Interview de M. Manuel Valls, Premier ministre, à RMC/BFMTV le 2 juillet 2014, sur l'indépendance de la justice et la mise en examen de Nicolas Sarkozy , la réforme territoriale et la majorité sénatoriale, le débat parlementaire concernant les budgets rectificatifs (budget et sécurité sociale 2014) et la préparation de la conférence sociale.

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Texte intégral

JEAN-JACQUES BOURDIN
Manuel VALLS, Premier ministre, est notre invité ce matin, bonjour.
MANUEL VALLS
Bonjour Jean-Jacques BOURDIN.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci d'être avec nous. Nicolas SARKOZY mis en examen pour corruption, trafic d'influence actif, recel de violation du secret de l'instruction, ancien président de la République, est-il un justiciable comme les autres ?
MANUEL VALLS
Oui, bien sûr. Ce que je veux dire c'est que, cette situation est grave, les faits sont graves, vous venez de rappeler la mise en cause, et puis cela concerne des magistrats, de hauts magistrats, un avocat, un ancien président de la République, mais moi, comme chef du gouvernement, je dois m'en tenir au rappel des principes. Principe d'indépendance de la justice, qui doit pouvoir accomplir son travail sereinement, personne n'est au-dessus des lois, deuxième principe, et puis ensuite il y a évidemment, et c'est important de le rappeler, la présomption d'innocence, qui vaut pour tout le monde. Et donc, cela vaut pour l'ancien président de la République, comme pour son avocat, comme pour ces hauts magistrats qui sont mis en cause.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors justement, un justiciable comme les autres, c'est ce que vous dites, et je vous pose une question subsidiaire. Un juge, qui souhaite la victoire de François HOLLANDE et qui, dans le même temps, quelques mois après, met en examen l'adversaire de François HOLLANDE, est-il un juge comme les autres ?
MANUEL VALLS
Si je rentre dans ce débat, et dans ce type de polémique, je mets en cause les principes que j'ai rappelés. La justice elle est indépendante, et elle doit agir en toute indépendance, et en toute sérénité, et le rôle, des parlementaires, c'est-à-dire de ceux qui font la loi, et bien sûr de ceux qui gouvernent, c'est d'être très attentifs, très scrupuleux, quant à l'application de ces principes.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais les juges doivent-ils s'engager politiquement ?
MANUEL VALLS
Mais, les juges ont le droit de s'engager, c'est vrai sur le plan politique, c'est vrai sur le plan syndical, mais si je rentre dans ce débat, je rentre dans une autre polémique, qui vise à mettre en cause…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais quelle est votre idée, qu'en pensez-vous, Manuel VALLS, qu'en pensez-vous ?
MANUEL VALLS
Les juges agissent dans un cadre bien précis.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que ça ne jette pas le discrédit sur une mise en examen, où nombre, où des questions…
MANUEL VALLS
Mais rentrer dans ce débat, c'est faire croire qu'il y a derrière un complot, et qu'il y a un complot politique, et ça ce n'est pas acceptable. Les juges, encore une fois, travaillent de manière indépendante, et il faut les laisser travailler, parce que, dans un moment de crise de confiance, que nous vivons, j'en ai souvent parlé avec vous ici, si nous-mêmes nous commençons à mettre en cause ceux qui doivent exercer la justice, nous n'y arriverons pas, cette crise de confiance ne cessera de s'accroître, et ça ce n'est pas possible. Donc, le rôle du chef du gouvernement, c'est de rappeler les principes, la présomption d'innocence, l'indépendance de la justice.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Manuel VALLS, j'écoutais Bruno LE MAIRE, sur RTL ce matin, qui disait « quand » - et qui posait des questions – « quand est-ce que les écoutes ont-elles été décidées, et par qui ? » « Quand le pouvoir en place a-t-il été informé de ces écoutes ? » « Est-ce normal qu'un garde des Sceaux ait menti sur la date à laquelle elle a été avertie de ces écoutes ? »
MANUEL VALLS
Nous avons déjà eu ce débat, et cette polémique, si j'ai bonne mémoire, avant les élections municipales du mois de mars dernier.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui.
MANUEL VALLS
Poser ces questions, c'est jeter l'opprobre, encore une fois, sur le travail de la justice.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous pensez que l'opposition est en train, pour protéger Nicolas SARKOZY, de jeter l'opprobre sur le travail de la justice ?
MANUEL VALLS
Je ne vais pas en rajouter moi-même, c'est pour ça que je n'irai pas plus loin par rapport au questionnement qui est le vôtre. J'avais déjà eu l'occasion de le dire, comme ministre de l'Intérieur, je n'étais pas au courant de ces écoutes et je n'avais pas à l'être, point c'est tout. Mais, le plus important, c'est que la justice puisse travailler en toute indépendance, et sereinement, et qu'on respecte la présomption d'innocence. Aller au-delà de ces commentaires c'est rentrer sur le fond du débat et je sors, évidemment, de mon rôle.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que les juges, pensez-vous que les juges s'acharnent sur Nicolas SARKOZY, franchement, franchement ?
MANUEL VALLS
Je pense que les juges doivent pouvoir faire leur travail sans qu'on mette en cause ce travail. Ensuite, il y a des avocats, ceux qui ont été mis en examen vont avoir accès au dossier, ils peuvent faire des recours, et puis ensuite il y a une procédure judiciaire et on verra bien où est-ce qu'elle nous mènera. Mais, si à chaque fois, sur chaque affaire, sur chaque dossier, que cela concerne ou non des politiques, il y a ce type de polémique, on sape les fondements-mêmes de l'Etat de droit, et l'Etat de droit, dans ce moment particulier que nous vivons, il est plus que jamais précieux, donc laissons, encore une fois, les juges, qui sont indépendants, ce sont des juges d'instruction, ce sont des juges indépendants, ce n'est pas le pouvoir qui demande à ces juges de faire des enquêtes, ils agissent et exercent leurs fonctions de manière indépendante. Et en même temps il faut respecter la présomption d'innocence.
JEAN-JACQUES BOURDIN
La réforme territoriale, réforme maintenue, Manuel VALLS ? Calendrier maintenu ?
MANUEL VALLS
Plus que jamais, parce que nous avons besoin de créer de grandes régions, 13 au niveau hexagonal, peut-être moins, si le Parlement le décide, sans doute pas plus…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Peut-être moins.
MANUEL VALLS
Peut-être moins, on verra ce que donnera le débat au Sénat et à l'Assemblée nationale.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y a déjà des idées sur des modifications possibles ?
MANUEL VALLS
Les parlementaires travaillent sur un certain nombre de modifications possibles, la carte elle peut être modifiée…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Concernant la région Poitou-Charentes par exemple ?
MANUEL VALLS
Concernant la région Poitou-Charentes, ou la région Limousin, peut-être seraient-elles…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ou les Pays-de-la-Loire, rattachée à la Bretagne.
MANUEL VALLS
C'est des débats qui sont ouverts, et nous allons laisser le Parlement travailler.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est ouvert ?
MANUEL VALLS
Bien sûr, mais l'essentiel c'est d'avoir de grandes régions, dotées, demain, de compétences plus fortes en matière, d'emploi, de développement économique, de formation et d'aménagement du territoire, pour renforcer le potentiel de ces régions, mais surtout pour renforcer le potentiel économique de notre pays. Et cette réforme, elle doit se faire, et elle va se faire, et on ne peut pas supporter…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Malgré l'opposition des sénateurs ?
MANUEL VALLS
Malgré tous les conservatismes…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et notamment des Radicaux du gauche, du conservatisme, les Radicaux de gauche qui ne veulent pas, qui menacent de quitter le gouvernement, et qui demandent l'organisation d'un référendum sur cette mesure.
MANUEL VALLS
Que nous disent les Français ? Qu'il faut des réformes, qu'il faut que le pays avance. Il y a trop de blocages en France, trop de blocages, il y a trop de normes, mais il y a aussi, surtout, trop de difficultés à réformer.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais c'est un pays impossible à gouverner.
MANUEL VALLS
Non, je ne le crois pas, je ne le crois pas, au contraire, et nous avançons. Les Français, dans bien des domaines – on va revenir sur la réforme territoriale – attendent des résultats, bien sûr, en matière de croissance, de chômage, cela prend du temps, mais ils voient en même temps que des dossiers avancent. ALSTOM, le dossier a été traité par le gouvernement, la réforme ferroviaire, le gouvernement a tenu bon et la réforme ferroviaire a déjà été adoptée par l'Assemblée nationale, elle vient en débat au Sénat. Les intermittents, nous sommes sur une résolution et sur une réforme, je l'espère, une refondation du régime des intermittents qui n'a jamais été faite. Le vote du budget rectificatif à l'Assemblée, il a été adopté, hier, massivement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vais revenir sur le vote du budget de la Sécurité Sociale, oui.
MANUEL VALLS
Donc, la France avance, la France avance, et on ne peut pas s'arrêter là, et, qu'une majorité de sénateurs, veuille bloquer une réforme, qui est attendue, qui est demandée, qui est nécessaire, qui va dans le sens de l'intérêt général, ce n'est pas possible. Et, je le dis, très clairement, nous ne céderons à aucune menace.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire ?
MANUEL VALLS
Le Sénat a voulu saisir le Conseil constitutionnel sur le texte, le Conseil constitutionnel lui a dit que l'étude d'impact était conforme à la Constitution. Le Sénat vote une motion référendaire, demain renvoie le texte en Commission, pourquoi ? Pour perdre du temps, pour retarder. Eh bien, ce texte sera, en permanence, inscrit à l'ordre du jour du Sénat, au mois de juillet, et, s'il le faut, au mois d'août, je pense que ça ira beaucoup plus vite, pour que le texte puisse être adopté, ou pas, au Sénat, pour que l'Assemblée nationale puisse s'en saisir, et voter cette réforme qui, encore une fois, est indispensable pour le pays.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc pas de référendum ?
MANUEL VALLS
Non, laissons le Parlement faire son travail. On voit bien que la somme des contradictions…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous alliez dire c'est insupportable. Qu'est-ce qui est insupportable, Manuel VALLS ?
MANUEL VALLS
Le fait qu'on ne veuille pas débloquer ce pays, qu'au fond on se contenterait du blocage, qu'il y en a qui participe…
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est quoi, c'est du conservatisme, du corporatisme ?
MANUEL VALLS
Du conservatisme, du corporatisme, de l'enlisement, ce n'est pas possible. Moi j'ai beaucoup de respect pour le Sénat, ils représentent, les sénateurs, les collectivités territoriales. Beaucoup de sénateurs sont favorables à ces réformes. Ecoutez, deux sénateurs, un socialiste, Yves KRATTINGER, et un autre, tout le monde le connaît, ancien Premier ministre, Jean-Pierre RAFFARIN, avaient fait une nouvelle carte pour les régions, une Commission, il y a quelques années, présidée par Edouard BALLADUR, avait elle-même fait des propositions pour une nouvelle carte de régions, mais maintenant qu'on rentre dans les faits, parce que cela fait des années qu'on en parle, on bloque. Non, face à ces conservatismes, à ces blocages, à ce risque d'enlisement…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Même si les Radicaux de gauche menacent de quitter le gouvernement ?
MANUEL VALLS
Mais moi je ne doute pas un seul instant de la solidarité, mais les Radicaux de gauche ne peuvent pas bloquer, au Sénat, cette réforme nécessaire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc s'ils quittent le gouvernement, ils quitteront le gouvernement.
MANUEL VALLS
Ils ne quitteront pas le gouvernement, j'en suis convaincu, ils doivent participer au mouvement de réforme. Les Radicaux de gauche, comme d'autres élus, posent un problème, qui est celui de l'avenir des départements ruraux, des territoires ruraux, de l'avenir, tout simplement, de la ruralité, qui compte dans notre pays, eh bien cette ruralité doit être préservée. Regardons, examinons de près, comment ces territoires ruraux peuvent être administrés, et ce sera le deuxième texte de loi sur la réforme territoriale, qui sera soumis au vote du Sénat, aux débats du Sénat, à partir du mois d'octobre, mais ne confondons pas…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais là aussi vous maintenez la suppression des conseils généraux ?
MANUEL VALLS
A terme, puisqu'il faut du temps, et parce qu'il faut transférer des compétences…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous maintenez tout ça. Vous ne reculerez pas ?
MANUEL VALLS
Je ne reculerai pas, nous ne reculerons pas, tout en examinant, de près, l'avenir des départements et des territoires ruraux, parce que, évidemment, la question de la proximité, de la présence des services publics, des distances dans les territoires, ce sont des questions évidemment très importantes pour nos compatriotes. Mais pas de blocage.
JEAN-JACQUES BOURDIN
J'ai relevé une de vos phrases, qui m'intéresse beaucoup, « je ne serai pas le chef d'un gouvernement qui n'avance pas », vous l'avez dit.
MANUEL VALLS
Oui, bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, aller plus loin, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que si le gouvernement est stoppé, vous quittez, vous démissionnez ? « Je ne serai pas le chef d'un gouvernement qui n'avance pas. »
MANUEL VALLS
Vous connaissez mon volontarisme, mon énergie, mon envie d'aller de l'avant, je suis en train de vous faire la démonstration qu'au contraire nous avançons, mais j'ai voulu avertir tout le monde, tout le monde, et notamment au sein de la majorité, il faut avancer. La mission qui m'a été confiée, par le président de la République, mais aussi par l'Assemblée nationale, par son vote de confiance il y a 3 mois, c'est de réformer, c'est d'aller plus vite, c'est de faire les réformes nécessaires. C'est vrai pour les entreprises, c'est vrai pour les territoires. C'est d'agir, avec évidemment le sens de la justice sociale, mais c'est d'agir, et c'est ce que demande ce pays. Ça fait trop d'années, à droite comme à gauche…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et si vous êtes bloqué ? Mais vous pouvez être bloqué, vous le savez. Vous le savez ?
MANUEL VALLS
Je ferai tout, si vous me permettez cette expression, pour débloquer et c'est ce que, je crois, nous sommes en train de faire avec le gouvernement et avec la majorité puisqu'hier encore, elle a voté des mesures très importantes pour le budget de la France.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais pour l'instant, le budget rectificatif de la Sécurité sociale sera peut-être voté. Vote bloqué ou pas ?
MANUEL VALLS
S'il faut utiliser les pouvoirs que nous donne la Constitution pour empêcher notamment des débats entre socialistes au sein de l'hémicycle…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous les trouvez comment ces débats ? Inutiles ? Stériles ?
MANUEL VALLS
Non ! Je ne dirai jamais que des débats au Parlement sont inutiles mais on ne peut pas retarder l'adoption de mesures importantes. Qu'est-ce qui a été voté hier dans le cadre de ce qu'on appelle le projet de loi de finances rectificative ? On a voté la baisse des impôts pour les Français. 3,7 millions d'entre eux verront là, à l'automne, leur impôt sur le revenu baisser et 1,9 million d'entre eux échapperont à l'impôt sur le revenu. Ce sont ces mesures qui ont été votées. Demain dans le cadre du collectif social qui est en débat actuellement à l'Assemblée, ce sont les exonérations de cotisations qui vont être baissées.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais c'est aussi le gel des prestations sociales. Le gel des prestations sociales est maintenu ?
MANUEL VALLS
Il y aura le gel de prestations sociales parce que nous devons faire des économies. Hier, qu'est-ce qui a été voté également ? 4 milliards d'économies supplémentaires pour le budget 2014 pour atteindre nos objectifs de réduction des déficits publics. Ma politique a un sens : soutien aux entreprises par la baisse du coût du travail, soutien aux ménages et aux salariés aux revenus les plus modestes, notamment par des baisses d'impôts. Et puis, les choses sont concrètes. A partir du 1er janvier pour les smicards, c'est 500 euros de plus sur la feuille d'impôt, c'est ça qu'on baisse. Et puis aussi, je viens de le rappeler, ce sont des économies parce que nous devons…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors des économies, c'est ce qu'ils ne veulent pas. Le gel des prestations sociales, c'est clair pour les députés dits frondeurs : « Nous ne voulons pas de ce gel. C'est la raison pour laquelle nous ne voterons probablement pas le budget rectificatif de la Sécurité sociale ».
MANUEL VALLS
Ils disaient la même chose pour le budget rectificatif.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous pensez qu'ils vont changer d'avis ?
MANUEL VALLS
Je pense que nous sommes capables de les convaincre, sans modifier la ligne que je viens de rappeler.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Si vous n'y arrivez pas, c'est le recours à l'article 44-3 de la Constitution, donc vote bloqué. On est bien d'accord ?
MANUEL VALLS
Jean-Jacques BOURDIN, pour le moment les articles les plus importants ont été adoptés dans le débat normal. Je suis convaincu que nous n'aurons pas besoin d'utiliser ces articles de la Constitution.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais vous brandissez la menace.
MANUEL VALLS
Ce n'est pas une menace ! Ça fait partie du débat parlementaire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Même si vous avez conspué la majorité UMP lorsqu'elle a utilisé ce vote bloqué sur les retraites, Martine AUBRY la première.
MANUEL VALLS
La Constitution nous donne des moyens. C'est pour ça que quand on est dans l'opposition, il faut toujours se dire qu'un jour on sera sur la majorité et être extrêmement attentif à ce qu'on dit. Je reviens sur la question que vous m'avez posée sur les déficits. Notre pays vit au-dessus de ses moyens depuis des années. 57 % au fond de dépenses qui pèsent sur notre activité et qui nous empêchent d'avoir des marges. Si nous voulons baisser les impôts pour les ménages, les charges pour les entreprises, si nous voulons privilégier les investissements d'avenir dans l'innovation, dans la recherche, dans les travaux publics, pour le logement, il faut dégager des marges, donc baisser les déficits est un impératif. Moi, je sais que nos compatriotes attendent de la part de ce gouvernement et attendent notamment de moi qu'on baisse les déficits, qu'on baisse la dette parce que nous ne pouvons pas accepter ces déficits et la dette.
JEAN-JACQUES BOURDIN
La dette frôle les 2 000 milliards.
MANUEL VALLS
Oui. Nous espérons la contenir en 2015 en dessous. La dette, c'est 50 milliards par an ; c'est-à-dire que c'est pratiquement l'un des premiers postes du budget de l'Etat et c'est 30 000 euros par personne, par tête, par habitant. C'est insupportable. Nous ne pouvons pas vivre avec ces déficits qui ont explosé au cours de ces dix dernières années. Nous les maintenons et nous les maîtrisons depuis 2012 et il faut poursuivre ce travail. Le chemin est donc tracé, le cap est clair.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous irez au bout quelles que soient les contestations. 44-3, 49-3 peut-être même ?
MANUEL VALLS
Non. Il n'est pas besoin de l'utiliser.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et dissolution de l'Assemblée nationale ? Est-ce que vous avez brandi cette possibilité ?
MANUEL VALLS
Le seul qui puisse brandir cette possibilité, c'est le président de la République, mais ce que j'ai constaté hier c'est qu'il y a une majorité qui débat et c'est normal, mais qui est solide, qui est confiante, qui est cohérente et qui, pardon de le dire, est courageuse. C'est ça qui, moi, m'importe.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Là, vous les flattez. Vous flattez les députés mais ils vous contestent. Vous entendez ? Ils vous contestent de tous les côtés !
MANUEL VALLS
Jean-Jacques BOURDIN, on entend parler de quelques députés mais on ne parle jamais de tous ceux qui travaillent, qui votent, qui font bien leur travail et qui sont loyaux et exigeants, mais loyaux et en confiance avec le gouvernement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
La conférence sociale, est-ce que vous revenez sur le compte pénibilité ? Vous allongez les délais concernant le compte pénibilité pour sauver cette conférence sociale ?
MANUEL VALLS
Non, on ne peut pas le dire ainsi.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non ? Mais vous avez vu l'avertissement du patronat ?
MANUEL VALLS
Nous avons créé par la loi qui a été votée au début de l'année un droit nouveau. C'est ce qu'on appelle le compte de prévention de la pénibilité qui concerne notamment les salariés qui ont des activités qui sont les plus pénibles, je reprends le mot, les plus difficiles. Mais face à ce type de dossiers, il faut être pragmatique et être très attentif à la complexité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-il vrai que seulement quatre des facteurs de pénibilité seront pris en compte dès le mois de janvier prochain ?
MANUEL VALLS
Que me disent les chefs d'entreprise ? Je vais répondre à votre question. J'étais encore dans l'Eure la semaine dernière et je rencontrais non seulement le chef d'entreprise mais les salariés d'une PME particulièrement performante de 180 salariés. Je serai cet après-midi à Volvic pour visiter une autre entreprise. Que me disent les chefs d'entreprises ? Pas seulement le MEDEF, pas le patronat. Les chefs d'entreprises me disent : « Baissez le coût du travail, continuez sur la voie qui est la vôtre, celle que le président de la République a souhaitée », avec le crédit impôt compétitivité qui est très important puisque ça représente 20 milliards pour les entreprises, plus les 20 milliards de charges en moins pour les entreprises. 6,5 milliards en moins en 2015, 8 milliards en 2016, 5,5 milliards en 2017. Jamais, Jean-Jacques BOURDIN, jamais en France mais aussi dans de nombreux pays – on nous compare souvent à d'autres pays – jamais un tel effort pour la compétitivité de nos entreprises et pas des cadeaux pour le patronat – il faut sortir de ce type de langage – pour la compétitivité de nos entreprises n'a été ainsi engagé dans la baisse du coût du travail. Mais ils me disent aussi autre chose, les chefs d'entreprises, relayé souvent par les parlementaires, les parlementaires de gauche : attention à la complexité. La pénibilité, c'est un droit nouveau mais c'est difficile à mettre en oeuvre. Expérimentons, montons en charge de manière progressive.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Quatre facteurs pris en compte dès le mois de janvier.
MANUEL VALLS
Le travail de nuit, le travail répétitif, le travail en équipe alternative et le travail sous pression.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et les autres facteurs ?
MANUEL VALLS
En 2016, on mettra progressivement là aussi en oeuvre les autres facteurs. Je pense notamment aux charges très lourdes ou aux risques chimiques.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est un report ?
MANUEL VALLS
C'est une montée en charge progressive, intelligente et pragmatique. Je demanderais par ailleurs au secrétaire d'Etat chargé de la Simplification Thierry MANDON, et à Guillaume POITRINAL qui est un grand chef d'entreprise, ils ont très bien travaillé tous les deux sur la simplification de notre administration et des normes, de regarder de près ce dossier. Moi, je suis un pragmatique, je n'aime pas l'idéologie. Ce qui m'intéresse, c'est ce qui avance, c'est ce qui marche, et je ne veux pas entraver la marche des entreprises vers l'investissement parce que nous avons perdu depuis dix-douze ans des marges. Nos entreprises ont perdu beaucoup de carnets de commandes et nous devons donc être capables là aussi de les aider.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est pour ça que vous allez aussi simplifier le code du travail ? J'ai vu ça et ça m'a intéressé. Comment simplifier le code du travail ? Quelles mesures pourrait-on prendre ?
MANUEL VALLS
Sur les seuils ou sur le code du travail, il ne s'agit pas d'enlever des droits mais il s'agit là aussi d'être plus efficace, de simplifier. Il ne s'agit pas d'inventer de nouveaux droits, il s'agit de faire en sorte que ces droits puissent réellement se mettre en oeuvre. Mais là aussi encore de manière pragmatique, que les partenaires sociaux se saisissent de ces dossiers.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc sur les seuils, on est bien d'accord Manuel VALLS, il pourrait y a avoir évolution. On est bien d'accord ? Les seuils c'est très simple, c'est dix salariés ou cinquante salariés, les droits sociaux qui sont imposés aux chefs d'entreprises.
MANUEL VALLS
Dans deux tiers des PME, des ETI mais surtout des PME entre dix et vingt salariés, il n'y a pas de représentation du personnel. Ça veut dire que les seuils eux-mêmes ne veulent rien dire. Ce sont des droits mais ce sont des droits qui ne s'appliquent pas. Travaillons sur comment on peut à la fois faire en sorte que les salariés soient représentés parce qu'il faut une représentation, il faut du dialogue social, mais comment en même temps ces normes, ces règles n'empêchent pas la création d'emploi. Si moi on me dit qu'en faisant évoluer les seuils, cela permet la création de milliers d'emplois, ma responsabilité est de dire aux partenaires sociaux : « Avancez, trouvez les bonnes solutions ». Moi je crois au dialogue social, je crois aux partenaires sociaux, je crois à la capacité de dialogue des organisations patronales comme des organisations de salariés. Nous les retrouverons en effet au rendez-vous de la très grande conférence sociale la semaine prochaine avec le président de la République parce que la marque du quinquennat de François HOLLANDE, c'est le dialogue social pour faire avancer les choses.
JEAN-JACQUES BOURDIN
J'ai deux questions courtes, Manuel VALLS. Première question : la justice doit-elle condamner ceux qui brûlent un drapeau français ?
MANUEL VALLS
Il y a eu ce débat il y a déjà quelques années. Moi, je m'étais plutôt prononcé en faveur d'une règle qui en effet condamne ceux qui s'en prennent au fond aux symboles de la Nation.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Condamnation donc.
MANUEL VALLS
Mais je crois que ça existe déjà dans la loi.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça existe déjà dans la loi mais peut-être que les condamnations pourraient être – ça vous choque ?
MANUEL VALLS
Non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça vous a choqué tout ce qui s'est passé autour du drapeau français, du drapeau algérien ? Disons clairement les choses.
MANUEL VALLS
Ecoutez, quand on brandit avec plaisir, avec amour son drapeau pour marquer le soutien à son équipe de football, je ne vais pas me plaindre. Ce que je crois très important, c'est que des Français se retrouvent autour des valeurs de la République.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Les valeurs de la République, ce n'est pas de faire brûler des voitures ou de briser des vitrines, ou même de brûler le drapeau français.
MANUEL VALLS
Bien sûr. La République, ce sont des valeurs qui doivent nous rassembler, liberté-égalité-fraternité, la laïcité. Moi, je me réjouis de la décision qui a été prise par la Cour européenne de justice concernant le port de la burqa ou le voile intégral.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qui n'a pas condamné la France mais qui a exprimé quelques réserves.
MANUEL VALLS
Parce que c'est des lois importantes, l'égalité hommes-femmes et comment nous vivons ensemble. La laïcité est une de ces valeurs. Et puis, la République c'est aussi l'autorité. Ce sont des règles pour vivre ensemble et je pense qu'on doit, surtout dans ce moment-là que je décrivais il y a un instant de crise économique, de crise de confiance, de crise d'identité, se retrouver autour de ces valeurs et de ces valeurs qui doivent plus que jamais nous rassembler.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dites-moi, je montre la Une de L'Express. Ça vous choque ou pas ?
MANUEL VALLS
J'ai vu cette Une hier. Oui, ça me choque. Je ne suis pas sûr que l'on retrouverait cette même Une à l'égard d'un homme, d'un responsable public. C'est dégradant. C'est dégradant pour notre vie politique et je veux vous dire combien moi j'apprécie l'action et la présence de Ségolène ROYAL à mes côtés.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Manuel VALLS d'être avec nous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 juillet 2014