Si vous reprenez dans tous les dossiers internationaux, la France reprend sa place sur la scène internationale. Alors, s'agissant des dossiers intérieurs, de l'emploi, on en parlera tout à l'heure. Il y a plus de 300 000 emplois salariés qui ont été créés, une baisse du chômage assez historique parce que depuis 1983, le taux de chômage n'a jamais été aussi bas. Nous sommes à moins de 8% de taux de chômage. Nous sommes à moins de 2 millions de chômeurs. 200 000 personnes ont retrouvé un emploi. C'est ça aussi les résultats. Sur la sécurité, nous sommes, depuis 2002, à une baisse de la délinquance générale de moins 12%. Nous avons 500 000...
 
L. Bazin : Là, pour le coup, vous datez à 2002 parce que N. Sarkozy était au ministère de l'Intérieur.
 
R.- Oui parce qu'il faut savoir que la délinquance avait, sur les atteintes aux personnes, plus de 40% d'augmentation. De 97 à 2002, plus 15% sur la délinquance générale. Aujourd'hui, la délinquance a baissé de moins 12 % mais les atteintes aux personnes, c'est la première fois depuis 1995 qu'elles sont en négatives.
 
L. Bazin : On voit bien qu'à trois jours du premier tour des municipales, il est urgent de défendre à nouveau le bilan. Pourquoi ne pas l'avoir fait avant, avec plus de vigueur ?
 
R.- Nous sommes un gouvernement qui est au travail. Dès que N. Sarkozy a été élu - il a été élu massivement par les Français avec un taux de participation, je le rappelle, historique - il a remis la volonté politique en France. C'est vrai que si vous regardez 2002, il y avait un électeur, un Français sur deux qui ne votait plus et dans ceux qui votaient, il y avait une grande partie pour les extrêmes. Ce n'était pas un projet de société que d'avoir J.-M. Le Pen au deuxième tour. Il est clair qu'avec un taux de participation de 85%, avec une élection à plus de 53% du président de la République, les Français ont une forte attente s'agissant des réformes pour la France.
 
N. Iannetta : Une forte attente aussi sur cette fameuse loi sur les récidivistes. Il en reparle encore ce matin, N. Sarkozy, dans Le Figaro. Et il dit : « j'irai jusqu'au bout ». Comment pouvez-vous aller plus loin que ce que vous avez proposé et la loi qui a été votée est partiellement censurée par le Conseil constitutionnel mais validée dans sa majorité ? Comment vous pouvez aller plus loin ?
 
R.- Sur les récidivistes, il y a deux choses : il y a la loi récidive, c'était les fameuses peines planchers. N. Sarkozy en avait fait son engagement de campagne, parce que sur les cinq dernières années, nous n'étions pas parvenus à faire passer...
 
N. Iannetta : Ca vous l'avez fait ?
 
R.- On l'a fait au mois d'août et d'ailleurs il le dit clairement, 4.000 décisions ont été prises en peine minimale. C'est-à-dire que 4.000 peines planchers ont été prononcées. Mais en nombre de décisions, sur le fondement de ce texte, nous sommes à près de 7.000 décisions sur le fondement de ce texte. C'est-à-dire que 4.000 sont des peines minimales directement, sans motivation. C'est-à-dire que pour des récidivistes, il y en a 4.000 qui ont été condamnés à des peines de prison ferme en peine minimale. Pour les 3.000, parce qu'il y a à peu près 7.000 décisions qui ont été prises sur le fondement de ce texte, c'est-à-dire qu'il y a des peines d'emprisonnement et il y a également des peines, c'est-à-dire il peut y avoir des peines complémentaires où on redonne une chance avec une garantie de réinsertion à la personne qui a été condamnée.
 
L. Bazin : Ces points-là, ça bloque, vous savez bien. C'est sur la peine de sûreté, c'est-à-dire la deuxième partie du dispositif.
 
R.- Il a été important de rappeler la loi, la première loi qui a été votée puisqu'on nous avait dit que ce n'était pas possible, c'était une loi d'affichage. Une loi d'affichage, elle est clairement appliquée. Et sur le nombre de récidivistes, ça a diminué. La loi a un effet répressif, la loi pénale, mais aussi dissuasif. Donc le nombre de récidivistes a diminué. Alors sur la loi de rétention de sûreté, que disait la loi initialement adoptée par le Parlement ? Nous avons souhaité pour les personnes condamnées, avant l'entrée en vigueur de la loi sur la rétention de sûreté, que ces personnes condamnées si elles sont considérées comme dangereuses à l'issue de leur peine, parce que je rappelle, vous ne pouvez pas obliger quelqu'un à se soigner. Si ces personnes sont reconnues comme dangereuses, elles ont refusé de se soigner lorsqu'elles ont été en détention. Pour celles qui ont été condamnées avant l'entrée en vigueur de la loi et celles condamnées après l'entrée en vigueur de la loi, nous avions souhaité le même régime. C'est-à-dire, elles sont encore considérées comme dangereuses.
 
N. Iannetta : C'est "non", avis du Conseil constitutionnel.
 
R.- Non c'est plus subtil que ça. Nous avions souhaité que si elles sont considérées comme dangereuses, placées directement dans un centre de soin fermé. Voilà. Vous ne vous soignez pas, vous ne sortez pas.
 
L. Bazin : Sauf que cette peine, administrative, là, ce n'est pas une peine d'ailleurs...
 
R.- C'est une mesure de sûreté.
 
L. Bazin : C'est une décision administrative et a été jugée non rétroactive par le Conseil constitutionnel.
 
R.- Non. Le Conseil constitutionnel dit : ce n'est pas une peine donc le problème de la rétroactivité ne se pose pas. C'est une mesure de sûreté, une mesure pour protéger les Français. Donc la loi serait rétroactive et d'application immédiate. Qu'est-ce qu'elle dit ? Elle précise et elle encadre quelles dispositions ? Elle dit pour les personnes qui ont été condamnées avant l'entrée en vigueur de la loi et qui sont reconnues comme dangereuses à la fin de leur peine, pour ces personnes-là, elles n'ont pas été informées du risque, de la probabilité d'être placées dans un centre de rétention, de sûreté, dans un centre de soin fermé.
 
N. Iannetta : Au moment où elles ont été jugées ?
 
R.- Au moment où elles ont été jugées. Donc pour ces personnes-là, on les place d'abord sous surveillance judiciaire, surveillance de sûreté.
 
L. Bazin : Donc, on ne peut pas les empêcher de sortir, pour parler clair ?
 
R.- Attendez ! Avec des obligations extrêmement strictes, encadrées, imposées par la loi, par la nouvelle loi : soins, pointage, interdiction de paraître dans certains endroits, s'agissant des pédophiles par exemple, aux abords des établissements scolaires. Parce que ce texte vise les tueurs en série, violeurs en série et pédophiles. Voilà le champ du texte. Donc pour ces dispositions, le Conseil constitutionnel dit : je valide le principe, je valide la rétroactivité parce que c'est une mesure de sûreté, pas une peine. Mais pour ceux qui n'ont pas été informés, on va les surveiller d'abord et s'ils violent une obligation, qu'ils ne soignent pas, qu'ils ne vont pas pointer au commissariat ou à la gendarmerie, ou s'ils paraissent dans des endroits qui leur sont interdits, alors là on les placera directement dans un centre de soin fermé. Donc il y a cet encadrement, cette surveillance pour lesquels il nous faut des garanties, des propositions. C'est ce que nous avons demandé à V. Lamanda, de nous faire des propositions pour que ces personnes ne récidivent pas. Alors on n'a pas de... c'est vrai le risque zéro n'existe pas mais nous allons mettre tous les moyens pour que les personnes les plus dangereuses ne récidivent pas. C'est un engagement du président de la République, c'est une responsabilité, c'est notre responsabilité.
 
L. Bazin : Vous auriez aimé pouvoir aller plus loin mais comme ce n'est pas possible, vous ferez dans ce qui vous a été... N. Iannetta : Dans le cadre. L. Bazin : Dans le cadre qui a été fixé par le Conseil constitutionnel, pour être clair.
 
R.- Totalement, dans le respect de la Constitution mais il est important pour nous de protéger nos concitoyens des délinquants les plus dangereux. C'est ma responsabilité en tant que garde des Sceaux de protéger les Français, mais également d'être aux côtés des magistrats pour leur donner les outils les plus adaptés pour éviter que des délinquants dangereux ressortent. Vous savez, quand vous êtes juge d'application des peines et que vous prenez des décisions, c'est une vraie responsabilité. Je dois être à leurs côtés pour leur offrir le plus grand nombre d'outils pour avoir une décision la plus applicable possible.
 
N. Iannetta : On est donc à trois jours du premier tour des municipales. F. Fillon ne ménage pas sa peine. En ce moment, il va soutenir de nombreux candidats UMP. Hier, il a employé une expression. Il a dit que la gauche faisait régner un climat de guerre civile.
 
R.- Je trouve que l'intérêt de l'engagement politique - et N. Sarkozy l'a beaucoup démontré, moi je trouve que l'engagement politique - dans un Etat de droit, de démocratie, c'est de débattre d'idées, de projets de société, quelle est notre vision de la société. Regardez la réforme de la justice, notre notion de sécurité. La définition de la sécurité. Sur l'économie, quelle est notre vision de l'économie ? Quand on voit que N. Sarkozy a sauvé Alsthom, qui est devenu un fleuron de l'industrie française.
 
N. Iannetta : Un climat de guerre civile, vous sentez un climat de guerre civile ?
 
R.- Quand on voit le contrat qui a été obtenu aux Etats-Unis grâce, justement, à ce nouveau mode de gouvernance qu'a souhaité le président de la République, il est important d'avoir un projet contre un autre projet. Moi, je déplore que le Parti socialiste n'ait qu'un seul objet, un seul objectif, c'est de pouvoir obtenir le poste de premier secrétaire du Parti socialiste. Vous n'entendez que ça, moi je n'entends que ça comme proposition.
 
L. Bazin : Mais ce n'est pas ça un climat de guerre civile. N. Iannetta : Pour autant, est-ce qu'on doit parler de guerre civile ?
 
R.- Oui mais quand des responsables politiques et non des moindres dans l'opposition, appellent à un vote sanction, appellent les Français à ne pas voter ou à ne pas soutenir la volonté de réforme de la France, moi je trouve que c'est irresponsable. Moi je trouve que quand on aime la France - on a tellement dénigré la France, je vous le disais tout à l'heure, à tel point que les Français ne votaient plus - quand on aime la France, on veut que son pays se réforme, qu'il soit de nouveau au travail.
 
L. Bazin : Donc vous ne trouvez pas que le mot est trop fort, c'était ça la question ?
 
R.- Je trouve que ce n'est pas responsable et encore moins responsable politiquement de dire, d'appeler à sanctionner notre pays. Moi je suis très surprise et très choquée que des responsables politiques appellent à sanctionner et à refuser de réformer la France. Ca fait des années qu'on demande des sacrifices aux Français sans aucune contrepartie. Là, on demande des efforts aux Français avec une vraie contrepartie. Par exemple, s'ils souhaitent travailler plus, ils gagneront plus. A chaque fois, c'est comme ça. Quand on met en place l'égalité devant la retraite, c'est pour tout le monde pareil, pour mieux qu'on réforme les régimes spéciaux, pour améliorer les petites retraites. C'est ça notre vision de la société, c'est améliorer la vie de chacun des Français.
 
L. Bazin : Un dernier mot, dans le 7ème arrondissement de Paris, on va voir en l'occurrence la liste, les nombreuses listes de ceux qui sont face à vous, pour certains peut-être à vos côtés. On dit que ça ne se passe pas très bien. J. Chirac en un autre temps a dit : « finalement, moi je suis victime du délit de faciès, du délit de sale gueule ». Est-ce qu'il vous semble que vous êtes mal acceptée, comme nous le disait F. de Panafieu il y a pas très longtemps, parce que vous faites partie de ce qu'on appelle "la diversité" en politique ?
 
R.- Je ne comprends pas votre question mais vous-même, vous ne dites pas les vrais mots. A un moment donné, il faut employer les vrais mots. Non moi je considère que ce 7ème arrondissement qui a été beaucoup caricaturé, on n'a jamais autant parlé du 7ème arrondissement que depuis que je suis tête de liste...
 
L. Bazin : C'est vrai. N. Iannetta : Et de Neuilly aussi d'ailleurs.
 
R.- Non depuis que je suis tête de liste. Mais je pense qu'on a souhaité un peu le caricaturer, c'est un arrondissement ouvert, généreux. Moi j'ai découvert beaucoup de solidarité et j'y fais campagne avec beaucoup de bonheur. Hier encore, nous avons eu une réunion publique où il y a eu plus de 200 personnes, plus de, je crois près de 300 personnes, dans une petite salle dans une école à la Motte Piquet. C'est vraiment avec beaucoup de plaisir que je mène cette campagne et je trouve, c'est ce que je disais tout à l'heure, le propre de la politique et de l'engagement politique c'est de débattre d'idées, de projets avec tout le monde, ceux qui votent pour vous, ceux qui ne votent pas pour vous. Mais c'est l'engagement et la définition de l'engagement politique.
 
L. Bazin : Et vous y trouvez du plaisir, on entend ça. Merci d'avoir été notre invitée. N. Iannetta : Merci, R. Dati.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 mars 2008