Texte intégral
« C'est pour le ministre du Budget de la France un honneur et un plaisir de vous souhaiter la bienvenue à Paris et d'ouvrir les travaux de ce deuxième colloque international " Fiscalité et Développement. "
Je suis particulièrement heureux de saluer la présence de hautes personnalités étrangères et françaises, de dirigeants d'administrations fiscales et douanières, d'universitaires, de représentants d'organisations ou d'associations internationales directement concernées par les questions du développement. »
LES OBJECTIFS DE CE COLLOQUE, SON INTÉRÊT ET SES DIFFICULTÉS
« L'enjeu » des réflexions et des échanges que vous allez avoir tout au long de cette semaine sur la problématique de la réforme fiscale et douanière est clair.
Les impôts et les droits de douane qui représentent traditionnellement l'essentiel des recettes budgétaires sont sollicités sans cesse davantage en raison de la multiplication des contraintes qui pèsent sur l'équilibre financier des États. Face aux désordres économiques et monétaires du monde, les pays en voie de développement parviennent de plus en plus difficilement à réunir les ressources financières nécessaires. Ils peuvent de moins en moins tabler sur les apports extérieurs, dont les coûts s'alourdissent. Il leur faut donc davantage compter sur leurs propres forces, c'est-à-dire au plan financier largement sur leur fiscalité.
La réflexion sur les rapports complexes entre fiscalité et développement est donc d'une particulière actualité.
Je mesure cependant d'entrée de jeu la difficulté de toute synthèse en matière de réforme fiscale.
L'impôt est d'abord en effet, pour chaque État, un instrument essentiel de sa souveraineté. Toute réforme fiscal est marquée par les réalités nationales : autant de traditions historiques, autant de situations économiques et sociales, autant de projets gouvernementaux, autant de réformes fiscales A cet égard, la diversité des pays représentés par votre assemblée exclut que vous décliniez réforme fiscale au singulier.
Agir sur l'impôt ou sur les droits de douane a, au demeurant, un sens fondamentalement différent selon la nature du système fiscal : réformer à la marge un système déjà solidement établi ou poursuivre la construction d'une fiscalité encore embryonnaire ne présente pas à l'évidence les mêmes enjeux.
J'ajoute que le thème de « !a réforme fiscale » n'est lui-même pas dépourvu d'ambiguïté. Il est le plus souvent l'expression d'une exigence financière, d'une volonté économique, ou d'un effort de solidarité sociale. Mais il peut comporter aussi une part d'illusion, entretenue dans la psychologie collective par la tendance des citoyens à reporter sur les règles du jeu fiscal le jugement qu'ils tirent en réalité de l'ensemble des actions publiques. On attend ainsi parfois de l'introduction d'une fiscalité nouvelle la solution de problèmes qui lui sont totalement étrangers. Or, « la plus belle fiscalité du monde ne peut donner que ce quelle a ». D'où la fréquence des déceptions.
La difficulté de votre réflexion renforce encore son intérêt.
On sait ce qu'est, idéalement, un « bon impôt » : un prélèvement financièrement rentable, socialement équitable, économiquement incitatif et techniquement simple. Pour autant, on ignore à l'avance ce qui, dans un pays donné, constituera le meilleur chemin pour améliorer l'efficacité d'ensemble du système fiscal. Chacun peut avoir la tentation de copier un modèle. Or, l'importation «clefs en mains» d'une technique fiscale, sans analyse préalable des conditions concrètes de sa mise en oeuvre, ne peut conduire qu'à l'échec. La France, organisatrice de ce colloque, n'a pas plus qu'un autre pays de solutions toutes faites à proposer, ni en matière de droits de douanes, ni en matière d'impôt sur le revenu, ni même dans le domaine de la TVA, dont elle est pourtant en quelque sorte la fondatrice. Chaque pays constitue un cas spécifique et c'est à ses gouvernants de prendre leurs responsabilités, au vu de l'expérience acquise et de celle des autres États.
Mais l'absence de modèle n'exclut pas la recherche de dénominateurs communs. Tout système fiscal en voie d'adaptation ou de modernisation rencontre des difficultés de nature comparable. L'écart entre les niveaux de développement des États n'exclut pas un certain nombre d'identités entre les problèmes auxquels leurs administrations fiscales ou douanières sont confrontées. C'est une telle démarche, d'ordre méthodologique, que vous avez précisément retenue en plaçant la problématique de la réforme fiscale et douanière au centre de vos débats. Elle laisse présager l'intérêt des conclusions, même partielles, auxquelles vous vous efforcerez de parvenir. »
TROIS CONVERGENCES SIGNIFICATIVES, DANS LE DOMAINE DE LA RÉFORME FISCALE
« La première concerne les missions assignées à la fiscalité. La reforme fiscale, dans les pays industrialisés comme dans les pays en développement, doit souvent opérer des arbitrages délicats entre des objectifs difficilement compatibles.
Ainsi, les droits de douane ont deux finalités : ils alimentent le Trésor et ils protègent l'économie nationale. Or, ces deux objectifs sont évidemment divergents. Si le droit est modéré, les importations peuvent être importantes, et le Trésor encaisse des ressources abondantes. Mais alors, la protection risque d'être insuffisante pour assurer le développement. Si, au contraire, les gouvernants retiennent des droits élevés, on risque d'aboutir à la situation inverse ou, plus probablement, d'inciter à la contrebande, plaie de beaucoup de pays en voie de développement.
De toute façon, la problématique de la réforme douanière se trouve modifiée par l'apparition des unions douanières, un peu partout dans le monde. Pour me limiter à l'Afrique, l'UDEAC (Union douanière et économique de l'Afrique centrale), qui groupe quatre États, constitue déjà une expérience d'intégration économique et douanière assez poussée. De même, la CEAO. Nous assistons actuellement à la mise en place d'un ensemble plus vaste, la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'ouest) qui réunit la CEAO déjà nommée à des États voisins, anglophones, lusophones ou francophones. Demain, sans doute, ce sera le tour de la Communauté économique des Pays des Grands Lacs. D'autres expériences, différentes mais également intéressantes, se déroulent en Amérique latine. Ces unions économiques comportent leurs avantages et leurs contraintes. Sans elles, il n'y a pas de marché intérieur suffisant pour « porter » une industrie. La contrepartie est l'acceptation d'une discipline. L'une des directions de recherche de ce colloque pourrait consister à comparer les enseignements de vingt-quatre ans de CEE avec ceux que dégagent les premières expériences effectuées dans le Tiers Monde.
De même, s'agissant de la fiscalité interne, les mesures de « dépense fiscale », qui peuvent être nécessaires sur le plan de l'incitation économique ou de la solidarité sociale, doivent être sélectionnées et gérées avec rigueur afin de respecter la fonction et la logique financière de l'impôt. L'arbitrage est encore plus délicat à opérer dans de nombreux pays en voie de développement où les dispositifs d'incitation liés à des nécessités d'investissements (les fameux codes d'investissement) compromettent parfois gravement le potentiel fiscal du secteur moderne de l'économie. Bref, on ne peut pas faire faire tous les métiers à l'impôt et aux droits de douane. Les séances de travail de cette semaine devraient éclairer cette contrainte.
Un deuxième terrain de convergence possible dans vos réflexions concerne la relation fiscale entre l'État et les contribuables.
L'impôt n'est parfaitement accepté dans aucun pays, voilà la triste réalité. De toutes les relations entre l'État et le citoyen, la relation fiscale est sans cloute la plus sensible et donc la plus vulnérable. Il faut éviter de la brusquer, et, pire, de la casser.
Or, toute réforme fiscale renforce les tensions de nature psychosociale. Il importe à plus forte raison qu'elle fasse taire les mauvaises querelles qui enveniment souvent, en matière de contrôle fiscal notamment, la relation entre l'État et les contribuables. C'est dans ce but que, pour prendre le cas de la France, la directive a été récemment donnée aux services de cerner davantage les grands fraudeurs mais de réduire en revanche les tracasseries bien inutiles qui, sans faire substantiellement progresser le recouvrement de l'impôt, contribueraient à entretenir une défiance des contribuables vis-à-vis de l'État.
Sur un plan plus général, la règle fiscale doit être autant que possible simplifiée : pour réussir, toute réforme fiscale implique une pédagogie. Mais la simplicité fiscale - cela demanderait un long débat - ne se marie pas facilement avec la justice.
Un troisième domaine de convergence concerne la collectivité humaine que constitue toute administration fiscale ou douanière.
La réforme de l'impôt ou des droits de douanes ne porte pas seulement sur des textes. Elle implique au premier chef la collectivité chargée de la mettre en place. On ne gagne pas à aborder après coup les problèmes de qualification des agents et d'adaptation des méthodes de travail. Il faut au contraire les prendre en compte dès la phase de conception de la réforme. Dans la plupart des pays en voie de développement, le goulot d'étranglement le plus redoutable dans le processus de réforme fiscale se trouve du côté des hommes. Vos travaux devraient permettre de préciser aussi cette troisième convergence. »
LA RÉFORME FISCALE EN FRANCE
On ne comprendrait pas que, m'exprimant devant vous sur ces thèmes et appartenant à un Gouvernement qui a fait de la réforme fiscale un de ses engagements majeurs, je n'aborde pas, fût-ce brièvement, la question de la réforme fiscale en France.
Et d'abord, quels sont les objectifs de cette réforme ? Ils sont, si j'ose dire, classiques : améliorer la justice sociale, inciter au développement économique, simplifier les textes pour faciliter les relations entre l'État et les contribuables.
A l'énoncé de ces préceptes, on pourrait croire qu'un tel programme est susceptible de réunir toutes les forces politiques. L'expérience a montré que tel n'était pas le cas et depuis fort longtemps. C'est ainsi qu'en France les éléments les plus conservateurs, après avoir lutté contre le principe même d'une imposition progressive du revenu il y a plus de soixante ans, se sont ensuite opposés à toutes les formes de taxation du patrimoine. De même, pour protéger des intérêts ou des groupes particuliers, des régimes fiscaux économiquement néfastes ont été institués : la législation fiscale a notamment souvent pénalisé le secteur industriel au profit d'autres secteurs.
J'ajoute que la formidable complexité des règles fiscales n'est pas le fruit du hasard ou de l'incompétence, mais souvent de compromis visant à rallier tel groupe de pression en prévoyant de multiples exceptions aux principes généraux énoncés.
Dans ce contexte, les critiques portées au système fiscal français par les Français eux-mêmes avaient atteint au début des années 1980 un degré tel que la réforme fiscale ne pouvait qu'être une des premières priorités de la nouvelle majorité.
Comment opérer la réforme fiscale ?
En théorie, une solution immédiate et globale aurait été concevable. Elle a été expérimentée en France... en 1791. L'Assemblée Constituante avait alors supprimé d'un coup les impôts existants et particulièrement les droits indirects : il en résulta une désorganisation complète des circuits financiers de l'État. Quelque temps après, Napoléon remettait en vigueur les impôts d'avant la révolution.
Dans un cadre fort différent et beaucoup plus paisible, le Gouvernement français a choisi, deux cents ans après, une tout autre voie : celle de la réforme tranquille. Elle consiste à réaliser rapidement plusieurs modifications importantes suivies de mesures plus limitées par leur portée mais de nature à modifier progressivement la physionomie du système fiscal et donc certains des aspects les plus contestables de notre société.
Ainsi, depuis mai 1981, un certain nombre de changements notables ont été réalisés.
L'institution, pour la première fois en France, en 1982, d'un impôt sur les grandes fortunes, socialement juste, grâce à la progressivité du barème, économiquement raisonnable du fait de l'exonération de l'outil de travail et techniquement simple (le projet de loi comportait 9 articles). Cette réforme représente l'aboutissement d'un combat mené depuis soixante-cinq ans par la Gauche.
L'impôt sur le revenu a été rajeuni par l'adoption de plusieurs dispositions transférant une partie de son poids des petits contribuables vers les plus fortunés plafonnement du quotient familial, instauration d'une tranche d'impôt à 65 %, ces deux dispositions concernant 100 000 personnes environ ayant plusieurs centaines de milliers F de revenus par an. Dans le même temps, l'indexation intégrale des tranches du barème, l'instauration d'une décote pour les petits contribuables a permis d'exonérer environ 500 000 personnes et d'alléger l'impôt de plus d'un million de foyers. Par ailleurs, il sera mis un terme à la querelle qui oppose en France depuis la dernière guerre mondiale les salariés et les non-salariés : l'instauration du « salaire fiscal » supprime les éventuelles justifications de fraude de la part de ceux dont les revenus ne sont pas déclarés par des tiers.
Autre modification importante, la Tour de Babel fiscale que représentait l'inextricable impôt sur les plus-values va être mise à bas : des dizaines d'articles du Code général des impôts seront ainsi abrogés dès les prochaines semaines et une multitude de régimes complexes remplacés par un système unique et simple à l'image de ce qui existe dans beaucoup de pays.
De même, un terme devrait enfin être mis aux évolutions erratiques et anti-économiques de la taxe professionnelle : le dispositif mis en place permet d'éviter que le renouvellement des matériels et les créations d'emplois n'entraînent des augmentations brutales et imprévisibles de cotisation.
Autre domaine d'action, la TVA a fait l'objet d'une série d'adaptations : un taux super réduit de 5,5 % a été créé pour les biens de première nécessité, tandis que le taux moyen était relevé d'un point et que le taux applicable pour certains biens de luxe était majoré.
La fiscalité des entreprises a été elle aussi modifiée sur plusieurs points : une taxe sur certains frais généraux a été instituée, le régime privilégié des sociétés mères et de leurs filiales a été aménagé, la taxation des banques, des assurances et des compagnies pétrolières a été revue et la déduction fiscale à l'investissement a été réservée aux entreprises qui ne réduisent pas l'emploi.
Enfin, un train de mesures considérables a été pris pour accroître les moyens de lutte contre la fraude fiscale : suppression de l'anonymat sur les transactions d'or, mise au nominatif des titres de société, taxation renforcée des bons anonymes, nécessité de paiement par chèque pour certains achats, facturation obligatoire dans certains secteurs, déclaration des gros contrats d'assurance, dispositions contre les paradis fiscaux, mesures destinées à faciliter le recouvrement, recrutement de 5 000 agents, réorganisation des services administratifs, etc.
En dehors de ces transformations en profondeur, une série d'aménagements ont été apportés pour améliorer l'équité des prélèvements parmi lesquels l'exonération de la taxe d'habitation pour 1,5 million de contribuables, âgés ou veufs et ne payant pas d'impôt sur le revenu ; l'exonération de 800 000 personnes de la redevance radio télévision ; l'allégement de l'imposition des handicapés physiques; la transformation de la déduction du revenu pour achat d'actions, en crédit d'impôt ; le passage obligatoire à un régime réel pour l'assujettissement à la TVA des moyens et gros agriculteurs ; un allégement fiscal pour les créations d'entreprises et les jeunes agriculteurs ; la déductibilité à hauteur du SMIC du salaire du conjoint d'artisan ou de commerçant; la prise en charge par l'État du coût de là comptabilité des petits commerçants et artisans. Par ailleurs, des modifications ont été apportées aux droits de succession : le seuil d'exonération des petits héritages a été substantiellement relevé. Les allégements injustifiés en faveur des donations-partages et des transmissions de certains biens ont été réduits ou supprimés.
Au total, l'ensemble des mesures prises depuis dix-huit mois ne constituent sans doute pas la Réforme fiscale avec un grand « R », mais elles constituent certainement une réforme fiscale.
Que reste-t-il à réaliser?
Beaucoup. Par exemple, de nombreuses imperfections subsistent en matière de droits de succession.
Les conditions de fonctionnement de la taxe d'habitation sont encore loin d'être satisfaisantes.
De même, les bases dès 'impôts fonciers ont vieilli.
Enfin, dans cette liste non exhaustive, la fiscalité agricole mérite, de l'avis même des professionnels concernés, un examen global.
Au-delà de ces questions précises, la poursuite de la réforme fiscale ne pourra éluder quatre problèmes qui se posent à la France comme à beaucoup d'autres pays.
* Y a-t-il un seuil maximum de pression fiscale ?
C'est une grande question qui n'est à l'évidence pas seulement économique mais psychologique et politique. En théorie, on peut tout envisager. Mais l'expérience montre qu'à partir d'un certain taux de pression fiscale on suscite des réactions de plus en plus fortes des contribuables. Ces réactions posent des problèmes politiques, mais elles peuvent aussi revêtir un aspect économique si l'impôt, par son poids excessif, conduisait une partie de la population à moins travailler, à moins épargner ou à moins investir.
Il est difficile, voire impossible, de déterminer scientifiquement à partir de quel niveau on atteint un seuil qui provoque ces effets pervers ; il n'existe d'ailleurs probablement pas de chiffres dans l'absolu ; tout dépend du pays, de ses traditions, de son histoire fiscale et de sa situation socio-politique à un instant donné ; beaucoup dépend probablement aussi de la vitesse à laquelle a crû le poids de la pression fiscale au cours des années passées.
Mon sentiment personnel est qu'actuellement, en France, nous sommes proches de cette limite. C'est pourquoi le Président de la République a souhaité que la pression fiscale soit stabilisée ; j'espère même que la conjoncture économique permettra de desserrer suffisamment la contrainte budgétaire pour pouvoir alléger la charge fiscale dans les prochaines années. Nous ne voulons pas plus d'impôts mais des impôts mieux répartis.
* Quelle néo-fiscalité ?
C'est une deuxième question. Les recettes fiscales de l'État représentent désormais moins de la moitié du produit total des prélèvements obligatoires en France et ce phénomène tend à se généraliser dans le monde en raison de la croissance continue du coût des régimes sociaux.
Dans ces conditions, il convient de s'interroger sur le caractère équitable des cotisations sociales ou, pour les appeler autrement, de la néo-fiscalité. Il serait en effet paradoxal de chercher sans cesse à raffiner les règles fiscales si dans le même temps plus de la moitié des prélèvements obligatoires continuent d'être opérés dans des conditions très contestables sur le plan de la justice et de l'efficacité économique.
Or, il faut bien constater que les défauts dont souffre le système fiscal sont dérisoires comparés à ceux des prélèvements sociaux : faut-il rappeler que les cotisations ne sont même pas proportionnelles aux salaires ?
Une part importante des améliorations dans l'avenir devra donc porter sur le domaine des prélèvements sociaux où les inégalités de traitement entre revenus, entre catégories socioprofessionnelles, entre types d'entreprises sont considérables.
La réforme fiscale appelle une « remise à plat » de l'ensemble des prélèvements obligatoires et un examen approfondi du financement des régimes sociaux. Bref, on ne peut désormais réfléchir à la fiscalité sans examiner aussi la néo-fiscalité.
* Quelle action sur les revenus primaires ?
L'un des objectifs de la réforme fiscale en France est de réduire les inégalités excessives c'est-à-dire, notamment, l'écart entre les ressources. Pour y parvenir, ne convient-t-il pas de réfléchir d'abord sur la formation des revenus anormalement élevés plutôt que de compter sur la seule fiscalité pour corriger a posteriori ? Et à quel niveau fixer cette limite, si on ne veut pas menacer l'esprit d'initiative et d'entreprise et écraser toute hiérarchie. C'est une troisième question posée à chaque société et qu'on ne peut pas non plus éluder.
* Une réflexion sur la dépense.
Enfin, le thème de la réforme fiscale a tendance parfois à masquer le problème de la redistribution. Des études récentes ont montré le paradoxe de la situation actuelle française : ce sont souvent les couches sociales privilégiées qui bénéficient le plus des prestations sociales ou des dépenses publiques.
Or, pourquoi augmenter les prélèvements sur les très hautes ressources si les fonds ainsi reçus servent à financer des actions dont sont exclues ou dont bénéficient peu les couches sociales les plus modestes ?
Ces questions sont fort complexes à résoudre. Et pourtant, elles sont incontournables. Nous ne devons pas hésiter à faire preuve d'ambition en matière de réforme fiscale mais nous devons aussi en connaître les limites : la réticence à l'impôt, le besoin d'une stabilité des règles du jeu pour que l'activité économique se développe, enfin le fait qu'il serait absurde de perfectionner à l'extrême l'impôt si le prélèvement social ou les dépenses publiques restaient assez largement anti-redistributives et anti-économiques.
Ces quelques réflexions sur les préoccupations des pays engagés sur la voie de la réforme fiscale, et notamment la France, me conduisent, pour terminer, à insister sur la nécessité du dialogue sur le développement, notamment au plan de la coopération financière. La solidarité active entre nos pays est indispensable. Elle passe par des relations à la fois plus diversifiées et plus équilibrées. La France, dans le domaine fiscal et douanier en particulier, est très attachée à ce dialogue.
Elle entend le mener sans cesse plus activement en matière de formation, et de conseil technique.
Le dialogue sur les relations entre fiscalité et développement est également appelé à se prolonger sous des formes institutionnelles et multilatérales. Ainsi, 1982 aura vu tout à la fois se développer la coopération avec le centre inter-américain des administrateurs fiscaux (CIAT) et se renforcer les liens entre les administrations fiscales des pays francophones avec la création du Centre de rencontre et d'études des administrations fiscales des pays francophones (CREDAF).
Tels sont, dans le domaine de la réforme fiscale et douanière, quelques-uns des acquis. Telles sont nos difficultés. Tels sont aussi nos espoirs. Le champ de réflexion, de dialogue et d'action est immense, à la mesure de l'évolution de nos sociétés et de l'histoire de ces idéaux, éternellement jeunes et inassouvis, que sont la justice et le progrès. Je formule le souhait que chaque pays à sa façon trouve les voies d'une fiscalité mieux adaptée, qui favorise le développement individuel et collectif de ses habitants. Je remercie chaleureusement chacun des participants d'avoir bien voulu s'associer à l'effort commun de recherche et je déclare ouvert le deuxième colloque international a Fiscalité et développement ».
Je suis particulièrement heureux de saluer la présence de hautes personnalités étrangères et françaises, de dirigeants d'administrations fiscales et douanières, d'universitaires, de représentants d'organisations ou d'associations internationales directement concernées par les questions du développement. »
LES OBJECTIFS DE CE COLLOQUE, SON INTÉRÊT ET SES DIFFICULTÉS
« L'enjeu » des réflexions et des échanges que vous allez avoir tout au long de cette semaine sur la problématique de la réforme fiscale et douanière est clair.
Les impôts et les droits de douane qui représentent traditionnellement l'essentiel des recettes budgétaires sont sollicités sans cesse davantage en raison de la multiplication des contraintes qui pèsent sur l'équilibre financier des États. Face aux désordres économiques et monétaires du monde, les pays en voie de développement parviennent de plus en plus difficilement à réunir les ressources financières nécessaires. Ils peuvent de moins en moins tabler sur les apports extérieurs, dont les coûts s'alourdissent. Il leur faut donc davantage compter sur leurs propres forces, c'est-à-dire au plan financier largement sur leur fiscalité.
La réflexion sur les rapports complexes entre fiscalité et développement est donc d'une particulière actualité.
Je mesure cependant d'entrée de jeu la difficulté de toute synthèse en matière de réforme fiscale.
L'impôt est d'abord en effet, pour chaque État, un instrument essentiel de sa souveraineté. Toute réforme fiscal est marquée par les réalités nationales : autant de traditions historiques, autant de situations économiques et sociales, autant de projets gouvernementaux, autant de réformes fiscales A cet égard, la diversité des pays représentés par votre assemblée exclut que vous décliniez réforme fiscale au singulier.
Agir sur l'impôt ou sur les droits de douane a, au demeurant, un sens fondamentalement différent selon la nature du système fiscal : réformer à la marge un système déjà solidement établi ou poursuivre la construction d'une fiscalité encore embryonnaire ne présente pas à l'évidence les mêmes enjeux.
J'ajoute que le thème de « !a réforme fiscale » n'est lui-même pas dépourvu d'ambiguïté. Il est le plus souvent l'expression d'une exigence financière, d'une volonté économique, ou d'un effort de solidarité sociale. Mais il peut comporter aussi une part d'illusion, entretenue dans la psychologie collective par la tendance des citoyens à reporter sur les règles du jeu fiscal le jugement qu'ils tirent en réalité de l'ensemble des actions publiques. On attend ainsi parfois de l'introduction d'une fiscalité nouvelle la solution de problèmes qui lui sont totalement étrangers. Or, « la plus belle fiscalité du monde ne peut donner que ce quelle a ». D'où la fréquence des déceptions.
La difficulté de votre réflexion renforce encore son intérêt.
On sait ce qu'est, idéalement, un « bon impôt » : un prélèvement financièrement rentable, socialement équitable, économiquement incitatif et techniquement simple. Pour autant, on ignore à l'avance ce qui, dans un pays donné, constituera le meilleur chemin pour améliorer l'efficacité d'ensemble du système fiscal. Chacun peut avoir la tentation de copier un modèle. Or, l'importation «clefs en mains» d'une technique fiscale, sans analyse préalable des conditions concrètes de sa mise en oeuvre, ne peut conduire qu'à l'échec. La France, organisatrice de ce colloque, n'a pas plus qu'un autre pays de solutions toutes faites à proposer, ni en matière de droits de douanes, ni en matière d'impôt sur le revenu, ni même dans le domaine de la TVA, dont elle est pourtant en quelque sorte la fondatrice. Chaque pays constitue un cas spécifique et c'est à ses gouvernants de prendre leurs responsabilités, au vu de l'expérience acquise et de celle des autres États.
Mais l'absence de modèle n'exclut pas la recherche de dénominateurs communs. Tout système fiscal en voie d'adaptation ou de modernisation rencontre des difficultés de nature comparable. L'écart entre les niveaux de développement des États n'exclut pas un certain nombre d'identités entre les problèmes auxquels leurs administrations fiscales ou douanières sont confrontées. C'est une telle démarche, d'ordre méthodologique, que vous avez précisément retenue en plaçant la problématique de la réforme fiscale et douanière au centre de vos débats. Elle laisse présager l'intérêt des conclusions, même partielles, auxquelles vous vous efforcerez de parvenir. »
TROIS CONVERGENCES SIGNIFICATIVES, DANS LE DOMAINE DE LA RÉFORME FISCALE
« La première concerne les missions assignées à la fiscalité. La reforme fiscale, dans les pays industrialisés comme dans les pays en développement, doit souvent opérer des arbitrages délicats entre des objectifs difficilement compatibles.
Ainsi, les droits de douane ont deux finalités : ils alimentent le Trésor et ils protègent l'économie nationale. Or, ces deux objectifs sont évidemment divergents. Si le droit est modéré, les importations peuvent être importantes, et le Trésor encaisse des ressources abondantes. Mais alors, la protection risque d'être insuffisante pour assurer le développement. Si, au contraire, les gouvernants retiennent des droits élevés, on risque d'aboutir à la situation inverse ou, plus probablement, d'inciter à la contrebande, plaie de beaucoup de pays en voie de développement.
De toute façon, la problématique de la réforme douanière se trouve modifiée par l'apparition des unions douanières, un peu partout dans le monde. Pour me limiter à l'Afrique, l'UDEAC (Union douanière et économique de l'Afrique centrale), qui groupe quatre États, constitue déjà une expérience d'intégration économique et douanière assez poussée. De même, la CEAO. Nous assistons actuellement à la mise en place d'un ensemble plus vaste, la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'ouest) qui réunit la CEAO déjà nommée à des États voisins, anglophones, lusophones ou francophones. Demain, sans doute, ce sera le tour de la Communauté économique des Pays des Grands Lacs. D'autres expériences, différentes mais également intéressantes, se déroulent en Amérique latine. Ces unions économiques comportent leurs avantages et leurs contraintes. Sans elles, il n'y a pas de marché intérieur suffisant pour « porter » une industrie. La contrepartie est l'acceptation d'une discipline. L'une des directions de recherche de ce colloque pourrait consister à comparer les enseignements de vingt-quatre ans de CEE avec ceux que dégagent les premières expériences effectuées dans le Tiers Monde.
De même, s'agissant de la fiscalité interne, les mesures de « dépense fiscale », qui peuvent être nécessaires sur le plan de l'incitation économique ou de la solidarité sociale, doivent être sélectionnées et gérées avec rigueur afin de respecter la fonction et la logique financière de l'impôt. L'arbitrage est encore plus délicat à opérer dans de nombreux pays en voie de développement où les dispositifs d'incitation liés à des nécessités d'investissements (les fameux codes d'investissement) compromettent parfois gravement le potentiel fiscal du secteur moderne de l'économie. Bref, on ne peut pas faire faire tous les métiers à l'impôt et aux droits de douane. Les séances de travail de cette semaine devraient éclairer cette contrainte.
Un deuxième terrain de convergence possible dans vos réflexions concerne la relation fiscale entre l'État et les contribuables.
L'impôt n'est parfaitement accepté dans aucun pays, voilà la triste réalité. De toutes les relations entre l'État et le citoyen, la relation fiscale est sans cloute la plus sensible et donc la plus vulnérable. Il faut éviter de la brusquer, et, pire, de la casser.
Or, toute réforme fiscale renforce les tensions de nature psychosociale. Il importe à plus forte raison qu'elle fasse taire les mauvaises querelles qui enveniment souvent, en matière de contrôle fiscal notamment, la relation entre l'État et les contribuables. C'est dans ce but que, pour prendre le cas de la France, la directive a été récemment donnée aux services de cerner davantage les grands fraudeurs mais de réduire en revanche les tracasseries bien inutiles qui, sans faire substantiellement progresser le recouvrement de l'impôt, contribueraient à entretenir une défiance des contribuables vis-à-vis de l'État.
Sur un plan plus général, la règle fiscale doit être autant que possible simplifiée : pour réussir, toute réforme fiscale implique une pédagogie. Mais la simplicité fiscale - cela demanderait un long débat - ne se marie pas facilement avec la justice.
Un troisième domaine de convergence concerne la collectivité humaine que constitue toute administration fiscale ou douanière.
La réforme de l'impôt ou des droits de douanes ne porte pas seulement sur des textes. Elle implique au premier chef la collectivité chargée de la mettre en place. On ne gagne pas à aborder après coup les problèmes de qualification des agents et d'adaptation des méthodes de travail. Il faut au contraire les prendre en compte dès la phase de conception de la réforme. Dans la plupart des pays en voie de développement, le goulot d'étranglement le plus redoutable dans le processus de réforme fiscale se trouve du côté des hommes. Vos travaux devraient permettre de préciser aussi cette troisième convergence. »
LA RÉFORME FISCALE EN FRANCE
On ne comprendrait pas que, m'exprimant devant vous sur ces thèmes et appartenant à un Gouvernement qui a fait de la réforme fiscale un de ses engagements majeurs, je n'aborde pas, fût-ce brièvement, la question de la réforme fiscale en France.
Et d'abord, quels sont les objectifs de cette réforme ? Ils sont, si j'ose dire, classiques : améliorer la justice sociale, inciter au développement économique, simplifier les textes pour faciliter les relations entre l'État et les contribuables.
A l'énoncé de ces préceptes, on pourrait croire qu'un tel programme est susceptible de réunir toutes les forces politiques. L'expérience a montré que tel n'était pas le cas et depuis fort longtemps. C'est ainsi qu'en France les éléments les plus conservateurs, après avoir lutté contre le principe même d'une imposition progressive du revenu il y a plus de soixante ans, se sont ensuite opposés à toutes les formes de taxation du patrimoine. De même, pour protéger des intérêts ou des groupes particuliers, des régimes fiscaux économiquement néfastes ont été institués : la législation fiscale a notamment souvent pénalisé le secteur industriel au profit d'autres secteurs.
J'ajoute que la formidable complexité des règles fiscales n'est pas le fruit du hasard ou de l'incompétence, mais souvent de compromis visant à rallier tel groupe de pression en prévoyant de multiples exceptions aux principes généraux énoncés.
Dans ce contexte, les critiques portées au système fiscal français par les Français eux-mêmes avaient atteint au début des années 1980 un degré tel que la réforme fiscale ne pouvait qu'être une des premières priorités de la nouvelle majorité.
Comment opérer la réforme fiscale ?
En théorie, une solution immédiate et globale aurait été concevable. Elle a été expérimentée en France... en 1791. L'Assemblée Constituante avait alors supprimé d'un coup les impôts existants et particulièrement les droits indirects : il en résulta une désorganisation complète des circuits financiers de l'État. Quelque temps après, Napoléon remettait en vigueur les impôts d'avant la révolution.
Dans un cadre fort différent et beaucoup plus paisible, le Gouvernement français a choisi, deux cents ans après, une tout autre voie : celle de la réforme tranquille. Elle consiste à réaliser rapidement plusieurs modifications importantes suivies de mesures plus limitées par leur portée mais de nature à modifier progressivement la physionomie du système fiscal et donc certains des aspects les plus contestables de notre société.
Ainsi, depuis mai 1981, un certain nombre de changements notables ont été réalisés.
L'institution, pour la première fois en France, en 1982, d'un impôt sur les grandes fortunes, socialement juste, grâce à la progressivité du barème, économiquement raisonnable du fait de l'exonération de l'outil de travail et techniquement simple (le projet de loi comportait 9 articles). Cette réforme représente l'aboutissement d'un combat mené depuis soixante-cinq ans par la Gauche.
L'impôt sur le revenu a été rajeuni par l'adoption de plusieurs dispositions transférant une partie de son poids des petits contribuables vers les plus fortunés plafonnement du quotient familial, instauration d'une tranche d'impôt à 65 %, ces deux dispositions concernant 100 000 personnes environ ayant plusieurs centaines de milliers F de revenus par an. Dans le même temps, l'indexation intégrale des tranches du barème, l'instauration d'une décote pour les petits contribuables a permis d'exonérer environ 500 000 personnes et d'alléger l'impôt de plus d'un million de foyers. Par ailleurs, il sera mis un terme à la querelle qui oppose en France depuis la dernière guerre mondiale les salariés et les non-salariés : l'instauration du « salaire fiscal » supprime les éventuelles justifications de fraude de la part de ceux dont les revenus ne sont pas déclarés par des tiers.
Autre modification importante, la Tour de Babel fiscale que représentait l'inextricable impôt sur les plus-values va être mise à bas : des dizaines d'articles du Code général des impôts seront ainsi abrogés dès les prochaines semaines et une multitude de régimes complexes remplacés par un système unique et simple à l'image de ce qui existe dans beaucoup de pays.
De même, un terme devrait enfin être mis aux évolutions erratiques et anti-économiques de la taxe professionnelle : le dispositif mis en place permet d'éviter que le renouvellement des matériels et les créations d'emplois n'entraînent des augmentations brutales et imprévisibles de cotisation.
Autre domaine d'action, la TVA a fait l'objet d'une série d'adaptations : un taux super réduit de 5,5 % a été créé pour les biens de première nécessité, tandis que le taux moyen était relevé d'un point et que le taux applicable pour certains biens de luxe était majoré.
La fiscalité des entreprises a été elle aussi modifiée sur plusieurs points : une taxe sur certains frais généraux a été instituée, le régime privilégié des sociétés mères et de leurs filiales a été aménagé, la taxation des banques, des assurances et des compagnies pétrolières a été revue et la déduction fiscale à l'investissement a été réservée aux entreprises qui ne réduisent pas l'emploi.
Enfin, un train de mesures considérables a été pris pour accroître les moyens de lutte contre la fraude fiscale : suppression de l'anonymat sur les transactions d'or, mise au nominatif des titres de société, taxation renforcée des bons anonymes, nécessité de paiement par chèque pour certains achats, facturation obligatoire dans certains secteurs, déclaration des gros contrats d'assurance, dispositions contre les paradis fiscaux, mesures destinées à faciliter le recouvrement, recrutement de 5 000 agents, réorganisation des services administratifs, etc.
En dehors de ces transformations en profondeur, une série d'aménagements ont été apportés pour améliorer l'équité des prélèvements parmi lesquels l'exonération de la taxe d'habitation pour 1,5 million de contribuables, âgés ou veufs et ne payant pas d'impôt sur le revenu ; l'exonération de 800 000 personnes de la redevance radio télévision ; l'allégement de l'imposition des handicapés physiques; la transformation de la déduction du revenu pour achat d'actions, en crédit d'impôt ; le passage obligatoire à un régime réel pour l'assujettissement à la TVA des moyens et gros agriculteurs ; un allégement fiscal pour les créations d'entreprises et les jeunes agriculteurs ; la déductibilité à hauteur du SMIC du salaire du conjoint d'artisan ou de commerçant; la prise en charge par l'État du coût de là comptabilité des petits commerçants et artisans. Par ailleurs, des modifications ont été apportées aux droits de succession : le seuil d'exonération des petits héritages a été substantiellement relevé. Les allégements injustifiés en faveur des donations-partages et des transmissions de certains biens ont été réduits ou supprimés.
Au total, l'ensemble des mesures prises depuis dix-huit mois ne constituent sans doute pas la Réforme fiscale avec un grand « R », mais elles constituent certainement une réforme fiscale.
Que reste-t-il à réaliser?
Beaucoup. Par exemple, de nombreuses imperfections subsistent en matière de droits de succession.
Les conditions de fonctionnement de la taxe d'habitation sont encore loin d'être satisfaisantes.
De même, les bases dès 'impôts fonciers ont vieilli.
Enfin, dans cette liste non exhaustive, la fiscalité agricole mérite, de l'avis même des professionnels concernés, un examen global.
Au-delà de ces questions précises, la poursuite de la réforme fiscale ne pourra éluder quatre problèmes qui se posent à la France comme à beaucoup d'autres pays.
* Y a-t-il un seuil maximum de pression fiscale ?
C'est une grande question qui n'est à l'évidence pas seulement économique mais psychologique et politique. En théorie, on peut tout envisager. Mais l'expérience montre qu'à partir d'un certain taux de pression fiscale on suscite des réactions de plus en plus fortes des contribuables. Ces réactions posent des problèmes politiques, mais elles peuvent aussi revêtir un aspect économique si l'impôt, par son poids excessif, conduisait une partie de la population à moins travailler, à moins épargner ou à moins investir.
Il est difficile, voire impossible, de déterminer scientifiquement à partir de quel niveau on atteint un seuil qui provoque ces effets pervers ; il n'existe d'ailleurs probablement pas de chiffres dans l'absolu ; tout dépend du pays, de ses traditions, de son histoire fiscale et de sa situation socio-politique à un instant donné ; beaucoup dépend probablement aussi de la vitesse à laquelle a crû le poids de la pression fiscale au cours des années passées.
Mon sentiment personnel est qu'actuellement, en France, nous sommes proches de cette limite. C'est pourquoi le Président de la République a souhaité que la pression fiscale soit stabilisée ; j'espère même que la conjoncture économique permettra de desserrer suffisamment la contrainte budgétaire pour pouvoir alléger la charge fiscale dans les prochaines années. Nous ne voulons pas plus d'impôts mais des impôts mieux répartis.
* Quelle néo-fiscalité ?
C'est une deuxième question. Les recettes fiscales de l'État représentent désormais moins de la moitié du produit total des prélèvements obligatoires en France et ce phénomène tend à se généraliser dans le monde en raison de la croissance continue du coût des régimes sociaux.
Dans ces conditions, il convient de s'interroger sur le caractère équitable des cotisations sociales ou, pour les appeler autrement, de la néo-fiscalité. Il serait en effet paradoxal de chercher sans cesse à raffiner les règles fiscales si dans le même temps plus de la moitié des prélèvements obligatoires continuent d'être opérés dans des conditions très contestables sur le plan de la justice et de l'efficacité économique.
Or, il faut bien constater que les défauts dont souffre le système fiscal sont dérisoires comparés à ceux des prélèvements sociaux : faut-il rappeler que les cotisations ne sont même pas proportionnelles aux salaires ?
Une part importante des améliorations dans l'avenir devra donc porter sur le domaine des prélèvements sociaux où les inégalités de traitement entre revenus, entre catégories socioprofessionnelles, entre types d'entreprises sont considérables.
La réforme fiscale appelle une « remise à plat » de l'ensemble des prélèvements obligatoires et un examen approfondi du financement des régimes sociaux. Bref, on ne peut désormais réfléchir à la fiscalité sans examiner aussi la néo-fiscalité.
* Quelle action sur les revenus primaires ?
L'un des objectifs de la réforme fiscale en France est de réduire les inégalités excessives c'est-à-dire, notamment, l'écart entre les ressources. Pour y parvenir, ne convient-t-il pas de réfléchir d'abord sur la formation des revenus anormalement élevés plutôt que de compter sur la seule fiscalité pour corriger a posteriori ? Et à quel niveau fixer cette limite, si on ne veut pas menacer l'esprit d'initiative et d'entreprise et écraser toute hiérarchie. C'est une troisième question posée à chaque société et qu'on ne peut pas non plus éluder.
* Une réflexion sur la dépense.
Enfin, le thème de la réforme fiscale a tendance parfois à masquer le problème de la redistribution. Des études récentes ont montré le paradoxe de la situation actuelle française : ce sont souvent les couches sociales privilégiées qui bénéficient le plus des prestations sociales ou des dépenses publiques.
Or, pourquoi augmenter les prélèvements sur les très hautes ressources si les fonds ainsi reçus servent à financer des actions dont sont exclues ou dont bénéficient peu les couches sociales les plus modestes ?
Ces questions sont fort complexes à résoudre. Et pourtant, elles sont incontournables. Nous ne devons pas hésiter à faire preuve d'ambition en matière de réforme fiscale mais nous devons aussi en connaître les limites : la réticence à l'impôt, le besoin d'une stabilité des règles du jeu pour que l'activité économique se développe, enfin le fait qu'il serait absurde de perfectionner à l'extrême l'impôt si le prélèvement social ou les dépenses publiques restaient assez largement anti-redistributives et anti-économiques.
Ces quelques réflexions sur les préoccupations des pays engagés sur la voie de la réforme fiscale, et notamment la France, me conduisent, pour terminer, à insister sur la nécessité du dialogue sur le développement, notamment au plan de la coopération financière. La solidarité active entre nos pays est indispensable. Elle passe par des relations à la fois plus diversifiées et plus équilibrées. La France, dans le domaine fiscal et douanier en particulier, est très attachée à ce dialogue.
Elle entend le mener sans cesse plus activement en matière de formation, et de conseil technique.
Le dialogue sur les relations entre fiscalité et développement est également appelé à se prolonger sous des formes institutionnelles et multilatérales. Ainsi, 1982 aura vu tout à la fois se développer la coopération avec le centre inter-américain des administrateurs fiscaux (CIAT) et se renforcer les liens entre les administrations fiscales des pays francophones avec la création du Centre de rencontre et d'études des administrations fiscales des pays francophones (CREDAF).
Tels sont, dans le domaine de la réforme fiscale et douanière, quelques-uns des acquis. Telles sont nos difficultés. Tels sont aussi nos espoirs. Le champ de réflexion, de dialogue et d'action est immense, à la mesure de l'évolution de nos sociétés et de l'histoire de ces idéaux, éternellement jeunes et inassouvis, que sont la justice et le progrès. Je formule le souhait que chaque pays à sa façon trouve les voies d'une fiscalité mieux adaptée, qui favorise le développement individuel et collectif de ses habitants. Je remercie chaleureusement chacun des participants d'avoir bien voulu s'associer à l'effort commun de recherche et je déclare ouvert le deuxième colloque international a Fiscalité et développement ».