Déclaration de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, sur la situation des collectivités locales et sur les projets de réforme les concernant, à Paris le 15 janvier 2009.

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Circonstance : Audition par le Comité pour la réforme des collectivités locales présidé par M. Edouard Balladur, à Paris le 15 janvier 2009

Texte intégral

Monsieur le Premier ministre,
Messieurs les ministres,
Messieurs les députés,
Mesdames et messieurs,
Je remercie le comité pour la réforme des collectivités locales de l'organisation de cette audition.
Comme beaucoup, la situation actuelle de nos collectivités locales ne me satisfait pas et appelle une véritable réforme.
La question essentielle qui est posée à cette ambition réformatrice est : comment mieux répondre aux attentes de nos concitoyens ?
Nous avons pour cela besoin d'une nouvelle avancée démocratique, permettant de créer de nouveaux rapports avec les habitants des territoires pour favoriser leur participation active à la vie de la cité.Mais aussi de garantir la capacité des collectivités locales : juridique et financière, à agir réellement dans le sens fixé par leurs concitoyens. Cela pose la question des moyens financiers des collectivités locales, de leur rapport à l'Etat et de leur liberté d'action.
C'est pourquoi je ne prendrais pas le problème comme la lettre de mission du président de la République vous invite à le faire.
L'enchevêtrement des compétences et la prolifération des échelons de décision, tout cela peut sauter aux yeux. Ce n'est pourtant que l'apparence du problème, pas le fond de celui-ci. Et le fond du problème est bien l'incapacité de l'Etat à accepter la démocratie locale, sa volonté persistante à vouloir organiser les collectivités locales en prestataires de service, obligées de se soumettre à un champ d'interventions. L'acte II de la décentralisation, incarné par la loi du 13 août 2004, le démontre jusqu'à la caricature.
En effet, cette loi ne simplifie pas la répartition des compétences par les transferts obligatoires qu'elle a mis en oeuvre (Cf. découpage de certaines compétences en matière d'éducation TOS, écoles du secteur sanitaire et social), mais en plus, elle instaure des transferts facultatifs (exemple des aéroports) ou expérimentaux (dans 7 domaines - action éco notamment) qui complexifient encore davantage le millefeuille.
C'est ainsi qu'aujourd'hui les compétences des collectivités peuvent désormais être « conjointes (détenues par plusieurs titulaires), partagées (fractionnée entre plusieurs titulaires), parallèles (reconnues à plusieurs titulaires), ou concurrentes (revendiquées par plusieurs titulaires) ».
Aussi, la première question posée concerne moins les collectivités territoriales que l'Etat, aujourd'hui face à la nécessité de définir les contours de son intervention. On parle à nouveau d'Etat régulateur. Je m'en félicite, tant le rôle de l'Etat est selon moi de garantir l'égalité républicaine sur tout le territoire, la promotion des droits, tant son rôle est d'orienter notre développement économique vers des activités durables et de développer des services publics utiles à la population partout sur le territoire.
L'Etat a donc en préalable à s'interroger sur sa fonction et les contours de son intervention. C'est en faisant ce travail qu'il pourra simplifier ce fameux millefeuille territorial, en réorganisant, dans la concertation, la distribution des compétences qu'il a attribuées d'autorité aux régions ou aux départements.
Pour ce qui concerne les collectivités territoriales stricto sensu, la réponse aux besoins des populations, le respect des libertés locales reconnues depuis la loi de 1884 sur les communes, tout cela exige le plein respect de la libre administration des collectivités territoriales et la garantie de la clause de compétence générale de ces collectivités.
Le premier de ces principes, garanti par la constitution, signifie que seul le législateur peut limiter la liberté des collectivités locales et que celles-ci disposent d'un seuil minimal de compétences et de ressources.
Le second correspond à un principe ancien selon lequel les collectivités locales ont vocation à assurer la satisfaction des besoins collectifs des habitants. Comme le dit la loi pour les communes mais aussi les départements et les régions, « Le conseil municipal règle, par ses délibérations, les affaires de la commune ». En vertu de ce principe, les collectivités peuvent donc intervenir, dans le respect de la loi, dans toutes les matières susceptibles de les concerner ou de les intéresser. C'est ce principe qui a permis d'approfondir considérablement la démocratie locale, de développer des services nouveaux à la population, de répondre à leurs attentes et qui encore aujourd'hui peut permettre aux collectivités d'être à l'initiative de politiques locales nouvelles. Ce principe est selon moi constitutif de notre République.
La constitution et la loi reconnaissent trois niveaux de collectivités territoriales disposant donc de cette clause de compétence générale. D'autres formes de collectivités, des territoires de projet, se sont ajoutées dès le 20ème siècle à ces collectivités territoriales. C'est le cas des intercommunalités, mais aussi des pays et même des parcs naturels régionaux.
Un de ces échelons est il de trop ? La question est posée, nous le savons tous, puisque l'idée de supprimer les départements ou de les transformer en simples arrondissements des régions est avancée, comme est avancée l'idée de transformer les communes en arrondissements des intercommunalités.
Je répondrai par la négative à cette question.
Comment d'ailleurs prétendre réduire le millefeuille territorial tout en créant, avec l'idée de faire des communautés urbaines des collectivités locales de plein exercice, un quatrième niveau de collectivités territoriales et tout en rajoutant de la confusion, puisque certaines intercommunalités deviendraient des collectivités territoriales et d'autres resteraient des territoires de projet ? On voit bien que le problème n'est pas là.
Aussi, je crois nécessaire de maintenir les départements en collectivités locales de plein exercice. Le département est-il aujourd'hui inutile ? Remplit-il mal ses missions ? Je ne le pense pas. Le département est d'ailleurs tellement inutile qu'à chaque nouvelle étape de la décentralisation, les compétences transférées le sont d'abord aux départements.
Je réaffirme de la même façon notre attachement aux communes, tant les communes permettent d'établir une proximité des plus fortes entre les élus et leurs concitoyens et sont autant de lieux de démocratie. En outre, les communes ont résolu depuis longtemps, avec l'intercommunalité, les problèmes de mise en commun de projets sur le territoire adéquat !
Faut-il regrouper des régions ? J'ai entendu parler de la réduction de leur nombre de 22 à 15. Je pense que seuls nos concitoyens, par référendum local, ont compétence pour trancher cette question. Faut-il créer des collectivités spécifiques, notamment pour la Corse, l'Alsace ou l'Île de France ? Je n'y suis pas favorable. Les Corses ont déjà refusé un tel projet en 2004.
Permettez-moi un aparté sur le cas spécifique de l'Île de France. Il y a urgence, après des années de désengagement de l'Etat, de chercher les voies du développement de la région et d'un développement social et équilibré.
Ce développement, il peut et doit d'abord se construire autour de projets et de projets concertés avec les collectivités élues, de projets liés aux priorités qui sont celles des Franciliens aujourd'hui : le transport, le logement et notamment le logement social, l'emploi, et si possible à proximité de leur domicile...
Ce développement, il devra aussi se construire en se donnant les moyens de réduire les déséquilibres actuels de la région, ce qui suppose des moyens supplémentaires et une réelle volonté de mutualiser les richesses de la région entre les collectivités.
Faut-il pour porter ces projets d'intérêt commun une nouvelle structure administrative en Ile de France ? La question de la gouvernance de la région est légitimement posée. Je crois cependant qu'il revient d'abord aux collectivités territoriales de répondre à cette question. Un syndicat mixte, « Paris-métropole », vient d'être constitué. 126 communes, de nombreuses 39 intercommunalités, les 8 conseils généraux, ainsi que la région sont invitées à adhérer à ce syndicat compétent notamment pour définir des projets à dimension de la métropole et lancer une réflexion et des propositions sur l'évolution souhaitable de la gouvernance de la région.
La création de ce syndicat mixte constitue un progrès dont je me félicite. J'espère que cet engagement des collectivités franciliennes et cette phase de concertation produiront des propositions à la hauteur des enjeux. En attendant, je crois qu'il ne revient pas à l'Etat d'avancer seul sur ce dossier.
De manière générale, c'est moins en créant ou supprimant des structures administratives qu'en favorisant les coopérations des collectivités locales entre elles que l'on permettra à ces collectivités de répondre au mieux au problème de leurs concitoyens. Comment encourager les collectivités à dialoguer entre elles et à conduire des projets en commun ?
Nous pourrions je crois utilement répondre à cette question en donnant un véritable contenu à la notion de collectivité chef de file.
Il faudrait envisager cette notion de chef de file en lien avec le principe de subsidiarité, la collectivité chef de file étant évidemment celle dont l'échelon peut permettre de mettre en oeuvre le mieux possible la compétence considérée. La collectivité chef de file pourrait ainsi avoir fonction d'autorité organisatrice du travail en commun, tout cela pouvant se faire dans le respect du principe de compétence générale.Le principe de subsidiarité conforte ce principe en montrant que l'action locale peut, à chaque niveau, apporter une réelle valeur ajoutée à la population. Et si je soutiens l'idée de collectivité chef de file, c'est parce que je ne pense pas que cela puisse créer la tutelle d'une collectivité sur une autre. Au contraire, cela peut permettre de pallier l'absence de responsabilités bien identifiées qui aujourd'hui pénalisent le travail en commun entre collectivités.
Ainsi, s'il s'agit de veiller à ce que les collectivités territoriales disposent bien des moyens juridiques pour répondre aux attentes de leurs concitoyens, il faut aussi leur donner les moyens financiers. Cette question est d'autant plus problématique que beaucoup de collectivités locales sont aujourd'hui asphyxiées financièrement par les derniers transferts de compétence de 2004, non compensés par l'Etat, et par les réformes des impôts locaux et notamment de la taxe professionnelle.
Sur cette question, il y a les fausses bonnes idées, comme celle d'« un impôt par collectivité ». Une telle réforme aurait le mérite de la clarté, mais elle accroîtrait considérablement l'exposition des collectivités locales au risque de perdre les bases du seul impôt qu'elles prélèvent. Permettre aux collectivités locales de toucher différents impôts assis sur des bases différentes constitue une sécurité financière tout à fait appréciable pour les collectivités.
La réforme de la fiscalité locale est pourtant nécessaire : les impôts locaux pesant sur les ménages sont les plus injustes qui soient. Je pense qu'il faudrait décider de leur progressivité et les asseoir en partie au moins sur le revenu des ménages.
La taxe professionnelle pose d'autres problèmes. Ses réformes successives ont privé les collectivités territoriales de toute marge de manoeuvre sur cet impôt. Ses bases continuent à être extrêmement concentrées sur le territoire et défavorables notamment à l'industrie. Aussi je propose que les collectivités territoriales puissent retrouver une plus grande liberté dans la fixation des taux de la taxe professionnelle et donc que le plafonnement de la TP soit nettement relevé et que de nouveau soit portée l'idée d'entreprises responsables des territoires de leurs salariés dont le travail produit les richesses !
Je propose aussi que ses bases ne soient plus uniquement le capital physique des entreprises mais aussi leurs actifs financiers, actions et obligations, à hauteur de 0,8% de leur valeur. Le produit de cet impôt serait redistribué aux différentes collectivités et notamment aux plus pauvres, celles devant aujourd'hui fournir des services aux salariés vivant sur leur territoire mais qui ne reçoivent aujourd'hui en contrepartie qu'un faible montant de taxe professionnelle.
L'autre priorité selon moi du chantier des finances locales est celui de la péréquation, péréquation verticale de l'Etat vers les collectivités locales, mais aussi péréquation horizontale depuis les collectivités disposant des plus fortes bases fiscales vers celles disposant des bases les plus faibles. Beaucoup des dispositifs de péréquation ont été affaiblis ces dernières années, je pense par exemple au fonds de solidarité des communes de la région d'Île-de-France. Il convient de les réactiver afin de permettre à chaque commune, département, région de disposer des moyens nécessaires pour répondre aux attentes de leur population. Enfin, sur les modes d'élection.
Tout le monde convient que le mode d'élection des conseillers communautaires n'est pas satisfaisant. Je défends l'idée, comme d'autres, que ces conseillers communautaires soient élus au suffrage universel direct, comme le sont les conseillers de Paris, de Marseille et de Lyon : ce seraient les premiers candidats des listes concourant dans les mairies qui seraient automatiquement élus conseillers communautaires, à la proportionnelle, à deux tours, évidemment.
Cette avancée pose un problème, celui des communes de moins de 3500 habitants dont le mode d'élection est majoritaire. On pourrait remédier à ce problème en instaurant pour ces communes un mode de scrutin proportionnel, sans prime majoritaire, qui laisse la possibilité de constituer des listes incomplètes.
Sur le scrutin régional qui suscite un immense débat, je tiens à préciser combien je suis dubitative devant tous projets de réforme proposés dans la débat. Faire élire les conseillers régionaux dans le cadre d'un département ou d'un arrondissement, voire de cantons redécoupés, serait un coup majeur porté contre le pluralisme politique et la parité . La seule circonscription viable pour l'élection régionale, ce doit être le territoire de la région. Et le seul mode d'élection viable, ce doit être un scrutin proportionnel, à deux tours, garantissant l'expression et la représentation de toutes les sensibilités politiques.
Au-delà de la question des modes de scrutin, il me paraîtrait plus opportun de donner à la démocratie participative un statut politique, en déclinant ce principe à tous les niveaux, avec des obligations, des moyens, des espaces et des outils, et aussi de reconnaître enfin un véritable statut de l'élu afin de permettre à tous les élus locaux de remplir dans les meilleures conditions le mandat qui leur a été confié par les électeurs : trop d'élus aujourd'hui n'ont ni le temps ni les moyens de concilier leur mandat avec leur activité professionnelle. Ce n'est pas normal. C'est pourquoi je crois, pour la bonne santé de notre démocratie, d'assumer qu'elle a un coût. Cela en vaut la peine ! Et cela vaudrait donc la peine d'avancer vers un statut permettant à tous les élus d'assumer pleinement leur mandat et donc le pouvoir le concilier avec leurs charges professionnelles et familiales.
Voici les quelques remarques et propositions que je souhaitais vous soumettre, je vous remercie de votre attention.Source http://www.elunet.org, le 27 janvier 2009