Texte intégral
R - Monsieur le Ministre, merci, je voudrais donc indiquer que je suis venu ici à Alger parce que les autorités françaises, le président de la République et le Premier ministre estiment que, dans cette période très difficile, dans laquelle nous sommes depuis cette tragédie du 11 septembre, il est très important qu'il y ait des consultations politiques sur la situation actuelle, les développements possibles, les conséquences. La relation entre la France et l'Algérie comme entre la France et les autres Pays du Maghreb est étroite et forte et nous avons besoin d'évaluer ensemble ces événements compte tenu des conséquences qu'ils peuvent avoir. J'ai pu constater, au cours d'un long entretien avec le président de la République, comme lors de mes conversations avec le ministre, que nous avons une analyse commune de la situation. Nous estimons tous que les Etats-Unis sont en état de légitime défense au titre de l'article 51 de la Charte des Nations unies après l'attaque qu'ils ont subie. Nous souhaitons tous, comme l'annoncent d'ailleurs les autorités américaines que la réaction soit ciblée précisément sur les réseaux terroristes et ceux qui peuvent les aider. Nous sommes tous engagés et plus que jamais dans une lutte déterminée contre le terrorisme, mais cette lutte ne doit pas qu'être punitive, il faut qu'elle soit préventive et que l'on parvienne à asphyxier le terrorisme en s'attaquant de différentes façons à certaines idéologies extrémistes folles, mais aussi à un certain nombre de situations tragiques ou de désespoir qui alimentent les différentes formes du terrorisme. Cela est une action de la communauté mondiale tout entière et de nombreuses consultations sont en cours sur ce sujet et il y a des pays qui, malheureusement, ont une expérience encore plus importante que d'autres dans cette lutte contre le terrorisme. Cette expérience doit être mise à profit et doit être examinée par rapport à cela. J'ai rappelé devant le président Bouteflika qui le sait bien, que la France, immédiatement après cet attentat du 11 septembre, a mis en garde contre tout risque d'amalgame et contre tout risque de tomber dans le piège diabolique tendu par quelques concepteurs terroristes de ces attentats qui serait celui d'un affrontement entre le monde occidental d'un côté, le monde arabo-islamique de l'autre. Nous refusons absolument cette perspective, il faut tout faire pour l'en empêcher même s'il y a des extrémistes qui veulent alimenter ce calcul. Je crois que la France est très claire là-dessus, cela a été dit à plusieurs reprises par le président de la République, par le gouvernement. Cela a été redit quasiment chaque jour et nous serons très fermes à travers nos déclarations, nos initiatives, notre politique pour empêcher toutes dérives de ce type. Mais il n'en reste pas moins qu'il faut lutter tous ensemble contre le terrorisme, il faut l'extirper et il y a beaucoup de travail à faire encore, et, dans ce cadre la consultation entre la France et l'Algérie est un élément très important aujourd'hui de notre politique.
Q - (inaudible)
R - Je peux reprendre ce que je disais il y a un instant, c'est que la lutte contre le terrorisme dans certains cas, c'est une réaction. Je disais que les Etats-Unis sont aujourd'hui en état de légitime défense. Un certain nombre de peuples et de gouvernements qui sont menacés ou agressés par le terrorisme ont le devoir de se défendre et ont le devoir légitime de protéger leurs citoyens du terrorisme. Mais la vraie lutte contre le terrorisme, celle qui en triomphera, c'est une lutte qui agira à tous les niveaux et finira par être préventive. Il faut donc empêcher en amont tout ce qui alimente le terrorisme, il faut asphyxier son financement, il faut briser les réseaux et il faut petit à petit corriger les crises, résoudre les situations dont le terrorisme se nourrit. Il y a des idéologies terroristes extrémistes qui, en fait, sont indépendantes des situations de crise régionales, mais elles s'en nourrissent, donc il faut également agir à la racine pour véritablement éradiquer ce mal. C'est une action à plusieurs niveaux et c'est une action qui s'inscrit dans le temps et qui, évidemment, ne se limite pas aux actions que les Etats-Unis pourront mener telles qu'ils l'annoncent pour briser les réseaux qui sont actuellement mis en cause, il faut aller plus loin.
Q - Monsieur le Ministre, la France par la voie de son ministre de la Défense avait émis des réserves sur l'utilisation du nom de guerre pour la situation qui nous concerne. Serait-ce pour éviter d'être impliqué au niveau des membres de l'OTAN ? Qu'en est-il des relations entre la France et l'Algérie ? D'autre part qu'en est-il des soutiens logistiques au terrorisme et qui sont implantés en Europe en lien avec certains services secrets européens à partir desquels on tolère la présence de ces gens à condition qu'ils ne commettent pas d'attentat dans les territoires concernés ?
R - En ce qui concerne la qualification des attentats du 11 septembre dans les premiers jours, plusieurs personnalités qui se sont exprimées ont employé différentes formules mais, en fait, la réalité est toujours la même et ce n'est pas du tout pour la relier à des conséquences juridiques quelles qu'elles soient. D'ailleurs, en ce qui concerne l'attitude à adopter par rapport à ces événements, tous les Européens et tous les pays membres de l'OTAN ont réagi exactement de la même façon dès le début. Le fait qu'on emploie, dans un pays ou un autre, des termes différents pour décrire les attentats n'a pas de signification ni politique, ni juridique. Tous les pays de l'OTAN, je le répète, comme tous les pays européens, comme d'ailleurs tous les pays des Nations unies, ont reconnu que les Etats-Unis étaient en état de légitime défense, selon l'article 51 de la Charte des Nations unies et tous les pays de l'OTAN ont reconnu que c'était un cas d'application de l'article 5, selon lequel une attaque contre le territoire d'un pays allié est une attaque contre tous les pays alliés. Ce même article 5 indique que chaque pays détermine, ensuite, souverainement, la façon dont il entend participer à cet effort collectif de solidarité. Ce qui est frappant c'est plutôt la cohésion, l'homogénéité des réactions.
Les relations entre le France et l'Algérie sont marquées par un dialogue politique intense, confiant, une coopération qui se développe. Je suis un peu triste du contexte qui me ramène à Alger aujourd'hui dans le cadre de ces consultations après une tragédie mais, en même temps, cela vous permet de voir que ce dialogue franco-algérien est tout à fait vivant.
En ce qui concerne l'Europe ma réponse est que la lutte contre le terrorisme, la lutte mondiale et la détermination nouvelle qui s'expriment partout, et qui est une bonne chose, obligent tous les pays du monde engagés dans cette lutte que ce soit en Europe ou ailleurs. Ils obligent peut-être à être plus cohérents sur certains plans et donc il y aura toute une série d'adaptations qui devront se faire en ce qui concerne les législations, l'échange des informations, la coopération des services de sécurité, des services de police. Les pays européens réunis dans un Conseil européen exceptionnel ont adopté un plan d'action à propos du terrorisme qui vise à accroître autant qu'il est possible la sécurité des populations qui vivent en Europe et cela repose sur ces différents points. Chaque pays devra faire le point de ses propres mécanismes, de ses propres législations ou réglementations et les adapter pour les rendre plus efficaces.
Q - J'aurais voulu savoir par rapport au Conseil extraordinaire européen quelle évaluation faites-vous des mesures qui ont été adoptées notamment, est-ce que cela conduit à un cloisonnement et une logique de confrontation avec les pays du Sud ?
R - Il n'y a aucune logique de confrontation dans les décisions de Bruxelles et d'ailleurs dans la dernière décennie l'Europe ne s'est jamais engagée dans une logique de confrontation. Si vous faites allusion au problème des migrations, il y a aucun pays au monde quel qu'il soit qui a décidé que l'immigration était totalement libre. Cela n'existe nulle part. Je ne vois pas pourquoi on présenterait cela comme une logique de confrontation. Dans tous les pays au monde il y a des autorisations ou des réglementations ou des systèmes de visas qui permettent d'organiser les mouvements de populations. Ce n'est pas une logique de confrontation. Ce à quoi nous assistons ces dernières années en Europe c'est à un effort pour harmoniser les législations sur les conditions de séjour, les conditions d'entrée, les conditions d'obtention de telle ou telle carte, les visas etc Comme les pays d'Europe ont des législations très différentes, c'est très difficile, mais tous les pays d'Europe aujourd'hui sont d'accord à la fois sur le fait de préserver absolument le droit d'asile, à condition de le respecter dans ses principes et de ne pas l'utiliser pour n'importe quoi, et deuxièmement ils sont tous d'accord pour dire que bloquer l'immigration est impossible, impensable et que ce serait néfaste et que laisser faire les mouvements de population n'importe comment ne serait pas gérable non plus. Tous les pays d'Europe sont donc en train de chercher une maîtrise des flux migratoires dans le respect du droit et dans le respect des garanties des uns et des autres, et qui soit harmonisée entre les différents pays d'Europe. C'est ce que nous cherchons. Ce n'est pas une confrontation avec qui que ce soit, au contraire c'est une clarification qui peut d'ailleurs tout à fait s'accompagner d'une ouverture en matière de visas. Vous savez que depuis que ce gouvernement français est là, le nombre de visas ne cesse d'augmenter année après année et que cela va continuer non pas par la fixation de chiffres artificiels fixés à l'avance, mais parce que nous avons fixé des critères qui aboutissent à ce qu'il y ait plus de visas délivrés et le travail que nous avons entrepris dans le cadre de la relance de notre coopération avec l'Algérie pour remettre en marche plus de consulats, pour faciliter l'accueil, que les services soient plus rapides, va dans ce sens. Tout cela se développe. J'ajouterai que le choc du 11 septembre fait que, du point de vue européen, cette harmonisation dans les domaines que nous appelons Justice et Affaires intérieures (JAI) dans le jargon européen, nous allons faire en un an ce que nous aurions peut-être fait en 10 ans et cela est une harmonisation du point de vue des pays qui ne font pas partie de l'Union européenne, mais qui sont des pays proches, des pays partenaires dont l'économie est étroitement associée à l'Europe. Et bien ces pays dont le vôtre, je crois, ont intérêt à ce qu'il y ait en Europe en matière de circulation et de mouvement de population, des règles claires qui soient connues et que l'on sorte d'une espèce de brouillard qui finalement est au détriment des individus. Il y aura donc une Europe plus harmonisée, plus claire et je crois que ce sera mieux pour tout le monde et nous aurons à travers ce malheur fait de grands progrès et surmonté les obstacles internes.
Q - A Tunis vous avez failli rencontrer le président Arafat. Qu'est-ce qui vous a empêché de le rencontrer ?
R - Rien ne l'a empêché. Je ne devais pas le rencontrer. Il y a toutes sortes de gens qui passent et qui circulent. J'ai dîné avec lui lundi dernier à Gaza et nous sommes en contact tout à fait fréquents, donc je ne suis pas venu aujourd'hui m'occuper de la question du Proche-Orient dont on s'occupe d'ailleurs tous les jours. Aujourd'hui je suis venu consulter les dirigeants de ces trois grands pays du Maghreb. C'est cela qui est important. Quant au président Arafat, il sait très bien que nous nous sommes pleinement engagés dans la recherche de la paix, il connaît le rôle de la France. Nous avons tout fait avec les Américains et avec d'autres Européens pour que la rencontre avec M. Peres puisse avoir lieu ; nous voyons que depuis qu'elle a eu lieu, un certain nombre d'actes provocants ont été commis pour empêcher la mise en uvre des conclusions qui était celle de cette première rencontre en attendant la seconde, il faut que ces actes provocants qui viennent de l'armée israélienne, ou d'actes palestiniens isolés, soient stoppés. Il faut que ce processus continue et le monde entier attend beaucoup maintenant de la relance de ce processus aussi bien en matière de sécurité qu'en matière de solution politique.
Q - Quelle est la situation des Musulmans en France et en Europe ?
Les Américains veulent replacer l'ancien roi en Afghanistan. Quelle est la position de la France ?
R - En ce qui concerne la question des Musulmans en France, je ne peux que répéter que les autorités françaises sont extrêmement attentives à cette question, elles se sont exprimées tout de suite pour qu'il n'y ait pas de malentendu, qu'il n'y ait pas de simplification, qu'il n'y ait pas d'amalgame, qu'il n'y ait pas de comportement de rejet ou d'ostracisme. Nous sommes donc attentifs, nous faisons attention. C'est vrai du gouvernement, mais c'est vrai de toute la classe politique française et de ce qui se dit à ce sujet et je n'ai pas connaissance, à ce stade, des problèmes qui se soient posé en France à cet égard. En ce moment il y a un climat qui empêche ce type de dérapage.
En ce qui concerne les actions américaines, nous reconnaissons comme légitimes les actions américaines visant à démanteler et à briser les réseaux qui sont à l'origine de ces attentats et en ce qui concerne le régime des Taleban, nous pensons que l'avenir du peuple afghan sera meilleur si ce régime disparaît et nous pensons qu'après cela toutes les forces politiques de l'Afghanistan devraient s'associer dans une reconstruction de ce pays mais ce n'est pas à nous d'en dicter les modalités. Il faut certainement rendre un avenir au peuple afghan.
Q - Quelle est la nature de la participation de la France à la coalition ? La demande algérienne de coopération dans le domaine du renseignement depuis dix ans : avez-vous travaillé aujourd'hui à un apport dans ce sens ?
R - D'abord je voudrais rappeler que ce que l'on appelle coalition n'est pas une coalition militaire. Le mot coalition a été employé, notamment par Colin Powell, pour indiquer que beaucoup de pays dans le monde voulaient s'associer à cette lutte contre le terrorisme, pour le contrer et pour l'éradiquer. Et ensuite, chaque pays le fait avec son expérience, dans sa situation particulière. Certains pays ont été à peine touchés par le terrorisme, d'autres le sont terriblement, et ont une expérience plus grande que les autres, malheureusement, mais elle existe et il est donc tout à fait normal que dans cet effort de coalition, en réalité de coopération internationale, l'ONU doit jouer un rôle important. Je rappelle qu'il y a plus d'un déjà, la France avait présenté aux Nations unies une convention pour rendre plus efficace la lutte contre le financement du terrorisme, c'est un aspect parmi d'autres, mais c'est un aspect important. Dans cette coalition, c'est tout à fait normal, il n'y a pas de pays qui posent des conditions, chacun s'engage souverainement dans cette lutte, parce que c'est l'intérêt de chacun, donc ce n'est pas une négociation. Chacun le fait parce que c'est son intérêt, chacun le fait en fonction de ses principes, dans le respect de son système politique et avec ses propres objectifs. L'important, c'est que tous ces pays en situations diverses se mettent d'accord sur un certain nombre d'actions communes et d'objectifs communs à propos de cette affaire de lutte contre le terrorisme. Quant à ce que vous appelez des bases arrières, j'ai déjà répondu en disant que oui, dans cette phase, les pays européens comme les autres se sont engagés à mettre fin à un certain nombre d'ambiguïtés pour rendre plus efficace sur tous les plans la lutte contre le terrorisme. C'est un processus qui va s'accélérer.
Q - On privilégie une réponse aux attentats sous l'égide de l'ONU. Est-ce que la dernière résolution du Conseil de sécurité satisfait vos exigences sur ce point ?
R - Oui on peut dire que la résolution 1368 qui a été adoptée par le Conseil de sécurité immédiatement après les attentats, et qui reconnaît que les Etats-Unis sont en état de légitime défense, autorise toutes actions menées par les Etats-Unis contre les auteurs directs de l'attentat et ceux qui les auraient aidés. Pour ce qui correspond à ce que nous savons, à ce stade, des projets américains, on peut dire que cela entre dans le cadre de cette résolution. En revanche, en ce qui concerne l'action plus générale contre le terrorisme, à plus long terme et sur tous les plans, - j'ai rappelé, par exemple, à propos de la lutte contre le financement qu'il y a beaucoup d'autres aspects. Naturellement, nous pensons que le Conseil de sécurité doit jouer un rôle important. Il faudra peut-être d'autres résolutions, sujet par sujet, cela se développera dans la durée.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 octobre 2001)