Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur la politique d'aménagement du territoire et sur les mesures en faveur de la région Bretagne, devant le Conseil régional à Rennes le 4 février 1994.

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Circonstance : Déplacement de M. Balladur à Rennes à l'occasion de la signature du 3e contrat de plan Etat-région le 4 février 1994

Texte intégral

Monsieur le président du conseil régional,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Messieurs les présidents de conseil général,
Mesdames, messieurs,
Je vous remercie pour l'accueil que vous m'avez réservé, ainsi qu'aux membres de Gouvernement qui m'accompagnent. C'est à la fois un honneur et un plaisir que de m'exprimer devant vous pour clore un échange dont j'ai apprécié la qualité.
La Bretagne est une terre d'exception en matière d'aménagement du territoire. Elle représente à elle seule une synthèse de l'ensemble des politiques d'aménagement menées en France.
La décentralisation y a été vécue comme un aboutissement logique d'un État moderne. Les collectivités ont su sous l'influence de Raymond Marcellin puis d'Yvon Bourges trouver des formes de coopération originales, continuant ainsi le mouvement lancé par le président René PLEVEN.
Les agriculteurs se sont transformés en chefs d'entreprises, ils ont conquis les marchés et gagné la bataille de la production. Les professions maritimes se sont organisées, se sont modernisées. Des succès industriels ont marqué la région avant d'atteindre un niveau national et international.
Forte de sa production agricole, la Bretagne est devenue la première région agro-alimentaire française. La contribution de ce secteur est essentielle pour l'emploi dans les zones rurales.
Les difficultés économiques ont perturbé cette évolution.
La filière "fruits et légumes" traverse depuis deux ans une crise. Les pouvoirs publics sont intervenus à plusieurs reprises pour apporter le soutien nécessaire. Au-delà des difficultés conjoncturelles que cette filière traverse, il faut aménager l'organisation commune des marchés des fruits et légumes. Le Gouvernement fera des propositions à Bruxelles en ce sens.
S'agissant de la filière porcine, la chute brutale des cours a nécessité, en 1993, un effort sans précédent avec des prêts aux éleveurs, des aides aux investisseurs, et des aides exceptionnelles de soutien à la trésorerie. En outre la France a obtenu de la Commission l'ouverture de restitutions pour exporter 40.000 tonnes de viande porcine.
L'aviculture est également confrontée à une situation difficile malgré les modifications des accords internationaux obtenues par la France. L'action du Gouvernement a permis de faire revenir Bruxelles sur ses décisions en matière de restitutions. Les industriels ont donc pu maintenir à leur niveau antérieur les prix payés aux éleveurs.
Par ailleurs, le Gouvernement conscient de la gravité de la crise que traverse le secteur de la pêche maritime depuis de nombreux mois, a décidé d'adopter un ensemble important de mesures. Elles portent sur le soutien du marché ; sur la réduction des charges sociales ; sur l'allègement des charges financières ; sur le redressement des entreprises en difficulté ; sur l'aide d'urgence aux familles et sur la modernisation du mareyage.
L'ensemble de ces mesures complète celles décidées par le "contrat de progrès" du 28 mai 1993 et conduit à tripler les crédits d'État consacrés à la pêche.
Un comité de suivi est mis en place par M. Jean PUECH pour veiller au bon déroulement de la mise en oeuvre de ces dispositions. Il comprendra des représentants de l'administration et des professionnels.
Affectée par une crise qui touche à ses racines, la Bretagne est également confrontée à des disparités internes de développement.
Si la Bretagne orientale enregistre une augmentation de sa population et une progression de l'emploi industriel et tertiaire, la Bretagne occidentale et la Bretagne centrale connaissent un ralentissement de leur activité économique et un vieillissement de la population.
Ces disparités sont à corriger.
Aujourd'hui nous procédons à la signature du troisième contrat de plan État-région. C'est le premier signé en France continentale.
Il illustre le savoir-faire breton en matière d'aménagement du territoire.
Il traduit un renforcement de la solidarité nationale en faveur de la région qui compte tenu de sa situation économique, a bénéficié du plus fort taux d'augmentation des interventions de l'État. Cet effort s'est accompagné d'un relèvement significatif des interventions financières des collectivités territoriales.
C'est ainsi que 5,2 milliards de francs sont engagés par l'État de 1994 à 1998, et qu'avec les collectivités, c'est l'engagement de plus de 10 milliards de francs qui est aujourd'hui décidé d'un commun accord.
Cet effort sera soutenu par les fonds structurels de l'Union Européenne.
La population concernée par le programme communautaire de développement rural progresse de 143 % ; celle concernée par le programme de conversion industrielle, de 97 %. Ce sont donc 61 % de la population bretonne qui bénéficient désormais des interventions communautaires alors que le taux moyen français est de 47 %.
Le modèle breton a souvent été cité en exemple. Aujourd'hui, il évolue. Après une politique de pôles de développement, les propositions bretonnes recherchent à présent une plus grande harmonie des territoires et un meilleur équilibre dans la répartition des hommes et des activités.
La modernisation des infrastructures représente près de 45 % des enveloppes, soit un triplement des crédits par rapport au précédent contrat de plan.
L'importance de l'effort en matière de travaux routiers est apparue indispensable afin d'irriguer au mieux la Bretagne intérieure. 900 MF de travaux vont être engagés sur la Route Centrale pour sa mise à 2 x 2 voies. Une étape irréversible est à présent franchie au bénéfice du Finistère et de la Bretagne centrale.
Àun développement qui a reposé sur la constitution de grandes agglomérations, ce sont les réseaux de villes qui sont à présent préférés. La charte d'objectif préparée à Brest en est un modèle.
Par ailleurs, la Bretagne a pris conscience du risque que constitue la dégradation de son environnement. Pour la première fois, des actions de protection sont inscrites dans le contrat de plan.
Elles visent la reconquête de la qualité des eaux avec le programme "Bretagne eau pures". Je rappelle également l'effort considérable qui est réalisé pour la mise aux normes des bâtiments d'élevage. Enfin, le centre de documentation de recherche et d'expérimentation sur les pollutions accidentelles des eaux, le CEDRE, implanté à Brest est conforté par des crédits particuliers du ministère de l'environnement, qui accroîtront ceux prévus dans le contrat de plan.
L'aménagement du territoire doit pouvoir s'appuyer sur le renforcement des atouts de la Bretagne.
Au titre de ceux-ci, il y a le secteur des télécommunications.
La Bretagne a, depuis longtemps, joué un rôle moteur en la matière ; y sont localisés de nombreux centres de recherches, écoles ou activités opérationnelles.
Le Gouvernement considère qu'il est essentiel de consolider ces activités en tirant profit des initiatives nouvelles qui verront le jour.
Dans cet esprit, le Gouvernement apporte la garantie aux responsables économiques et aux élus de la région, que la Bretagne restera un centre d'accueil privilégié des activités liées aux télécommunications.
Ceci s'accompagnera d'actions nouvelles en matière d'enseignement supérieur et de recherche.
Le pôle universitaire rennais sera renforcé par la création d'une antenne de l'école normale supérieure de Cachan, qui forme des professeurs de l'enseignement technique.
Je connais votre demande de création d'une quatrième université en Bretagne. Cette demande sera satisfaite. L'université de Bretagne Sud se développera à partir des sites de Vannes et de Lorient.
Cette université sera complémentaire de celles de Rennes I et II et de l'Université de Bretagne occidentale. Le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche créera dans les dix prochains jours un groupe de travail dont la mission sera de définir un projet pédagogique. Les conclusions seront remises avant l'été pour que l'université de Bretagne Sud puisse, si possible, être progressivement constituée à partir de la rentrée 1995, et qu'au plus tard, elle ouvre ses portes à la rentrée 1996.
Enfin, la situation géographique de la Bretagne justifie une action constante pour développer ses liaisons avec les autres régions.
Le Gouvernement a engagé un programme routier exceptionnel qui permettra d'achever la réalisation de la rocade des estuaires.
Se pose également la question de la liaison T.G.V. entre le Mans et Rennes.
Votre région a bénéficié avec le TGV Atlantique de la deuxième ligne française à grande vitesse. Le progrès a été considérable.
Vous souhaitez aujourd'hui améliorer ce résultat par la construction d'une voie nouvelle à grande vitesse après la ville du Mans.
La difficulté, c'est bien entendu le financement. Vous connaissez la situation des comptes de la S.N.C.F, qui ne lui donne pas, dans l'immédiat, les moyens d'entreprendre par elle-même un nouveau grand projet.
Pour autant, le Gouvernement ne souhaite pas que l'on renonce à des investissements essentiels pour le développement économique. Je crois que la solution d'avenir est celle que j'ai évoquée récemment en Aquitaine et en Alsace : un financement spécifique du projet, selon l'exemple donné par le T.G.V-Est, où les partenaires intéressés, les collectivités, la Communauté Européenne, épaulent la S.N.C.F.
Je vous propose donc d'ouvrir le dialogue avec l'État sur ce sujet. Le ministre des Transports engagera la procédure prévue pour ce type d'infrastructures et mettra en place les crédits d'études nécessaires. Cette démarche sera conduite en concertation avec les collectivités territoriales concernées.
Je sais qu'ici le débat sur l'aménagement du territoire a été riche et que très nombreux sont ceux qui ont participé à la réflexion. Je sais qu'ici l'aménagement du territoire s'inscrit dans une grande ambition qui est aussi celle du Gouvernement.
Après avoir ouvert le débat national sur l'aménagement du territoire à Nantes, après m'être rendu en Aquitaine et en Poitou-Charentes, je souhaite en Bretagne marquer encore l'attention qu'apporte le Gouvernement à la façade atlantique de notre pays.
Je l'ai dit à plusieurs reprises au cours de mes déplacements : le Gouvernement veut lutter contre l'effet de marginalisation qu'entraînerait pour une partie de la France l'évolution naturelle de l'économie européenne. Cette évolution conduirait à privilégier excessivement la zone qui va de Londres à Milan, en passant par le Nord de l'Europe et la vallée du Rhin.
La politique d'aménagement du territoire que le Gouvernement conçoit, est destinée à retrouver un développement harmonieux de la France.
"Dans l'immense transformation que notre France est en train d'accomplir, une question s'est posée dont dépend son destin : la nation sera-t-elle saisie toute entière, sur tout son territoire, dans toute sa population, ou bien limitant l'effort aux régions qui semblent s'y prêter le mieux, laissera-t-elle les autres en arrière ?". Cette question e été posée par Charles de Gaulle à Quimper le 2 février 1969. Nous devons toujours nous la poser.
Il s'agit de trouver une plus grande complémentarité entre les régions, chacune occupant au mieux la place qu'elle mérite, et une plus grande équité entre les citoyens.
La politique d'aménagement du territoire que le Gouvernement conçoit, récuse l'homogénéité. Elle doit permettre au pays tout entier de bénéficier de chacune de ses particularités régionales et, pour renforcer le pays tout entier, chacune de ces particularités doit s'épanouir pleinement.
Il s'agit de dessiner pour nos enfants la France telle que nous la souhaitons et non de la transmettre comme le produit d'évolutions qui seraient passivement subies, au nom du respect de lois économiques qui ne s'imposent absolument qu'à ceux qui s'abandonnent au cours des choses sans tenter de l'orienter.
Expression d'un choix politique fondamental, l'aménagement du territoire que conçoit le Gouvernement doit être un facteur de progrès, et d'un progrès équitablement réparti. Son objectif est de permettre à la France d'être plus forte car mieux rassemblée, plus prospère et plus juste.
Une telle ambition ne vaudra que si elle est partagée. Elle ne vaudra que si les forces vives du pays, les forces politiques, sociales, culturelles, savent dépasser leurs habitudes. C'est dans cet esprit que le débat national a été engagé.
Il est de la responsabilité de l'État d'assurer la cohésion du pays. Mais le Gouvernement ne détient pas seul la vérité, loin s'en faut. Il veut écouter, comprendre, faciliter les prises de conscience.
La méthode adoptée à Mende n'a pas de précédent dans la préparation d'une loi.
Depuis le mois d'octobre dernier, des centaines de réunions se sont tenues sur tout le territoire, des milliers de questionnaires ont été diffusés, des millions de Français se sont exprimés.
Je constate que l'état des esprits a évolué. Chacun veut à présent apporter sa pierre à l'édifice, chacun voit bien ce qui est en jeu.
On y perçoit une confiance accrue dans la capacité du pays à surmonter les épreuves.
De nombreux espoirs sont nés.
Sur proposition de Charles PASQUA et de Daniel HOEFFEL, le Gouvernement diffusera dans les prochaines semaines un document récapitulant les conclusions de la première partie du débat. Ce document d'étape sera le support d'une nouvelle phase de concertation pour les institutions nationales.
Les Français ont compris que la crise n'est pas seulement économique, que des transformations en profondeur des structures de notre société, de nos habitudes, de nos mentalités sont nécessaires.
Plus de simplicité, plus de clarté, plus de souplesse, plus d'équité sont les principaux thèmes que révèle leur volonté de réforme.
Les Français évoquent souvent la fiscalité donnant ainsi une nouvelle fonction au rôle de l'impôt. Ils évoquent souvent le rôle des collectivités territoriales dont ils attendent beaucoup. Ils évoquent aussi les capacités de mobiliser les ressources financières du pays, l'environnement administratif des entreprises, la répartition géographique des emplois publics et des sièges sociaux des entreprises privées, celle des services publics.
Ils abordent les infrastructures de transport, les nouvelles technologies, les capacités de formation et de recherche, le renforcement de villes moyennes, la mise en valeur du patrimoine naturel.
Ils souhaitent une plus grande efficacité collective des institutions et un rôle accru du citoyen.
En somme, ce débat permet aux Français de se poser de vraies questions et de les poser à ceux auxquels ils ont confié la mission de les représenter, de gouverner, d'administrer.
La reconquête du territoire n'est pas seulement la somme des intérêts particuliers. Elle est l'expression de la volonté de toute la nation.
Elle est l'expression de la certitude que le plein épanouissement de chacun, de chaque institution, dans sa propre sphère de liberté et de compétence, est le meilleur gage du rassemblement au service d'une ambition partagée.
C'est une grande réforme que tous savent indispensable, mais dont beaucoup redoutent tel ou tel de ses effets. C'est pourquoi il faut prendre le temps que les esprits mûrissent et que les volontés s'affirment.
La recomposition de notre société est nécessaire. Nous devons nous fixer quatre objectifs :
- développer l'emploi et accroître la force économique du pays,
- restaurer l'égalité des chances,
- adapter le fonctionnement des institutions aux nécessités de la décentralisation, du dialogue, de l'expérimentation,
- affermir la place de la France en Europe.
L'émancipation des idées, les vertus de l'imagination, la force de la raison nous permettront de tracer les voies de la réforme qui constitue l'inspiration de toute l'action du Gouvernement.
Mesdames et messieurs, je sais qu'ici la résolution est forte ainsi que la volonté de ne pas se laisser porter par le cours des choses.
L'identité régionale est ici la source d'une attitude volontaire.
La nécessité de relever des défis a conduit les Bretons à rechercher la rigueur dans leur comportement professionnel, à se former, à s'ouvrir à la compétition internationale.
Ces éléments ont conduit la Bretagne à se prononcer largement en faveur de la construction européenne.
Le Gouvernement compte sur les Bretons, comme les Bretons peuvent compter sur le Gouvernement.Ensemble, nous allons décider quelle France nous lèguerons à nos enfants.