Interview de M. Michel Mercier, ministre de la justice et des libertés, à France Inter le 13 avril 2011, sur les objectifs du projet de loi visant à faire entrer des jurés populaires dans les tribunaux correctionnels et à mettre en place des tribunaux correctionnels spécifiques pour les mineurs de 16 à 18 ans récidivistes.

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Média : France Inter

Texte intégral

BRUNO DUVIC Des jurés en correctionnelle comme dans les cours d’assises. Des citoyens ordinaires vont donc participer à la justice dans ces tribunaux correctionnels, le texte passe ce matin en Conseil des ministres. Quel est le sens de cette réforme ?
 
MICHEL MERCIER Le sens est simple. Les Français demandent de plus en plus de justice, sont de plus en plus exigeants vis-à-vis de la justice, ce texte vise à les faire participer à l’oeuvre même de justice. C’est une chose de demander, d’exiger, une autre que de participer. On va avoir à peu près, chaque année, pas tout à fait 50 000 affaires, qui seront jugées par des formations, soit cour d’assises, soit tribunal correctionnel, où il y aura des citoyens accesseurs.
 
BRUNO DUVIC Est-ce que derrière il y a l’idée que les jugements rendus sont plus sévères et est-ce que vous le souhaitez ?
 
MICHEL MERCIER Je crois que si on avait cette idée, on se tromperait forcément. Il suffit de regarder notre histoire pénale. En 1932, je crois, on a rétabli, dans le délibéré de la cour d’assises, la présence des magistrats professionnels, parce que jusqu’à cette date-là il n’y avait que les jurés populaires, qui étaient beaucoup plus cléments, il y avait à peu près 40% d’acquittements. Et aujourd’hui, je l’ai toujours dit depuis que je suis en fonction, les magistrats ne sont pas laxistes, ils condamnent en fonction de la loi qui est votée par le Parlement.
 
BRUNO DUVIC L’idée du projet de loi ce n’est pas de mettre des citoyens sévères à côté de magistrats présumés laxistes ?
 
MICHEL MERCIER Pas du tout. Si on présente l’affaire comme ça c’est loupé, c’est d’abord et avant tout un acte civique. Ça va être la grande occasion, pour les citoyens, de participer à l’exercice d’un service public essentiel, qui est celui de la justice.
 
BRUNO DUVIC Précisions sur les modalités de cette réforme. Les jurés seront présents en première instance et en appel, deux jurés et trois magistrats professionnels, pour juger les atteintes aux personnes, pas les affaires financières par exemple, ça représente, ça, 40 000 délits par an, environ.
 
MICHEL MERCIER A peu près 40 000, oui.
 
BRUNO DUVIC Alors, entrée en vigueur progressive à partir du début de l’année prochaine. C’est bon, j’ai tout bon, j’ai bien résumé ?
 
MICHEL MERCIER Ça va très bien, jusqu’à maintenant.
 
BRUNO DUVIC Alors, il va falloir former ces jurés, ça demande du temps, ça demande des moyens. Parmi ceux qui sont réticents face à ce projet, il y a l’UMP. L’UMP, Jean-Paul GARRAUD, il dit « au lieu de juger 40 affaires par jour on en jugera 2. » Votre réponse, monsieur le ministre, sachant que les tribunaux sont déjà engorgés.
 
MICHEL MERCIER Oui, alors 40 c’est peut-être un peu beaucoup, et 2 pas tout à fait assez, et qu’il faut chercher probablement la vertu entre ces deux extrêmes.
 
BRUNO DUVIC En tout cas il y aura un vrai ralentissement de l’exercice de la justice.
 
MICHEL MERCIER Non non… ce qui est vrai, c’est que cette réforme nécessite des moyens, je ne vais pas dire le contraire. C’est vrai que lorsqu’il y aura des accesseurs citoyens aux côtés des magistrats professionnels, il faudra plus de temps, et on organise même différemment le procès correctionnel, même si on garde la procédure correctionnelle. Par exemple, au début de l’audience le président ou un conseiller rapporteur fera un court rapport expliquant l’affaire et dans quel état elle se présente.
 
BRUNO DUVIC Alors les moyens, disiez-vous, qu’est-ce qu’on dégage comme moyens ?
 
MICHEL MERCIER D’abord le Premier ministre a accepté de créer des postes de magistrats et de greffiers pour cette réforme. Sans cela elle n’aurait pas pu avoir lieu. Les réformes ont un coût. Faire que la justice soit proche des citoyens c’est un objectif, je crois, de haute valeur politique, qui nécessite un certain nombre de moyens.
 
BRUNO DUVIC Donc il y aura des postes pour appliquer cette réforme ?
 
MICHEL MERCIER Bien sûr, de magistrats et de greffiers.
 
BRUNO DUVIC On reviendra en détail sur la question des moyens, si ce n’est d’ici à 8H30, en tout cas au-delà. Alors toujours sur cette présence de jurés dans les tribunaux correctionnels. Dans un tribunal correctionnel, il y a le prononcé la culpabilité, oui ou non, ça c’est simple, et puis après il y a la détermination et l’application de la peine. Et là c’est plus technique, il y a des règles de droit, le droit est contraignant, on ne peut pas faire n’importe quoi. A ce moment-là, les professionnels reprennent la main et les jurés populaires sont écartés, ce qui viderait un peu le texte de sa substance ?
 
MICHEL MERCIER Pas du tout. D’abord on va procéder comme pour les assises. Les assises, tous les incidents de procédure, ce qui est de la stricte procédure, du droit, de la technique du procès, ce sont les magistrats professionnels seuls qui l’assurent. Ce sera la même chose pour les tribunaux correctionnels composés avec des jurés citoyens. Donc pas de changement, mais les jurés citoyens vont opiner, participer au délibéré, pourront poser des questions au cours de l’audience, et ils seront de véritables juges.
 
BRUNO DUVIC Entrée en vigueur progressive, on l’a dit tout à l’heure, à partir de janvier prochain. Quelques mois plus tard, ça ne vous a pas échappé, il y a une élection présidentielle. Est-ce qu’on peut imaginer que si cette réforme ne donne pas satisfaction, après tout pourquoi pas, on l’abandonne ?
 
MICHEL MERCIER Moi je suis sûr que cette réforme est attendue par les Français. Il m’arrive, comme à tout homme politique, de sortir, d’aller dehors, je suis élu depuis longtemps, j’ai une longue vie électorale, la seule chose dont me parlent les Français quand ils me parlent de justice, c’est de cette réforme-là. Je pense qu’ils sont profondément attachés à cette réforme, même si, c’est un peu du sentiment, il faut qu’ils en voient la technicité, mais je crois qu’ils sont attachés à cette réforme.
 
BRUNO DUVIC Donc vous nous dites ce matin sur FRANCE INTER qu’elle est gravée dans le marbre, parce que, encore une fois, ce sera très progressif, et donc quand arrivera l’élection présidentielle, on sera loin d’une application dans toute la France.
 
MICHEL MERCIER Si on a choisi la progressivité, c’est aussi parce qu’on veut faire les choses très sérieusement, regarder comment cela va se passer. On va choisir deux cours d’appel, dans un premier temps, de taille différente, avec des problématiques différentes de criminalité, dans ces cours d’appel, et puis on regardera comment les choses se passent. Et très naturellement il y aura un moment où on aura un rendez-vous sur le bilan de l’expérimentation.
 
BRUNO DUVIC Alors, dans ce même texte, présenté ce matin en Conseil des ministres, il y a deux autres réformes. D’abord une justice plus ferme pour les mineurs, on crée des tribunaux correctionnels pour le 16-18 ans récidivistes. Qu’est-ce que vous attendez de cela, qu’est-ce que ça apporte en plus ?
 
MICHEL MERCIER Je crois, si vous voulez, que depuis longtemps dans la République, il existe un droit pénal des mineurs…
 
BRUNO DUVIC Depuis l’Ordonnance de 45.
 
MICHEL MERCIER Bien avant. Je vous l’ai amenée, parce qu’on parle toujours de l’Ordonnance de 1945, la première loi qui a posé les principes de ce droit pénal des mineurs c’est celle du 16 avril 1906, donc c’est très ancien, et on a toujours gardé les mêmes principes constitutionnels, mais il y a toujours une gradation dans la façon dont les mineurs sont traités. L’excuse de minorité, comme on dit en droit, elle a un effet plus fort quand…
 
BRUNO DUVIC Quand on a 13 ans.
 
MICHEL MERCIER Quand on a 10 ans, que quand on en a 18. On ne change pas la majorité pénale, mais très naturellement on a un changement des délinquants mineurs. Et quand on voit, en 1945 par exemple, tout le monde travaillait à 14 ans, aujourd’hui c’est tout autre chose. Hier j’étais à Meyzieu, dans un établissement pour mineurs, où une jeune éducatrice, remarquable, a été prise en otage par un mineur multirécidiviste qui l’a couchée par terre, tenue avec un tesson de lampe pendant plusieurs heures, on voit bien qu’on n’a pas affaire partout à des mineurs qui ne sont pas de durs délinquants, donc ce tribunal n’est pas un tribunal correctionnel de droit commun. C’est un tribunal correctionnel spécialement composé, où il y aura au moins un juge pour enfants, et on appliquera la procédure de l’Ordonnance de 1945, ce qui est donc tout à fait conforme à la décision du Conseil Constitutionnel de 2002, qui a posé les principes constitutionnels dans ce domaine-là.
 
BRUNO DUVIC Est-ce que ça signifie que petit à petit, au fil de réformes mois après mois, on va détricoter la justice des mineurs ? Parce que ça c’est le sujet qui fait hurler, que ce soit les magistrats professionnels ou tous ceux qui participent de près ou de loin à cette justice.
 
MICHEL MERCIER Pas du tout. Je répète que l’Ordonnance de 1945, que l’on présente toujours comme quelque chose qui est intangible, ça doit être la 32ème ou 33ème modification. On adapte la loi toujours, on garde les principes. Ces principes ils sont depuis 1906 dans notre droit républicain, il n’est pas question d’y toucher, mais on les adapte, parce que les mineurs délinquants changent.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 19 avril 2011