Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur l'accès aux nouvelles technologies, notamment internet, le commerce électronique, sur le prix des licences UMTS et sur le développement de l'économie numérique, Paris le 14 novembre 2001

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Circonstance : Rencontre avec Electronic Business Group lors d'un débat organisé sur le thème des perspectives de développement du secteur des technologies de l'information, à Paris le 14 novembre 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Même si les contraintes de mon emploi du temps m'empêchent de rester parmi vous aussi longtemps que je l'aurais voulu, je suis heureux d'honorer votre invitation, dont je remercie votre président, François-Henri PINAULT, et votre délégué général, Pierre REBOUL.
Je voulais en effet apporter mon soutien à votre démarche, que je trouve justifiée et opportune : elle consiste à refuser un pessimisme morose et à affirmer, lucidement, le fort potentiel de développement dont disposent, dans chacun des secteurs que vous représentez, les nouvelles technologies. Vous l'avez naturellement rappelé au cours de votre débat : la période est moins favorable pour les nouvelles technologies. Mais, comme vous l'avez souligné, c'est un défi que les acteurs de l'innovation vont savoir relever. J'ai confiance dans votre capacité à poursuivre et à amplifier votre développement économique.
Rien ne justifie, en effet, qu'un surcroît de pessimisme succède à un excès d'enthousiasme.
Chacun se souvient de l'euphorie médiatique et des valorisations financières extrêmes qui ont un temps accompagné la " nouvelle économie ". Cet enthousiasme a porté le développement des nouvelles technologies. Mais il ne pouvait faire disparaître les lois de l'économie ni les réalités de l'entreprise.
Les rudes ajustements intervenus dans le secteur ont précisément traduit, avant tout, un retour aux fondamentaux économiques qui s'imposent à tout entrepreneur et à toute entreprise. Le tri qui s'effectue est sévère, c'est vrai. Mais il prouve au fond la réalité des risques que ces nouveaux entrepreneurs ont choisis de prendre pour des activités à forte croissance mais aussi à forte incertitude.
Conscient de cette réalité du risque, le Gouvernement avait mis en place, dès 1998, des mesures fortes de soutien. Je pense en particulier à l'adoption des bons de croissance et à la création de deux fonds publics de capital-risque, ressource dont l'insuffisance se faisait sentir à l'époque.
Aujourd'hui, refusons le pessimisme et apprécions lucidement la réalité économique. La réalité, c'est que les jeunes entreprises innovantes, les start-up, restent un potentiel prometteur. Une récente étude constate une rapide arrivée à maturation des start-up françaises, désormais caractérisées par une gestion plus rationnelle qui assure mieux, dans la durée, leur dynamique de croissance.
Le Gouvernement redouble ses efforts de soutien. Une enveloppe de 150 millions d'euros sera consacrée au soutien aux PME et à l'augmentation de l'effort public en faveur de l'innovation. Cet effort s'inscrit dans le plan de consolidation de la croissance annoncé par Laurent FABIUS, ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie.
Pour répondre au risque de désengagement de certains investisseurs privés dans une période transitoire mais incertaine, un fonds de co-investissement sera créé d'ici la fin de l'année. Son objectif sera d'aider les jeunes entreprises à forte composante technologique à compléter ou renouveler leurs tours de table. Son montant initial sera de 60 millions d'euros et pourra être augmenté par la Banque européenne d'investissement. La réalité, c'est que la part de la France dans le commerce électronique européen sur internet a doublé en trois ans.
Votre savoir-faire est désormais reconnu.
Je ne peux m'empêcher de songer, dans un secteur que vous connaissez bien, Monsieur le Président, à ces augures qui prédisaient, il y a trois ou quatre ans, que certains grands acteurs de la vente de livres ou de disques sur internet, venus d'outre-Atlantique, balaieraient leurs concurrents français. Ce sont ces jugements hâtifs qui ont été balayés
La réalité, c'est que les secteurs des technologies de l'information et de la communication représentent déjà plus de 6 % du PIB français.
Dans les équipements autant que dans les contenus, les savoir-faire développés sont impressionnants et sont reconnus au plan international. L'intérêt du public ne se dément pas.
Les difficultés que rencontrent par exemple certains industriels des télécommunications sont avant tout conjoncturelles. Elles ne doivent pas faire oublier que le potentiel de croissance de ces secteurs dans les prochaines années est considérable, notamment à travers l'essor des communications à haut débit et des échanges électroniques concernant autant les entreprises et les administrations que les particuliers.
Je suis donc conscient de votre dynamisme comme des difficultés que vous traversez. Le Gouvernement est déterminé à vous soutenir. Plus les Français seront nombreux à utiliser l'internet, mieux se porteront vos activités dans ce secteur. Favoriser l'accès à l'internet pour tous est en effet la priorité du Gouvernement.
Cet accès, pour être aussi large que possible, suppose la démocratisation rapide de l'équipement informatique.
Des mesures, comme la disposition fiscale favorisant le don d'ordinateurs aux salariés adoptée l'an dernier, ont commencé à porter leur fruit.
Dans une entreprise comme Electricité de France, par exemple, la grande majorité des salariés envisage d'en bénéficier.
Le coût d'accès à l'internet ne doit pas être une barrière.
En 1997, la France comptait parmi les trois pays européens où l'accès à l'internet était le plus cher. Depuis quatre ans, l'action conjointe du Gouvernement et de l'Autorité de Régulation des Télécommunications a permis que la France figure désormais parmi les pays les mieux placés.
Mais il faut aller plus loin et plus vite. J'ai souhaité que Laurent FABIUS, ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, et Christian PIERRET, secrétaire d'Etat à l'Industrie, envisagent, conjointement avec le Président de l'ART, M. Jean-Michel HUBERT, les solutions nouvelles nécessaires pour améliorer rapidement les conditions tarifaires d'accès à l'internet, y compris l'accès forfaitaire à bas débit, et pour que 2002 voit l'essor de l'accès à haut débit, notamment pour l'ADSL.
Nous luttons aussi contre la dimension territoriale du " fossé numérique ".
Le Gouvernement a lancé le 9 juillet dernier un plan pour une couverture territoriale complète en haut débit, mobilisant plus de 1,5 milliard de francs en investissement direct et 10 milliards en prêts de long terme bonifiés.
L'objectif que j'ai fixé est de permettre l'accès au haut débit sur tout le territoire en 2005.
Nous voulons réussir l'introduction de la troisième génération des radiocommunications mobiles.
Le Gouvernement a souhaité traduire son soutien aux secteurs innovants par une forte décision en ce qui concerne l'UMTS. Depuis 2000, le contexte des marchés financiers ainsi que le calendrier de disponibilité de ces technologies ont profondément changé. Les présidents d'entreprises innovantes et les experts scientifiques que j'ai réunis, pour les consulter, au sein du Conseil stratégique des technologies de l'information, m'avaient fait part de leur inquiétude à ce sujet.
Pour que des services nouveaux, réellement innovants, attractifs et ouverts au plus grand nombre, apparaissent dans les prochaines années en matière de mobilité et de haut débit, il fallait lever les contraintes financières qui risquaient de restreindre leur développement.
C'est ce que nous avons fait, au moment où il fallait le faire, c'est-à-dire lors du vote de la loi de finances, en réduisant le prix d'entrée et en allongeant la durée des licences, tout en relançant la procédure d'attribution de nouvelles licences pour assurer une concurrence accrue.
Cette décision, dont nous avons anticipé que les effets bénéfiques iraient bien au-delà des seuls opérateurs, a été, je crois, appréciée des acteurs des nouvelles technologies. Je m'en réjouis.
La décision concernant l'UMTS témoigne de ma confiance dans votre capacité à tirer le meilleur parti de vos positions d'excellence dans les nouvelles technologies. Elle est aussi une nouvelle et importante étape dans l'action menée par le Gouvernement dans ce secteur.
Depuis 1997, nous avons fait un effort considérable pour réussir l'entrée de la France dans l'économie numérique et la société de l'information.
En 1997, la situation était préoccupante. La France, pourtant une nation à l'excellence technologique reconnue, était comme hésitante face à la révolution de l'internet, dont d'autres grands pays développés avaient pris la mesure dès 1995.
L'inertie des pouvoirs publics, en donnant le mauvais exemple, aggravait cette situation. Un retard important s'était ainsi accumulé.
Voici une anecdote qui parlera aux professionnels que vous êtes : lorsque nous sommes arrivés à l'Hôtel de Matignon en juin 1997, il n'y avait ni réseau informatique, ni messagerie, ni même d'équipement minimal pour les membres du cabinet. Cette insuffisance en outils de travail modernes était largement répandue dans les administrations et les services publics. Il fallait en finir avec le laissez-faire et engager une démarche volontariste. Nous avons posé un acte politique fort.
Dès le mois d'août 1997, j'ai fait une priorité absolue de la préparation de notre pays, dans son appareil productif, dans ses services publics, son système éducatif ou ses moyens de recherche.
Nous avons depuis mis en uvre le Programme d'action gouvernemental pour la société de l'information (PAGSI).Bien sûr, les succès rencontrés depuis par la France dans ces secteurs sont d'abord les vôtres. Ce sont les entreprises qui prennent les risques propres à la " nouvelle économie ". Ce sont elles qui imaginent les nouveaux produits et créent les richesses.
Mais dans notre pays, l'action publique possède un puissant effet de levier. En donnant les bonnes impulsions, nous avons voulu créer les conditions d'un rattrapage. Nous avons agi sur tous les fronts, et d'abord pour ce qui concerne l'Etat : l'équipement des administrations, la mise en ligne des services publics, la formation des fonctionnaires ; mais aussi à l'école : essor de l'usage pédagogique du multimédia, équipement des établissements scolaires, formation des enseignants ; en direction du grand public : création de 7.000 lieux publics d'accès et de formation au multimédia ;pour les professionnels : information des entreprises aux enjeux de l'économie numérique, soutien aux innovateurs, adaptation de notre droit. Les résultats me semblent déjà encourageants. Pour ce qui concerne l'administration, je peux vous livrer une anecdote.
J'ai appris que le ministre allemand chargé des réformes administratives s'est fixé pour objectif de rattraper en deux ans l'avance prise par les administrations les plus modernes en matière d'internet : il citait celles des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la France.
Sans attendre d'être rattrapés, nous engagerons dès demain la seconde étape du chantier de l'administration électronique, lors d'un Comité interministériel.
Les résultats que nous avons obtenus depuis quatre ans ne sont, à mes yeux, qu'un premier acte. Mon ambition est en effet que la France devienne l'économie numérique la plus dynamique d'Europe.
Les nouvelles technologies façonnent une économie fondée sur l'excellence de l'innovation et du savoir. Les enjeux sont immenses en termes de croissance, de compétitivité, d'emplois.
La numérisation et la mise en relation, par les nouveaux réseaux de communication, de l'ensemble des modes de production et d'échanges, voilà le plus grand défi économique et technologique qui s'ouvre à nous.
Les secteurs des technologies de l'information et de la communication représentent déjà 6 % de notre PIB. Mais les 94 % restant sont aussi concernés ; c'est toute notre économie qui est déjà et sera de plus en plus profondément transformée par ces nouvelles technologies.
Chacun doit être convaincu que la marche vers l'économie numérique est une révolution qui concerne désormais chacune de nos entreprises, dans l'industrie autant que dans les services.
Je sais que votre association contribue activement à cette nécessaire sensibilisation du monde de l'entreprise.
Mesdames, Messieurs,
La France parviendra d'autant mieux à être l'économie numérique la plus dynamique d'Europe que nous y travaillerons ensemble : vous, acteurs économiques particulièrement mobilisés, et nous, pouvoirs publics engagés de façon volontariste.
En même temps, le " fossé numérique " entre ceux qui maîtrisent les nouvelles technologies et ceux qui n'y ont pas accès doit peu à peu être comblé. Là encore, nous devrons veiller et travailler ensemble à construire une société de l'information solidaire.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 15 novembre 2001)