Déclaration de Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, sur le projet de loi relatif à la présomption d'innocence et les droits des victimes, au Sénat le 15 juin 1999.

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Circonstance : Présentation du projet de loi sur la présomption d'innocence et les droits des victimes au Sénat le 15 juin 1999

Texte intégral

Monsieur le président,
Monsieur le président de la commission des lois,
Monsieur le rapporteur,
Mesdames et Messieurs les sénateurs.
Je souhaite profiter de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui pour vous rappeler le calendrier de la réforme globale, dans laquelle ce texte s'inscrit. Elle porte sur trois points :
1/ Une justice plus proche des citoyens : - la loi sur l'accès au droit, du 18/12/98, va permettre de renforcer la justice de proximité et de rendre ce service public plus adapté aux besoins de nos concitoyens.
- un décret réformant la procédure civile publié le 28/12/98 permettra, lui aussi, d'accélérer la justice civile, celle qui concerne l'essentiel des litiges entre particuliers.
- la semaine dernière, l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité de façon définitive et en termes conformes le projet de loi renforçant l'efficacité de la procédure pénale, qui avait été également adopté à l'unanimité par le Sénat le mois précédent.
2/ Une justice plus respectueuse des libertés : - le projet qui nous réunit aujourd'hui est au coeur de cette préoccupation.
3/ Une justice plus indépendante : - le projet de loi constitutionnel sur le CSM, adopté en termes conformes, par les deux assemblées, depuis le 18/11/98 est en attente du Congrès. Dés que celui ci aura adopté le projet de loi constitutionnel, les lois organiques d'application pourront être déposées au Parlement.
- le projet de loi sur les relations parquet/chancellerie sera débattu en première lecture à l'Assemblée Nationale, dés le 22 juin prochain. Il vous sera soumis à l'automne.
A peine plus de 18 mois après l'annonce de la réforme je constate que le parlement est soit saisi des textes, soit les a déjà partiellement ou totalement adoptés. Aucun retard n'a été constaté.
Le gouvernement a tenu ses engagements, en terme de calendrier: il convient maintenant de terminer ce qui est largement engagé.
Le texte dont vous êtes aujourd'hui saisis, s'inspire très largement des travaux qui ont été conduits, dans ces dernières années. Je souhaite ici rendre hommage au travail important réalisé par la commission présidée par le Premier président TRUCHE, installé par le Président de la République, qui a rendu son rapport en juillet 1997. De nombreux points repris dans ce projet, s'inspirent des conclusions de cette commission.
Je sais que le Sénat a conduit à plusieurs reprises une réflexion sur ce sujet. Je pense notamment aux travaux conduits par votre rapporteur, Monsieur le sénateur JOLIBOIS dans le cadre de la mission d'information "Justice et transparence", dont les conclusions ont bien sûr été examinées avec attention par le Gouvernement lorsqu'il a élaboré le présent projet. Certaines des dispositions de ce projet de loi s'inspirent très directement de ces travaux.
Comme le rappelle l'exposé des motifs, la présomption d'innocence constitue le principe cardinal de toute procédure pénale dans un Etat de droit soucieux de respecter les libertés individuelles. Le constat est ancien: ces dernières années, de multiples modifications de notre droit ont été proposées.
Je tiens à souligner que les moyens nécessaires à sa mise en oeuvre ont été obtenus, et déjà mis en place, ce qui est sans précédent. Jamais, jusqu'ici, les moyens n'avaient été déployés avant que la réforme ne soit adoptée par le Parlement. J'y reviendrai.
Qu'elles sont les principales caractéristiques de cette réforme ?
C'est d'abord une réforme pour les justiciables, pour tous les justiciables.
En effet, l'apport principal consiste à rendre notre justice pénale plus respectueuse des libertés, plus proche des citoyens, plus humaine et plus soucieuse de leurs préoccupations, qu'ils soient victimes ou auteurs d'infractions.
Les victimes tout d'abord, qui ont trop longtemps été les oubliées du procès pénal. Agir en leur faveur, c'est agir en faveur des plus démunis de nos concitoyens.
La réforme concerne ensuite les personnes suspectées, poursuivies ou mises en cause au cours d'une procédure pénale, et dont la situation doit être améliorée, dans l'entier respect des principes directeurs dégagés par la Convention européenne des droits de l'homme. Cette partie de la réforme concerne là encore de très nombreuses personnes. Je rappelle notamment que plus de 300 000 personnes sont placées chaque année en garde à vue, que plus de 60 000 sont mises en examen, et que plus de 30000 sont placées en détention provisoire.
Cette réforme touche tous les aspects de la procédure pénale: l'instruction qui concerne 8% des affaires dont sont saisies les juridictions, mais aussi la citation directe, la convocation à délai rapproché, la comparution immédiate, qui elles représentent 92% des saisines des juridictions.
Ces dernières procédures visent essentiellement la petite et la moyenne délinquance. La présence de l'avocat en première heure de garde à vue, le renforcement des droits de la défense à l'audience, les dispositions sur le droit des victimes et la communication s'appliquent à toutes les affaires, et donc à toutes les personnes concernées par la procédure pénale.
Une réforme qui maintient la procédure actuelle tout en améliorant les droits de la défense.
La procédure accusatoire est par nature inégalitaire et injuste. Elle favorise le fort au préjudice du faible. Elle accentue les différences sociales et culturelles, donnant un plus grand poids au riche qui a la possibilité de rémunérer les services d'un ou plusieurs avocats.
Le système que nous connaissons est meilleur tant en ce qui concerne l'efficacité qu'en ce qui concerne les libertés individuelles. Je préfère, et je le dis clairement, un juge indépendant, qui instruit à charge et à décharge, à des policiers qui exécutent seuls, sans contrôle judiciaire, une large part des investigations.
C'est pourquoi le présent projet de loi fait le choix assumé de maintenir le juge d'instruction. J'ai d'ailleurs décidé de lui donner des moyens renforcés, comme le montre la création récente des pôles financiers, destinés à mieux lutter contre la délinquance économique et financière. Je sais que votre commission et son rapporteur partage cette conviction et je m'en réjouis.
Le projet qui vous est présenté est un texte d'équilibre.
Equilibre entre les droits de l'accusé et ceux de la victime. Renforcer chacun de ces droits ne constitue nullement deux objectifs contradictoires, mais deux objectifs complémentaires, qui sont l'un et l'autre aussi importants.
Equilibre entre l'efficacité de l'enquête et les droits des parties. Le renforcement des droits de la défense ne doit pas compromettre l'efficacité des investigations et la nécessité de la répression.
Equilibre enfin entre la liberté d'expression et le respect de la présomption d'innocence. L'amélioration de la protection de la réputation des personnes mises en cause, quelque soit le stade de la procédure pénale, ne doit en aucune façon porter atteinte à la liberté de la presse.
Comme l'a plusieurs fois rappelé le Premier ministre, notamment lors de ses voeux à la presse, pour l'année 1999, aucune mesure conduisant à une limitation de la liberté d'expression, ne sera retenue par le gouvernement.
C'est pourquoi, la proposition de la commission TRUCHE visant à interdire la publication du nom des personnes mises en cause, n'a pas été reprise. Le choix du Gouvernement est celui du respect de l'information tout en protégeant la présomption d'innocence par plus de publicité et en sanctionnant les comportements les plus graves.
Les questions soulevées par ce projet sont, on le voit, essentielles et complexes. Je tiens dans ces conditions à rendre un hommage tout particulier au travail de votre rapporteur à la commission des lois, Monsieur le Sénateur JOLIBOIS. Je tiens également à remercier le président LARCHE qui a conduit pendant plus de trois jours les débats, qui ont été riches, au sein de votre commission des lois. Je souligne ici l'esprit constructif avec lequel il aborde ce texte. J'en veux pour preuve ses déclarations, auxquelles je souscris, dans lesquelles il indique que sur ce texte un accord avec l'Assemblée Nationale, avait lieu d'être recherché.
Je vous ferai part de l'opinion du Gouvernement sur les principaux amendements adoptés par votre commission en vous présentant les dispositions du projet.
Présentation du projet de loi :
Le projet de loi comporte deux volets: un sur la protection de la présomption d'innocence et un autre sur les droits des victimes.
I. La protection de la présomption d'innocence :
L'énoncé de ce principe et de ses conséquences sera désormais inscrit en tête du code de procédure pénale. L'Assemblée nationale a largement remanié cette disposition, pour que soit fait référence aux nombreux principes directeurs du procès pénal.
Ensuite le projet de loi prévoit quatre grandes séries de dispositions :
- le renforcement des droits de la défense et du contradictoire
- le renforcement des garanties en matière de détention provisoire
- le droits d'être jugé dans un délai raisonnable
- la limitation des atteintes à la réputation.
1) Le projet de loi renforce tout d'abord les droits de la défense et le respect du contradictoire :
a/ En premier lieu, il prévoit l'intervention de l'avocat au cours de la garde à vue dès la première heure de la mesure, sauf dans les cas de criminalité ou de délinquance organisée.
Je rappelle qu'actuellement, moins de 10 % des personnes gardées à vue peuvent s'entretenir avec un avocat.
Je me félicite sur ce point essentiel que votre commission vous propose de reprendre les solutions proposées par le projet en intégrant les modifications apportées par l'Assemblée, qui ont recueilli mon accord.
b/ En deuxième lieu, le projet étend les droits des parties au cours de l'instruction : celles-ci pourront demander au juge tous les actes qu'elles estiment nécessaires, et non plus uniquement certains actes limitativement énumérés ; leur avocat pourra demander à ce que certains des actes demandés soient effectués en sa présence.
c/ En troisième lieu, le projet améliore la procédure du témoin assisté, qui permet à une personne faisant l'objet d'une accusation de bénéficier des droits de la défense sans être mise en examen.
On connaît l'opprobre qui s'attache à la mise en examen. C'est pourtant actuellement en pratique le seul moyen de faire bénéficier la personne suspectée des droits de la défense. Le projet permettra de donner à une personne accusée le droit de se défendre, sans pour autant la désigner à l'opinion publique : il s'agit du statut de témoin assisté. Votre commission propose d'en étendre le champ d'application. J'y suis favorable. Cette disposition est conforme à l'esprit du texte. Par contre je suis hostile à l'amendement qui oblige le juge à entendre une personne comme témoin assisté à sa seule demande. Je vous propose sur ce point un amendement.
Je suis également réservée sur la proposition de votre commission de limiter la mise en examen aux hypothèses dans lesquelles il existe des indices "graves et concordants". Les textes actuels exigent simplement des "indices" de culpabilité, qui constituent le "seuil plancher" à partir duquel la mise en examen est possible. Les "indices graves et concordants" constituent quant à eux le "seuil plafond", prévu par l'article 105, à partir duquel la mise en examen est obligatoire.
Je ne peux dès lors accepter que ce seuil plafond devienne le seuil plancher, non seulement car cela me paraît peu cohérent, mais surtout car cela risque de paralyser l'action des juges d'instruction dans un très grand nombre de dossiers. Par contre je tiens à vous dire que je partage totalement votre objectif de limitation de la mise en examen au cas où elle est nécessaire. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement sur ce point, qui peut, je le pense constituer un compromis.
L'amendement de votre commission sur la mise en examen par lettre recommandée appelle des observations. Je reconnais qu'il est possible d'améliorer cette procédure et la proposition de votre commission va dans le bon sens. Néanmoins, je souhaite attirer votre attention sur le fait que cette procédure s'adresse essentiellement à une catégorie de mis en examen: ceux qui ne sont pas placés en garde à vue et qui ne sont pas déférés aux juges d'instruction. Pour ces derniers, la notification de la mise en examen immédiatement et sans préavis demeure. Je m'expliquerai plus avant au moment de la discussion de l'amendement.
Enfin, le projet donne la possibilité aux avocats de poser directement des questions aux témoins au cours de l'audience, ce qui n'est pas possible actuellement. Je tiens à souligner que cette avancée concerne tous les procès, que le tribunal ait été saisi directement par le parquet par citation ou en comparution immédiate, ou qu'il soit saisi par un juge d'instruction.
2/ La détention provisoire :
a/ Le texte crée un juge de la détention provisoire.
A cette fin, il confie au juge de la détention provisoire, juge expérimenté, impartial et objectif, la responsabilité de décider des placements en détention provisoire. Deux regards sur une décision aussi grave valent mieux qu'un seul.
Je me félicite que cette partie essentielle de la réforme ait été acceptée par votre commission, sous réserve de certaines adaptations qui, si elles n'emportent pas toujours mon adhésion, ne remettent pas en cause la logique du projet.
Néanmoins je suis opposée à deux dispositions introduites par votre commission: l'obligation de motivation et d'organiser un débat contradictoire quand le juge de la détention n'envisage pas le placement en détention. Le principe de notre procédure pénale est la liberté. Aucune contrainte ne doit limiter ce principe.
b/ Conditions de placement en détention et durée de la détention
Le projet limite les conditions de placement en détention provisoire en matière correctionnelle, ainsi que la durée de la détention provisoire en matière correctionnelle et en matière criminelle. Il convient de distinguer la question des seuils et celles des délais.
Votre commission propose, en matière correctionnelle, un seuil unique de trois ans. Je ne peux donner mon accord à cette proposition qui affaiblit la répression dans de nombreux domaines sensibles. J'aurai l'occasion de revenir sur ce point.
Le projet modifie par ailleurs les règles relatives à la durée de la détention provisoire.
Votre commission propose de modifier ces dispositions sur plusieurs points qui répondent à une logique différente de celle du projet. Elle réduit les cas dans lesquels il n'existerait pas de délai butoir, en supprimant l'hypothèse de la commission rogatoire internationale, et celle de la pluralité de crimes. En contrepartie, elle donne à la chambre d'accusation la possibilité, à l'issue de ces délais butoirs, de prolonger elle même la détention.
Je ne suis pas convaincue par ce dispositif qui me semble apporter des complications inutiles à notre procédure pénale. Il me parait tout à fait important de maintenir la possibilité d'une détention plus longue lorsque l'instruction, du fait de la multiplicité des faits, demande des investigations complexes.
Je souhaite citer deux exemples qui frappent l'opinion publique: les faits de viols et d'assassinat commis en 1996, à Boulogne sur Mer sur quatres jeunes filles, et la série de crimes commis récemment dans l'Est de Paris. Ces faits, qui sont d'une gravité particulière, ne peuvent pas être correctement instruits dans les délais retenus par votre commission. Par ailleurs, il serait tout à fait dommageable, pour une juste application de la loi pénale de dissocier ces faits. Nous en reparlerons plus précisément lors de l'examen des articles. De même il me paraît fondamental de conserver une possibilité de détention plus longue lorsque des commissions rogatoires sont en cours.
c/ L'indemnisation des détentions et des frais engagés :
Le projet améliore enfin l'indemnisation des détentions provisoires injustifiées, en prévoyant une réparation intégrale de tous les chefs de préjudice, à la suite d'une décision motivée, prise au cours d'un débat public. L'Assemblée nationale a modifié le texte du projet initiale afin d'affirmer le caractère automatique de cette réparation, sauf dans certaines hypothèses exceptionnelles, dont la liste n'était pas facile à dresser. Votre commission propose, avec sagesse, de réécrire cette liste d'exceptions d'une façon qui me paraît juridiquement plus précise et plus exacte.
3) Droit à être jugé dans un délai raisonnable
Le projet renforce le droit à être jugé dans un délai raisonnable, en instituant un contrôle de la durée des enquêtes (par le président du tribunal) et des instructions (par la chambre d'accusation et son président), à la demande des personnes suspectées ou mises en examen.
Les dispositions les plus novatrices concernent l'enquête préliminaire.
Je me félicite de voir que votre commission accepte ces dispositions, tout en déposant des amendements qui en renforcent la cohérence.
4) Atteintes à la réputation
Enfin, le projet de loi permet de mieux limiter, prévenir, réparer ou réprimer les atteintes à la réputation d'une personne qui résultent de sa mise en cause au cours d'une procédure judiciaire.
Pour les cas les plus graves, ceux dans lesquels l'atteinte à la présomption d'innocence est la plus patente et la plus inadmissible, il crée deux nouveaux délits punis de 100 000 F d'amende, celui de publication de l'image d'une personne menottée ou entravée, et celui de réalisation ou diffusion de sondages sur la culpabilité ou la peine d'une personne poursuivie.
Il consacre par ailleurs dans le code de procédure pénale la pratique des communiqués du procureur de la République permettant les "mises au point", à condition qu'elles présentent un caractère objectif.
Dans le même esprit, il institue de nombreuses "fenêtres de publicité" au cours de la procédure, lors du contrôle de la durée de l'enquête, du placement en détention et en cas d'audience devant la chambre d'accusation, permettant ainsi, à la demande de l'intéressé, un débat public sur les charges. Sur cette question, je dois dire que le Gouvernement s'est très directement inspiré des conclusions du rapport du Sénat "Justice et transparence" dont M. JOLIBOIS avait été le rapporteur.
Le projet améliore les dispositions prévoyant que le juge d'instruction ou le tribunal correctionnel doit publier un communiqué en cas de non lieu ou de relaxe.
Il précise enfin que toute mesure utile doit être prise, dans des conditions compatibles avec les exigences de sécurité, pour éviter qu'une personne menottée ou entravée -hypothèse dont le caractère exceptionnel est rappelé par la loi - soit photographiée ou fasse l'objet d'un enregistrement audiovisuel.
Le projet améliore enfin les dispositions sur le droit de réponse, en allongeant les délais.
La commission des lois ainsi que la commission des affaires culturelles ont déposé un certain nombre d'amendements sur les dispositions du projet relatives à la communication.
Je suis tout à fait favorable à certains amendements de votre commission des lois, notamment celui qui rétablit, parmi les exceptions aux "fenêtres de publicité", l'hypothèse du risque pour le bon déroulement de la procédure.
En revanche, les autres amendements déposés soulèvent selon moi d'importants problèmes, sur lesquels je reviendrai lorsqu'ils viendront en discussion. En particulier, je ne crois pas qu'il faille limiter les communiqués du procureur de la République aux seuls objectifs d'assurer le respect de la présomption d'innocence ou de rectifier des informations inexactes. De tels communiqués doivent être possibles, comme cela se fait déjà en pratique, pour préserver les troubles causés à l'ordre public.
Ensuite, je ne suis pas favorable à l'amendement qui étend les dispositions de l'article 9-1 du code civil. Le texte actuel a été adopté par le Sénat en 1993. Sa rédaction participe d'un véritable équilibre entre le respect de la présomption d'innocence et la liberté de la presse, équilibre que le Gouvernement ne souhaite pas remettre en cause.
II. Les droits des victimes :
Comme je l'ai déjà indiqué, les victimes ont trop souvent été les parents pauvres du procès pénal. Certes, d'importants progrès ont été faits ces dernières années. Tout récemment, la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et la répression des infractions sexuelles a donné des droits concrets et significatifs aux victimes, et notamment lorsqu'elles sont mineures, de ces infractions.
Par ailleurs, j'ai adressé le 12 juillet 1998 à l'ensemble des juridictions une circulaire prescrivant de façon précise les actions qu'il convenait de mener en faveur des victimes.
Enfin, le Premier ministre a demandé à Madame Marie-Noëlle LIENEMAN un rapport destiné à formuler des propositions en vue de relancer et de coordonner les actions en faveur de l'aide aux victimes des actes de délinquances. Ce rapport a été déposé le 26 mars dernier, et a été examiné lors du Conseil de sécurité intérieur du 19 avril, à la suite duquel ont été prises les décisions suivantes :
- un plan d'action sur trois ans sera élaboré pour améliorer l'accueil, l'information et l'accompagnement des victimes et de leur famille au sein de l'ensemble des services de l'Etat.
- Un conseil national de l'aide aux victimes va être créé. Le décret qui institue ce conseil sera bientôt publié.
- Une meilleure articulation avec le réseau associatif va être assurée.
Le projet de loi procède déjà à de nombreuses modifications de notre droit, dont certaines rejoignent d'ailleurs des propositions de ce rapport.
1/ Les dispositions qui permettent aux victimes d'être mieux entendues, défendues et indemnisées
D'une façon générale, il est rappelé en tête du code de procédure pénale le principe -qui ne figure actuellement dans aucun texte - selon lequel l'autorité judiciaire doit veiller à la garantie des droits des victimes tout au long de la procédure.
Le projet consacre dans la loi le rôle joué par les associations d'aide aux victimes. Plus de 150 associations d'aide aux victimes, parmi lesquelles l'INAVEM, sont actuellement des interlocuteurs privilégiés des juridictions, et ont passé des conventions avec le ministère de la justice. C'est cette réalité judiciaire, aujourd'hui totalement ignorée du code de procédure pénale, que le projet légitime et renforce.
Le projet de loi procède par ailleurs à trois modifications permettant d'éviter aux victimes de se déplacer lors du procès, en leur donnant la possibilité :
- de se constituer partie civile par lettre pour demander des dommages et intérêts, quelque soit le montant de la demande ;
- de se constituer partie civile par télécopie ;
- de se constituer partie civile dès le stade de l'enquête de police.
Dans le même esprit, le projet donne au tribunal correctionnel la possibilité, après avoir condamné le prévenu, de renvoyer à une audience ultérieure l'examen des demandes de la victime, afin de permettre à cette dernière de fournir ses justificatifs et de lui éviter d'engager un second procès devant le juge civil.
2/ La protection de la dignité des victimes :
Enfin, il crée deux nouveaux délits punis de 100.000 F d'amende, en cas de publication de l'image d'une victime dans des conditions portant atteinte à sa dignité, ainsi qu'en cas de publication de l'identité d'une victime mineure. La première infraction répond à une nécessité incontestable, que l'actualité récente a malheureusement mise en évidence, compte tenu de l'imperfection de notre législation.
En effet, à la suite de la publication par un hebdomadaire de la photo d'une victime de l'attentat terroriste de la station Saint-Michel du RER, dans des conditions qui portaient gravement atteinte à la dignité de cette personne, des poursuites engagées sur le fondement de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ont été annulées par la Cour d'appel de Paris.
La Cour a considéré que le texte répressif était trop imprécis, et par là même contraire à la Convention européenne des droits de l'homme. La nouvelle infraction, dont les contours sont mieux définis, évite une telle critique.
L'Assemblée nationale a par ailleurs adopté d'autres dispositions qui viennent encore renforcer les droits des victimes, en favorisant notamment l'information de ces dernières. Pour la plupart, ces dispositions inscrivent dans la loi certaines pratiques judiciaires que préconisait la circulaire que j'ai adressée en juillet 1998 aux juridictions.
III/ Les moyens et la carte judiciaire :
1/ Des moyens pour réussir la réforme :
La réforme présentée par le Gouvernement nécessite évidemment d'importants moyens, notamment en ce qui concerne la création du juge de la détention provisoire.
Je tiens ici à rappeler ma position, qui est constante depuis mon arrivée à la chancellerie: je ne proposerai pas de réforme sans avoir préalablement obtenu les moyens nécessaires à leur mise en oeuvre.
C'est bien évidemment le cas du texte dont nous débattons aujourd'hui. Les lois de finances pour 1998 et 1999 ont permis la création de 70 et 140 postes de magistrats supplémentaires. C'est un effort considérable, unique depuis plus de 10 ans.
Parmi ces postes figurent, bien évidemment ceux, dont la création est rendue nécessaire pour la réforme dont nous débattons. Par une circulaire du 19/03/99, j'ai déjà procédé la localisation de 60 postes budgétaires, dans la perspective de la mise en place du juge de la détention.
Je souhaite avoir dans ce domaine une démarche pragmatique. Les tribunaux de grande instance sont divers dans leur taille et dans leur activité.
Les 22 décisions de détention provisoire prises par le tribunal de grande instance de Guéret ne peuvent donner lieu à une même réponse que les 2150 du tribunal de grande instance de Paris ou les 209 d'Avignon.
Il est nécessaire de trouver des solutions multiples et adaptées. Il n'est pas possible de répondre, sur tout le territoire par une solution unique.
Trois hypothèses sont à cet égard concevables.
1/ J'ai d'ores et déjà écarté un premier scénario, qui aurait consisté à nommer et créer un emploi de juge de la détention dans les 187 tribunaux de grande instance. L'activité de l'instruction à Morlaix, Cambrai ou Lure ne nécessite pas la présence d'un juge de la détention à temps plein.
2/ Un second scénario conduit à raisonner au niveau des cours d'appel. Certaines d'entre elles, comme celles de Limoges ou de Bourges, comportent un nombre important de petits tribunaux de grande instance à une et deux chambres. Il est possible d'envisager, que des magistrats placés auprès des chefs de cours, puissent, en délégation, venir compléter les juridictions au moment du jugement des affaires, quand le nombre de magistrats n'ayant pas connu de l'affaire n'est pas suffisant.
De plus, une disposition prévue, dans le projet de loi, voté par le Parlement et en cours de publication, sur l'efficacité de la procédure pénale, devrait permettre de délocaliser certaines affaires, à l'initiative des chefs de cours, quand le tribunal n'est pas en capacité de les juger.
3/ Enfin, dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire, à plus long terme, des aménagements pourront être mis en place. Vous savez qu'en ce domaine, j'ai adopté, là aussi, une démarche pragmatique.
2/ Les amendements sur le recours contre les décisions des cours d'assises :
Cette question des moyens m'amène naturellement, avant de conclure, à m'exprimer sur un important amendement déposé par votre commission, à l'initiative de son rapporteur M. JOLIBOIS, qui institue un recours contre les décisions des cours d'assises.
Je comprends et partage totalement les motivations de cet amendement. Je l'ai déjà précisé à plusieurs reprises, je suis en effet favorable à l'institution d'un tel recours, et c'est pourquoi j'ai demandé à la chancellerie de travailler depuis plusieurs mois sur cette question.
Elle a été abordée avec les députés lors de la préparation du débat. Je leur ai tenu le même langage qu'aujourd'hui.
Tout d'abord, elle soulève des difficultés juridiques considérables. Non seulement il convient de faire un choix parmi les différents types de recours envisageables - et votre commission a fait le choix d'une forme d'appel "tournant" - mais ce choix fait, les modifications à apporter aux dispositions du code de procédure pénale pour permettre un tel recours sont multiples et délicates. Or elles ne sont pas toutes réalisées par cet amendement: je ne crois d'ailleurs pas que ni votre commission ni votre rapporteur prétendent qu'elles le sont. Je ne pense pas que l'on puisse adopter une telle réforme au détour d'amendements sur un texte qui concerne un autre sujet. Cette réforme nécessite concertation, réflexion et un travail technique important.
Ensuite, il convient de connaître le coût d'une telle réforme, pour déterminer si les moyens nécessaires à son application peuvent être dégagés. Or, je l'ai déjà dit à de nombreuses reprises, je ne ferai pas de réforme sans moyens. Et, en l'état, si j'ai pu obtenir les moyens nécessaires à la présente réforme, comme je vous l'ai indiqué précédemment, je ne dispose pas des moyens pour réformer la cour d'assises. Il faut faire des choix et établir des priorités. La réforme de la détention provisoire, comme celle des assises, sont consommatrices de moyens. Le gouvernement a fait un choix: celui qui vous est présenté par le texte dont nous débattons maintenant.
Dans ces conditions, vous comprendrez que je ne peux être favorable à cet amendement, que je crois devoir considérer pour ce qu'il est : un amendement d'appel, dont je partage l'objectif, mais dont il faut bien constater qu'il n'est pas atteignable à brève échéance.
Conclusion :
En conclusion, je voudrai indiquer que ce projet dénote à mes yeux un véritable changement de perspective dans l'appréhension des principes généraux de la procédure pénale.
Il tend à rendre chacun des acteurs du procès pénal plus responsable, pour concilier de façon équilibrée les libertés individuelles avec les nécessités de la répression, la protection de la présomption d'innocence et le respect de la liberté d'expression.
Je suis persuadé que la discussion que nous allons avoir sur ce texte permettra l'adoption d'une réforme ambitieuse et éclairée, nécessaire pour que la justice retrouve la confiance de l'opinion publique.
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 16 juin 1999)