Déclaration de M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, sur le bilan et les perspectives du bicamérisme dans les institutions de la Cinquième République, au Sénat le 19 novembre 2015.

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Circonstance : Débat, à la demande du groupe RDSE, sur le rôle du bicamérisme, au Sénat le 18 novembre 2015

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Bilan et perspectives du rôle du bicamérisme dans nos institutions après la publication du rapport du groupe de travail sur l'avenir des institutions intitulé Refaire la démocratie », organisé à la demande du groupe du RDSE.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le bicamérisme est une des pierres angulaires de la Ve République, telle que le Général de Gaulle l'a imaginée, et cela avant même 1958. (Ah ! sur les travées du groupe du RDSE.)
Mme Sylvie Goy-Chavent. Nous voilà rassurés !
M. Jacques Mézard. On peut s'arrêter là ! (Sourires.)
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Dès son discours de Bayeux en 1946, il relevait qu'une seconde assemblée parlementaire, suivant un mode d'élection et une composition différents de l'Assemblée nationale, devait avoir pour fonction d'examiner, avec sérénité et clairvoyance, ce que celle-ci avait voté.
Le Sénat a souhaité inscrire à son ordre du jour, sur l'initiative du groupe du RDSE, un débat visant à esquisser un « bilan » et « des perspectives » sur le « rôle du bicamérisme dans nos institutions ». Ce moment est, à mon sens, utile à votre institution elle-même, par une certaine forme d'introspection, mais aussi à tous les acteurs et observateurs de la vie institutionnelle.
La question de la présence du Gouvernement dans un tel débat pourrait même être posée : nous ne sommes pas dans un débat de contrôle. Toutefois, nous sommes dans un débat institutionnel, qui nous permet de revenir sur la riche histoire du bicamérisme et du Sénat de la Ve République, ainsi que sur les rapports entre les assemblées et le Gouvernement.
Si certains estiment que le Sénat reste avant tout une assemblée destinée à « tempérer les excès de la chambre élue par le plus grand nombre de citoyens », suivant les mots du professeur Pascal Jan, la Haute Assemblée incarne aussi la permanence, donc la force, de notre République.
Le Sénat s'est construit un rôle de défenseur des équilibres institutionnels et des libertés publiques, qui l'a parfois conduit à s'opposer frontalement au pouvoir exécutif. Ce n'est pas qu'il détiendrait le monopole de ces questions ou de ces préoccupations, mais il y est particulièrement sensible, parce qu'il cultive une prudence face à l'air du temps et face aux emballements politiques ou médiatiques.
Le bicamérisme français porte en lui l'idée même de contre-pouvoir, conformément à la théorie de Montesquieu, une idée qui peut sans doute contribuer à mieux faire valoir l'intérêt général.
Ne pouvant être dissous, le Sénat français est viscéralement attaché à son indépendance, même si cette dernière est peut-être plus forte lorsque sa majorité ne coïncide pas avec celle de l'Assemblée nationale. Le professeur Jean Garrigues rappelle ainsi que « le Sénat représente la possibilité de majorités d'idées aptes à dépolitiser certains enjeux, comme une sorte de conservatoire de la délibération parlementaire ».
Dès lors, la créativité et l'audace s'y expriment, parfois mieux qu'à l'Assemblée nationale, quelquefois même aux dépens des partis politiques.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. La coexistence de deux assemblées parlementaires a ainsi permis à notre pays de trouver, depuis plus d'un demi-siècle, un équilibre dans la démocratie représentative.
Par sa permanence, par son élection détachée des autres échéances électorales nationales, par la singularité de son mode de scrutin, le Sénat contribue à la diversité des points de vue représentés au Parlement, donc à la richesse de notre vie démocratique.
À de multiples reprises – tous les orateurs l'ont rappelé –, le bicamérisme a fait la preuve de sa capacité à améliorer l'écriture des lois et à en contrôler efficacement l'application. Suivant le mot de Robert Badinter, les meilleures lois sont celles qui ont été « coproduites » par les deux assemblées. Témoin en est l'abolition de la peine de mort, approuvée par le Sénat après un débat de trois jours.
Le bicamérisme place le dialogue parlementaire au cœur du fonctionnement de notre démocratie. Ce dialogue entre le Gouvernement et les deux assemblées et entre l'Assemblée nationale et le Sénat participe de la qualité de la loi. Il permet à chacun d'affiner ses positions dans le débat, dans l'échange et dans la contradiction. Il donne à la loi plus de force et de cohérence.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les lois que vous écrivez, que vous amendez et que vous votez doivent en effet répondre aux enjeux du moment, mais elles doivent aussi pouvoir s'appliquer de façon pérenne.
Dans ce dialogue, la question du temps est centrale. Nous savons ce que la navette peut apporter à la maturation des textes qui touchent aux questions de société ou d'éthique. Une connaissance imparfaite du bicamérisme pourrait conduire à méjuger la navette parlementaire pour son caractère chronophage. On pourrait déceler, dans une telle appréciation, une rémanence des propos sévères que certains parlementaires eux-mêmes, et non des moindres, ont pu tenir, notamment sous la Troisième République.
Toutefois, une analyse plus approfondie amène à nuancer ce premier sentiment. Le temps du bicamérisme est en fait souple et adaptable. Les textes soumis aux assemblées peuvent y avancer à des vitesses différentes. La Constitution elle-même prévoit des délais spécifiques pour les textes financiers. Le bicamérisme sait même aller encore plus vite, quand l'urgence le commande.
Nos institutions font ainsi la preuve de leur efficacité face aux crises que la France doit affronter, qu'il s'agisse de réagir à une crise financière ou aux attentats terroristes qui ont si profondément meurtri notre pays, vendredi dernier. Dès demain, le Gouvernement et le Parlement auront ainsi la lourde responsabilité de proroger pour une durée de trois mois l'état d'urgence qui a été décrété par le chef de l'État.
Lorsque la République est confrontée à une crise majeure, lorsque des terroristes veulent l'atteindre, elle sait faire face avec courage, avec responsabilité et dignité ; de ce point de vue, la séance de questions d'actualité au Gouvernement qui s'est tenue hier au Sénat a été tout à fait remarquable, alors que l'on peut s'interroger sur le comportement d'une autre assemblée. Elle le fait lorsque le Président de la République réunit le Parlement en Congrès, comme il l'a fait lundi dernier, pour réaffirmer devant la représentation nationale notre attachement viscéral à la liberté, à la démocratie, ainsi que la force de nos institutions.
Je sais que nous en sommes tous ici convaincus : la force du Parlement, la force du bicamérisme, la force de notre République résident aussi dans sa capacité à répondre à de telles situations.
Au-delà de ces temps de crise, le Gouvernement a le devoir de répondre aux attentes des citoyens en mettant en œuvre son programme de réformes. C'est pour cette raison que la Constitution lui donne la prérogative de déterminer le rythme de la navette.
En cas d'échec de la navette parlementaire, il est indispensable que le Gouvernement puisse demander au Parlement de trancher définitivement un désaccord pour répondre aux nécessités de l'action publique.
Contrairement aux idées reçues, le recours à cette procédure est somme toute rare. Depuis 1959, à peine plus d'un texte sur dix a été adopté après une lecture définitive de l'Assemblée nationale. Sur les 163 lois adoptées définitivement depuis 2012, quelque 128, soit 79 % du total, l'ont été dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat, que ce soit par la navette parlementaire ou après un accord en commission mixte paritaire.
La question du temps parlementaire est dans le débat public, car elle touche à l'adaptation du temps de la vie démocratique au temps de la société, qui a son rythme propre, et les pouvoirs publics, comme notre réglementation, sont amenés à s'y conformer pour répondre aux défis d'évolutions économiques et technologiques de plus en plus rapides.
Si la révision de la Constitution adoptée le 23 juillet 2008 a prévu, à quelques exceptions, la discussion en séance du texte de la commission, les débats en séance publique n'en ont finalement guère été allégés, contrairement à ce que pouvait espérer le constituant. Les parlementaires eux-mêmes déplorent parfois des redondances entre le travail de la commission, vécu comme une première lecture, et l'examen des textes en séance plénière. La question de l'adéquation de la procédure législative, du temps parlementaire et du temps d'application des lois aux attentes exprimées par les citoyens se pose donc avec acuité.
Ces enjeux doivent continuer à mobiliser nos réflexions collectives, afin de réduire ce que la procédure peut encore avoir de répétitif et de mettre en valeur ce qu'elle a de plus constructif. L'amélioration et la fluidification du travail législatif doivent être une préoccupation commune du Gouvernement et des assemblées.
On ne peut que se féliciter des initiatives prises récemment par le Sénat sur ce sujet. Ainsi, le président du Sénat a affirmé son attachement à la distinction des domaines législatif et réglementaire, mettant en œuvre l'article 41 de la Constitution pour déclarer irrecevables des amendements qui empiéteraient sur le domaine réglementaire.
La récente réforme du règlement du Sénat, adoptée le 13 mai dernier, mérite également, à mon sens, d'être saluée, car elle constitue une nouvelle étape de la réforme des procédures parlementaires, conduite à la lumière du bilan de la révision constitutionnelle de 2008.
Le caractère constructif du bicamérisme s'illustre également dans les initiatives parlementaires, dont la part s'est accrue depuis 2008. Ainsi, sur les 61 propositions de loi adoptées entre juin 2012 et le 30 septembre 2015, quelque 33 proviennent de l'Assemblée nationale et 28 du Sénat.
Le Sénat, comme l'Assemblée nationale, a en outre su développer son travail en matière européenne, tandis que s'accroissait la production normative des institutions de la Communauté européenne, puis de l'Union européenne. Le regard des deux assemblées sur la préparation des textes européens, sur les réunions du Conseil et sur les projets de loi de transposition est un atout précieux pour notre démocratie et pour l'efficacité de nos politiques publiques.
Enfin, je suis convaincu, à titre personnel, de la nécessité pour les deux assemblées de développer leurs missions constitutionnelles de contrôle et d'évaluation. Ces missions sont en lien direct avec leur compétence législative. La Constitution place d'ailleurs le vote de la loi, le contrôle et l'évaluation des politiques publiques sur un pied d'égalité. Une meilleure valorisation de ces travaux de contrôle et d'évaluation, dont la qualité est régulièrement saluée, à juste titre, sera un atout du bicamérisme de demain, pour une action législative toujours plus pertinente et efficace.
Enfin, puisque le bicamérisme trouve l'un de ses fondements les plus solides dans le principe d'équilibre des pouvoirs, il a un rôle essentiel à jouer dans le plein exercice des fonctions de contrôle et d'évaluation. C'est conforme à sa tradition, dont on ne peut que souhaiter qu'elle se renforce.
Telle est, mesdames, messieurs les sénateurs, la contribution que le Gouvernement pouvait apporter à ce débat sur le bilan et les perspectives du bicamérisme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE et du groupe UDI-UC.)
Mme la présidente. Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi de vous dire que j'ai été heureuse de présider ce débat institutionnel sur la place essentielle du bicamérisme dans l'équilibre des institutions de la Ve République et dans le bon fonctionnement de notre démocratie.
Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Bilan et perspectives du rôle du bicamérisme dans nos institutions après la publication du rapport du groupe de travail sur l'avenir des institutions intitulé Refaire la démocratie ».
source http://www.senat.fr, le 25 novembre 2015