Texte intégral
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous avons le plaisir daccueillir Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice pour la première audition organisée par notre Commission. Comme nous en avons décidé hier, notre Commission siègera aussi les jeudis matins, et je suis ravi dinaugurer ainsi cette nouvelle pratique. Nous souhaitions que vous soyez la première membre du Gouvernement à être auditionnée par notre Commission. Tel était également votre souhait. Je vous remercie pour votre disponibilité.
Dans la cité utopique de Thomas More, tout est ordre et harmonie point ny est même besoin de canaux tant le débit des fleuves y est parfaitement régulier ! Nous, nous vivons dans une société où la faute existe, le manquement et lerreur aussi, si bien que nous avons besoin de réparation et de sanctions, et, partant, de justice. Nous vous avons invitée aujourdhui, madame la garde des Sceaux, pour que vous nous parliez de justice, pas nécessairement de lois. Ce sont les utopistes qui sont friands de lois, se plaisant à imaginer les codes qui réguleraient la communauté politique quils appellent de leurs vux. Je ne suis pas utopiste, mais je crois à la justice. Jaimerais donc, avec mes collègues, que vous nous parliez de cette justice, où se côtoient les membres dune humanité ordinaire que le malheur réunit, de cette justice qui dispose aujourdhui de moins de moyens, ne jouit souvent que dune faible reconnaissance et qui pourtant, parfois même en se trompant, inlassablement essaie de construire ou de reconstruire un vivre-ensemble. Parlez-nous des actions que vous avez déjà engagées depuis votre nomination à la Chancellerie et de la politique que vous envisagez de conduire dans les années à venir. Puis nos collègues vous interrogeront.
Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je vous remercie, mesdames et messieurs les députés, de votre présence nombreuse ce matin. Au moment où vous prenez vos fonctions, jadresse à chacune et chacun dentre vous, élu pour la première fois ou réélu, mes félicitations personnelles pour la confiance que vous ont témoignée vos électeurs. Jai été sensible, monsieur le président, à votre invitation à venir mexprimer devant votre commission et cest bien volontiers que je me plie, la première, à cet exercice dont, pour avoir siégé durant quatre législatures dans cette maison, je sais combien il est fructueux pour les parlementaires mais aussi difficile pour le ministre.
Je ne suis pas indifférente, monsieur le président, à votre approche lyrique de la justice. Je la garderai présente à lesprit pour quelle guide mon action. Je ne rêve pas dune société parfaite, jaime les hommes, avec leurs défauts, leurs faiblesses et leur vulnérabilité. Cest par le vivre ensemble, auquel contribue en effet la justice, que nous aidons chacun à dépasser ses défaillances, dont toutes dailleurs ne donnent pas lieu à action judiciaire.
La justice est un service public tout à fait particulier en ce quelle structure lÉtat de droit et la société démocratique. Elle répond aux besoins quotidiens des citoyens : noublions pas que les affaires civiles représentent 70 % de son activité, ce que les affaires pénales, plus médiatiques, tapageuses et faciles à mettre en scène ont tendance à faire oublier. La justice civile occupera une place extrêmement importante dans les réformes que jai lintention de conduire.
Héritiers dune situation, il convient que nous commencions par dresser un état des lieux avant de tracer de nouvelles orientations. Cela doit nous éviter certaines erreurs de méthode qui ont pu être commises par le passé.
Mon premier engagement est de mettre un terme à la frénésie législative. Lors de mes consultations et de mes déplacements, partout, de manière quasi-unanime, il mest demandé une pause législative. Je mengage à ce quaucune réforme ne soit lancée sans concertation préalable, notamment avec ceux appelés à la mettre en uvre. Linflation législative de ces dernières années est avérée, avec une trentaine de lois pénales en cinq ans. Pour autant, les dispositifs mis en place, parfois bien conçus, grâce notamment aux études dimpact, désormais obligatoires et en général bien menées, ont souvent manqué defficacité, péchant dans leur application. Tel a été le cas de la réforme de lhospitalisation doffice pour laquelle les moyens nont pas suivi.
Nous avons trop souvent eu affaire sous la précédente législature à des lois réactives, donc par nature peu prospectives. Inefficaces, ces textes ont été source dinsécurité juridique, aussi bien pour les praticiens du droit que pour les justiciables. Rendant la loi moins lisible, ils en ont amoindri la force en même temps quils ont porté atteinte à la crédibilité de la parole ministérielle. Je mengage, pour ma part, à tenir le plus grand compte des remontées en provenance des juridictions et de toute lexpérience née de la pratique judiciaire. La concertation et la consultation seront mes règles de travail. Le dialogue sera constant tout dabord entre lexécutif et le législatif, et, au-delà, avec les organisations professionnelles, les syndicats, les associations, les chercheurs.
Ces dernières années, les lois relatives à la justice ont, la plupart du temps, été adoptées après déclaration durgence. Je mengage, pour ma part, à respecter la maturation du travail législatif et à laisser projets et propositions de loi suivre le cours normal de leur examen par les deux chambres. Cela commence mal, me direz-vous, avec le projet de loi relatif au harcèlement sexuel, qui sera très prochainement examiné après engagement de la procédure accélérée. Mais après que cette incrimination a, dans les conditions que lon sait, disparu de notre code pénal, chacun comprendra lurgence quil y avait à pallier le vide juridique ainsi créé.
Dans le souci dune justice plus cohérente et plus lisible, jamais ne vous seront proposées de mesures isolées. Nous veillerons au contraire à les articuler, de façon quelles constituent par leur ensemble un véritable projet politique de réforme de la justice, compréhensible de tous, notamment des citoyens.
La situation dont nous héritons se caractérise aussi par lasphyxie des tribunaux. Les politiques pénales de ces dernières années, centrées sur lincarcération, ont abouti à ce quon compte aujourdhui 69 000 détenus pour 57 000 places. Approche pénale, correctionnelle, assises : telles ont été les réponses privilégiées. Cest parfois nécessaire mais lengorgement des juridictions a lui-même une incidence sur la qualification des infractions, des délits ou des crimes. La multiplication des comparutions immédiates comme linstitution de peines plancher ont conduit à prononcer toujours plus de peines dincarcération, sans que cela fasse dailleurs diminuer les délits graves et les crimes, déjà lourdement réprimés par le code pénal. De tout cela, non seulement le nombre des affaires pénales a explosé, mais le délai de traitement des affaires civiles sen est trouvé allongé.
Lasphyxie des tribunaux tient également à une demande croissante de justice de la part des citoyens, de plus en plus éduqués et de mieux en mieux informés. Demandeurs dune plus grande célérité et dune plus grande efficacité, soucieux que les enquêtes soient menées à charge et à décharge, ils réclament tous les moyens permettant la manifestation de la vérité, comme les analyses ADN, ce qui nest dailleurs pas neutre sur les frais de justice.
Pour lutter contre cette asphyxie, peut-être pourrait-on revoir la présence du juge. Des modifications ont déjà été apportées ces dernières années, notamment en matière de divorce. Il conviendrait sans doute de poursuivre la réflexion sur le sujet en prenant en considération les différentes catégories de divorce, bien entendu.
De même, 42 % des jugements rendus par les tribunaux correctionnels concernant des délits routiers, il faudrait peut-être envisager une réponse partiellement différente. Si limpératif de sécurité routière exige de ne pas relâcher la pression sur les conducteurs, de façon que les comportements délictueux au volant ne repartent pas à la hausse, il nen serait pas moins bienvenu de désengorger quelque peu nos tribunaux.
Jen viens au style et à la méthode. Nous avons tous en mémoire la façon dont a été conduite la réforme de la carte judiciaire. Si tous les interlocuteurs que jai rencontrés conviennent quune réforme était nécessaire, ils sont tout aussi unanimes à considérer quil aurait fallu repenser lorganisation judiciaire pour réformer la carte judiciaire. Or, cette réforme, conduite dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), la été dans une seule perspective comptable. Menée à rythme soutenu, elle a été vécue comme si brutale que même ceux qui contestent la nouvelle carte me supplient de ne pas rouvrir le chantier au niveau de lensemble du pays. Je regarderai donc seulement à quels ajustements il peut être procédé, ressort par ressort, en fonction des remontées du terrain certains aménagements, il faut le reconnaître, ont été bénéfiques, notamment dans le cadre du programme immobilier. Je souhaite que les personnels se sentent ainsi impliqués et soient associés aux réponses nouvelles qui seront apportées, adaptées à chaque territoire.
Avec la brutalité, la précipitation est une autre méthode dont je souhaite me démarquer. La précipitation a, me semble-t-il, caractérisé la mise en place des citoyens assesseurs. Alors que le dispositif issu de la loi du 10 août 2011 entrait en expérimentation en janvier 2012 dans le ressort des cours dappel de Dijon et Toulouse, dès février, un arrêté prévoyait son extension aux cours dappel dAngers, Bordeaux, Colmar, Douai, Fort-de-France, Lyon, Montpellier et Orléans. Jai stoppé le mouvement et seules se poursuivront les expérimentations de Dijon et Toulouse. Des remontées nous parviennent du terrain qui permettent une première évaluation. Un point a été fait lundi dernier où je recevais à la Chancellerie les premiers présidents et les procureurs généraux de chacune des trente-sept cours. Ce nest quaprès une évaluation approfondie de cette expérimentation que nous pourrons dire quels aménagements sont nécessaires. La mise en place de citoyens assesseurs a en effet des conséquences sur laudiencement lui-même, la durée des audiences, mais aussi le coût de la justice. Nous examinerons aussi ce quil convient de faire en matière de formation des assesseurs et deffectifs, de magistrats et de fonctionnaires.
Se précipiter, voilà une erreur que nous ne ferons pas ! Nous respecterons les savoir-faire des professionnels du service public de la justice, où la ressource humaine est dune extrême qualité. Lexpérience, le vécu et la réflexion qui les accompagnent constituent des atouts précieux. Pour ma part, jai bien lintention de puiser abondamment dans cette mine dor et donc de consulter beaucoup.
Jai de même commencé de relancer le dialogue social. Il y a deux jours, jai présidé le comité technique ministériel, instance qui réunit tous les syndicats de toutes les catégories de métiers judiciaires et où il est possible daborder ensemble tous les sujets de fond, notamment les réformes. Cela faisait plusieurs années que le garde des Sceaux navait pas présidé ce comité.
Soucieuse dune justice impartiale, je ne donnerai pas dinstructions individuelles. Lexécutif demeurant responsable de la cohérence de la politique pénale sur lensemble du territoire, une circulaire daction publique sera publiée dici à la mi-juillet.
Les engagements du Président de la République sur le service public de la justice, rappelés par le Premier ministre dans son discours de politique générale, guideront notre action.
Premier de ces engagements : une justice impartiale et sereine. Des réformes constitutionnelles seront nécessaires. Des engagements ont été pris concernant lindépendance de la justice. La gauche est tout particulièrement crédible sur ce point car les grandes réformes qui ont fait progresser cette indépendance ont été conduites lorsquelle a été aux responsabilités.
M. Georges Fenech. Et laction de M. Méhaignerie ? (Interruptions chez les commissaires socialistes)
Mme la garde des Sceaux. Dans léchange de questions et de réponses à suivre, qui devrait être plus polémique, vous aurez tout loisir de valoriser les réformes engagées par des membres de lancienne majorité. Si la justice doit être apaisée, lexpression au Parlement ne lest pas nécessairement. Le pluralisme des opinions est le propre de la démocratie. Il faut se féliciter que chacun défende avec passion ce en quoi il croit quand il sagit dun service aussi important pour lÉtat de droit que celui de la justice, et jespère bien que nous ne croyons pas tous en la même chose. Cest dailleurs cela même qui justifie lalternance.
Une justice impartiale et sereine, disais-je. Beaucoup doit être porté au crédit de la gauche en matière dindépendance de la justice : suppression en 1981 des juridictions dexception, de la Cour de sûreté de lÉtat et des tribunaux militaires, fin en 1997 des instructions individuelles et réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), votée par l'Assemblée nationale et le Sénat, mais qui na pu lêtre par le Congrès, le Président de la République de lépoque ayant refusé de le convoquer.
Au niveau constitutionnel, plusieurs chantiers sont ouverts. Tout dabord, celui de la réforme du CSM, quil sagisse du mode de désignation de ses membres, de sa présidence, de ses compétences, de ses pouvoirs, de son rôle en matière disciplinaire, de ses moyens de fonctionnement
Ensuite, la réforme du Parquet. Il ny aura plus, il ny aura pas, je lai dit, dinstructions individuelles, mais il continuera bien entendu dy avoir des instructions générales et impersonnelles, ce qui ne signifie dailleurs pas quelles doivent nécessairement concerner lintégralité du territoire. Une situation donnée en un lieu donné ou des actions répétitives sur un même mode opératoire peuvent justifier une instruction générale et impersonnelle. En cas de conflit routier par exemple, une telle instruction peut indiquer au Parquet à partir de quels éléments du code traiter les incidents. En sens inverse, les remontées dinformations techniques et juridiques en provenance des juridictions alimentent la politique pénale.
Larticle 30 du code de procédure pénale, introduit par la loi du 9 mars 2004, dispose que le garde des Sceaux conduit la politique daction publique. Cela ne me paraît pas un progrès démocratique. Nous sommes nombreux ici à penser que sil appartient au garde des Sceaux de définir la politique pénale sur lensemble du territoire, laction publique doit être exercée par les parquets. Si les procureurs généraux peuvent, eux, continuer de donner des instructions, il faut leur donner des garanties statutaires. Cela renvoie à la réforme de leur statut.
Toujours en matière de réformes dordre constitutionnel, le Président de la République sest engagé à supprimer la Cour de justice de la République, sur laquelle pèse à tort mais systématiquement, la suspicion. Sa composition est en effet de nature à faire douter de son impartialité et demeure posée la question des critères de recevabilité des plaintes.
Autre chantier : la réforme du statut pénal du Chef de lÉtat et du Conseil constitutionnel.
Nous maintiendrons les juges dinstruction. Nous sommes en effet persuadés de leur rôle indispensable pour conduire des enquêtes indépendantes de qualité, mener à bien des enquêtes dans certains domaines comme celui de la délinquance économique et financière, ou bien encore de la responsabilité en matière de santé et denvironnement. Nous traiterons bien entendu de la collégialité, prévue pour début 2014.
Un mot de la direction de la police judiciaire, sujet à lordre du jour de mes discussions avec mon collègue ministre de lIntérieur. Les articles 12 à 14 du code de procédure pénale définissent les conditions dexercice et de contrôle de la police judiciaire, placée sous la direction du ministère de la Justice. Il ne sagit pas de revendiquer le rattachement de la police judiciaire à la Chancellerie mais de sassurer que celle-ci en assure la direction effective et a bien autorité sur les officiers de police judiciaire.
Presque tous les magistrats pénalistes que jai rencontrés mont dit que les moyens pour lutter contre la délinquance économique et financière avaient été considérablement réduits et déplorent une dégradation de la qualité des procédures. Ce sont en effet de plus en plus souvent des agents de police judiciaire qui leur rendent compte. Sans nullement stigmatiser ces agents, force est de reconnaître que se pose la question de leur formation et de leur encadrement. Si les chefs de juridiction considèrent le traitement en temps réel (TTR) comme un progrès, ils conviennent aussi que la moindre qualité de ce qui leur remonte en altère quelque peu lefficacité.
Impartiale et sereine, la justice doit également être plus proche des citoyens. Cela suppose de tenir compte des évolutions de la société. Lun des premiers textes qui vous sera proposé concernera le mariage et ladoption pour tous. Cest une demande de la société aujourdhui et, nous lavons vu par le passé, celle-ci est souvent en avance sur les institutions. Le sujet est dextrême importance, touchant à létat des personnes et ayant de multiples incidences, en matière de filiation, de transmission du nom, de patrimoine, de conventions internationales Il est aussi dune très grande technicité juridique. La Chancellerie y travaille de manière approfondie.
Le Président de la République sest également engagé sur un habeas corpus numérique. Je reviendrai plus en détail sur cette question de la protection des données personnelles, dordre à la fois national et européen puisque la directive européenne sur le sujet est en cours de révision. Jai commencé à travailler avec la Commission nationale de linformatique et des libertés (CNIL), laquelle sera associée formellement aux consultations.
Comme le Président de la République en a pris lengagement, nous introduirons également dans notre droit la notion de préjudice écologique. Sur le sujet, chaque juridiction juge aujourdhui comme elle le peut, ce qui conduit à une jurisprudence disparate. Les atteintes portées à lenvironnement doivent être mieux définies et encadrées.
Nous aurons aussi à revenir sur le sujet de la protection des sources des journalistes, certains éléments de la loi du 4 janvier 2010 exigeant dêtre précisés.
Rendre la justice plus accessible passe par une carte judiciaire adaptée mais exige aussi de tenir compte des moyens des justiciables. La taxe de 35 euros désormais exigée pour agir en justice entrave incontestablement laccès au droit. Mais son produit alimentant le budget de laide juridictionnelle, la supprimer risquerait de pénaliser les justiciables éligibles à cette aide. Dans le projet de loi de finances pour 2013, nous travaillerons surtout sur les clauses dexonération : le plafond de ressources ouvrant droit à laide juridictionnelle est aujourdhui fixé à 929 euros rappelons que le seuil de pauvreté est à 954 euros. Au-delà des ressources stricto sensu, il faut aussi, à revenu égal, prendre en compte la situation des personnes, celle dune personne seule nayant rien à voir avec celle dune personne ayant par exemple trois enfants à charge et se trouvant endettée. Pour les années suivantes, nous devrions disposer des résultats des expertises que jai lancées sur des pistes alternatives de financement de laide juridictionnelle, ce qui permettrait de supprimer la taxe de 35 euros.
Pour ce qui concerne laction de groupe, plusieurs propositions de loi ont été déposées, sur lesquelles nous nous appuierons.
Il nous faudra aussi mettre de lordre dans le maquis des juridictions sociales. Une refonte simpose afin de gagner en cohérence.
Devra également être abordée la question de la territorialité des tribunaux. Linstitution dun tribunal de première instance, dont lhypothèse a été formulée, faciliterait laccès des citoyens à la justice. Les tribunaux doivent aussi être plus ouverts sur la société, avec des assesseurs non professionnels. Nous en avons lexpérience avec les tribunaux pour enfants et léchevinage. Encore faut-il que ces assesseurs bénéficient de la formation nécessaire.
Sachez que jai adressé récemment aux parquets une instruction sur la situation économique générale afin de les alerter sur ce qui peut se passer dans leur ressort et leur demander de coopérer avec les délégués du ministère du Redressement productif, placés dans les préfectures de région et qui, en amont de procédures judiciaires, réfléchiront aux moyens de préserver les intérêts à la fois des entreprises, des salariés et des créanciers, et, lorsquune procédure naura pu être évitée, veilleront à son bon déroulement et son impartialité. Les parquets peuvent toujours sappuyer sur les services dadministration centrale de la Chancellerie, en particulier la direction des affaires civiles et du Sceau.
Je ne reviens pas sur leffort particulier qui sera consenti pour la justice civile.
La justice impartiale, sereine et plus proche des citoyens, que nous appelons de nos vux, reposera sur une nouvelle politique pénale guidée par quelques grands principes : recherche de lefficacité en tous domaines et à tous les niveaux du procès pénal ; affirmation sans ambiguïté que la prison ne constitue pas la seule réponse ; meilleure individualisation des peines et du parcours pénal ; plus grande attention portée aux victimes, y compris lorsquelles ne se sont pas constituées partie civile ; renforcement de la spécialisation de la justice des mineurs ; garantie du respect en tous points des droits de la défense.
Les peines plancher, tout comme la rétention de sûreté, ayant été instituées par la loi, seule une nouvelle loi pourra les abroger. La nouvelle politique pénale aura aussi des incidences sur les tribunaux correctionnels pour mineurs, le recours à la comparution immédiate et laménagement des peines. Nous aurons loccasion dy revenir.
Sagissant de limmobilier, les programmes de rénovation seront maintenus et les établissements pénitentiaires les plus vétustes fermés. Lobjectif annoncé par certains durant la campagne présidentielle de 80 000 places de prison à terme ne sera pas retenu dautant que la mesure nétait pas financée ! Pour autant, il faut réduire la surpopulation carcérale. Les aménagements de peine y contribueront. Il faut aussi donner aux services pénitentiaires dinsertion et de probation (SPIP) les moyens nécessaires pour mieux accompagner les détenus, améliorer leurs chances de réinsertion et ainsi lutter efficacement contre la récidive.
Éminemment respectueuse du Parlement et de la relative maîtrise quil a de son ordre du jour, je ne vous donnerai pas maintenant le calendrier précis des réformes. Jindique seulement que le projet de loi relatif au harcèlement sexuel, présenté après engagement de la procédure accélérée, sera débattu en séance plénière au Sénat le 11 juillet et à l'Assemblée nationale le 24 juillet. Quelques-uns des textes que jai cités plus haut seront présentés à la rentrée, en particulier le projet de loi ouvrant le mariage et ladoption à tous.
Sur la justice des mineurs et les centres déducation fermés (CEF), vous connaissez les engagements du Président de la République. Jai demandé à linspection générale des services de dresser un état des lieux : répartition des établissements sur le territoire, publics accueillis, manière dont les juges recourent à ces établissements, modalités de sortie pour les mineurs concernés De là, nous devrions avoir une vision densemble de léventail des accueils possibles pour les mineurs délinquants en fonction de leur profil.
Il nous faudra voir aussi la question de la césure du procès pénal, introduite par la loi du 10 août 2011. Nous pourrons nous appuyer sur plusieurs travaux tout à fait intéressants, notamment ceux de lAssociation française des magistrats de la jeunesse et de la famille.
Dune façon générale, lidée est dindividualiser au maximum la peine et le procès pénal, ce qui est exclusif de dispositifs comme les peines plancher qui réduisent la latitude dappréciation des juges. Alors que ces sanctions automatiques nont quune incidence dérisoire, sinon nulle, sur la commission de délits graves ou de crimes, elles augmentent beaucoup le nombre de courtes peines prononcées. Il a pourtant été établi que celles-ci favorisent la récidive car elles ne donnent pas le temps daccompagner les détenus ni de préparer leur réinsertion.
Laide aux victimes sera une autre priorité, le Premier ministre y a insisté dans son discours de politique générale. Elles se verront ouvrir de nouveaux droits, les associations daide seront pérennisées et les bureaux daide aux victimes (BAV), qui, de lavis de tous, magistrats comme avocats, accomplissent un travail remarquable, seront développés. On nen compte aujourdhui quune cinquantaine pour 165 tribunaux de grande instance.
Une conférence de consensus sera organisée sur la prévention de la récidive. Ce ne sera pas un énième colloque, mais une méthode de travail, un lieu de recueil des avis, de collecte des travaux sur le sujet, de mobilisation des experts, détude des expériences conduites à létranger, dévaluations scientifiques. Au terme de ce travail, nous espérons mettre au point collectivement une politique publique plus efficace de prévention de la récidive.
Le Président de la République sest engagé à supprimer la rétention et la surveillance de sûreté. En revanche nous regarderons de près dautres dispositifs post-peine, comme le suivi socio-judiciaire et la surveillance judiciaire qui semblent constituer des réponses au souci de suivre un détenu au-delà de sa peine.
Je ne métends pas sur la délinquance économique et financière, nous aurons certainement loccasion dy revenir au cours de la séance des questions et des réponses.
Contenu, méthode, style, je vous ai tout dit. Je vous ai exposé notre conception du service public de la justice. Lune de nos préoccupations est de rééquilibrer leffort en matière de justice civile. Sans ouvrir de grand chantier de réforme du code pénal et du code de procédure pénale, nous viserons à les rendre plus cohérents, plus lisibles et sans doute plus rationnels.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je vous remercie, madame la garde des Sceaux, de la densité et de la précision de votre propos, au travers duquel nous avons pu entrevoir jusquà lordre du jour du Parlement.
Je donne maintenant la parole à nos collègues.
M. Dominique Raimbourg. À mon tour, je vous remercie, madame la garde des Sceaux, de votre exposé complet.
Je me félicite de lapaisement que vous appelez de vos vux dans la présentation des textes au Parlement. De tous bords, nous avons souffert sous la précédente législature des saisines en urgence au gré des faits divers. Un apaisement devrait également naître de votre volonté de construire une justice du quotidien, dont Jean-Jacques Urvoas a raison de souligner que cest lun des outils du vivre ensemble.
La demande de sécurité demeure très présente dans notre société. Laggravation constante des peines à laquelle il a été procédé sous la précédente législature ny a pas apporté de réponse. Comment, selon vous, mieux articuler police et justice ainsi que justice et administration pénitentiaire ? Songez-vous à une nouvelle forme de peine qui, sans être lincarcération, soit clairement lisible pour nos concitoyens ?
Vous avez dit la nécessité de conserver les juges dinstruction, notamment pour lutter contre la délinquance économique et financière. Mais, comme la bien montré un appel des juges, tout est question de saisine et donc de politique pénale. Avez-vous lintention de relancer la lutte contre cette forme de délinquance, très préjudiciable pour notre société ?
Notre organisation judiciaire est aujourdhui éminemment complexe. Envisagez-vous de la rationaliser, autour notamment dun tribunal de première instance ?
Enfin, comment voyez-vous larticulation entre notre droit et le droit européen, issu des directives mais aussi de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de lhomme qui, si elle fait progresser en certains domaines, heurte aussi parfois notre droit ?
M. Georges Fenech. En vous écoutant, madame la ministre, jai eu limpression quaprès lombre, la lumière enfin était venue. Avant vous, tout était mauvais et il faudrait donc jeter le bébé avec leau du bain. Vous avez été particulièrement sévère à légard de la majorité précédente. Lois « réactives », justice « peu efficace », insécurité juridique, tribunaux asphyxiés, politique du « tout-carcéral » : rien de ce qui sest fait avant vous ne trouve grâce à vos yeux. Pas un mot sur lamélioration des droits de la défense permise par la réforme de la garde à vue, non plus que sur la question prioritaire de constitutionnalité, qui constitue pourtant une grande avancée.
Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a déclaré que les attentes des Français en matière de sécurité navaient « jamais été aussi fortes » et que « la montée de la violence appelle une réponse ferme de la puissance publique ». Cette préoccupation est dautant plus légitime que la sécurité est la première des libertés garanties par notre Constitution. Or, il ne semble pas, à lannonce de vos premiers projets de réforme pénale, quon sapprête à répondre à cette exigence.
Vous souhaitez supprimer les peines plancher applicables aux récidivistes, instituées lors de la précédente législature. Je ne peux que le déplorer. Entre août 2007 et décembre 2011, 36 944 peines plancher ont été prononcées, principalement pour des vols, des violences et des trafics de stupéfiants. Cela nest pas étranger à la baisse, durable et constante, de la délinquance depuis 2002 : 16 % selon lObservatoire national de la délinquance (Interruptions de plusieurs commissaires socialistes). Vous êtes à juste titre hostile à lautomaticité des peines et favorable au contraire à leur individualisation. Voilà ce qui vous pousse sans doute à demander la suppression des peines plancher. Mais cest oublier que le juge a toujours la possibilité, par ordonnance spécialement motivée, de prononcer une peine inférieure. Pourquoi, sinon par pure idéologie, supprimer un dispositif qui marche et ne contrevient pas, le Conseil constitutionnel la dit, aux grands principes généraux de notre droit ? Pourquoi donner un si mauvais signal aux délinquants récidivistes ?
Le Premier ministre a déploré dans son discours de politique générale que les prisons soient surpeuplées. Vous le déplorez également. Pourquoi dès lors renoncer à la création de 20 000 places, programmée par votre prédécesseur pour désengorger nos prisons et permettre que les détenus puissent y être accueillis dans des conditions dignes, alors quaujourdhui nos établissements ne répondent pas aux standards internationaux ? Sans doute êtes-vous favorable aux peines alternatives. Nous aussi et jai moi-même été rapporteur du projet de loi ayant institué le bracelet électronique, minscrivant dailleurs dans les pas de laction de lun de vos prédécesseurs, Mme Guigou. Je salue la présence à vos côtés de son ancien directeur de cabinet, M. Vigouroux, marque dune certaine continuité dans une politique qui, hélas, ne répond pas à lattente des Français.
Des peines alternatives à la prison, oui, mais quand celles-ci ne suffisent pas, face à des délinquants multirécidivistes, la privation de liberté demeure la seule solution pour protéger nos concitoyens.
Dans le même esprit, vous avez annoncé votre intention dabroger la loi relative à la rétention de sûreté, dont jai également eu lhonneur dêtre le rapporteur. La rétention de sûreté existe dans dautres grandes démocraties, comme lAllemagne, le Canada, les Pays-Bas. Approuvée par le Conseil constitutionnel, elle vise à protéger la société de criminels particulièrement dangereux. Notre droit permet de limiter la liberté des alcooliques dangereux pour eux-mêmes ou pour autrui. Et voilà que vous, vous voudriez remettre en liberté des psychopathes pervers au risque quils fassent de nouvelles victimes ! Je le regrette. Les Français apprécieront votre position. Pourquoi abroger ce texte qui correspondait à une attente réelle de nos concitoyens ?
Vous avez également, madame la ministre, non sans un certain angélisme, dit publiquement votre volonté de voir se développer les rencontres entre les victimes et leurs agresseurs. Cest oublier que la sanction ne vise pas seulement à réparer le préjudice subi par la victime mais quelle a pour fondement la réparation du trouble occasionné pour la société. Je ne vois vraiment pas en quoi ce rapprochement entre victimes et agresseurs pourrait améliorer notre système judiciaire.
Enfin, vous avez indiqué que vous nadresseriez pas dinstructions individuelles aux parquets, ce dont je me réjouis. Mais expliquez-nous alors pourquoi vous continuez à vous faire adresser sous forme de « remontées dinformation » des informations individuelles extraites des dossiers. Soit on va à lindépendance des parquets, mot que vous navez pas prononcé, soit on continue avec un système qui nest pas totalement satisfaisant.
En quelques mots, quelle est votre politique pénale, laquelle devra nécessairement combiner répression et prévention ? Continuerez-vous à détricoter tout ce qui a été fait avant vous ? Comment pensez-vous parvenir à faire chuter la délinquance ? Enfin, êtes-vous, oui ou non, favorable à lindépendance des parquets ?
Mme Marie-Françoise Bechtel. Je vous félicite, madame la garde des Sceaux, pour la grande fermeté et la grande clarté de vos propos. Si vous les teniez dans une grande émission télévisée, ces propos intéresseraient beaucoup les Français
La seule question que je vous poserai ici a trait à la réforme du CSM et au statut du Parquet. Une réflexion approfondie simpose sur ces deux sujets, qui sont liés.
Sagissant du CSM, on a à peu près tout essayé depuis 1946. On a, à certaines époques, salué la fin de la parité, qui devait signer la fin du corporatisme. À dautres moments au contraire, on a dit quun CSM non paritaire ne pourrait pas être indépendant, bien des clameurs de magistrats alimentant dailleurs ce procès. La composition du CSM est étroitement liée à ses compétences. Cela pose la question de sa relation avec le ministre de la Justice lui-même. Sans même parler des questions disciplinaires, pour la simple gestion des carrières, on na pas encore trouvé de solution satisfaisante entre un CSM surchargé et une direction des services judiciaires qui continue de recevoir les dossiers. Après quont été essayées tant de réformes, il sagit aujourdhui de savoir si le CSM doit être un organe paritaire, au risque du corporatisme, ou si on renforce la présence en son sein de personnalités extérieures, qui pourraient y apporter des compétences supplémentaires.
La question connexe est celle du statut du Parquet. Je ne méconnais pas lesprit du temps et ne nie pas non plus quil y a eu des évolutions. Le risque existe néanmoins, à laisser dériver les procureurs généraux, que se créent des féodalités. Or, les Français sont profondément attachés à légalité dans le fonctionnement du service public de la justice. Le garde des Sceaux ne doit pas être en conflit dune part avec le CSM, comme il lest depuis un certain nombre dannées, sur certaines questions, dautre part avec les procureurs généraux qui mèneraient chacun dans leur coin leur propre politique. Il lui appartient, sans doute par une subtile dialectique, de surmonter ces contradictions. Je formule le vu que le Parlement soit associé en tant quacteur institutionnel à la conduite de ces réformes dont je nai pas la clé
Mme la garde des Sceaux. Monsieur Raimbourg, je ne confonds pas la demande de sécurité et celle de justice. Vous les avez bien distinguées vous aussi, alors que M. Fenech, lui, ma simplement demandé comment jentends répondre à la demande de sécurité. Dans mes fonctions, je nai la responsabilité que de répondre à la demande de justice. Il ne vous a pas échappé que le ministère de lIntérieur et le ministère de la Justice coopèrent largement. Nous avons dailleurs convenu avec mon collègue de lIntérieur de nous rencontrer régulièrement. Cela nous donnera, par exemple, loccasion dévoquer le sujet de la police judiciaire. Si ce service est porté à la fois par la police et la Justice, il importe de bien séparer leurs missions respectives, quil ne saurait être question de confondre dans un État de droit.
Il nest pas rare, par un effet doptique, que la direction de ladministration pénitentiaire, dotée de missions bien particulières, soit considérée comme une entité autonome. Elle fait pourtant intimement partie du ministère de la Justice, tout comme la politique pénitentiaire se fonde sur la politique pénale. Celle-ci a été ces dernières années centrée sur lincarcération, doù la surpopulation carcérale aujourdhui constatée. En dépit de la loi de 2004 qui prévoit de tout faire pour les éviter car elles favorisent la récidive, les sorties sèches de prison demeurent trop fréquentes. Notre objectif nest pas de créer je ne sais combien de places de prison, mais de travailler à la réinsertion des détenus et de prévenir efficacement la récidive car là est bien limportant pour éviter de nouvelles victimes. On ne peut pas à la fois dun côté, dans un grand élan de compassion, prétendre avoir le souci des victimes et de lautre mener une politique pénale génératrice de surpopulation carcérale, ne pas donner aux SPIP les moyens daccompagner les détenus, laisser les conditions de détention compliquer le travail des surveillants et nourrir la violence. Si nous souhaitons favoriser la réinsertion, cest pour lutter contre la récidive. Nous nous en donnerons les moyens.
Sagissant des juges dinstruction, dont je vais très bientôt recevoir les représentants, je ne reviens pas sur les multiples problèmes qui se posent et que vous connaissez bien : constitution de pôles de linstruction, localisation et spécialisation de ces pôles, moyens de garantir quils puissent mener des enquêtes spécialisées en toute indépendance, en particulier pour les faits de délinquance économique et financière Je ne fais sur ce point aucun procès dintention, monsieur Fenech. Je mappuie sur des chiffres vérifiables. Hautement consciente de la responsabilité qui est aujourdhui la mienne, soyez assuré que je naffirme rien qui ne soit avéré. En matière de délinquance économique et financière, pour le seul pôle de Paris, le nombre denquêtes confiées à un juge dinstruction est tombé de cent à dix entre 2006 et 2011, depuis qua été détricotée toute la législation afférente ce nest pas moi en lespèce, monsieur Fenech, qui ait détricoté quoi que ce soit ! Ces données chiffrées, je les ai trouvées en arrivant place Vendôme.
Oui, il faut rationaliser notre organisation judicaire. Des tribunaux de première instance peuvent y contribuer. Se pose la double question de la thématisation et de la territorialisation.
Jen viens à larticulation de notre droit avec le droit européen. Jai participé début juin, avec plusieurs membres de la direction des affaires criminelles et des grâces, au Conseil européen Justice et affaires intérieures. Un autre se tiendra à lautomne. Nous sommes et demeurerons très mobilisés au niveau européen. Les transpositions affectent dores et déjà quelque 60 % de notre législation. Les décisions prises au niveau européen ne vont pas toujours dans le sens que nous souhaiterions, comme récemment sur les données personnelles. Nous nous mobilisons pour que les dispositions les plus protectrices de notre droit en ce domaine, issues notamment de la loi de 1978 ayant créé la CNIL, soient reprises dans le droit communautaire. Nous travaillons maintenant sur létablissement qui stockera les données personnelles, ce qui déterminera la juridiction compétente. Limportant avec lEurope est que les échanges se fassent dans les deux sens : nous ne sommes pas seulement réduits à transposer le droit communautaire, nous cherchons aussi à faire en sorte que notre droit lirrigue. Cela vaut par exemple pour la protection des sources des journalistes.
Monsieur Fenech, vous mavez fait un long procès, mattribuant des propos que je nai jamais tenus. Nous avons le droit davoir des divergences. Elles sont nettes pour ce qui est de la politique pénale ou de la politique pénitentiaire. Confrontons nos points de vue mais dans le respect de la vérité. Je répondrai, pour ma part, à ce que vous dites, pas à ce quon me rapporte que vous avez dit. Reprenez les propos que je tiens publiquement si vous le souhaitez mais tenez-vous en là. Vous affirmez que jaurais souhaité que se développent les rencontres entre les agresseurs et leurs victimes. Jamais je nai dit cela.
Jai assisté à la troisième journée des vingt-septièmes assises nationales de la fédération des associations daide aux victimes, lINAVEM, dont le thème était : « Victime et auteur : la possible rencontre. Passer dun regard qui dévisage à un regard qui envisage. » Certains intervenants suisses ou canadiens ont relaté des expériences de rencontres, menées dans leur pays, entre les auteurs et les victimes dinfraction. Il sagit dun processus de médiation auquel les deux parties participent librement, sans aucune contrainte. Pour se reconstruire, une victime peut en effet souhaiter rencontrer les auteurs de linfraction. De telles expériences se déroulent actuellement en France, par exemple à Poissy. Jai déclaré aux assises de lINAVEM et répété devant les médias qui me pressaient de prendre position que la fédération pouvait développer sa réflexion en conduisant ses expériences et en profitant de celles des autres : cette démarche est empreinte dune grande générosité, mais, pour ma part, en tant que garde des Sceaux, je noublie pas que la justice a précisément pour fonction de mettre un terme au face à face entre lauteur et la victime. LINAVEM réclame par ailleurs la création dune « contribution victime », alimentée par une taxe sur les amendes. Là aussi, par un biais financier, on se retrouverait dans le face à face.
Je connais la hauteur et la noblesse des missions de justice. On peut madresser bien des reproches, on apprécie et on appréciera mon caractère comme on le voudra, on ma prêté et on me prêtera bien des déclarations, mais on ne peut nier les principes qui fondent mon action. Je vous demande de tenir compte de ce que je dis, de ce que jécris, de ce que jénonce publiquement : cest sur cette base que pourra sétablir un vrai débat, dût-il nous conduire à constater nos divergences.
Monsieur Fenech, lautomaticité des peines plancher trahit une défiance à légard du juge, en mettant en doute sa capacité à apprécier une situation. Vous-même, dans la loi daoût 2011, avez prévu dans le parcours pénal la procédure de la césure qui, cest vrai, nest pas exactement ce que lon est en droit dattendre, je renvoie à ce propos aux travaux de lAssociation française des magistrats de la jeunesse et de la famille.
Vous maccusez denvoyer un mauvais signal aux multirécidivistes. Vous savez pourtant que les peines plancher ne concernent pas ceux qui sont déjà lourdement sanctionnés par le code pénal. En la matière, cest chez vous quon trouve la propagande et les slogans ; moi, je ne fais pas de lagit-prop, je mappuie sur des chiffres, sur des résultats de procédures.
Des débats de grande qualité ont eu lieu à lAssemblée et au Sénat sur la rétention de sûreté. Cest pour contourner le principe de non-rétroactivité que dans un montage certes un peu subtil la surveillance de sûreté a été liée à la rétention de sûreté. On ne punit pas quelquun pour un acte quil na pas commis : quoi de plus démocratique que ce principe ?
Il existe dautres dispositifs post-peine, tels le suivi socio-judiciaire qui manque de moyens et en a même perdu ces cinq dernières années ou la surveillance judiciaire. Une évaluation déterminera sil est possible de les améliorer.
Certains ont eu un haut-le-cur en mentendant dire que, lorsquelle est aux responsabilités, la gauche prend des mesures en faveur de lindépendance des parquets. Avaient-ils oublié ce premier mouvement lorsquils mont reproché dêtre opposée à lindépendance des parquets ?
En ce qui concerne les instructions individuelles, jai réuni les chefs de cour en début de semaine et deux procureurs généraux mont expliqué quils se sentaient parfois un peu seuls, quils avaient alors besoin dindications : les exemples quils mont donnés prouvent que les remontées en provenance des juridictions sont exclusivement techniques et juridiques. Tous les jours, en effet, les juridictions adressent à la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), à la direction des affaires civiles et du Sceau (DACS) ou à la direction des services judiciaires (DSJ) des informations techniques et juridiques. Un procureur général peut, par exemple, avoir besoin daide sil se trouve face à un justiciable étranger dont il ignore le statut diplomatique. La Chancellerie explique alors létat du droit, dit ce quil est possible de faire. Une juridiction confrontée à une cascade de plans sociaux peut également avoir besoin de sadosser aux services de la Chancellerie. La DACS fournit alors des éléments de droit qui permettent de faire face à la situation. Pour sa part, éclairée par ces informations, la Chancellerie peut anticiper et, si un procès important doit intervenir dans un ressort, prévoir les renforts nécessaires en moyens logistiques et en effectifs. La remontée des informations sert également à alimenter la politique pénale, à mieux lajuster. Elle nest ni illégale ni inutile et ne remplace pas les instructions individuelles.
En ce qui concerne lefficacité de la politique pénale et pénitentiaire, permettez-moi de rappeler que si, en 2007, on a enregistré 90 000 entrées en prison, on a constaté un tassement en 2008 81 000 et une remontée en 2009 88 000. Vous me demandez pourquoi, malgré la surpopulation carcérale, je ne veux pas des milliers de places supplémentaires. Mais cest la politique pénale qui fonde la politique pénitentiaire, et notre politique pénale ne se confondra plus avec une course à lincarcération !
Des besoins existent, cependant, et les programmes de rénovation seront maintenus. Vendredi dernier, jai demandé aux quinze membres de mon cabinet, accompagnés des directeurs, des directeurs adjoints et du numéro trois des services, daller, sur le terrain, visiter des lieux de détention dans les juridictions. Le soir même, a eu lieu une séance de restitution. Certains sont revenus bouleversés de ce quils avaient vu : dortoirs de onze ou douze personnes, murs qui suintent, vétusté des réseaux électriques
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Mme la ministre devant nous quitter dans quarante-cinq minutes mais nous sommes là pour cinq ans ! , je remercie les orateurs qui vont à présent linterroger de bien vouloir privilégier la concision.
M. Jean-Frédéric Poisson. La question de la surpopulation carcérale et des conditions de détention abominables ne date pas dhier : cest entre 1997 et 2002, Mme Guigou et Mme Lebranchu étant gardes des Sceaux, que deux rapports lun à lAssemblée nationale, lautre au Sénat lont évoquée pour la première fois. Nous avons, en la matière, une responsabilité collective. Allez-vous rénover les établissements anciens et mener à terme les programmes de construction de places nouvelles ? Allez-vous poursuivre la réflexion sur les peines de substitution, engagée depuis une quinzaine dannées par les majorités successives ?
Jai bien noté que vous souhaitiez que lon vous juge sur les propos que vous avez tenus et non pas sur ceux quon vous fait tenir. Ma question va donc être très précise. Madame la garde des Sceaux, confirmez-vous les propos quon vous a prêtés et selon lesquels ceux qui se sont rendus coupables davoir brûlé un drapeau français en place publique le soir du second tour de lélection présidentielle ne pouvaient être poursuivis, ni inquiétés, ni condamnés pas même sur le plan éthique , car il ne sagissait, selon les propos quon vous aurait prêtés, que dune manifestation de liesse collective je cite de mémoire ? Si vous les confirmez, doit-on alors considérer que votre interprétation de larticle du code pénal qui punit de 7 500 euros et de six mois demprisonnement le fait doutrager les symboles de la République signifie quil est encore en vigueur dans votre esprit ? Ou entendez-vous le modifier ?
Êtes-vous favorable à une réforme de la loi de 1970 sur les stupéfiants ? Envisagez-vous de distinguer la consommation de lincitation à la consommation et du trafic ?
Vous avez enfin rapidement évoqué la justice sociale. Pourriez-vous préciser vos intentions à légard de la justice prudhomale ?
M. Matthias Fekl. Lévaluation de la réforme de la carte judiciaire reste à faire. A-t-elle permis de réaliser des économies ? A-t-elle eu un impact sur la qualité de la justice, les délais, la qualité des décisions rendues ? Mon intuition est que, de ce double point de vue, elle a eu des effets neutres voire, parfois, peut-être même des effets positifs. Mais le problème de laccessibilité de la justice se pose notamment en termes sociaux pour nos concitoyens les plus vulnérables. Il convient denvisager toutes les solutions pour y remédier, quil sagisse du retour des juridictions, lorsque cela est financièrement possible, des audiences par visioconférence dans mon esprit plutôt en dernier recours, car la justice a besoin dhumanité ou de la création de chambres détachées, déjà prévue, me semble-t-il, dans le code de lorganisation judiciaire. Cette dernière solution permettrait de répondre à lexigence de proximité de la justice sur tout le territoire et déviter le risque de désertification judiciaire dans certaines régions. Quel calendrier envisagez-vous pour ce faire ?
M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Permettez-moi de rappeler la formulation de larticle 353 du code de procédure pénale : « Sous réserve de lexigence de motivation de la décision, la loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés composant la cour dassises des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance dune preuve ; elle leur prescrit de sinterroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre laccusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : Avez-vous une intime conviction ? »
Ce principe me paraît archaïque et injuste. La cour peut condamner à de très lourdes peines sans preuve véritable, suffisante ou totalement convaincante, en se fondant sur la seule subjectivité des juges et des jurés, sur leur sentiment personnel, sur leurs impressions, comme sil pouvait exister une justice impressionniste. Ce système paraît presque aussi hasardeux que lordalie ou le jugement de Dieu au Moyen Âge.
En outre, le principe de lintime conviction paraît contraire à un principe du droit assez universel, qui sénonce en latin : « In dubio pro reo », « le doute doit bénéficier à laccusé ». Je souhaiterais donc vivement que soit modifié cet article du code de procédure pénale.
Dautre part, je souhaiterais quil soit rendu hommage à Paul Didier, seul magistrat qui, sélevant contre les mesures xénophobes et racistes du gouvernement dit de « lÉtat français » et contre la création des sections spéciales, refusa de prêter serment de fidélité à la personne du maréchal Pétain. Révoqué, interné au camp de Châteaubriant, il put rejoindre la Résistance et, après la Libération, termina sa carrière comme président de chambre à la cour dappel de Paris. Il fut un moment de la conscience humaine. LÉcole nationale de la magistrature a baptisé de son nom la promotion 1997 et il me paraîtrait souhaitable quune plaque rappelle son souvenir au ministère de la Justice.
Mme la garde des Sceaux. Que Mme Marie-Françoise Bechtel veuille bien me pardonner si jai tout à lheure omis de répondre à sa question. Nous allons travailler à lindépendance des parquets, non seulement avec le CSM et les magistrats, mais également avec les parlementaires. Vous avez bien récapitulé les principaux thèmes dun débat difficile : parité, présence de non-magistrats, risque corporatiste. Lindépendance des parquets dépend de la réponse qui sera apportée à la question concernant les compétences du CSM, le mode de désignation des magistrats qui y siègent ou des personnalités qualifiées. Les consultations ont commencé : une séance de travail avec le CSM doit se dérouler le 18 juillet. On a pu accuser la majorité sortante dinstrumentaliser ce dossier : mais tout cela nest que lécume, il faut aujourdhui satteler aux sujets de fond. Il ne sagit pas de défaire ce qua fait la législature précédente, mais de réfléchir au meilleur moyen de réformer un instrument extrêmement important. La concertation doit avoir lieu, rien nest encore tranché.
Pour répondre à M. Poisson, je vais adopter un ton solennel. En tant que garde des Sceaux, jai une responsabilité particulière à légard de la Constitution qui, en son article 2, dispose que « lemblème national est le drapeau tricolore ». Avant que je sois nommée garde des Sceaux, personne, en aucune circonstance, ne ma jamais entendue dire et moi, je ne me suis jamais surprise à penser quil était banal de brûler les symboles dappartenance. Aussi, vous ne faites ici que propager des calomnies. Tout dabord, il ny a jamais eu de drapeaux brûlés place de la Bastille le soir du second tour de lélection présidentielle. Il ny a pas eu de fait. Mais, comme on me crédite du pouvoir de réaliser des exploits, on va jusquà dire que jai réussi à commenter, sur RFI, un événement qui na jamais existé et lon ma accusé davoir déclaré que brûler des drapeaux participait de la liesse populaire, que ce nétait pas grave. On a même précisé que javais fait ces déclarations en tant que garde des Sceaux la non-rétroactivité semble ne pas être un principe démocratique pour des tas de gens alors que, le 6 mai, je navais évidemment pas encore été nommée ! Un communiqué de presse signé par lUMP des Bouches-du-Rhône, et comportant le nom dun responsable de ce parti et un numéro de portable, a même repris linformation, que lon a retrouvée pendant une semaine sur Twitter et sur différents sites. Ce communiqué est de la pire calomnie. RFI a pourtant confirmé que je navais jamais tenu de tels propos et a passé tout un week-end à répondre aux journalistes qui linterrogeaient à ce sujet. Jaurais pu poursuivre en diffamation la section UMP des Bouches-du-Rhône, mais, étant garde des Sceaux, jai préféré mabstenir. Je suis ravie à lidée que le compte rendu de cette audition contribuera à rétablir la vérité, même si je métonne que, pour certains, la première calomnie lancée sur internet puisse constituer un sujet de débat en commission des Lois.
M. Jean-Frédéric Poisson. Je réclame le droit de poser les questions que je veux dans le cadre de cette Commission, sans que lon maccuse de propager des calomnies !
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Mes chers collègues, dans cette maison, la parole est libre. Dans le cadre dun débat démocratique, la confrontation des points de vue est souhaitée. Les parlementaires posent les questions quils jugent utiles et les membres du Gouvernement leur répondent comme bon leur semble. Jean-Frédéric Poisson aura donc contribué à laver la querelle qui est faite à Mme la garde des Sceaux.
Mme la garde des Sceaux. Dois-je len remercier ?
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je protège lexpression de tous les parlementaires.
Mme la garde des Sceaux. Vous navez pas parlé que de cela, monsieur Poisson, et avez également évoqué la politique carcérale. Là aussi, il faut revenir aux chiffres. Vous avez cité des rapports parlementaires : ils sont, en général, de grande qualité, et jai bien lintention de men inspirer, y compris de ceux qui sont élaborés en tandem par des députés de la majorité et de lopposition je pense, par exemple, à celui sur laide juridictionnelle quont rédigé Mme Pau-Langevin et M. Gosselin. Mais, aussi bons soient les rapports, tout dépend de lapplication qui en est faite. De ce point de vue, nous navons pas la même responsabilité dans la situation actuelle. La politique pénale et pénitentiaire des dix dernières années a fait que nous sommes passés de 42 000 détenus en 2002, pour un peu plus de 50 000 places, à 67 000 détenus pour 57 000 places aujourdhui.
Vous avez raison, cependant, il faut trouver un équilibre en matière de peines de substitution la conférence de consensus devrait nous permettre de progresser en matière de sémantique, car, avec cette expression, cest encore lincarcération qui est prise comme référence. Certaines de ces peines sont efficaces : les bracelets électroniques permettent la surveillance, mais pas laccompagnement. Des aménagements et des progrès sont donc nécessaires. Nous devons y travailler, sans perdre de vue les objectifs de réinsertion et de recul de la récidive.
Nous aurons, en temps utile, un débat sur la réforme de la loi de 1970 sur les stupéfiants. Ma conviction personnelle importe peu. Je suis garde des Sceaux, ministre de la Justice, et jagis au nom de lÉtat. Si, dans un autre cadre, vous souhaitez minterroger personnellement, je vous dirai non seulement ce que jen pense, mais je rappellerai ce que jai pu dire ou écrire à ce sujet par le passé. Ainsi, à loccasion de la campagne pour lélection présidentielle de 2002, jai pris des positions très claires. Je pense, en effet, que les simples consommateurs ne sont pas des trafiquants, que la réponse de droit ne peut pas être la même pour un usager et pour un trafiquant.
Je suis passée un peu vite, il est vrai, sur la justice sociale, considérant que nous pourrions y revenir à loccasion des questions. Le sujet est complexe. Il faudra y mettre de lordre et assurer la proximité. Il sagit de petits litiges. Nous aurons à traiter les questions des périmètres de contentieux, du guichet unique de greffe, du tribunal de première instance.
Monsieur Fekl, vous avez raison, lapproche, en matière de carte judiciaire, doit être pragmatique. Jai rappelé en préambule ce que lon mavait dit : la réforme de la carte judiciaire a été brutale, mais il ne faut pas la refaire. Il convient plutôt de réfléchir à la manière dont on doit thématiser et territorialiser, pour renforcer la proximité et lefficacité, afin que le citoyen ne soit pas perdu. Cest ainsi que nous pourrons réaliser les ajustements nécessaires.
Quant aux chambres détachées, il en existe déjà. Pendant très longtemps, par exemple, il y en eut une en Guyane nous avons fini par obtenir une cour dappel.
Jai bien entendu vos observations, monsieur Schwartzenberg, sur larchaïsme de larticle du code de procédure pénale relatif à l« intime conviction ». Aussi bien pour les tribunaux dassises que pour les tribunaux correctionnels, lintime conviction nexclut pas la recherche des preuves. Cest la question de la formation des policiers et des magistrats qui se pose ici. La société elle-même demande davantage des éléments tangibles de preuve que lintime conviction. À lorigine, le doute devait bénéficier à laccusé, et cétait toute la beauté de lintime conviction. Aujourdhui, la recherche des preuves doit encore se développer, notamment grâce aux moyens scientifiques dont nous disposons.
Je retiens enfin votre suggestion concernant lhommage à Paul Didier, et vais la faire étudier.
M. Philippe Goujon. Madame la garde des Sceaux, votre seule ligne directrice, semble-t-il, est de défaire tout ce que le gouvernement précédent a mis en place. Son uvre législative considérable entendait pourtant adapter notre arsenal législatif aux évolutions constantes de la société, et non pas, comme on la prétendu, réagir à des faits divers. Je ne souhaite quune chose : que lévolution de la délinquance et de la criminalité ne vous contraigne pas, vous aussi, à réagir de cette manière.
La nouvelle loi sur la rétention de sûreté na pas eu le temps dêtre appliquée. Il sagit de maintenir en milieu fermé, principalement médical, et même sous surveillance pénitentiaire, des criminels dangereux, parfois atteints de troubles psychiatriques. La dangerosité de certains individus ne cesse pas une fois quils ont purgé leur peine. En revenant sur cette loi, qui concerne exclusivement les criminels et les violeurs en série, vous prenez un risque énorme que je ne souhaite pas se voir réaliser que se produisent des récidives criminelles. Une telle disposition existe pourtant dans des pays aussi peu répressifs que les Pays-Bas ou le Canada.
Vous faites également fausse route en matière de peines plancher. Tout délit mérite sanction, et, pour les petites peines, lincarcération est parfois utile. Vous avez répété que votre objectif, ce nétait pas la sécurité, mais la justice. Nous sommes, pour notre part, convaincus que les peines plancher sont lune des mesures qui ont permis la baisse continue de la délinquance notamment de proximité depuis neuf ans.
Les peines plancher ne doivent pas seulement concerner les récidivistes, mais les réitérants, qui échappent largement aux sanctions. Nous avons fait adopter avec plusieurs collègues, notamment Éric Ciotti, une proposition de loi qui étendait les peines plancher aux réitérants. On dénombre, à Paris, un millier de réitérants ayant commis chacun entre cinquante et cent faits délictueux, et près de 20 000 personnes citées plus de cinquante fois dans le système de traitement des infractions constatées.
La délinquance des mineurs augmente et, même si, en la matière, tout doit reposer à la fois sur la prévention et sur la répression, nous pensons quil faut modifier la législation et créer un code des mineurs. Est-il vrai, par ailleurs, que vous envisagiez la fin de toutes mesures privatives de liberté pour les mineurs ? On croit savoir de même que vous voulez supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs, qui ne concernent pourtant que les récidivistes de plus de seize ans, auteurs de faits passibles de plus de trois ans de prison.
Le gouvernement précédent na pas pris que de mauvaises mesures et vous voudrez bien reconnaître que la création du contrôleur général des lieux de privation de liberté en était une bonne ; jétais rapporteur du texte linstituant.
Nous avons bien compris que vous ne souhaitiez pas construire 20 000 nouvelles places de prison et que vous vous contenteriez de 6 000 places pour la rénovation des prisons anciennes. Êtes-vous donc favorable au numerus clausus dans les prisons ?
Permettez-moi enfin de poser une question dintérêt local : quel avenir réservez-vous au tribunal de grande instance de Paris et à la prison de la Santé ?
M. Philippe Doucet. Madame la garde des Sceaux, si vous nétiez pas une femme de couleur et originaire de loutre-mer, vous nauriez pas fait lobjet des propos calomnieux que vous avez rappelés tout à lheure. Nous tenons à vous exprimer notre solidarité sans faille.
M. Philippe Goujon. Ces propos sont ignobles !
M. Georges Fenech. Si le président ne réagit pas, nous quitterons la salle !
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Chers collègues, je lai dit, cest la liberté de ton et de parole qui doit prévaloir dans nos débats. Chacun sait quil représente ici plus que lui-même, une part de la nation. Il nous faut être à la hauteur de la dignité de la fonction. Concentrons-nous sur lessentiel, sur le dialogue entre le Parlement et lexécutif. Mme la garde des Sceaux a rappelé la responsabilité particulière qui est la sienne au regard de nos institutions. Je nous invite donc à éviter les débats entre nous, les allusions ou les remarques qui ont pour seule conséquence de tendre lambiance et qui nuisent à lintérêt dune audition et de notre dialogue. Si chacun comprend que son rôle est dans la construction, je suis certain que nos débats ne cesseront pas dêtre utiles.
M. Philippe Doucet. Rendre des décisions de justice dans un temps raisonnable et avoir des dispositifs adaptés permettant dappliquer ces décisions, cest le moyen déviter le sentiment dimpunité et de ne pas porter atteinte à la crédibilité de lÉtat républicain. Les travaux dintérêt général ont été institués par la loi du 10 juin 1983. En 2009, 29 511 mesures ont été prononcées à lencontre dauteurs de délits et de contraventions, dont 17 478 travaux dintérêt général (TIG), 9 100 sursis TIG et 2 933 travaux non rémunérés (TNR). Cependant, ce dispositif comporte des faiblesses. Quel travail proposez-vous éventuellement dengager pour renforcer son efficacité ? Seriez-vous intéressée par la mise à létude de TIG dépaysés du lieu du délit, afin de tirer parti, dune part, de la valeur pédagogique de lactivité exercée par le condamné et, dautre part, de leffet positif que peut produire léloignement du milieu dans lequel ont été développées les habitudes fautives ?
Vous vous êtes récemment exprimée, dans une interview que vous avez accordée au Parisien, en faveur de la création dune procédure daction de groupe. Selon une enquête réalisée en 2011, auprès de 60 000 Français, par lassociation UFC-Que choisir ?, 80 % des consommateurs victimes de préjudice renoncent à introduire une action en justice, notamment en raison du coût et de la complexité des procédures. Pouvez-vous nous donner quelques indications sur la méthode de travail que vous comptez adopter pour cette réforme et sur ses délais de mise en uvre ?
M. Yann Galut. Nous voulons faire confiance aux magistrats et faire appel à leur intelligence en supprimant les peines plancher ; nous voulons accorder une priorité à la lutte contre la délinquance financière ; nous voulons mettre en avant le juge dinstruction, qui instruit à charge et à décharge : telle est notre conception de la justice pénale. Mais, vous lavez rappelé, madame la garde des Sceaux, 70 % des affaires sont civiles et, si nous devons réfléchir à la déjudiciarisation, le juge est souvent le garant de léquilibre entre les parties.
Il me paraît dautre part important de développer la médiation et la conciliation. Envisagez-vous daller dans cette direction ?
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Monsieur Galut, vous serez le dernier à avoir interrogé Mme la garde des Sceaux ce matin. Huit autres de nos collègues sétaient également inscrits pour poser des questions qui, toutes, étaient légitimes et auraient été utiles. Mais javais promis à Mme la ministre que nous la libérerions à 11 h 45 et je prie par avance ceux qui ne pourront sexprimer de bien vouloir men excuser.
Mme la garde des Sceaux. Je présente moi aussi mes excuses aux huit députés qui ne pourront poser leur question. Il est probable que jai moi-même contribué à les frustrer en mexprimant parfois un peu longuement. Le scrupule avec lequel je vous réponds est la preuve du respect que jéprouve pour vous.
Je prends note de nos désaccords sur les peines plancher. Nous aurons le temps et loccasion, y compris dans lhémicycle, de présenter nos arguments respectifs.
Vous mavez interrogée, monsieur Goujon, sur les criminels dangereux. Mais il ne faut pas attendre quils aient fini de purger leur peine pour se demander sils le sont et il faut les accompagner tout au long de la détention, y compris avec des soins psychiatriques. Hélas, en ce domaine, les moyens ont été réduits, mais je ne pense pas quun tel argument puisse plaider en faveur du maintien de la rétention de sûreté et de la surveillance de sûreté.
Cest autour du suivi socio-judiciaire en milieu ouvert que sopposent ceux qui sont favorables au tout-carcéral et ceux qui pensent que la société peut créer les conditions pour accompagner certaines personnes après quelles ont exécuté leur peine.
Vous avez dit que la sécurité ne figurait pas parmi mes objectifs. Dans un État de droit, les responsabilités du ministère de lIntérieur ne se confondent pas avec celles du ministère de la Justice, et leurs missions sont différentes. En disant que la mienne est de répondre à la demande de justice quexprime la société, je respecte les responsabilités confiées à mon collègue Manuel Valls, qui, lui, doit répondre à la demande de sécurité. Certes, nos missions ne sont pas sans lien lune avec lautre, mais ne me faites pas dire que je nai pas lobjectif de la sécurité ! Je suis soucieuse que le service public de la justice soit performant, mais je refuse dentretenir la confusion, dans la chaîne pénale, entre ce qui relève de la justice et ce qui incombe à la police. Lune et lautre peuvent mener certaines actions ensemble les missions de police judiciaire par exemple , mais la mission de sécurité nest pas la mission de justice. Lorsque je dis que jai la responsabilité de répondre à la forte demande de justice, je nignore pas la forte demande de sécurité, mais je nai aucune raison de dépouiller mon collègue ministre de lIntérieur de ses responsabilités.
Ce sont les résultats, les chiffres, les données de la délinquance qui mesurent limpact dune politique, et ceux des cinq dernières années ne sont pas reluisants. Sans doute, les chiffres ne nous départageront pas, mais ils ont au moins une vertu : ils fournissent des éléments objectifs.
On mattribue la volonté de supprimer toute possibilité dincarcération pour les mineurs. Admettez que ce serait contradictoire avec le postulat de la confiance accordée au juge. Si, dans les limites permises par le code pénal, le juge décide quun mineur doit être incarcéré, comment pourrais-je le contester, moi qui ne cesse de répéter que je fais confiance au juge et à sa capacité dappréciation ? Ces insinuations ne sont quun échantillon de tout ce que lon raconte sur moi. Pendant la campagne des élections législatives, je me suis rendue dans une circonscription détenue par un député de lancienne majorité, pour soutenir sa concurrente. Je me suis fait huer par des militants qui mont poursuivie pendant une heure sur un marché. Pas plus que vous, ce député, que je saluerai cordialement lorsque je le croiserai, na à répondre des débordements de ses électeurs. Cest dans ce contexte quune dame âgée ma interpellée en me disant que jallais ouvrir les portes des prisons et libérer tous les détenus. Comme jai reçu une bonne éducation et que je respecte les personnes âgées, je lui ai répondu, très poliment, que, même si je voulais me passer une telle fantaisie, ce serait impossible dans un État de droit tel que la France. Les personnes âgées ont vu le monde se transformer très rapidement ces dernières années et je peux comprendre leurs angoisses : elles sentent quelles nont pas demprise sur un monde en perpétuel bouleversement, où leur quartier ne ressemble plus à ce quelles ont longtemps connu. Ce que je naccepte pas, cest quon instrumentalise ces peurs, quon incite ces personnes à abdiquer leurs capacités de raisonnement pour devenir prisonnières de leur angoisse. Cest, en tout cas, une façon assez indigne de faire de la politique.
Je ne vais donc pas ouvrir les portes des prisons pour mineurs. On compte aujourdhui 700 jeunes détenus. Lordonnance de 1945 postule très clairement limportance de léducation, y compris en cas dincarcération : la sanction doit être éducative, je suis très attachée à ce principe, et cest pourquoi jai pu parler de spécialisation, dindividualisation de la justice des mineurs. Depuis un mois et demi, je nai ouvert les portes daucune prison et je nen ouvrirai pas, car nous sommes dans un État de droit, dans une démocratie, et le rôle du garde des Sceaux nest pas de contredire le code pénal. Jai la plus grande estime pour les législateurs que vous êtes, car cest une noble fonction que délaborer les règles communes, et je pense quil est bon déviter les fantaisies.
La prison de la Santé est concernée par les grands programmes de rénovation qui, je le répète, se poursuivront. Quant au tribunal de Paris, vous nignorez pas que le projet a été signé entre les deux tours de lélection présidentielle et que son financement nest pas neutre, puisquil sagit dun partenariat public-privé (PPP). La plupart des gros projets immobiliers pénitentiaires se font dans le cadre dun PPP. Or la Cour des comptes nous a alertés à propos de ce type de financement. Nombreux sont ici les élus locaux, qui savent ce que représentent les investissements en PPP : des charges différées, mais très lourdes pour les finances publiques. Nous avons le souci des deniers publics daujourdhui et ne disposons pas dune liberté absolue pour engager ceux de demain. M. Baroin, quand il était ministre de lÉconomie, avait mobilisé linspection des finances à ce propos. Jai de même mobilisé linspection des services judiciaires en lui demandant dexpertiser le financement de certains établissements. Le financement ne sera pas le seul critère de décision : entreront également en ligne de compte lopportunité du projet et, ensuite, sa qualité. Les besoins existent cependant et il est possible, voire probable, que je valide des projets en PPP, parce que nous ne disposons pas pour linstant de marges budgétaires. Il est cependant hors de question dériger ces partenariats en règle. La sauvegarde des deniers publics moblige en tout cas à examiner de près des projets qui, semble-t-il, ont été bouclés dans une relative précipitation.
Monsieur Doucet, on constate en effet un essoufflement dans loffre de travaux dintérêt général, qui, je le rappelle, ont été créés par Robert Badinter. Je suis daccord pour que nous travaillions ensemble sur ce sujet, car les TIG constituent une réponse pénale intéressante.
Monsieur Galut, votre remarque sur les risques de déjudiciarisation est très profonde. Sans doute, il est tentant dapporter cette réponse mécanique, mais elle peut être dangereuse pour les droits et libertés. Si nous nentendons pas développer la déjudiciarisation, nous comptons bien privilégier la médiation et la conciliation, qui ne se déroulent pas entièrement en dehors du milieu judiciaire. Le juge est protecteur des libertés, des droits et de la personne elle-même. Je serai très vigilante à cet égard.
Il me reste à vous remercier pour la qualité de ces échanges : certains fleurets étaient encore mouchetés, mais je sais quils ne le seront pas toujours (Applaudissements des commissaires du groupe SRC.)
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Merci, madame la garde des Sceaux, pour la clarté et la vérité de vos propos.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 10 juillet 2012
Dans la cité utopique de Thomas More, tout est ordre et harmonie point ny est même besoin de canaux tant le débit des fleuves y est parfaitement régulier ! Nous, nous vivons dans une société où la faute existe, le manquement et lerreur aussi, si bien que nous avons besoin de réparation et de sanctions, et, partant, de justice. Nous vous avons invitée aujourdhui, madame la garde des Sceaux, pour que vous nous parliez de justice, pas nécessairement de lois. Ce sont les utopistes qui sont friands de lois, se plaisant à imaginer les codes qui réguleraient la communauté politique quils appellent de leurs vux. Je ne suis pas utopiste, mais je crois à la justice. Jaimerais donc, avec mes collègues, que vous nous parliez de cette justice, où se côtoient les membres dune humanité ordinaire que le malheur réunit, de cette justice qui dispose aujourdhui de moins de moyens, ne jouit souvent que dune faible reconnaissance et qui pourtant, parfois même en se trompant, inlassablement essaie de construire ou de reconstruire un vivre-ensemble. Parlez-nous des actions que vous avez déjà engagées depuis votre nomination à la Chancellerie et de la politique que vous envisagez de conduire dans les années à venir. Puis nos collègues vous interrogeront.
Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je vous remercie, mesdames et messieurs les députés, de votre présence nombreuse ce matin. Au moment où vous prenez vos fonctions, jadresse à chacune et chacun dentre vous, élu pour la première fois ou réélu, mes félicitations personnelles pour la confiance que vous ont témoignée vos électeurs. Jai été sensible, monsieur le président, à votre invitation à venir mexprimer devant votre commission et cest bien volontiers que je me plie, la première, à cet exercice dont, pour avoir siégé durant quatre législatures dans cette maison, je sais combien il est fructueux pour les parlementaires mais aussi difficile pour le ministre.
Je ne suis pas indifférente, monsieur le président, à votre approche lyrique de la justice. Je la garderai présente à lesprit pour quelle guide mon action. Je ne rêve pas dune société parfaite, jaime les hommes, avec leurs défauts, leurs faiblesses et leur vulnérabilité. Cest par le vivre ensemble, auquel contribue en effet la justice, que nous aidons chacun à dépasser ses défaillances, dont toutes dailleurs ne donnent pas lieu à action judiciaire.
La justice est un service public tout à fait particulier en ce quelle structure lÉtat de droit et la société démocratique. Elle répond aux besoins quotidiens des citoyens : noublions pas que les affaires civiles représentent 70 % de son activité, ce que les affaires pénales, plus médiatiques, tapageuses et faciles à mettre en scène ont tendance à faire oublier. La justice civile occupera une place extrêmement importante dans les réformes que jai lintention de conduire.
Héritiers dune situation, il convient que nous commencions par dresser un état des lieux avant de tracer de nouvelles orientations. Cela doit nous éviter certaines erreurs de méthode qui ont pu être commises par le passé.
Mon premier engagement est de mettre un terme à la frénésie législative. Lors de mes consultations et de mes déplacements, partout, de manière quasi-unanime, il mest demandé une pause législative. Je mengage à ce quaucune réforme ne soit lancée sans concertation préalable, notamment avec ceux appelés à la mettre en uvre. Linflation législative de ces dernières années est avérée, avec une trentaine de lois pénales en cinq ans. Pour autant, les dispositifs mis en place, parfois bien conçus, grâce notamment aux études dimpact, désormais obligatoires et en général bien menées, ont souvent manqué defficacité, péchant dans leur application. Tel a été le cas de la réforme de lhospitalisation doffice pour laquelle les moyens nont pas suivi.
Nous avons trop souvent eu affaire sous la précédente législature à des lois réactives, donc par nature peu prospectives. Inefficaces, ces textes ont été source dinsécurité juridique, aussi bien pour les praticiens du droit que pour les justiciables. Rendant la loi moins lisible, ils en ont amoindri la force en même temps quils ont porté atteinte à la crédibilité de la parole ministérielle. Je mengage, pour ma part, à tenir le plus grand compte des remontées en provenance des juridictions et de toute lexpérience née de la pratique judiciaire. La concertation et la consultation seront mes règles de travail. Le dialogue sera constant tout dabord entre lexécutif et le législatif, et, au-delà, avec les organisations professionnelles, les syndicats, les associations, les chercheurs.
Ces dernières années, les lois relatives à la justice ont, la plupart du temps, été adoptées après déclaration durgence. Je mengage, pour ma part, à respecter la maturation du travail législatif et à laisser projets et propositions de loi suivre le cours normal de leur examen par les deux chambres. Cela commence mal, me direz-vous, avec le projet de loi relatif au harcèlement sexuel, qui sera très prochainement examiné après engagement de la procédure accélérée. Mais après que cette incrimination a, dans les conditions que lon sait, disparu de notre code pénal, chacun comprendra lurgence quil y avait à pallier le vide juridique ainsi créé.
Dans le souci dune justice plus cohérente et plus lisible, jamais ne vous seront proposées de mesures isolées. Nous veillerons au contraire à les articuler, de façon quelles constituent par leur ensemble un véritable projet politique de réforme de la justice, compréhensible de tous, notamment des citoyens.
La situation dont nous héritons se caractérise aussi par lasphyxie des tribunaux. Les politiques pénales de ces dernières années, centrées sur lincarcération, ont abouti à ce quon compte aujourdhui 69 000 détenus pour 57 000 places. Approche pénale, correctionnelle, assises : telles ont été les réponses privilégiées. Cest parfois nécessaire mais lengorgement des juridictions a lui-même une incidence sur la qualification des infractions, des délits ou des crimes. La multiplication des comparutions immédiates comme linstitution de peines plancher ont conduit à prononcer toujours plus de peines dincarcération, sans que cela fasse dailleurs diminuer les délits graves et les crimes, déjà lourdement réprimés par le code pénal. De tout cela, non seulement le nombre des affaires pénales a explosé, mais le délai de traitement des affaires civiles sen est trouvé allongé.
Lasphyxie des tribunaux tient également à une demande croissante de justice de la part des citoyens, de plus en plus éduqués et de mieux en mieux informés. Demandeurs dune plus grande célérité et dune plus grande efficacité, soucieux que les enquêtes soient menées à charge et à décharge, ils réclament tous les moyens permettant la manifestation de la vérité, comme les analyses ADN, ce qui nest dailleurs pas neutre sur les frais de justice.
Pour lutter contre cette asphyxie, peut-être pourrait-on revoir la présence du juge. Des modifications ont déjà été apportées ces dernières années, notamment en matière de divorce. Il conviendrait sans doute de poursuivre la réflexion sur le sujet en prenant en considération les différentes catégories de divorce, bien entendu.
De même, 42 % des jugements rendus par les tribunaux correctionnels concernant des délits routiers, il faudrait peut-être envisager une réponse partiellement différente. Si limpératif de sécurité routière exige de ne pas relâcher la pression sur les conducteurs, de façon que les comportements délictueux au volant ne repartent pas à la hausse, il nen serait pas moins bienvenu de désengorger quelque peu nos tribunaux.
Jen viens au style et à la méthode. Nous avons tous en mémoire la façon dont a été conduite la réforme de la carte judiciaire. Si tous les interlocuteurs que jai rencontrés conviennent quune réforme était nécessaire, ils sont tout aussi unanimes à considérer quil aurait fallu repenser lorganisation judiciaire pour réformer la carte judiciaire. Or, cette réforme, conduite dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), la été dans une seule perspective comptable. Menée à rythme soutenu, elle a été vécue comme si brutale que même ceux qui contestent la nouvelle carte me supplient de ne pas rouvrir le chantier au niveau de lensemble du pays. Je regarderai donc seulement à quels ajustements il peut être procédé, ressort par ressort, en fonction des remontées du terrain certains aménagements, il faut le reconnaître, ont été bénéfiques, notamment dans le cadre du programme immobilier. Je souhaite que les personnels se sentent ainsi impliqués et soient associés aux réponses nouvelles qui seront apportées, adaptées à chaque territoire.
Avec la brutalité, la précipitation est une autre méthode dont je souhaite me démarquer. La précipitation a, me semble-t-il, caractérisé la mise en place des citoyens assesseurs. Alors que le dispositif issu de la loi du 10 août 2011 entrait en expérimentation en janvier 2012 dans le ressort des cours dappel de Dijon et Toulouse, dès février, un arrêté prévoyait son extension aux cours dappel dAngers, Bordeaux, Colmar, Douai, Fort-de-France, Lyon, Montpellier et Orléans. Jai stoppé le mouvement et seules se poursuivront les expérimentations de Dijon et Toulouse. Des remontées nous parviennent du terrain qui permettent une première évaluation. Un point a été fait lundi dernier où je recevais à la Chancellerie les premiers présidents et les procureurs généraux de chacune des trente-sept cours. Ce nest quaprès une évaluation approfondie de cette expérimentation que nous pourrons dire quels aménagements sont nécessaires. La mise en place de citoyens assesseurs a en effet des conséquences sur laudiencement lui-même, la durée des audiences, mais aussi le coût de la justice. Nous examinerons aussi ce quil convient de faire en matière de formation des assesseurs et deffectifs, de magistrats et de fonctionnaires.
Se précipiter, voilà une erreur que nous ne ferons pas ! Nous respecterons les savoir-faire des professionnels du service public de la justice, où la ressource humaine est dune extrême qualité. Lexpérience, le vécu et la réflexion qui les accompagnent constituent des atouts précieux. Pour ma part, jai bien lintention de puiser abondamment dans cette mine dor et donc de consulter beaucoup.
Jai de même commencé de relancer le dialogue social. Il y a deux jours, jai présidé le comité technique ministériel, instance qui réunit tous les syndicats de toutes les catégories de métiers judiciaires et où il est possible daborder ensemble tous les sujets de fond, notamment les réformes. Cela faisait plusieurs années que le garde des Sceaux navait pas présidé ce comité.
Soucieuse dune justice impartiale, je ne donnerai pas dinstructions individuelles. Lexécutif demeurant responsable de la cohérence de la politique pénale sur lensemble du territoire, une circulaire daction publique sera publiée dici à la mi-juillet.
Les engagements du Président de la République sur le service public de la justice, rappelés par le Premier ministre dans son discours de politique générale, guideront notre action.
Premier de ces engagements : une justice impartiale et sereine. Des réformes constitutionnelles seront nécessaires. Des engagements ont été pris concernant lindépendance de la justice. La gauche est tout particulièrement crédible sur ce point car les grandes réformes qui ont fait progresser cette indépendance ont été conduites lorsquelle a été aux responsabilités.
M. Georges Fenech. Et laction de M. Méhaignerie ? (Interruptions chez les commissaires socialistes)
Mme la garde des Sceaux. Dans léchange de questions et de réponses à suivre, qui devrait être plus polémique, vous aurez tout loisir de valoriser les réformes engagées par des membres de lancienne majorité. Si la justice doit être apaisée, lexpression au Parlement ne lest pas nécessairement. Le pluralisme des opinions est le propre de la démocratie. Il faut se féliciter que chacun défende avec passion ce en quoi il croit quand il sagit dun service aussi important pour lÉtat de droit que celui de la justice, et jespère bien que nous ne croyons pas tous en la même chose. Cest dailleurs cela même qui justifie lalternance.
Une justice impartiale et sereine, disais-je. Beaucoup doit être porté au crédit de la gauche en matière dindépendance de la justice : suppression en 1981 des juridictions dexception, de la Cour de sûreté de lÉtat et des tribunaux militaires, fin en 1997 des instructions individuelles et réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), votée par l'Assemblée nationale et le Sénat, mais qui na pu lêtre par le Congrès, le Président de la République de lépoque ayant refusé de le convoquer.
Au niveau constitutionnel, plusieurs chantiers sont ouverts. Tout dabord, celui de la réforme du CSM, quil sagisse du mode de désignation de ses membres, de sa présidence, de ses compétences, de ses pouvoirs, de son rôle en matière disciplinaire, de ses moyens de fonctionnement
Ensuite, la réforme du Parquet. Il ny aura plus, il ny aura pas, je lai dit, dinstructions individuelles, mais il continuera bien entendu dy avoir des instructions générales et impersonnelles, ce qui ne signifie dailleurs pas quelles doivent nécessairement concerner lintégralité du territoire. Une situation donnée en un lieu donné ou des actions répétitives sur un même mode opératoire peuvent justifier une instruction générale et impersonnelle. En cas de conflit routier par exemple, une telle instruction peut indiquer au Parquet à partir de quels éléments du code traiter les incidents. En sens inverse, les remontées dinformations techniques et juridiques en provenance des juridictions alimentent la politique pénale.
Larticle 30 du code de procédure pénale, introduit par la loi du 9 mars 2004, dispose que le garde des Sceaux conduit la politique daction publique. Cela ne me paraît pas un progrès démocratique. Nous sommes nombreux ici à penser que sil appartient au garde des Sceaux de définir la politique pénale sur lensemble du territoire, laction publique doit être exercée par les parquets. Si les procureurs généraux peuvent, eux, continuer de donner des instructions, il faut leur donner des garanties statutaires. Cela renvoie à la réforme de leur statut.
Toujours en matière de réformes dordre constitutionnel, le Président de la République sest engagé à supprimer la Cour de justice de la République, sur laquelle pèse à tort mais systématiquement, la suspicion. Sa composition est en effet de nature à faire douter de son impartialité et demeure posée la question des critères de recevabilité des plaintes.
Autre chantier : la réforme du statut pénal du Chef de lÉtat et du Conseil constitutionnel.
Nous maintiendrons les juges dinstruction. Nous sommes en effet persuadés de leur rôle indispensable pour conduire des enquêtes indépendantes de qualité, mener à bien des enquêtes dans certains domaines comme celui de la délinquance économique et financière, ou bien encore de la responsabilité en matière de santé et denvironnement. Nous traiterons bien entendu de la collégialité, prévue pour début 2014.
Un mot de la direction de la police judiciaire, sujet à lordre du jour de mes discussions avec mon collègue ministre de lIntérieur. Les articles 12 à 14 du code de procédure pénale définissent les conditions dexercice et de contrôle de la police judiciaire, placée sous la direction du ministère de la Justice. Il ne sagit pas de revendiquer le rattachement de la police judiciaire à la Chancellerie mais de sassurer que celle-ci en assure la direction effective et a bien autorité sur les officiers de police judiciaire.
Presque tous les magistrats pénalistes que jai rencontrés mont dit que les moyens pour lutter contre la délinquance économique et financière avaient été considérablement réduits et déplorent une dégradation de la qualité des procédures. Ce sont en effet de plus en plus souvent des agents de police judiciaire qui leur rendent compte. Sans nullement stigmatiser ces agents, force est de reconnaître que se pose la question de leur formation et de leur encadrement. Si les chefs de juridiction considèrent le traitement en temps réel (TTR) comme un progrès, ils conviennent aussi que la moindre qualité de ce qui leur remonte en altère quelque peu lefficacité.
Impartiale et sereine, la justice doit également être plus proche des citoyens. Cela suppose de tenir compte des évolutions de la société. Lun des premiers textes qui vous sera proposé concernera le mariage et ladoption pour tous. Cest une demande de la société aujourdhui et, nous lavons vu par le passé, celle-ci est souvent en avance sur les institutions. Le sujet est dextrême importance, touchant à létat des personnes et ayant de multiples incidences, en matière de filiation, de transmission du nom, de patrimoine, de conventions internationales Il est aussi dune très grande technicité juridique. La Chancellerie y travaille de manière approfondie.
Le Président de la République sest également engagé sur un habeas corpus numérique. Je reviendrai plus en détail sur cette question de la protection des données personnelles, dordre à la fois national et européen puisque la directive européenne sur le sujet est en cours de révision. Jai commencé à travailler avec la Commission nationale de linformatique et des libertés (CNIL), laquelle sera associée formellement aux consultations.
Comme le Président de la République en a pris lengagement, nous introduirons également dans notre droit la notion de préjudice écologique. Sur le sujet, chaque juridiction juge aujourdhui comme elle le peut, ce qui conduit à une jurisprudence disparate. Les atteintes portées à lenvironnement doivent être mieux définies et encadrées.
Nous aurons aussi à revenir sur le sujet de la protection des sources des journalistes, certains éléments de la loi du 4 janvier 2010 exigeant dêtre précisés.
Rendre la justice plus accessible passe par une carte judiciaire adaptée mais exige aussi de tenir compte des moyens des justiciables. La taxe de 35 euros désormais exigée pour agir en justice entrave incontestablement laccès au droit. Mais son produit alimentant le budget de laide juridictionnelle, la supprimer risquerait de pénaliser les justiciables éligibles à cette aide. Dans le projet de loi de finances pour 2013, nous travaillerons surtout sur les clauses dexonération : le plafond de ressources ouvrant droit à laide juridictionnelle est aujourdhui fixé à 929 euros rappelons que le seuil de pauvreté est à 954 euros. Au-delà des ressources stricto sensu, il faut aussi, à revenu égal, prendre en compte la situation des personnes, celle dune personne seule nayant rien à voir avec celle dune personne ayant par exemple trois enfants à charge et se trouvant endettée. Pour les années suivantes, nous devrions disposer des résultats des expertises que jai lancées sur des pistes alternatives de financement de laide juridictionnelle, ce qui permettrait de supprimer la taxe de 35 euros.
Pour ce qui concerne laction de groupe, plusieurs propositions de loi ont été déposées, sur lesquelles nous nous appuierons.
Il nous faudra aussi mettre de lordre dans le maquis des juridictions sociales. Une refonte simpose afin de gagner en cohérence.
Devra également être abordée la question de la territorialité des tribunaux. Linstitution dun tribunal de première instance, dont lhypothèse a été formulée, faciliterait laccès des citoyens à la justice. Les tribunaux doivent aussi être plus ouverts sur la société, avec des assesseurs non professionnels. Nous en avons lexpérience avec les tribunaux pour enfants et léchevinage. Encore faut-il que ces assesseurs bénéficient de la formation nécessaire.
Sachez que jai adressé récemment aux parquets une instruction sur la situation économique générale afin de les alerter sur ce qui peut se passer dans leur ressort et leur demander de coopérer avec les délégués du ministère du Redressement productif, placés dans les préfectures de région et qui, en amont de procédures judiciaires, réfléchiront aux moyens de préserver les intérêts à la fois des entreprises, des salariés et des créanciers, et, lorsquune procédure naura pu être évitée, veilleront à son bon déroulement et son impartialité. Les parquets peuvent toujours sappuyer sur les services dadministration centrale de la Chancellerie, en particulier la direction des affaires civiles et du Sceau.
Je ne reviens pas sur leffort particulier qui sera consenti pour la justice civile.
La justice impartiale, sereine et plus proche des citoyens, que nous appelons de nos vux, reposera sur une nouvelle politique pénale guidée par quelques grands principes : recherche de lefficacité en tous domaines et à tous les niveaux du procès pénal ; affirmation sans ambiguïté que la prison ne constitue pas la seule réponse ; meilleure individualisation des peines et du parcours pénal ; plus grande attention portée aux victimes, y compris lorsquelles ne se sont pas constituées partie civile ; renforcement de la spécialisation de la justice des mineurs ; garantie du respect en tous points des droits de la défense.
Les peines plancher, tout comme la rétention de sûreté, ayant été instituées par la loi, seule une nouvelle loi pourra les abroger. La nouvelle politique pénale aura aussi des incidences sur les tribunaux correctionnels pour mineurs, le recours à la comparution immédiate et laménagement des peines. Nous aurons loccasion dy revenir.
Sagissant de limmobilier, les programmes de rénovation seront maintenus et les établissements pénitentiaires les plus vétustes fermés. Lobjectif annoncé par certains durant la campagne présidentielle de 80 000 places de prison à terme ne sera pas retenu dautant que la mesure nétait pas financée ! Pour autant, il faut réduire la surpopulation carcérale. Les aménagements de peine y contribueront. Il faut aussi donner aux services pénitentiaires dinsertion et de probation (SPIP) les moyens nécessaires pour mieux accompagner les détenus, améliorer leurs chances de réinsertion et ainsi lutter efficacement contre la récidive.
Éminemment respectueuse du Parlement et de la relative maîtrise quil a de son ordre du jour, je ne vous donnerai pas maintenant le calendrier précis des réformes. Jindique seulement que le projet de loi relatif au harcèlement sexuel, présenté après engagement de la procédure accélérée, sera débattu en séance plénière au Sénat le 11 juillet et à l'Assemblée nationale le 24 juillet. Quelques-uns des textes que jai cités plus haut seront présentés à la rentrée, en particulier le projet de loi ouvrant le mariage et ladoption à tous.
Sur la justice des mineurs et les centres déducation fermés (CEF), vous connaissez les engagements du Président de la République. Jai demandé à linspection générale des services de dresser un état des lieux : répartition des établissements sur le territoire, publics accueillis, manière dont les juges recourent à ces établissements, modalités de sortie pour les mineurs concernés De là, nous devrions avoir une vision densemble de léventail des accueils possibles pour les mineurs délinquants en fonction de leur profil.
Il nous faudra voir aussi la question de la césure du procès pénal, introduite par la loi du 10 août 2011. Nous pourrons nous appuyer sur plusieurs travaux tout à fait intéressants, notamment ceux de lAssociation française des magistrats de la jeunesse et de la famille.
Dune façon générale, lidée est dindividualiser au maximum la peine et le procès pénal, ce qui est exclusif de dispositifs comme les peines plancher qui réduisent la latitude dappréciation des juges. Alors que ces sanctions automatiques nont quune incidence dérisoire, sinon nulle, sur la commission de délits graves ou de crimes, elles augmentent beaucoup le nombre de courtes peines prononcées. Il a pourtant été établi que celles-ci favorisent la récidive car elles ne donnent pas le temps daccompagner les détenus ni de préparer leur réinsertion.
Laide aux victimes sera une autre priorité, le Premier ministre y a insisté dans son discours de politique générale. Elles se verront ouvrir de nouveaux droits, les associations daide seront pérennisées et les bureaux daide aux victimes (BAV), qui, de lavis de tous, magistrats comme avocats, accomplissent un travail remarquable, seront développés. On nen compte aujourdhui quune cinquantaine pour 165 tribunaux de grande instance.
Une conférence de consensus sera organisée sur la prévention de la récidive. Ce ne sera pas un énième colloque, mais une méthode de travail, un lieu de recueil des avis, de collecte des travaux sur le sujet, de mobilisation des experts, détude des expériences conduites à létranger, dévaluations scientifiques. Au terme de ce travail, nous espérons mettre au point collectivement une politique publique plus efficace de prévention de la récidive.
Le Président de la République sest engagé à supprimer la rétention et la surveillance de sûreté. En revanche nous regarderons de près dautres dispositifs post-peine, comme le suivi socio-judiciaire et la surveillance judiciaire qui semblent constituer des réponses au souci de suivre un détenu au-delà de sa peine.
Je ne métends pas sur la délinquance économique et financière, nous aurons certainement loccasion dy revenir au cours de la séance des questions et des réponses.
Contenu, méthode, style, je vous ai tout dit. Je vous ai exposé notre conception du service public de la justice. Lune de nos préoccupations est de rééquilibrer leffort en matière de justice civile. Sans ouvrir de grand chantier de réforme du code pénal et du code de procédure pénale, nous viserons à les rendre plus cohérents, plus lisibles et sans doute plus rationnels.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je vous remercie, madame la garde des Sceaux, de la densité et de la précision de votre propos, au travers duquel nous avons pu entrevoir jusquà lordre du jour du Parlement.
Je donne maintenant la parole à nos collègues.
M. Dominique Raimbourg. À mon tour, je vous remercie, madame la garde des Sceaux, de votre exposé complet.
Je me félicite de lapaisement que vous appelez de vos vux dans la présentation des textes au Parlement. De tous bords, nous avons souffert sous la précédente législature des saisines en urgence au gré des faits divers. Un apaisement devrait également naître de votre volonté de construire une justice du quotidien, dont Jean-Jacques Urvoas a raison de souligner que cest lun des outils du vivre ensemble.
La demande de sécurité demeure très présente dans notre société. Laggravation constante des peines à laquelle il a été procédé sous la précédente législature ny a pas apporté de réponse. Comment, selon vous, mieux articuler police et justice ainsi que justice et administration pénitentiaire ? Songez-vous à une nouvelle forme de peine qui, sans être lincarcération, soit clairement lisible pour nos concitoyens ?
Vous avez dit la nécessité de conserver les juges dinstruction, notamment pour lutter contre la délinquance économique et financière. Mais, comme la bien montré un appel des juges, tout est question de saisine et donc de politique pénale. Avez-vous lintention de relancer la lutte contre cette forme de délinquance, très préjudiciable pour notre société ?
Notre organisation judiciaire est aujourdhui éminemment complexe. Envisagez-vous de la rationaliser, autour notamment dun tribunal de première instance ?
Enfin, comment voyez-vous larticulation entre notre droit et le droit européen, issu des directives mais aussi de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de lhomme qui, si elle fait progresser en certains domaines, heurte aussi parfois notre droit ?
M. Georges Fenech. En vous écoutant, madame la ministre, jai eu limpression quaprès lombre, la lumière enfin était venue. Avant vous, tout était mauvais et il faudrait donc jeter le bébé avec leau du bain. Vous avez été particulièrement sévère à légard de la majorité précédente. Lois « réactives », justice « peu efficace », insécurité juridique, tribunaux asphyxiés, politique du « tout-carcéral » : rien de ce qui sest fait avant vous ne trouve grâce à vos yeux. Pas un mot sur lamélioration des droits de la défense permise par la réforme de la garde à vue, non plus que sur la question prioritaire de constitutionnalité, qui constitue pourtant une grande avancée.
Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a déclaré que les attentes des Français en matière de sécurité navaient « jamais été aussi fortes » et que « la montée de la violence appelle une réponse ferme de la puissance publique ». Cette préoccupation est dautant plus légitime que la sécurité est la première des libertés garanties par notre Constitution. Or, il ne semble pas, à lannonce de vos premiers projets de réforme pénale, quon sapprête à répondre à cette exigence.
Vous souhaitez supprimer les peines plancher applicables aux récidivistes, instituées lors de la précédente législature. Je ne peux que le déplorer. Entre août 2007 et décembre 2011, 36 944 peines plancher ont été prononcées, principalement pour des vols, des violences et des trafics de stupéfiants. Cela nest pas étranger à la baisse, durable et constante, de la délinquance depuis 2002 : 16 % selon lObservatoire national de la délinquance (Interruptions de plusieurs commissaires socialistes). Vous êtes à juste titre hostile à lautomaticité des peines et favorable au contraire à leur individualisation. Voilà ce qui vous pousse sans doute à demander la suppression des peines plancher. Mais cest oublier que le juge a toujours la possibilité, par ordonnance spécialement motivée, de prononcer une peine inférieure. Pourquoi, sinon par pure idéologie, supprimer un dispositif qui marche et ne contrevient pas, le Conseil constitutionnel la dit, aux grands principes généraux de notre droit ? Pourquoi donner un si mauvais signal aux délinquants récidivistes ?
Le Premier ministre a déploré dans son discours de politique générale que les prisons soient surpeuplées. Vous le déplorez également. Pourquoi dès lors renoncer à la création de 20 000 places, programmée par votre prédécesseur pour désengorger nos prisons et permettre que les détenus puissent y être accueillis dans des conditions dignes, alors quaujourdhui nos établissements ne répondent pas aux standards internationaux ? Sans doute êtes-vous favorable aux peines alternatives. Nous aussi et jai moi-même été rapporteur du projet de loi ayant institué le bracelet électronique, minscrivant dailleurs dans les pas de laction de lun de vos prédécesseurs, Mme Guigou. Je salue la présence à vos côtés de son ancien directeur de cabinet, M. Vigouroux, marque dune certaine continuité dans une politique qui, hélas, ne répond pas à lattente des Français.
Des peines alternatives à la prison, oui, mais quand celles-ci ne suffisent pas, face à des délinquants multirécidivistes, la privation de liberté demeure la seule solution pour protéger nos concitoyens.
Dans le même esprit, vous avez annoncé votre intention dabroger la loi relative à la rétention de sûreté, dont jai également eu lhonneur dêtre le rapporteur. La rétention de sûreté existe dans dautres grandes démocraties, comme lAllemagne, le Canada, les Pays-Bas. Approuvée par le Conseil constitutionnel, elle vise à protéger la société de criminels particulièrement dangereux. Notre droit permet de limiter la liberté des alcooliques dangereux pour eux-mêmes ou pour autrui. Et voilà que vous, vous voudriez remettre en liberté des psychopathes pervers au risque quils fassent de nouvelles victimes ! Je le regrette. Les Français apprécieront votre position. Pourquoi abroger ce texte qui correspondait à une attente réelle de nos concitoyens ?
Vous avez également, madame la ministre, non sans un certain angélisme, dit publiquement votre volonté de voir se développer les rencontres entre les victimes et leurs agresseurs. Cest oublier que la sanction ne vise pas seulement à réparer le préjudice subi par la victime mais quelle a pour fondement la réparation du trouble occasionné pour la société. Je ne vois vraiment pas en quoi ce rapprochement entre victimes et agresseurs pourrait améliorer notre système judiciaire.
Enfin, vous avez indiqué que vous nadresseriez pas dinstructions individuelles aux parquets, ce dont je me réjouis. Mais expliquez-nous alors pourquoi vous continuez à vous faire adresser sous forme de « remontées dinformation » des informations individuelles extraites des dossiers. Soit on va à lindépendance des parquets, mot que vous navez pas prononcé, soit on continue avec un système qui nest pas totalement satisfaisant.
En quelques mots, quelle est votre politique pénale, laquelle devra nécessairement combiner répression et prévention ? Continuerez-vous à détricoter tout ce qui a été fait avant vous ? Comment pensez-vous parvenir à faire chuter la délinquance ? Enfin, êtes-vous, oui ou non, favorable à lindépendance des parquets ?
Mme Marie-Françoise Bechtel. Je vous félicite, madame la garde des Sceaux, pour la grande fermeté et la grande clarté de vos propos. Si vous les teniez dans une grande émission télévisée, ces propos intéresseraient beaucoup les Français
La seule question que je vous poserai ici a trait à la réforme du CSM et au statut du Parquet. Une réflexion approfondie simpose sur ces deux sujets, qui sont liés.
Sagissant du CSM, on a à peu près tout essayé depuis 1946. On a, à certaines époques, salué la fin de la parité, qui devait signer la fin du corporatisme. À dautres moments au contraire, on a dit quun CSM non paritaire ne pourrait pas être indépendant, bien des clameurs de magistrats alimentant dailleurs ce procès. La composition du CSM est étroitement liée à ses compétences. Cela pose la question de sa relation avec le ministre de la Justice lui-même. Sans même parler des questions disciplinaires, pour la simple gestion des carrières, on na pas encore trouvé de solution satisfaisante entre un CSM surchargé et une direction des services judiciaires qui continue de recevoir les dossiers. Après quont été essayées tant de réformes, il sagit aujourdhui de savoir si le CSM doit être un organe paritaire, au risque du corporatisme, ou si on renforce la présence en son sein de personnalités extérieures, qui pourraient y apporter des compétences supplémentaires.
La question connexe est celle du statut du Parquet. Je ne méconnais pas lesprit du temps et ne nie pas non plus quil y a eu des évolutions. Le risque existe néanmoins, à laisser dériver les procureurs généraux, que se créent des féodalités. Or, les Français sont profondément attachés à légalité dans le fonctionnement du service public de la justice. Le garde des Sceaux ne doit pas être en conflit dune part avec le CSM, comme il lest depuis un certain nombre dannées, sur certaines questions, dautre part avec les procureurs généraux qui mèneraient chacun dans leur coin leur propre politique. Il lui appartient, sans doute par une subtile dialectique, de surmonter ces contradictions. Je formule le vu que le Parlement soit associé en tant quacteur institutionnel à la conduite de ces réformes dont je nai pas la clé
Mme la garde des Sceaux. Monsieur Raimbourg, je ne confonds pas la demande de sécurité et celle de justice. Vous les avez bien distinguées vous aussi, alors que M. Fenech, lui, ma simplement demandé comment jentends répondre à la demande de sécurité. Dans mes fonctions, je nai la responsabilité que de répondre à la demande de justice. Il ne vous a pas échappé que le ministère de lIntérieur et le ministère de la Justice coopèrent largement. Nous avons dailleurs convenu avec mon collègue de lIntérieur de nous rencontrer régulièrement. Cela nous donnera, par exemple, loccasion dévoquer le sujet de la police judiciaire. Si ce service est porté à la fois par la police et la Justice, il importe de bien séparer leurs missions respectives, quil ne saurait être question de confondre dans un État de droit.
Il nest pas rare, par un effet doptique, que la direction de ladministration pénitentiaire, dotée de missions bien particulières, soit considérée comme une entité autonome. Elle fait pourtant intimement partie du ministère de la Justice, tout comme la politique pénitentiaire se fonde sur la politique pénale. Celle-ci a été ces dernières années centrée sur lincarcération, doù la surpopulation carcérale aujourdhui constatée. En dépit de la loi de 2004 qui prévoit de tout faire pour les éviter car elles favorisent la récidive, les sorties sèches de prison demeurent trop fréquentes. Notre objectif nest pas de créer je ne sais combien de places de prison, mais de travailler à la réinsertion des détenus et de prévenir efficacement la récidive car là est bien limportant pour éviter de nouvelles victimes. On ne peut pas à la fois dun côté, dans un grand élan de compassion, prétendre avoir le souci des victimes et de lautre mener une politique pénale génératrice de surpopulation carcérale, ne pas donner aux SPIP les moyens daccompagner les détenus, laisser les conditions de détention compliquer le travail des surveillants et nourrir la violence. Si nous souhaitons favoriser la réinsertion, cest pour lutter contre la récidive. Nous nous en donnerons les moyens.
Sagissant des juges dinstruction, dont je vais très bientôt recevoir les représentants, je ne reviens pas sur les multiples problèmes qui se posent et que vous connaissez bien : constitution de pôles de linstruction, localisation et spécialisation de ces pôles, moyens de garantir quils puissent mener des enquêtes spécialisées en toute indépendance, en particulier pour les faits de délinquance économique et financière Je ne fais sur ce point aucun procès dintention, monsieur Fenech. Je mappuie sur des chiffres vérifiables. Hautement consciente de la responsabilité qui est aujourdhui la mienne, soyez assuré que je naffirme rien qui ne soit avéré. En matière de délinquance économique et financière, pour le seul pôle de Paris, le nombre denquêtes confiées à un juge dinstruction est tombé de cent à dix entre 2006 et 2011, depuis qua été détricotée toute la législation afférente ce nest pas moi en lespèce, monsieur Fenech, qui ait détricoté quoi que ce soit ! Ces données chiffrées, je les ai trouvées en arrivant place Vendôme.
Oui, il faut rationaliser notre organisation judicaire. Des tribunaux de première instance peuvent y contribuer. Se pose la double question de la thématisation et de la territorialisation.
Jen viens à larticulation de notre droit avec le droit européen. Jai participé début juin, avec plusieurs membres de la direction des affaires criminelles et des grâces, au Conseil européen Justice et affaires intérieures. Un autre se tiendra à lautomne. Nous sommes et demeurerons très mobilisés au niveau européen. Les transpositions affectent dores et déjà quelque 60 % de notre législation. Les décisions prises au niveau européen ne vont pas toujours dans le sens que nous souhaiterions, comme récemment sur les données personnelles. Nous nous mobilisons pour que les dispositions les plus protectrices de notre droit en ce domaine, issues notamment de la loi de 1978 ayant créé la CNIL, soient reprises dans le droit communautaire. Nous travaillons maintenant sur létablissement qui stockera les données personnelles, ce qui déterminera la juridiction compétente. Limportant avec lEurope est que les échanges se fassent dans les deux sens : nous ne sommes pas seulement réduits à transposer le droit communautaire, nous cherchons aussi à faire en sorte que notre droit lirrigue. Cela vaut par exemple pour la protection des sources des journalistes.
Monsieur Fenech, vous mavez fait un long procès, mattribuant des propos que je nai jamais tenus. Nous avons le droit davoir des divergences. Elles sont nettes pour ce qui est de la politique pénale ou de la politique pénitentiaire. Confrontons nos points de vue mais dans le respect de la vérité. Je répondrai, pour ma part, à ce que vous dites, pas à ce quon me rapporte que vous avez dit. Reprenez les propos que je tiens publiquement si vous le souhaitez mais tenez-vous en là. Vous affirmez que jaurais souhaité que se développent les rencontres entre les agresseurs et leurs victimes. Jamais je nai dit cela.
Jai assisté à la troisième journée des vingt-septièmes assises nationales de la fédération des associations daide aux victimes, lINAVEM, dont le thème était : « Victime et auteur : la possible rencontre. Passer dun regard qui dévisage à un regard qui envisage. » Certains intervenants suisses ou canadiens ont relaté des expériences de rencontres, menées dans leur pays, entre les auteurs et les victimes dinfraction. Il sagit dun processus de médiation auquel les deux parties participent librement, sans aucune contrainte. Pour se reconstruire, une victime peut en effet souhaiter rencontrer les auteurs de linfraction. De telles expériences se déroulent actuellement en France, par exemple à Poissy. Jai déclaré aux assises de lINAVEM et répété devant les médias qui me pressaient de prendre position que la fédération pouvait développer sa réflexion en conduisant ses expériences et en profitant de celles des autres : cette démarche est empreinte dune grande générosité, mais, pour ma part, en tant que garde des Sceaux, je noublie pas que la justice a précisément pour fonction de mettre un terme au face à face entre lauteur et la victime. LINAVEM réclame par ailleurs la création dune « contribution victime », alimentée par une taxe sur les amendes. Là aussi, par un biais financier, on se retrouverait dans le face à face.
Je connais la hauteur et la noblesse des missions de justice. On peut madresser bien des reproches, on apprécie et on appréciera mon caractère comme on le voudra, on ma prêté et on me prêtera bien des déclarations, mais on ne peut nier les principes qui fondent mon action. Je vous demande de tenir compte de ce que je dis, de ce que jécris, de ce que jénonce publiquement : cest sur cette base que pourra sétablir un vrai débat, dût-il nous conduire à constater nos divergences.
Monsieur Fenech, lautomaticité des peines plancher trahit une défiance à légard du juge, en mettant en doute sa capacité à apprécier une situation. Vous-même, dans la loi daoût 2011, avez prévu dans le parcours pénal la procédure de la césure qui, cest vrai, nest pas exactement ce que lon est en droit dattendre, je renvoie à ce propos aux travaux de lAssociation française des magistrats de la jeunesse et de la famille.
Vous maccusez denvoyer un mauvais signal aux multirécidivistes. Vous savez pourtant que les peines plancher ne concernent pas ceux qui sont déjà lourdement sanctionnés par le code pénal. En la matière, cest chez vous quon trouve la propagande et les slogans ; moi, je ne fais pas de lagit-prop, je mappuie sur des chiffres, sur des résultats de procédures.
Des débats de grande qualité ont eu lieu à lAssemblée et au Sénat sur la rétention de sûreté. Cest pour contourner le principe de non-rétroactivité que dans un montage certes un peu subtil la surveillance de sûreté a été liée à la rétention de sûreté. On ne punit pas quelquun pour un acte quil na pas commis : quoi de plus démocratique que ce principe ?
Il existe dautres dispositifs post-peine, tels le suivi socio-judiciaire qui manque de moyens et en a même perdu ces cinq dernières années ou la surveillance judiciaire. Une évaluation déterminera sil est possible de les améliorer.
Certains ont eu un haut-le-cur en mentendant dire que, lorsquelle est aux responsabilités, la gauche prend des mesures en faveur de lindépendance des parquets. Avaient-ils oublié ce premier mouvement lorsquils mont reproché dêtre opposée à lindépendance des parquets ?
En ce qui concerne les instructions individuelles, jai réuni les chefs de cour en début de semaine et deux procureurs généraux mont expliqué quils se sentaient parfois un peu seuls, quils avaient alors besoin dindications : les exemples quils mont donnés prouvent que les remontées en provenance des juridictions sont exclusivement techniques et juridiques. Tous les jours, en effet, les juridictions adressent à la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), à la direction des affaires civiles et du Sceau (DACS) ou à la direction des services judiciaires (DSJ) des informations techniques et juridiques. Un procureur général peut, par exemple, avoir besoin daide sil se trouve face à un justiciable étranger dont il ignore le statut diplomatique. La Chancellerie explique alors létat du droit, dit ce quil est possible de faire. Une juridiction confrontée à une cascade de plans sociaux peut également avoir besoin de sadosser aux services de la Chancellerie. La DACS fournit alors des éléments de droit qui permettent de faire face à la situation. Pour sa part, éclairée par ces informations, la Chancellerie peut anticiper et, si un procès important doit intervenir dans un ressort, prévoir les renforts nécessaires en moyens logistiques et en effectifs. La remontée des informations sert également à alimenter la politique pénale, à mieux lajuster. Elle nest ni illégale ni inutile et ne remplace pas les instructions individuelles.
En ce qui concerne lefficacité de la politique pénale et pénitentiaire, permettez-moi de rappeler que si, en 2007, on a enregistré 90 000 entrées en prison, on a constaté un tassement en 2008 81 000 et une remontée en 2009 88 000. Vous me demandez pourquoi, malgré la surpopulation carcérale, je ne veux pas des milliers de places supplémentaires. Mais cest la politique pénale qui fonde la politique pénitentiaire, et notre politique pénale ne se confondra plus avec une course à lincarcération !
Des besoins existent, cependant, et les programmes de rénovation seront maintenus. Vendredi dernier, jai demandé aux quinze membres de mon cabinet, accompagnés des directeurs, des directeurs adjoints et du numéro trois des services, daller, sur le terrain, visiter des lieux de détention dans les juridictions. Le soir même, a eu lieu une séance de restitution. Certains sont revenus bouleversés de ce quils avaient vu : dortoirs de onze ou douze personnes, murs qui suintent, vétusté des réseaux électriques
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Mme la ministre devant nous quitter dans quarante-cinq minutes mais nous sommes là pour cinq ans ! , je remercie les orateurs qui vont à présent linterroger de bien vouloir privilégier la concision.
M. Jean-Frédéric Poisson. La question de la surpopulation carcérale et des conditions de détention abominables ne date pas dhier : cest entre 1997 et 2002, Mme Guigou et Mme Lebranchu étant gardes des Sceaux, que deux rapports lun à lAssemblée nationale, lautre au Sénat lont évoquée pour la première fois. Nous avons, en la matière, une responsabilité collective. Allez-vous rénover les établissements anciens et mener à terme les programmes de construction de places nouvelles ? Allez-vous poursuivre la réflexion sur les peines de substitution, engagée depuis une quinzaine dannées par les majorités successives ?
Jai bien noté que vous souhaitiez que lon vous juge sur les propos que vous avez tenus et non pas sur ceux quon vous fait tenir. Ma question va donc être très précise. Madame la garde des Sceaux, confirmez-vous les propos quon vous a prêtés et selon lesquels ceux qui se sont rendus coupables davoir brûlé un drapeau français en place publique le soir du second tour de lélection présidentielle ne pouvaient être poursuivis, ni inquiétés, ni condamnés pas même sur le plan éthique , car il ne sagissait, selon les propos quon vous aurait prêtés, que dune manifestation de liesse collective je cite de mémoire ? Si vous les confirmez, doit-on alors considérer que votre interprétation de larticle du code pénal qui punit de 7 500 euros et de six mois demprisonnement le fait doutrager les symboles de la République signifie quil est encore en vigueur dans votre esprit ? Ou entendez-vous le modifier ?
Êtes-vous favorable à une réforme de la loi de 1970 sur les stupéfiants ? Envisagez-vous de distinguer la consommation de lincitation à la consommation et du trafic ?
Vous avez enfin rapidement évoqué la justice sociale. Pourriez-vous préciser vos intentions à légard de la justice prudhomale ?
M. Matthias Fekl. Lévaluation de la réforme de la carte judiciaire reste à faire. A-t-elle permis de réaliser des économies ? A-t-elle eu un impact sur la qualité de la justice, les délais, la qualité des décisions rendues ? Mon intuition est que, de ce double point de vue, elle a eu des effets neutres voire, parfois, peut-être même des effets positifs. Mais le problème de laccessibilité de la justice se pose notamment en termes sociaux pour nos concitoyens les plus vulnérables. Il convient denvisager toutes les solutions pour y remédier, quil sagisse du retour des juridictions, lorsque cela est financièrement possible, des audiences par visioconférence dans mon esprit plutôt en dernier recours, car la justice a besoin dhumanité ou de la création de chambres détachées, déjà prévue, me semble-t-il, dans le code de lorganisation judiciaire. Cette dernière solution permettrait de répondre à lexigence de proximité de la justice sur tout le territoire et déviter le risque de désertification judiciaire dans certaines régions. Quel calendrier envisagez-vous pour ce faire ?
M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Permettez-moi de rappeler la formulation de larticle 353 du code de procédure pénale : « Sous réserve de lexigence de motivation de la décision, la loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés composant la cour dassises des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance dune preuve ; elle leur prescrit de sinterroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre laccusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : Avez-vous une intime conviction ? »
Ce principe me paraît archaïque et injuste. La cour peut condamner à de très lourdes peines sans preuve véritable, suffisante ou totalement convaincante, en se fondant sur la seule subjectivité des juges et des jurés, sur leur sentiment personnel, sur leurs impressions, comme sil pouvait exister une justice impressionniste. Ce système paraît presque aussi hasardeux que lordalie ou le jugement de Dieu au Moyen Âge.
En outre, le principe de lintime conviction paraît contraire à un principe du droit assez universel, qui sénonce en latin : « In dubio pro reo », « le doute doit bénéficier à laccusé ». Je souhaiterais donc vivement que soit modifié cet article du code de procédure pénale.
Dautre part, je souhaiterais quil soit rendu hommage à Paul Didier, seul magistrat qui, sélevant contre les mesures xénophobes et racistes du gouvernement dit de « lÉtat français » et contre la création des sections spéciales, refusa de prêter serment de fidélité à la personne du maréchal Pétain. Révoqué, interné au camp de Châteaubriant, il put rejoindre la Résistance et, après la Libération, termina sa carrière comme président de chambre à la cour dappel de Paris. Il fut un moment de la conscience humaine. LÉcole nationale de la magistrature a baptisé de son nom la promotion 1997 et il me paraîtrait souhaitable quune plaque rappelle son souvenir au ministère de la Justice.
Mme la garde des Sceaux. Que Mme Marie-Françoise Bechtel veuille bien me pardonner si jai tout à lheure omis de répondre à sa question. Nous allons travailler à lindépendance des parquets, non seulement avec le CSM et les magistrats, mais également avec les parlementaires. Vous avez bien récapitulé les principaux thèmes dun débat difficile : parité, présence de non-magistrats, risque corporatiste. Lindépendance des parquets dépend de la réponse qui sera apportée à la question concernant les compétences du CSM, le mode de désignation des magistrats qui y siègent ou des personnalités qualifiées. Les consultations ont commencé : une séance de travail avec le CSM doit se dérouler le 18 juillet. On a pu accuser la majorité sortante dinstrumentaliser ce dossier : mais tout cela nest que lécume, il faut aujourdhui satteler aux sujets de fond. Il ne sagit pas de défaire ce qua fait la législature précédente, mais de réfléchir au meilleur moyen de réformer un instrument extrêmement important. La concertation doit avoir lieu, rien nest encore tranché.
Pour répondre à M. Poisson, je vais adopter un ton solennel. En tant que garde des Sceaux, jai une responsabilité particulière à légard de la Constitution qui, en son article 2, dispose que « lemblème national est le drapeau tricolore ». Avant que je sois nommée garde des Sceaux, personne, en aucune circonstance, ne ma jamais entendue dire et moi, je ne me suis jamais surprise à penser quil était banal de brûler les symboles dappartenance. Aussi, vous ne faites ici que propager des calomnies. Tout dabord, il ny a jamais eu de drapeaux brûlés place de la Bastille le soir du second tour de lélection présidentielle. Il ny a pas eu de fait. Mais, comme on me crédite du pouvoir de réaliser des exploits, on va jusquà dire que jai réussi à commenter, sur RFI, un événement qui na jamais existé et lon ma accusé davoir déclaré que brûler des drapeaux participait de la liesse populaire, que ce nétait pas grave. On a même précisé que javais fait ces déclarations en tant que garde des Sceaux la non-rétroactivité semble ne pas être un principe démocratique pour des tas de gens alors que, le 6 mai, je navais évidemment pas encore été nommée ! Un communiqué de presse signé par lUMP des Bouches-du-Rhône, et comportant le nom dun responsable de ce parti et un numéro de portable, a même repris linformation, que lon a retrouvée pendant une semaine sur Twitter et sur différents sites. Ce communiqué est de la pire calomnie. RFI a pourtant confirmé que je navais jamais tenu de tels propos et a passé tout un week-end à répondre aux journalistes qui linterrogeaient à ce sujet. Jaurais pu poursuivre en diffamation la section UMP des Bouches-du-Rhône, mais, étant garde des Sceaux, jai préféré mabstenir. Je suis ravie à lidée que le compte rendu de cette audition contribuera à rétablir la vérité, même si je métonne que, pour certains, la première calomnie lancée sur internet puisse constituer un sujet de débat en commission des Lois.
M. Jean-Frédéric Poisson. Je réclame le droit de poser les questions que je veux dans le cadre de cette Commission, sans que lon maccuse de propager des calomnies !
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Mes chers collègues, dans cette maison, la parole est libre. Dans le cadre dun débat démocratique, la confrontation des points de vue est souhaitée. Les parlementaires posent les questions quils jugent utiles et les membres du Gouvernement leur répondent comme bon leur semble. Jean-Frédéric Poisson aura donc contribué à laver la querelle qui est faite à Mme la garde des Sceaux.
Mme la garde des Sceaux. Dois-je len remercier ?
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je protège lexpression de tous les parlementaires.
Mme la garde des Sceaux. Vous navez pas parlé que de cela, monsieur Poisson, et avez également évoqué la politique carcérale. Là aussi, il faut revenir aux chiffres. Vous avez cité des rapports parlementaires : ils sont, en général, de grande qualité, et jai bien lintention de men inspirer, y compris de ceux qui sont élaborés en tandem par des députés de la majorité et de lopposition je pense, par exemple, à celui sur laide juridictionnelle quont rédigé Mme Pau-Langevin et M. Gosselin. Mais, aussi bons soient les rapports, tout dépend de lapplication qui en est faite. De ce point de vue, nous navons pas la même responsabilité dans la situation actuelle. La politique pénale et pénitentiaire des dix dernières années a fait que nous sommes passés de 42 000 détenus en 2002, pour un peu plus de 50 000 places, à 67 000 détenus pour 57 000 places aujourdhui.
Vous avez raison, cependant, il faut trouver un équilibre en matière de peines de substitution la conférence de consensus devrait nous permettre de progresser en matière de sémantique, car, avec cette expression, cest encore lincarcération qui est prise comme référence. Certaines de ces peines sont efficaces : les bracelets électroniques permettent la surveillance, mais pas laccompagnement. Des aménagements et des progrès sont donc nécessaires. Nous devons y travailler, sans perdre de vue les objectifs de réinsertion et de recul de la récidive.
Nous aurons, en temps utile, un débat sur la réforme de la loi de 1970 sur les stupéfiants. Ma conviction personnelle importe peu. Je suis garde des Sceaux, ministre de la Justice, et jagis au nom de lÉtat. Si, dans un autre cadre, vous souhaitez minterroger personnellement, je vous dirai non seulement ce que jen pense, mais je rappellerai ce que jai pu dire ou écrire à ce sujet par le passé. Ainsi, à loccasion de la campagne pour lélection présidentielle de 2002, jai pris des positions très claires. Je pense, en effet, que les simples consommateurs ne sont pas des trafiquants, que la réponse de droit ne peut pas être la même pour un usager et pour un trafiquant.
Je suis passée un peu vite, il est vrai, sur la justice sociale, considérant que nous pourrions y revenir à loccasion des questions. Le sujet est complexe. Il faudra y mettre de lordre et assurer la proximité. Il sagit de petits litiges. Nous aurons à traiter les questions des périmètres de contentieux, du guichet unique de greffe, du tribunal de première instance.
Monsieur Fekl, vous avez raison, lapproche, en matière de carte judiciaire, doit être pragmatique. Jai rappelé en préambule ce que lon mavait dit : la réforme de la carte judiciaire a été brutale, mais il ne faut pas la refaire. Il convient plutôt de réfléchir à la manière dont on doit thématiser et territorialiser, pour renforcer la proximité et lefficacité, afin que le citoyen ne soit pas perdu. Cest ainsi que nous pourrons réaliser les ajustements nécessaires.
Quant aux chambres détachées, il en existe déjà. Pendant très longtemps, par exemple, il y en eut une en Guyane nous avons fini par obtenir une cour dappel.
Jai bien entendu vos observations, monsieur Schwartzenberg, sur larchaïsme de larticle du code de procédure pénale relatif à l« intime conviction ». Aussi bien pour les tribunaux dassises que pour les tribunaux correctionnels, lintime conviction nexclut pas la recherche des preuves. Cest la question de la formation des policiers et des magistrats qui se pose ici. La société elle-même demande davantage des éléments tangibles de preuve que lintime conviction. À lorigine, le doute devait bénéficier à laccusé, et cétait toute la beauté de lintime conviction. Aujourdhui, la recherche des preuves doit encore se développer, notamment grâce aux moyens scientifiques dont nous disposons.
Je retiens enfin votre suggestion concernant lhommage à Paul Didier, et vais la faire étudier.
M. Philippe Goujon. Madame la garde des Sceaux, votre seule ligne directrice, semble-t-il, est de défaire tout ce que le gouvernement précédent a mis en place. Son uvre législative considérable entendait pourtant adapter notre arsenal législatif aux évolutions constantes de la société, et non pas, comme on la prétendu, réagir à des faits divers. Je ne souhaite quune chose : que lévolution de la délinquance et de la criminalité ne vous contraigne pas, vous aussi, à réagir de cette manière.
La nouvelle loi sur la rétention de sûreté na pas eu le temps dêtre appliquée. Il sagit de maintenir en milieu fermé, principalement médical, et même sous surveillance pénitentiaire, des criminels dangereux, parfois atteints de troubles psychiatriques. La dangerosité de certains individus ne cesse pas une fois quils ont purgé leur peine. En revenant sur cette loi, qui concerne exclusivement les criminels et les violeurs en série, vous prenez un risque énorme que je ne souhaite pas se voir réaliser que se produisent des récidives criminelles. Une telle disposition existe pourtant dans des pays aussi peu répressifs que les Pays-Bas ou le Canada.
Vous faites également fausse route en matière de peines plancher. Tout délit mérite sanction, et, pour les petites peines, lincarcération est parfois utile. Vous avez répété que votre objectif, ce nétait pas la sécurité, mais la justice. Nous sommes, pour notre part, convaincus que les peines plancher sont lune des mesures qui ont permis la baisse continue de la délinquance notamment de proximité depuis neuf ans.
Les peines plancher ne doivent pas seulement concerner les récidivistes, mais les réitérants, qui échappent largement aux sanctions. Nous avons fait adopter avec plusieurs collègues, notamment Éric Ciotti, une proposition de loi qui étendait les peines plancher aux réitérants. On dénombre, à Paris, un millier de réitérants ayant commis chacun entre cinquante et cent faits délictueux, et près de 20 000 personnes citées plus de cinquante fois dans le système de traitement des infractions constatées.
La délinquance des mineurs augmente et, même si, en la matière, tout doit reposer à la fois sur la prévention et sur la répression, nous pensons quil faut modifier la législation et créer un code des mineurs. Est-il vrai, par ailleurs, que vous envisagiez la fin de toutes mesures privatives de liberté pour les mineurs ? On croit savoir de même que vous voulez supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs, qui ne concernent pourtant que les récidivistes de plus de seize ans, auteurs de faits passibles de plus de trois ans de prison.
Le gouvernement précédent na pas pris que de mauvaises mesures et vous voudrez bien reconnaître que la création du contrôleur général des lieux de privation de liberté en était une bonne ; jétais rapporteur du texte linstituant.
Nous avons bien compris que vous ne souhaitiez pas construire 20 000 nouvelles places de prison et que vous vous contenteriez de 6 000 places pour la rénovation des prisons anciennes. Êtes-vous donc favorable au numerus clausus dans les prisons ?
Permettez-moi enfin de poser une question dintérêt local : quel avenir réservez-vous au tribunal de grande instance de Paris et à la prison de la Santé ?
M. Philippe Doucet. Madame la garde des Sceaux, si vous nétiez pas une femme de couleur et originaire de loutre-mer, vous nauriez pas fait lobjet des propos calomnieux que vous avez rappelés tout à lheure. Nous tenons à vous exprimer notre solidarité sans faille.
M. Philippe Goujon. Ces propos sont ignobles !
M. Georges Fenech. Si le président ne réagit pas, nous quitterons la salle !
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Chers collègues, je lai dit, cest la liberté de ton et de parole qui doit prévaloir dans nos débats. Chacun sait quil représente ici plus que lui-même, une part de la nation. Il nous faut être à la hauteur de la dignité de la fonction. Concentrons-nous sur lessentiel, sur le dialogue entre le Parlement et lexécutif. Mme la garde des Sceaux a rappelé la responsabilité particulière qui est la sienne au regard de nos institutions. Je nous invite donc à éviter les débats entre nous, les allusions ou les remarques qui ont pour seule conséquence de tendre lambiance et qui nuisent à lintérêt dune audition et de notre dialogue. Si chacun comprend que son rôle est dans la construction, je suis certain que nos débats ne cesseront pas dêtre utiles.
M. Philippe Doucet. Rendre des décisions de justice dans un temps raisonnable et avoir des dispositifs adaptés permettant dappliquer ces décisions, cest le moyen déviter le sentiment dimpunité et de ne pas porter atteinte à la crédibilité de lÉtat républicain. Les travaux dintérêt général ont été institués par la loi du 10 juin 1983. En 2009, 29 511 mesures ont été prononcées à lencontre dauteurs de délits et de contraventions, dont 17 478 travaux dintérêt général (TIG), 9 100 sursis TIG et 2 933 travaux non rémunérés (TNR). Cependant, ce dispositif comporte des faiblesses. Quel travail proposez-vous éventuellement dengager pour renforcer son efficacité ? Seriez-vous intéressée par la mise à létude de TIG dépaysés du lieu du délit, afin de tirer parti, dune part, de la valeur pédagogique de lactivité exercée par le condamné et, dautre part, de leffet positif que peut produire léloignement du milieu dans lequel ont été développées les habitudes fautives ?
Vous vous êtes récemment exprimée, dans une interview que vous avez accordée au Parisien, en faveur de la création dune procédure daction de groupe. Selon une enquête réalisée en 2011, auprès de 60 000 Français, par lassociation UFC-Que choisir ?, 80 % des consommateurs victimes de préjudice renoncent à introduire une action en justice, notamment en raison du coût et de la complexité des procédures. Pouvez-vous nous donner quelques indications sur la méthode de travail que vous comptez adopter pour cette réforme et sur ses délais de mise en uvre ?
M. Yann Galut. Nous voulons faire confiance aux magistrats et faire appel à leur intelligence en supprimant les peines plancher ; nous voulons accorder une priorité à la lutte contre la délinquance financière ; nous voulons mettre en avant le juge dinstruction, qui instruit à charge et à décharge : telle est notre conception de la justice pénale. Mais, vous lavez rappelé, madame la garde des Sceaux, 70 % des affaires sont civiles et, si nous devons réfléchir à la déjudiciarisation, le juge est souvent le garant de léquilibre entre les parties.
Il me paraît dautre part important de développer la médiation et la conciliation. Envisagez-vous daller dans cette direction ?
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Monsieur Galut, vous serez le dernier à avoir interrogé Mme la garde des Sceaux ce matin. Huit autres de nos collègues sétaient également inscrits pour poser des questions qui, toutes, étaient légitimes et auraient été utiles. Mais javais promis à Mme la ministre que nous la libérerions à 11 h 45 et je prie par avance ceux qui ne pourront sexprimer de bien vouloir men excuser.
Mme la garde des Sceaux. Je présente moi aussi mes excuses aux huit députés qui ne pourront poser leur question. Il est probable que jai moi-même contribué à les frustrer en mexprimant parfois un peu longuement. Le scrupule avec lequel je vous réponds est la preuve du respect que jéprouve pour vous.
Je prends note de nos désaccords sur les peines plancher. Nous aurons le temps et loccasion, y compris dans lhémicycle, de présenter nos arguments respectifs.
Vous mavez interrogée, monsieur Goujon, sur les criminels dangereux. Mais il ne faut pas attendre quils aient fini de purger leur peine pour se demander sils le sont et il faut les accompagner tout au long de la détention, y compris avec des soins psychiatriques. Hélas, en ce domaine, les moyens ont été réduits, mais je ne pense pas quun tel argument puisse plaider en faveur du maintien de la rétention de sûreté et de la surveillance de sûreté.
Cest autour du suivi socio-judiciaire en milieu ouvert que sopposent ceux qui sont favorables au tout-carcéral et ceux qui pensent que la société peut créer les conditions pour accompagner certaines personnes après quelles ont exécuté leur peine.
Vous avez dit que la sécurité ne figurait pas parmi mes objectifs. Dans un État de droit, les responsabilités du ministère de lIntérieur ne se confondent pas avec celles du ministère de la Justice, et leurs missions sont différentes. En disant que la mienne est de répondre à la demande de justice quexprime la société, je respecte les responsabilités confiées à mon collègue Manuel Valls, qui, lui, doit répondre à la demande de sécurité. Certes, nos missions ne sont pas sans lien lune avec lautre, mais ne me faites pas dire que je nai pas lobjectif de la sécurité ! Je suis soucieuse que le service public de la justice soit performant, mais je refuse dentretenir la confusion, dans la chaîne pénale, entre ce qui relève de la justice et ce qui incombe à la police. Lune et lautre peuvent mener certaines actions ensemble les missions de police judiciaire par exemple , mais la mission de sécurité nest pas la mission de justice. Lorsque je dis que jai la responsabilité de répondre à la forte demande de justice, je nignore pas la forte demande de sécurité, mais je nai aucune raison de dépouiller mon collègue ministre de lIntérieur de ses responsabilités.
Ce sont les résultats, les chiffres, les données de la délinquance qui mesurent limpact dune politique, et ceux des cinq dernières années ne sont pas reluisants. Sans doute, les chiffres ne nous départageront pas, mais ils ont au moins une vertu : ils fournissent des éléments objectifs.
On mattribue la volonté de supprimer toute possibilité dincarcération pour les mineurs. Admettez que ce serait contradictoire avec le postulat de la confiance accordée au juge. Si, dans les limites permises par le code pénal, le juge décide quun mineur doit être incarcéré, comment pourrais-je le contester, moi qui ne cesse de répéter que je fais confiance au juge et à sa capacité dappréciation ? Ces insinuations ne sont quun échantillon de tout ce que lon raconte sur moi. Pendant la campagne des élections législatives, je me suis rendue dans une circonscription détenue par un député de lancienne majorité, pour soutenir sa concurrente. Je me suis fait huer par des militants qui mont poursuivie pendant une heure sur un marché. Pas plus que vous, ce député, que je saluerai cordialement lorsque je le croiserai, na à répondre des débordements de ses électeurs. Cest dans ce contexte quune dame âgée ma interpellée en me disant que jallais ouvrir les portes des prisons et libérer tous les détenus. Comme jai reçu une bonne éducation et que je respecte les personnes âgées, je lui ai répondu, très poliment, que, même si je voulais me passer une telle fantaisie, ce serait impossible dans un État de droit tel que la France. Les personnes âgées ont vu le monde se transformer très rapidement ces dernières années et je peux comprendre leurs angoisses : elles sentent quelles nont pas demprise sur un monde en perpétuel bouleversement, où leur quartier ne ressemble plus à ce quelles ont longtemps connu. Ce que je naccepte pas, cest quon instrumentalise ces peurs, quon incite ces personnes à abdiquer leurs capacités de raisonnement pour devenir prisonnières de leur angoisse. Cest, en tout cas, une façon assez indigne de faire de la politique.
Je ne vais donc pas ouvrir les portes des prisons pour mineurs. On compte aujourdhui 700 jeunes détenus. Lordonnance de 1945 postule très clairement limportance de léducation, y compris en cas dincarcération : la sanction doit être éducative, je suis très attachée à ce principe, et cest pourquoi jai pu parler de spécialisation, dindividualisation de la justice des mineurs. Depuis un mois et demi, je nai ouvert les portes daucune prison et je nen ouvrirai pas, car nous sommes dans un État de droit, dans une démocratie, et le rôle du garde des Sceaux nest pas de contredire le code pénal. Jai la plus grande estime pour les législateurs que vous êtes, car cest une noble fonction que délaborer les règles communes, et je pense quil est bon déviter les fantaisies.
La prison de la Santé est concernée par les grands programmes de rénovation qui, je le répète, se poursuivront. Quant au tribunal de Paris, vous nignorez pas que le projet a été signé entre les deux tours de lélection présidentielle et que son financement nest pas neutre, puisquil sagit dun partenariat public-privé (PPP). La plupart des gros projets immobiliers pénitentiaires se font dans le cadre dun PPP. Or la Cour des comptes nous a alertés à propos de ce type de financement. Nombreux sont ici les élus locaux, qui savent ce que représentent les investissements en PPP : des charges différées, mais très lourdes pour les finances publiques. Nous avons le souci des deniers publics daujourdhui et ne disposons pas dune liberté absolue pour engager ceux de demain. M. Baroin, quand il était ministre de lÉconomie, avait mobilisé linspection des finances à ce propos. Jai de même mobilisé linspection des services judiciaires en lui demandant dexpertiser le financement de certains établissements. Le financement ne sera pas le seul critère de décision : entreront également en ligne de compte lopportunité du projet et, ensuite, sa qualité. Les besoins existent cependant et il est possible, voire probable, que je valide des projets en PPP, parce que nous ne disposons pas pour linstant de marges budgétaires. Il est cependant hors de question dériger ces partenariats en règle. La sauvegarde des deniers publics moblige en tout cas à examiner de près des projets qui, semble-t-il, ont été bouclés dans une relative précipitation.
Monsieur Doucet, on constate en effet un essoufflement dans loffre de travaux dintérêt général, qui, je le rappelle, ont été créés par Robert Badinter. Je suis daccord pour que nous travaillions ensemble sur ce sujet, car les TIG constituent une réponse pénale intéressante.
Monsieur Galut, votre remarque sur les risques de déjudiciarisation est très profonde. Sans doute, il est tentant dapporter cette réponse mécanique, mais elle peut être dangereuse pour les droits et libertés. Si nous nentendons pas développer la déjudiciarisation, nous comptons bien privilégier la médiation et la conciliation, qui ne se déroulent pas entièrement en dehors du milieu judiciaire. Le juge est protecteur des libertés, des droits et de la personne elle-même. Je serai très vigilante à cet égard.
Il me reste à vous remercier pour la qualité de ces échanges : certains fleurets étaient encore mouchetés, mais je sais quils ne le seront pas toujours (Applaudissements des commissaires du groupe SRC.)
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Merci, madame la garde des Sceaux, pour la clarté et la vérité de vos propos.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 10 juillet 2012