Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
En inscrivant à lordre du jour de votre Haute Assemblée cette proposition de loi constitutionnelle, vous invitez le Gouvernement à défendre sa conception de la citoyenneté française et loccasion mest apparue suffisamment importante pour que je livre au Sénat mes convictions.
Ce débat sattache en effet, à lorganisation de notre République. Il sattache à notre vision de la France. Et pour moi, il ny a pas de thème plus fondamental. Cest un débat où les clivages nobéissent pas nécessairement aux frontières partisanes, ce qui doit nous conduire à écouter les arguments de chacun. Enfin, cest un débat ancien et disons-le, cest un débat récurent, puisque depuis 1981 il ressurgit avant chaque élection, avant dêtre inhumé aussitôt après.
Permettez-moi dabord de dire un mot sur la méthode utilisée aujourdhui. Je veux dire que je la réprouve car elle crée un brouillage démocratique qui affaiblit la cohérence politique de nos institutions. Je connais la tradition parlementaire qui veut que le Sénat reste saisi des textes émanant de lAssemblée nationale même lorsque celle-ci est renouvelée. Et je reconnais que cet usage est utile pour assurer une certaine continuité de laction législative. Mais, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, reconnaissez que cet usage nest certainement pas conçu pour exhumer une proposition de loi vieille de plus de dix ans. Depuis lors, lAssemblée nationale a été renouvelée deux fois et le Sénat la été dans son intégralité. Cette initiative na donc plus le moindre lien avec la représentation nationale actuelle, ce qui pose un problème au regard de la clarté démocratique. Je récuse donc la méthode employée, mais ce qui mimporte cest de vous livrer ma conception de la France parce quelle diverge de celle qui sexprime dans cette proposition de loi.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, depuis plus de deux siècles, depuis que la nationalité française existe dans notre Droit avec le Code civil napoléonien, la citoyenneté en est indissociable. De ce lien entre la nationalité et la citoyenneté découle celui entre la nationalité et le droit de vote. Des cinq régimes républicains que la France a connus au long dune Histoire mouvementée, aucun na remis en cause ce socle de notre cohésion. Aucun na vu dans son abolition une conquête ou un progrès légitimes. Parce que voter cest participer à lexercice de la souveraineté nationale.
Parce que voter, cest participer à la vie de notre République que notre Constitution définit comme le Gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Or, il ny a quun peuple : le peuple français. Comme la République, la citoyenneté française est une et indivisible, elle nest ni locale, ni nationale. Pour exercer la plénitude des droits civiques, un ressortissant étranger doit faire le choix et se montrer digne dacquérir la nationalité française.
La nationalité française ouvre des droits spécifiques. La qualité de fonctionnaire, pour l'exercice de fonctions de souveraineté ou d'autorité, est réservée aux Français. On conçoit mal que des ressortissants étrangers rendent la justice : au nom du peuple français.
La nationalité française comporte aussi des obligations particulières. On nous propose aujourdhui douvrir une brèche dans cet édifice où séquilibrent les droits et les devoirs, et cette brèche ne peut que déstabiliser les repères. Le droit de désigner les conseillers municipaux ou dêtre élu au sein dun conseil municipal ne serait plus un attribut de la citoyenneté française. Au nom de quoi ? Aucune des raisons avancées ne justifie, à mes yeux, ce travail de sape dun des fondements de notre République.
On nous dit tout dabord que les Français nont déjà plus le monopole du droit de vote et déligibilité aux élections municipales, puisque les ressortissants de lUnion européenne en disposent, sous réserve de la réciprocité et dans les conditions prévues par la Constitution. Mais pourquoi avons-nous fait le choix historique délargir notre droit de vote aux européens ? Parce que nous voulions quémerge une citoyenneté européenne ; Une citoyenneté ancrée dans les traités ; sous le sceau dun accord entre des pays qui ont explicitement décidé détablir les fondements dune union sans cesse plus étroite entre les peuples européens. Cet objectif dunir nos peuples ne peut être avancé pour tous les étrangers issus de pays certes amis, mais qui nappartiennent pas à cette aventure collective qui distingue lEurope au sein du monde.
Jentends ensuite que la reconnaissance de ce droit aux étrangers non communautaires serait nécessaire à leur intégration. Pensez-vous vraiment que cest parce que vous votez ou que vous pouvez voter, que vous êtes intégré ? Croyez-vous que les pays qui ont élargi leur droit de vote aux étrangers aient résolu leurs problèmes dintégration ? Quon songe au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, où lon voit que ce droit est loin dapaiser toutes les difficultés liées à lintégration, qui dans ces sociétés sont aussi vives voire plus vives que dans la nôtre. Sintégrer, cest dabord remplir des devoirs, avant de disposer de plus de droits. Sintégrer, cest sinsérer économiquement et socialement, cest respecter, épouser, assimiler la culture du pays daccueil.
Pour moi, le droit de vote cest la conséquence dun parcours individuel. Cest laboutissement dun parcours dadhésion à notre communauté nationale. Ça nest pas une condition et ça nest pas un préalable. Au fond, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, cette proposition prend les choses à lenvers.
Quitte à choquer certains dentre-vous, je veux dire que cest aux étrangers de faire leffort de sancrer dans la République parce que la République elle, elle fait tous les jours la preuve de son ouverture.
Lhonneur de la France, cest de récompenser un chemin dintégration par loctroi de la nationalité française. Ca nest pas de récompenser létranger qui de façon somme toute légale et légitime, travaille et paye ses impôts. Au demeurant, labsence de droit de vote ne signifie nullement que lon soit privé de sa capacité à participer à notre vie sociale. Rien nest plus faux et plus injuste que de présenter notre pays comme fermé, suspicieux ou xénophobe. Les étrangers qui le souhaitent peuvent participer à la vie de la cité, dans le cadre associatif, dans lentreprise, dans les comités de quartiers. Et dailleurs je ne peux que les y encourager parce que cest le signe dune volonté dintégration. A lévidence, un étranger qui réside de longue date en France, qui respecte nos lois et qui sinvestit naura aucune difficulté à obtenir la nationalité française. Sil ne le souhaite pas, cest quil considère en son for intérieur, quil ne se sent pas entièrement partie prenante du peuple français. Et dans ce cas, il est donc tout à fait normal quil ne puisse pas désigner les représentants dune collectivité de la République.
Jajoute que le choix de devenir Français nest pas exclusif. Notre patriotisme nest pas fondé sur les origines, il nest pas sectaire, il admet parfaitement que chacun puisse conserver dans son cur plusieurs attaches. La personne qui devient française nest pas contrainte de renoncer, en tout cas pas automatiquement, à sa nationalité dorigine puisque notre droit admet le cumul de nationalités. Il ny a donc aucune forme de déchirement dans le choix daccéder à la nationalité française. Il y a là simplement, et cela est fondamental, lexpression dun désir dêtre français.
Chaque année, plus de 130 000 personnes décident dacquérir la nationalité française. Cest pour eux, très souvent un moment important, un moment émouvant et un moment solennel. Dans les nombreuses cérémonies dacquisition de la nationalité française que jai présidées, jai vu comme vous ce regard de joie, ce regard de fierté au moment où le document officiel leur était remis. Eh bien cette joie, cette fierté, cest un cadeau que leur fait la France en les accueillant en son sein, mais cest aussi un cadeau que ces étrangers font à la France en rejoignant son destin. Cette proposition de loi ne rend pas justice à tous nos compatriotes qui ont fait leffort pour acquérir la nationalité française.
Ceux qui entreprennent la démarche de la demander disent souvent que lune de leurs motivations cest de participer à notre vie politique. Cela veut bien dire queux-mêmes perçoivent et respectent le lien intime qui existe entre la citoyenneté et le droit de vote. Cela veut dire quils sont sensibles aux principes qui régissent lexistence de notre communauté nationale. Pourquoi est-ce que nous devrions renoncer à cette donnée que les étrangers sont les premiers à ressentir comme importante ?
Mais il y a plus grave que cela. Dissocier le droit de vote de la nationalité française, cest prendre le risque de communautariser le débat public. Nous perdrions beaucoup si nous voyions fleurir des listes de candidats se réclamant de leur nationalité étrangère pour briguer des voix. Il nest sans doute pas de pire ferment du communautarisme que lonction du suffrage universel donnée à des candidatures qui seraient tentées de miser sur leur caractère ethnique. Je reconnais quil ny a là rien dautomatique à cela, mais je ne suis pas prêt à en courir le risque.
Alors, on me rétorque, on me rétorquera que ces personnes payent leurs impôts et des cotisations en France, et quil est donc normal quils puissent décider de lutilisation qui en sera faite. Eh bien je vous le dis, ça nest pas ma conception de la citoyenneté. Et pour tout dire, cette vision censitaire et finalement utilitariste de la participation démocratique, me parait choquante. Pour faire fonctionner nos services publics dont tout le monde bénéficie, y compris les ressortissants étrangers il est naturel que tous ceux qui en ont les moyens payent des impôts pour les financer. Participer aux destinées dune collectivité publique ou désigner ceux qui en seront chargés, cela na rien à voir. Une commune, ça nest pas une entreprise dont on serait actionnaire en payant ses impôts. En clair, le droit de vote ne sachète pas, il ne se gagne, il se gagne seulement par la volonté du cur et de lesprit.
Cet argument qui met en valeur la contribution économique des étrangers pour légitimer leur droit de vote, se heurte à une profonde contradiction. Pourquoi le réserver aux communes ? Les impôts locaux bénéficient aussi aux départements et aux régions. Alors pourquoi navez-vous pas proposé douvrir le droit de vote aux cantonales et aux régionales ? Allons plus loin dans labsurde : Les étrangers payent à lEtat la TVA et souvent, limpôt sur le revenu. Faut-il leur donner le droit de vote aux élections législatives pour quils puissent décider de lusage qui en sera fait ? De proche en proche, avec un tel raisonnement, cest la citoyenneté française qui disparaîtrait.
Alors certains en appellent aux exemples étrangers pour justifier leur proposition. Que nous montre cette comparaison ? Cest quil ny a pas de modèle unique, et cest que chaque Etat se détermine en fonction de son Histoire mais surtout en fonction de sa propre conception de la citoyenneté, celle quil croit la mieux à même de garantir la cohésion nationale.
Les Allemands, les Autrichiens, les Italiens ont fait le même choix que nous. Les Britanniques nont ouvert ce droit quaux ressortissants du Commonwealth, en raison de leur Histoire commune. Et même dans les pays souvent mis en avant par les tenants du droit de vote des étrangers, les situations sont extrêmement diverses. Droit de vote sous réserve de réciprocité, cest le cas de lEspagne et du Portugal. Droit de vote sans éligibilité, cest le cas de la Belgique. Droit de vote assorti de conditions strictes daccès à la nationalité, en particulier un droit du sol extrêmement restrictif voire inexistant, cest le cas des Pays-Bas, de la Suède, de lIrlande, de lEspagne encore.
La France se distingue par un droit de la nationalité ouvert, avec une large place accordée au droit du sol et une naturalisation possible à partir de cinq années de résidence régulière. Nous avons toujours veillé à préserver ces équilibres. Le Gouvernement a seulement entrepris de renforcer les exigences qui dépendent de la motivation et de la volonté des postulants, à savoir lintégration et la maîtrise de la langue française.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, pour laccession à la nationalité, nous sommes selon les années, le 1er ou le 2e pays derrière le Royaume-Uni en valeur absolue, loin devant lAllemagne. Rapporté à la population étrangère, le nombre dacquisitions de la nationalité est en France supérieur à ce quil est dans la plupart des pays qui ont ouvert le droit de vote aux étrangers. Voilà la réalité. Elle est loin des caricatures dans lesquelles certains se complaisent.
Enfin, on nous nous oppose largument selon lequel les élections locales seraient dune autre nature que les élections nationales. Je vous dis que ça nest pas ma conception de la République et de son organisation. Pour moi, les collectivités territoriales ne sont pas dissociables de lEtat et de la Nation. Il ny a pas dun côté la gestion locale et de lautre la gestion nationale. Les deux forment des entités politiques, avec des enjeux politiques qui sont loin dêtre anodins ! Les collectivités territoriales de la République participent aussi à lexpression de la souveraineté nationale. Une compétence est décentralisée lorsque le Parlement estime quil sagit du meilleur échelon de décision publique. Mais ce nest pas parce quune compétence est décentralisée que les étrangers devraient mécaniquement être admis à participer à son exercice. Pour moi, les élections municipales sont des élections politiques pleines et entières ; elles sont dune essence différente des scrutins professionnels, universitaires ou sociaux.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, je suis venu vous exprimer mon opposition à cette proposition de loi, au nom des enjeux quelle reflète et qui dune certaine manière la dépassent. Quest ce qui est en jeu ? Cest notre relation à la France. Cest notre unité. Cest notre égalité devant nos droits et devoirs. Face au relativisme, face à lindividualisme, cest un combat qui nest jamais gagné. Nous ne devons pas être naïfs. Nous savons quil existe dans notre pays des ferments de division. Et comme vous tous ici, je ressens honte et colère lorsque je vois la Marseillaise sifflée. Je ressens de la tristesse lorsque notre pays est moqué. Et je suis inquiet de lexpression radicale des appartenances ethniques ou religieuses. Tous ces comportements sont les signes dune société qui a besoin de raffermir ses repères historiques, civiques et moraux. Et dire cela, ça nest pas assouvir je ne sais quelles obsessions passéistes. La France na jamais cessé dêtre en mouvement, et toute son Histoire est tendue vers lobjectif dun rassemblement qui nest jamais allé de soi. Depuis dix siècles, la volonté dunir nos différences et de nous forger un destin collectif sest imposée sur nos particularismes et sur nos vieux penchants pour la division. Transcendant nos provinces, nos origines, nos religions, nous sommes depuis le début, une nation fondée sur la volonté dêtre précisément une nation. Et plus que cela, nous sommes devenus une nation de citoyens. Ce qui au demeurant, nous impose plus de devoirs que de droits ; plus de civisme que dégoïsme et plus dadhésion que dindifférence.
Depuis le fond des âges, la France a accueilli et assimilé des générations détrangers qui ont apporté leur concours au développement de notre pays. Il est naturel de vouloir que nos valeurs soient les leurs et il est généreux de leur offrir la possibilité dentrer pleinement dans notre famille nationale. Nous sommes une nation dintégration, nous ne sommes pas une nation mosaïque. Et lintégration signifie que létranger qui veut fondre son destin personnel dans notre destin collectif, adopte la France et que dès lors, la France ladopte comme lun des siens. Mais pour quil y ait intégration, encore faut-il que létranger qui rejoint notre communauté nationale sache et sente que cette communauté est animée par une foi commune. Et cela, cest un message pour nous ; peuple français qui avons trop souvent lart de nous dévaloriser, de nous déprécier alors que nous avons tellement datouts et si souvent, tant de noblesse dans nos élans.
En République, lamour de la France et le service de la France ne relèvent pas dune doctrine dEtat. Chacun est responsable de ce quil reçoit et de ce quil donne à la nation. Chacun est porteur dun héritage historique et culturel quil se doit de respecter et de prolonger avec fidélité et courage. Cette exigence est valable pour les Français qui sont les premiers concernés par le sort de la nation. Mais elle lest aussi pour les étrangers qui nous rejoignent. Pour eux comme pour nous, être Français ou choisir de devenir Français, cest adhérer à un pacte.
Avec cette proposition, la gauche sengage dans une voie dangereuse avec légèreté. Elle prend le risque de vider la nationalité et la citoyenneté française de leur substance. Et cela, au moment précis où notre pays doit faire face aux épreuves de la mondialisation et doit donc se rassembler autour de ses valeurs et de ses objectifs.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Les Français ont besoin de repères clairs et stables. Fractionner le droit de vote, cest prendre le risque de morceler notre pacte national. Cest prendre le risque daffaiblir lintégration. Cest prendre le risque de sectionner lun des chaînons de lunité républicaine. Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, nous devons tous ensemble veiller à protéger lun des principes de la République française : Pas de vote sans citoyenneté et pas de citoyenneté sans adhésion à la Nation.
Source http://www.gouvernement.fr, le 9 décembre 2011
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
En inscrivant à lordre du jour de votre Haute Assemblée cette proposition de loi constitutionnelle, vous invitez le Gouvernement à défendre sa conception de la citoyenneté française et loccasion mest apparue suffisamment importante pour que je livre au Sénat mes convictions.
Ce débat sattache en effet, à lorganisation de notre République. Il sattache à notre vision de la France. Et pour moi, il ny a pas de thème plus fondamental. Cest un débat où les clivages nobéissent pas nécessairement aux frontières partisanes, ce qui doit nous conduire à écouter les arguments de chacun. Enfin, cest un débat ancien et disons-le, cest un débat récurent, puisque depuis 1981 il ressurgit avant chaque élection, avant dêtre inhumé aussitôt après.
Permettez-moi dabord de dire un mot sur la méthode utilisée aujourdhui. Je veux dire que je la réprouve car elle crée un brouillage démocratique qui affaiblit la cohérence politique de nos institutions. Je connais la tradition parlementaire qui veut que le Sénat reste saisi des textes émanant de lAssemblée nationale même lorsque celle-ci est renouvelée. Et je reconnais que cet usage est utile pour assurer une certaine continuité de laction législative. Mais, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, reconnaissez que cet usage nest certainement pas conçu pour exhumer une proposition de loi vieille de plus de dix ans. Depuis lors, lAssemblée nationale a été renouvelée deux fois et le Sénat la été dans son intégralité. Cette initiative na donc plus le moindre lien avec la représentation nationale actuelle, ce qui pose un problème au regard de la clarté démocratique. Je récuse donc la méthode employée, mais ce qui mimporte cest de vous livrer ma conception de la France parce quelle diverge de celle qui sexprime dans cette proposition de loi.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, depuis plus de deux siècles, depuis que la nationalité française existe dans notre Droit avec le Code civil napoléonien, la citoyenneté en est indissociable. De ce lien entre la nationalité et la citoyenneté découle celui entre la nationalité et le droit de vote. Des cinq régimes républicains que la France a connus au long dune Histoire mouvementée, aucun na remis en cause ce socle de notre cohésion. Aucun na vu dans son abolition une conquête ou un progrès légitimes. Parce que voter cest participer à lexercice de la souveraineté nationale.
Parce que voter, cest participer à la vie de notre République que notre Constitution définit comme le Gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Or, il ny a quun peuple : le peuple français. Comme la République, la citoyenneté française est une et indivisible, elle nest ni locale, ni nationale. Pour exercer la plénitude des droits civiques, un ressortissant étranger doit faire le choix et se montrer digne dacquérir la nationalité française.
La nationalité française ouvre des droits spécifiques. La qualité de fonctionnaire, pour l'exercice de fonctions de souveraineté ou d'autorité, est réservée aux Français. On conçoit mal que des ressortissants étrangers rendent la justice : au nom du peuple français.
La nationalité française comporte aussi des obligations particulières. On nous propose aujourdhui douvrir une brèche dans cet édifice où séquilibrent les droits et les devoirs, et cette brèche ne peut que déstabiliser les repères. Le droit de désigner les conseillers municipaux ou dêtre élu au sein dun conseil municipal ne serait plus un attribut de la citoyenneté française. Au nom de quoi ? Aucune des raisons avancées ne justifie, à mes yeux, ce travail de sape dun des fondements de notre République.
On nous dit tout dabord que les Français nont déjà plus le monopole du droit de vote et déligibilité aux élections municipales, puisque les ressortissants de lUnion européenne en disposent, sous réserve de la réciprocité et dans les conditions prévues par la Constitution. Mais pourquoi avons-nous fait le choix historique délargir notre droit de vote aux européens ? Parce que nous voulions quémerge une citoyenneté européenne ; Une citoyenneté ancrée dans les traités ; sous le sceau dun accord entre des pays qui ont explicitement décidé détablir les fondements dune union sans cesse plus étroite entre les peuples européens. Cet objectif dunir nos peuples ne peut être avancé pour tous les étrangers issus de pays certes amis, mais qui nappartiennent pas à cette aventure collective qui distingue lEurope au sein du monde.
Jentends ensuite que la reconnaissance de ce droit aux étrangers non communautaires serait nécessaire à leur intégration. Pensez-vous vraiment que cest parce que vous votez ou que vous pouvez voter, que vous êtes intégré ? Croyez-vous que les pays qui ont élargi leur droit de vote aux étrangers aient résolu leurs problèmes dintégration ? Quon songe au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, où lon voit que ce droit est loin dapaiser toutes les difficultés liées à lintégration, qui dans ces sociétés sont aussi vives voire plus vives que dans la nôtre. Sintégrer, cest dabord remplir des devoirs, avant de disposer de plus de droits. Sintégrer, cest sinsérer économiquement et socialement, cest respecter, épouser, assimiler la culture du pays daccueil.
Pour moi, le droit de vote cest la conséquence dun parcours individuel. Cest laboutissement dun parcours dadhésion à notre communauté nationale. Ça nest pas une condition et ça nest pas un préalable. Au fond, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, cette proposition prend les choses à lenvers.
Quitte à choquer certains dentre-vous, je veux dire que cest aux étrangers de faire leffort de sancrer dans la République parce que la République elle, elle fait tous les jours la preuve de son ouverture.
Lhonneur de la France, cest de récompenser un chemin dintégration par loctroi de la nationalité française. Ca nest pas de récompenser létranger qui de façon somme toute légale et légitime, travaille et paye ses impôts. Au demeurant, labsence de droit de vote ne signifie nullement que lon soit privé de sa capacité à participer à notre vie sociale. Rien nest plus faux et plus injuste que de présenter notre pays comme fermé, suspicieux ou xénophobe. Les étrangers qui le souhaitent peuvent participer à la vie de la cité, dans le cadre associatif, dans lentreprise, dans les comités de quartiers. Et dailleurs je ne peux que les y encourager parce que cest le signe dune volonté dintégration. A lévidence, un étranger qui réside de longue date en France, qui respecte nos lois et qui sinvestit naura aucune difficulté à obtenir la nationalité française. Sil ne le souhaite pas, cest quil considère en son for intérieur, quil ne se sent pas entièrement partie prenante du peuple français. Et dans ce cas, il est donc tout à fait normal quil ne puisse pas désigner les représentants dune collectivité de la République.
Jajoute que le choix de devenir Français nest pas exclusif. Notre patriotisme nest pas fondé sur les origines, il nest pas sectaire, il admet parfaitement que chacun puisse conserver dans son cur plusieurs attaches. La personne qui devient française nest pas contrainte de renoncer, en tout cas pas automatiquement, à sa nationalité dorigine puisque notre droit admet le cumul de nationalités. Il ny a donc aucune forme de déchirement dans le choix daccéder à la nationalité française. Il y a là simplement, et cela est fondamental, lexpression dun désir dêtre français.
Chaque année, plus de 130 000 personnes décident dacquérir la nationalité française. Cest pour eux, très souvent un moment important, un moment émouvant et un moment solennel. Dans les nombreuses cérémonies dacquisition de la nationalité française que jai présidées, jai vu comme vous ce regard de joie, ce regard de fierté au moment où le document officiel leur était remis. Eh bien cette joie, cette fierté, cest un cadeau que leur fait la France en les accueillant en son sein, mais cest aussi un cadeau que ces étrangers font à la France en rejoignant son destin. Cette proposition de loi ne rend pas justice à tous nos compatriotes qui ont fait leffort pour acquérir la nationalité française.
Ceux qui entreprennent la démarche de la demander disent souvent que lune de leurs motivations cest de participer à notre vie politique. Cela veut bien dire queux-mêmes perçoivent et respectent le lien intime qui existe entre la citoyenneté et le droit de vote. Cela veut dire quils sont sensibles aux principes qui régissent lexistence de notre communauté nationale. Pourquoi est-ce que nous devrions renoncer à cette donnée que les étrangers sont les premiers à ressentir comme importante ?
Mais il y a plus grave que cela. Dissocier le droit de vote de la nationalité française, cest prendre le risque de communautariser le débat public. Nous perdrions beaucoup si nous voyions fleurir des listes de candidats se réclamant de leur nationalité étrangère pour briguer des voix. Il nest sans doute pas de pire ferment du communautarisme que lonction du suffrage universel donnée à des candidatures qui seraient tentées de miser sur leur caractère ethnique. Je reconnais quil ny a là rien dautomatique à cela, mais je ne suis pas prêt à en courir le risque.
Alors, on me rétorque, on me rétorquera que ces personnes payent leurs impôts et des cotisations en France, et quil est donc normal quils puissent décider de lutilisation qui en sera faite. Eh bien je vous le dis, ça nest pas ma conception de la citoyenneté. Et pour tout dire, cette vision censitaire et finalement utilitariste de la participation démocratique, me parait choquante. Pour faire fonctionner nos services publics dont tout le monde bénéficie, y compris les ressortissants étrangers il est naturel que tous ceux qui en ont les moyens payent des impôts pour les financer. Participer aux destinées dune collectivité publique ou désigner ceux qui en seront chargés, cela na rien à voir. Une commune, ça nest pas une entreprise dont on serait actionnaire en payant ses impôts. En clair, le droit de vote ne sachète pas, il ne se gagne, il se gagne seulement par la volonté du cur et de lesprit.
Cet argument qui met en valeur la contribution économique des étrangers pour légitimer leur droit de vote, se heurte à une profonde contradiction. Pourquoi le réserver aux communes ? Les impôts locaux bénéficient aussi aux départements et aux régions. Alors pourquoi navez-vous pas proposé douvrir le droit de vote aux cantonales et aux régionales ? Allons plus loin dans labsurde : Les étrangers payent à lEtat la TVA et souvent, limpôt sur le revenu. Faut-il leur donner le droit de vote aux élections législatives pour quils puissent décider de lusage qui en sera fait ? De proche en proche, avec un tel raisonnement, cest la citoyenneté française qui disparaîtrait.
Alors certains en appellent aux exemples étrangers pour justifier leur proposition. Que nous montre cette comparaison ? Cest quil ny a pas de modèle unique, et cest que chaque Etat se détermine en fonction de son Histoire mais surtout en fonction de sa propre conception de la citoyenneté, celle quil croit la mieux à même de garantir la cohésion nationale.
Les Allemands, les Autrichiens, les Italiens ont fait le même choix que nous. Les Britanniques nont ouvert ce droit quaux ressortissants du Commonwealth, en raison de leur Histoire commune. Et même dans les pays souvent mis en avant par les tenants du droit de vote des étrangers, les situations sont extrêmement diverses. Droit de vote sous réserve de réciprocité, cest le cas de lEspagne et du Portugal. Droit de vote sans éligibilité, cest le cas de la Belgique. Droit de vote assorti de conditions strictes daccès à la nationalité, en particulier un droit du sol extrêmement restrictif voire inexistant, cest le cas des Pays-Bas, de la Suède, de lIrlande, de lEspagne encore.
La France se distingue par un droit de la nationalité ouvert, avec une large place accordée au droit du sol et une naturalisation possible à partir de cinq années de résidence régulière. Nous avons toujours veillé à préserver ces équilibres. Le Gouvernement a seulement entrepris de renforcer les exigences qui dépendent de la motivation et de la volonté des postulants, à savoir lintégration et la maîtrise de la langue française.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, pour laccession à la nationalité, nous sommes selon les années, le 1er ou le 2e pays derrière le Royaume-Uni en valeur absolue, loin devant lAllemagne. Rapporté à la population étrangère, le nombre dacquisitions de la nationalité est en France supérieur à ce quil est dans la plupart des pays qui ont ouvert le droit de vote aux étrangers. Voilà la réalité. Elle est loin des caricatures dans lesquelles certains se complaisent.
Enfin, on nous nous oppose largument selon lequel les élections locales seraient dune autre nature que les élections nationales. Je vous dis que ça nest pas ma conception de la République et de son organisation. Pour moi, les collectivités territoriales ne sont pas dissociables de lEtat et de la Nation. Il ny a pas dun côté la gestion locale et de lautre la gestion nationale. Les deux forment des entités politiques, avec des enjeux politiques qui sont loin dêtre anodins ! Les collectivités territoriales de la République participent aussi à lexpression de la souveraineté nationale. Une compétence est décentralisée lorsque le Parlement estime quil sagit du meilleur échelon de décision publique. Mais ce nest pas parce quune compétence est décentralisée que les étrangers devraient mécaniquement être admis à participer à son exercice. Pour moi, les élections municipales sont des élections politiques pleines et entières ; elles sont dune essence différente des scrutins professionnels, universitaires ou sociaux.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, je suis venu vous exprimer mon opposition à cette proposition de loi, au nom des enjeux quelle reflète et qui dune certaine manière la dépassent. Quest ce qui est en jeu ? Cest notre relation à la France. Cest notre unité. Cest notre égalité devant nos droits et devoirs. Face au relativisme, face à lindividualisme, cest un combat qui nest jamais gagné. Nous ne devons pas être naïfs. Nous savons quil existe dans notre pays des ferments de division. Et comme vous tous ici, je ressens honte et colère lorsque je vois la Marseillaise sifflée. Je ressens de la tristesse lorsque notre pays est moqué. Et je suis inquiet de lexpression radicale des appartenances ethniques ou religieuses. Tous ces comportements sont les signes dune société qui a besoin de raffermir ses repères historiques, civiques et moraux. Et dire cela, ça nest pas assouvir je ne sais quelles obsessions passéistes. La France na jamais cessé dêtre en mouvement, et toute son Histoire est tendue vers lobjectif dun rassemblement qui nest jamais allé de soi. Depuis dix siècles, la volonté dunir nos différences et de nous forger un destin collectif sest imposée sur nos particularismes et sur nos vieux penchants pour la division. Transcendant nos provinces, nos origines, nos religions, nous sommes depuis le début, une nation fondée sur la volonté dêtre précisément une nation. Et plus que cela, nous sommes devenus une nation de citoyens. Ce qui au demeurant, nous impose plus de devoirs que de droits ; plus de civisme que dégoïsme et plus dadhésion que dindifférence.
Depuis le fond des âges, la France a accueilli et assimilé des générations détrangers qui ont apporté leur concours au développement de notre pays. Il est naturel de vouloir que nos valeurs soient les leurs et il est généreux de leur offrir la possibilité dentrer pleinement dans notre famille nationale. Nous sommes une nation dintégration, nous ne sommes pas une nation mosaïque. Et lintégration signifie que létranger qui veut fondre son destin personnel dans notre destin collectif, adopte la France et que dès lors, la France ladopte comme lun des siens. Mais pour quil y ait intégration, encore faut-il que létranger qui rejoint notre communauté nationale sache et sente que cette communauté est animée par une foi commune. Et cela, cest un message pour nous ; peuple français qui avons trop souvent lart de nous dévaloriser, de nous déprécier alors que nous avons tellement datouts et si souvent, tant de noblesse dans nos élans.
En République, lamour de la France et le service de la France ne relèvent pas dune doctrine dEtat. Chacun est responsable de ce quil reçoit et de ce quil donne à la nation. Chacun est porteur dun héritage historique et culturel quil se doit de respecter et de prolonger avec fidélité et courage. Cette exigence est valable pour les Français qui sont les premiers concernés par le sort de la nation. Mais elle lest aussi pour les étrangers qui nous rejoignent. Pour eux comme pour nous, être Français ou choisir de devenir Français, cest adhérer à un pacte.
Avec cette proposition, la gauche sengage dans une voie dangereuse avec légèreté. Elle prend le risque de vider la nationalité et la citoyenneté française de leur substance. Et cela, au moment précis où notre pays doit faire face aux épreuves de la mondialisation et doit donc se rassembler autour de ses valeurs et de ses objectifs.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Les Français ont besoin de repères clairs et stables. Fractionner le droit de vote, cest prendre le risque de morceler notre pacte national. Cest prendre le risque daffaiblir lintégration. Cest prendre le risque de sectionner lun des chaînons de lunité républicaine. Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, nous devons tous ensemble veiller à protéger lun des principes de la République française : Pas de vote sans citoyenneté et pas de citoyenneté sans adhésion à la Nation.
Source http://www.gouvernement.fr, le 9 décembre 2011