Texte intégral
PATRICK COHEN
Bonjour Jean-Jacques URVOAS.
JEAN-JACQUES URVOAS
Bonjour.
PATRICK COHEN
Des militants interdits de manifester, des citoyens qui n'ont été ni condamnés, ni même interpellés, que dit le ministre de la justice sur ces interdictions de séjour prononcées en dehors de toute procédure judiciaire ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Je suis comme toujours attentif aux libertés, attentif au cadre dans lequel s'expriment ces libertés, attentif au fait que visiblement le ministre de l'Intérieur a jugé qu'un certain nombre d'éléments nécessitait l'application de possibilités qui lui sont offertes par l'état d'urgence et attentif à la décision qui va être prise par le tribunal dans moins de 15 minutes puisque je crois qu'il y a un tribunal qui a été saisi ce matin.
PATRICK COHEN
Tribunal administratif !
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui, tribunal des libertés.
PATRICK COHEN
Ce n'est pas un juge judiciaire ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Ah ! Oui, mais depuis une décision du Conseil constitutionnel, le tribunal administratif et le Conseil d'État est installé comme un juge des libertés. J'entends cette polémique, enfin en tout cas cette contestation au fait que le juge judiciaire n'est pas saisi, mais moi j'aime tellement les libertés que je préfère qu'il y ait deux juges qui s'en occupent.
PATRICK COHEN
Oui. Enfin est-ce qu'il n'y a pas un détournement, parce que l'état d'urgence il a été décrété contre les terroristes après les attentats du 13 novembre, pas contre les casseurs de la loi Travail ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, mais l'état d'urgence permet c'est en tout ce que le Conseil d'État a eu l'occasion de dire au mois de décembre, quand il avait été saisi sur ce type d'utilisation de mesures, qu'il était pertinent pour l'autorité politique de mobiliser les forces de sécurité là où elles ont besoin d'être mobilisées et je rappelle très justement qu'il y a un droit de manifester en France mais qu'il n'y a pas un droit à casser.
PATRICK COHEN
La justice du XXIème siècle c'est le nom de cette réforme lancée par Christiane TAUBIRA, qui arrive aujourd'hui devant les députés, avec une mesure très publique : le divorce sans juge qui pourra être prononcé en cas de consentement mutuel, mais il coûtera plus cher, il y aura deux avocats ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Oh ! Là, il y a beaucoup de choses dans votre question. La justice du XXIème siècle
PATRICK COHEN
Je résume parce qu'on en a déjà beaucoup parlé de la mesure dans cette matinale.
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui, oui. Mais justement, comme on emplie souvent des facilités, on arrive à rendre une mesure qui est attendue par l'opinion comme étant une mesure anxiogène. Dans ce sujet de la justice du XXIème siècle il y a beaucoup de choses autour d'une orientation, aujourd'hui pour l'écrasante majorité de nos concitoyens qui deviennent par contrainte parfois des justiciables, il y a quatre millions de Français qui vont dans des palais de justice par an, la justice elle est trop complexe et elle n'est pas simple, elle n'est pas rapide, donc mon souci avec le peu de moyens dont je dispose c'est de faire que la qualité du service soit à la hauteur des attentes et donc c'est vrai qu'il y a un certain de mesures sur lesquelles j'ai proposé que l'on se dispense de l'appel au juge pour permettre au juge de se recentrer sur ce qui est son métier, son métier c'est le litige, c'est le fait de trancher des difficultés par l'application de la règle de droit. Quand vous me parlez du divorce par consentement mutuel, il y en a 66.000 en France par an, consentement mutuel, il y a aussi des divorces par contentieux, moi je souhaite que les juges se concentrent sur les divorces où il y a du contentieux pour protéger ceux qui ont besoin d'être protégés. Aujourd'hui par exemple
PATRICK COHEN
Parfois il n'y a pas de contentieux entre époux et l'enfant a besoin d'être protégé et, ça, c'est le juge qui peut vérifier si l'intérêt de l'enfant est bien respecté ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Là encore, pardon de le dire aussi rigoureusement, mais le garant de l'intérêt de l'enfant c'est d'abord le parent, aux parents, ou alors il n' ya pas d'autorité parentale ; deuxième élément, quand on dit aujourd'hui que le juge est le garant de cela, c'est omettre le fait que le juge est le garant d'un élément, qu'il doit s'assurer c'est le Code civil qui le dit que l'enfant a été informé de son droit de pouvoir être entendu, mais le juge n'a pas en matière civile les moyens d'aller vérifier si c'est vrai. Dans le divorce que nous proposons chaque partie aura un avocat et ce sont les avocats qui seront garants de cet équilibre, si l'enfant souhaite être entendu, alors le divorce ne sera pas changé, c'est le juge aux affaires familiales qui le prononcera. Mais dans le cas d'espèce, moi je pense à tous ceux qui sont d'accord, qui ont signé une convention, dont le divorce est équilibré souvent il n'y a pas d'enfant, souvent il n'y a même pas de patrimoine et ceux-là qui ont décidé de se séparer doivent attendre des mois pour pouvoir le faire alors que ceux qui sont en divorce contentieux, qui ont besoin oui de la protection du juge, ils attendent aujourd'hui presque trois ans par exemple à Bobigny, ils attendent presque deux ans dans les juridictions comme Lyon, moi je préfère que le juge soit disponible pour ceux-là plutôt que d'être mobilisé par des conventions qui sont équilibrées et qui ne nécessitent pas d'ailleurs le plus bel exemple c'est sur les divorces par consentement mutuel, je le disais tout à l'heure 66.000 aujourd'hui dans le pays par an, 99,9 % de ces conventions établies par un seul avocat sont homologuées par le juge, mettons le juge là où il y a besoin dans la protection des faibles
PATRICK COHEN
Il y a aussi les délits routiers sans juge avec un système d'amende forfaitaire pour les conduites sans permis ou sans assurance, ça veut dire qu'on pourra payer cash sur le bord de la route sans passer par le tribunal ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Ca veut dire qu'on va sanctionner plus vite et plus fort ! Aujourd'hui la conduite sans permis ou la conduite sans assurance, qui sont les deux seuls éléments sur lesquels il y a un changement, il y aurait un changement
PATRICK COHEN
Et sans récidive !
JEAN-JACQUES URVOAS
Voilà ! Sans récidive, sans infraction connexe, sans c'est 30.000 dans chaque cas aujourd'hui à peu près. Aujourd'hui la conduite sans assurance, de manière automatique quasiment c'est une amende, 300 euros, prononcée au bout de sept mois, moi je propose tout de suite 500 euros, donc plus vite la sanction, plus forte dans la sévérité.
PATRICK COHEN
Cette loi va supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs créés en 2011 sous Nicolas SARKOZY, la droite va vous accuser de laxisme ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Oh ! Peu me chaut, moi je crois qu'on combat la délin
PATRICK COHEN
Vous vous en fichez ?
JEAN-JACQUES URVOAS
On combat la délinquance des mineurs d'abord par l'éducatif et donc du coup considérer qu'un tribunal composé de juges non spécialisés allait prononcer des sanctions plus dures était une illusion que Nicolas SARKOZY a poursuivi et dont les faits ont démenti la pertinence puisque nous savons maintenant qu'il y a 1 % de la délinquance des mineurs qui est traité par les tribunaux correctionnels pour mineurs, nous savons que cela complexifie les procédures puisqu'il y a pas de juge spécialisé et donc du coup on est obligés de désorganiser les audiences et au final, même si je voulais être dans la logique sarkozyste ce qui n'est vraiment pas mon propos les sévérités sont moins fortes que quand ce sont des tribunaux pour enfant, vous vous rendez compte. Donc, du coup, parce que c'est complexe, parce que c'est inutile et parce que c'est fondamentalement hostile à ce je crois, c'est-à-dire à la primauté à l'éducatif, alors oui il faut supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs.
PATRICK COHEN
Question d'actualité, qui n'est pas dans votre projet, faut-il allonger le délai de prescription trois ans aujourd'hui pour des faits de harcèlement sexuel ?
JEAN-JACQUES URVOAS
J'entends la question, elle vient, elle est légitime, je renvoie à ceux qui la portent à la lecture aujourd'hui du Code de procédures pénales et du Code pénal. Nous avons en chantier en ce moment, un texte a déjà été adopté par l'Assemblée nationale, il sera en discussion
PATRICK COHEN
Qui porte à six ans !
JEAN-JACQUES URVOAS
Qui porte à six ans, il me semble que c'est correspondre à la demande qui est donc il ne faut pas lancer des chantiers quand il y en a qui sont déjà ouverts et qui vont aboutir.
PATRICK COHEN
Donc six ans, vous êtes
JEAN-JACQUES URVOAS
Ah ! Moi je suis pour, mais ce n'est pas seulement pour le harcèlement, c'est pour
PATRICK COHEN
Alors, pourquoi ce soupir en réponse à ma question ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais parce que... Non, non, ce n'est pas un soupir, c'est la volonté d'être complet dans mes réponses, c'est le fait que quand on est sur un débat aujourd'hui qui est un débat très grave sur le harcèlement et on cherche à faire une infraction spécifique, moi je crois qu'il faut pousser plus loin le délai de prescription de tous les délits.
PATRICK COHEN
Et la possibilité pour les associations de porter plainte à la place des victimes en cas de harcèlement sexuel ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Aujourd'hui cela existe, c'est prévu dans l'article 2-2 du Code pénal, il faut simplement que l'association puisse se revendiquer de l'accord écrit de la victime, c'est de cela dont on devrait se dispenser - je ne suis pas sûr que ce serait un progrès parce qu'agir à l'insu d'une victime ne serait pas paradoxal et dans tous les cas de figure l'enquête qui serait engagée nécessiterait d'entendre d'abord la victime, donc le fait que la victime s'adresse à une association et qu'ensuite l'association passe me parait être une procédure qui a déjà démontré son efficacité.
PATRICK COHEN
La justice en voie de clochardisation, avez-vous dit Jean-Jacques URVOAS, vous avez annoncé hier 107 millions supplémentaires pour le budget de la Justice, ce qui est dérisoire
JEAN-JACQUES URVOAS
Le mot a choqué, la clochardisation, mais je l'ai employé volontairement, il était dailleurs entendable à partir du moment où je disais que nous étions en voie de clochardisation, c'est-à-dire qu'il fallait agir si on voulait éviter un risque. Oui le premier ministre a accepté de dégeler, puisque c'est le terme budgétaire - qui n'est pas très élégant mais qui dit bien c ce qu'il veut dire 107 millions que pour les juridictions, je l'ai annoncé aux
PATRICK COHEN
Ca fait 1,3 % du budget de la Justice !
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui, mais ça fera plus de dépenses utiles qu'il y en avait eues l'année dernière et, pour l'avoir évoqué vendredi dernier avec les premiers présidents des cours d'appel et les procureurs généraux, c'est une annonce qui a plutôt été bien ressentie parce qu'on va pouvoir dépenser utile dans les juridictions. Les frais de justice par exemple nous allons mettre 41 millions, j'ai été vendredi à Créteil voir une association qui avait 1,5 million de dette parce qu'elle fait des enquêtes pour les tribunaux, elle n'était plus payée, vous savez cette annonce-là pour ce président d'association-là que je salue au passage c'était plutôt une bonne nouvelle.
PATRICK COHE
C'est le produit du bilan de Christiane TAUBIRA ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Le bilan de Christiane TAUBIRA est bon
PATRICK COHEN
Ah bon !
JEAN-JACQUES URVOAS
Parce que justement ça me permet à moi de me concentrer sur ce qui n'a pas encore été fait
PATRICK COHEN
Il est tellement bon que vous arrivez à la Justice et vous constatez le délabrement de l'institution judiciaire ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, parce que je Non, je n'ai pas une vision aussi manichéenne. Christiane TAUBIRA a fait l'essentiel, c'est-à-dire elle a obtenu les créations de postes que nous avions besoin, depuis 2012 4.200 postes ont été créés, si on s'en était tenus à ce qu'avait dit le président de la République dans sa campagne c'est-à-dire la priorité à la justice et à la sécurité pour la justice c'était 500 postes par an, cela voulait donc dire sur le quinquennat 2.500, on n'est pas à la fin du quinquennat et on en a créés 4.300, c'est parce que Christiane TAUBIRA avait fait valoir les arguments qui ont été entendus par AYRAULT et par VALLS, moi il me reste maintenant à faire en sorte que ces postes puissent être utiles et donc fonctionner, et on en revient à la justice du XXIème siècle.
PATRICK COHEN
Jean-Jacques URVOAS, ministre de la Justice, avec nous jusqu'à 9 h et dans quelques minutes les questions des auditeurs de France Inter et dans un instant la revue de presse.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 mai 2016