Déclaration de Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur l'évolution de la négociation collective et du système de régulation sociale face aux effets de la globalisation de l'économie et au changement des relations du travail, Lyon le 8 novembre 2001.

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Circonstance : Ouverture du colloque "Démocratie sociale et négociation collective" organisé par l'Institut du travail, à Lyon le 8 novembre 2001

Texte intégral

Monsieur le Maire de Lyon,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec grand plaisir que j'ouvre avec vous les travaux de ce colloque que l'Institut national du travail organise en synthèse de sa 22ème session nationale qui s'est déroulée au premier semestre 2001 autour du thème de la Négociation collective dans la démocratie sociale.
Avec ces sessions tripartites qui regroupent des cadres d'entreprises privées ou publiques, des membres des organisations syndicales et professionnelles et des responsables de l'administration du travail, l'INT s'affirme comme un creuset de cultures sociales, un lieu de réflexion prospective sur le champ social et un laboratoire de pratiques, à l'appui de nos expériences françaises, mais aussi en prenant en considération - et il faut toujours le faire - les exemples étrangers.
Je veux d'abord remercier celles et ceux qui font vivre ces sessions et saluer les participants de la 22ème du genre.
Le thème que vous avez traité lors de cette session et qui fait l'objet de ce colloque, est évidemment un sujet essentiel de nos sociétés démocratiques. Nous savons que pour conduire avec succès le changement dans nos sociétés, et faire face aux enjeux économiques et sociaux que posent l'internationalisation des échanges et l'ouverture des économies, la voie de la démocratie sociale est bien la meilleure voie.
C'est celle qui par la négociation collective forge un accord de volontés entre tous les acteurs, par delà les clivages et oppositions d'intérêts -d'ailleurs légitimes- ; c'est celle qui permet d'en garantir l'application ; c'est celle qui est au cur du modèle social européen, qui veut prolonger la démocratie politique en démocratie sociale.
La charte sociale européenne puis la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne ont fixé les contours du modèle social européen et consacré le principe des liens entre droits civils, politiques, économiques et sociaux. Le modèle social européen doit concilier performance économique et cohésion sociale. Ce n'est pas seulement une pétition de principe, c'est une réalité dans le travail que nous conduisons dans les conseils des ministres européens.
Nous devons pour contribuer à l'élaboration de ce modèle social enrichir notre propre pratique du dialogue social, définir le rôle de chacun : Etat, partenaires sociaux, et rénover nos processus de concertation et d'intervention sur le champ social.
Le chantier est d'abord et avant tout politique. Il ne concerne pas seulement les règles de la négociation collective au sens traditionnel du terme, dans le domaine des relations de travail. Il concerne aussi les questions sociales en dehors de l'entreprise : santé, solidarité nationale, éducation et formation Il met en jeu des acteurs très divers, au-delà des représentants des organisations d'employeurs et de salariés.
Ces derniers ont acquis, pour des raisons historiques liées aux enjeux du travail depuis plus d'un siècle, une place et une légitimité fortes. Mais ils ne sont pas les seuls acteurs de la démocratie sociale. Ils interviennent souvent à côté d'autres acteurs (associations, groupements) qui représentent aussi des intérêts sociaux.
Il faut rechercher de nouveaux espaces et de nouveaux lieux de concertation et de négociation. Au plan territorial, dans le cadre des bassins d'emploi autour de la problématique de la redynamisation économique, dans les champs d'intervention sociale des collectivités territoriales. Au plan institutionnel dans des instances en fort développement (comités, conseils). C'est le cas de la formation professionnelle avec les COREF.
Une démocratie sociale accomplie serait celle où dans tous ces lieux et avec tous ces acteurs la logique de négociation et la recherche de consensus prévalent. Ça c'est l'idéal, évidemment nous avons à faire face avec pragmatisme à la réalité.
Une démocratie sociale c'est aussi le paritarisme : il nous faut aussi essayer de bâtir au-delà du paritarisme de gestion un paritarisme de responsabilité.
Mais je limiterai mon propos introductif à une approche plus classique de la négociation et de la démocratie sociale : celle des relations entre syndicats et employeurs, et celle des partenaires sociaux avec l'Etat dans le domaine des relations de travail.
Où en sommes nous de la négociation collective ?
On connaît le poids de la loi dans le droit français de la négociation collective, droit d'ailleurs relativement récent au regard des pratiques d'autres pays. Le syndicat dans l'entreprise est aussi une donnée récente : 1968. Notre système est imprégné de la spécificité française concernant la place de l'Etat et de la loi. La loi est considérée comme le garant de l'ordre public social et de l'égalité ; les partenaires sociaux se sont eux-mêmes longtemps méfiés de la négociation, du dialogue social, préférant confier à la loi le soin d'organiser les systèmes sociaux. C'est la loi qui a en fait organisé le système de négociation collective et qui l'a souvent promu en lui fixant les règles de procédure, les thèmes de négociation collective, les obligations de résultat. C'est la loi qui -selon le code du travail- définit " les règles suivant lesquelles s'exerce le droit des salariés à la négociation collective de l'ensemble de leurs conditions d'emploi et de travail et de leurs garanties sociales "
Ce droit s'est construit autour de la branche professionnelle structurée autour de métiers à dominante de production et de la grande entreprise industrielle dont le fonctionnement était organisé autour d'une main d'uvre stable, de la prédominance du contrat à durée indéterminée. Evidemment il est légitime de se demander si ce cadre est encore pertinent ?
Ce droit se caractérise par des résultats appréciables mais aussi une absence de négociation globale.
Si on s'attache aux résultats, on peut considérer que la négociation collective se développe et que le nombre d'accords augmente régulièrement C'est surtout la négociation d'entreprise qui connaît un essor spectaculaire (30 000 accords en 2000) certes qui doit beaucoup à la RTT et qui démontre une capacité de négociation réelle.
Je crois que malgré ses potentialités, le système atteint pourtant ses limites et révèlent ses faiblesses : inexistence de la négociation dans les petites entreprises, absence de négociation sur les enjeux stratégiques de l'entreprise, faiblesse des négociations qui croisent l'ensemble des domaines du travail, de l'emploi, de la formation et à l'inverse préférence pour des négociations monothématiques comme d'ailleurs y incite la loi en définissant des thèmes de négociation obligatoire.
Les salariés ont trop souvent l'impression qu'ils ne possèdent pas dans l'entreprise tous leurs droits de citoyen à se prononcer non seulement sur leurs conditions d'emploi et de travail quotidien mais aussi sur les choix plus globaux que l'entreprise doit faire dans le cadre de son environnement. La prise de conscience des effets de la globalisation de l'économie, la montée du pouvoir financier, la prédominance des technologies de l'information accroissent ce sentiment et cette insatisfaction. Cette revendication trouve son écho - de plus en plus puissant- dans la société civile ; les sommets de Seattle et Gênes témoignent de la difficulté des sociétés d'appréhender ces problèmes et de proposer des modes collectifs de régulation sociale.
Et puis il y a une interrogation sur la légitimité des acteurs.
Il y a une crise du syndicalisme. Nous avons en France un des plus faibles taux de syndicalisation des pays européens. Les raisons sont multiples. Mais les faits sont là. 20 % des établissements de plus de 10 salariés ont un délégué syndical. La capacité de négociation s'en ressent.
Il y a aussi une hétérogénéité au sein du mouvement patronal, au sein du Medef, mais aussi entre les organisations patronales comme l'a montré le récent débat sur la gestion de la sécurité sociale et la formation professionnelle par exemple, mis en exergue dans une récente étude de l'IRES.
Enfin il a un débat sur les rôles respectifs et leur articulation de la représentation élue et de la représentation désignée
Nous avons aussi des vides dans la représentation des intérêts des salariés.
Les formes classiques de la représentation des salariés deviennent inadaptées aux particularités de l'organisation économique : quelle représentation pour les salariés des petites entreprises, quelle possibilité pour des salariés intérimaires ou temporaires d'être pris en considération. Il faut aussi s'interroger sur les modes d'expression des salariés. Car l'irruption sur la scène sociale de coordinations, de nouvelles organisations syndicales, d'associations pose des questions nouvelles aussi bien aux partenaires sociaux qu'au gouvernement.
Des réponses ont été proposées et mises en uvre. Pour améliorer la représentation des salariés éparpillés sur un site ou se côtoient plusieurs entreprises, la loi a crée les délégués de site. Force est de constater que ce dispositif reste peu utilisé : je crois qu'il faut que nous nous interrogions ensemble sur ce qu'il faudrait développer pour permettre une représentation des salariés dans ce cadre.
Nous avons connu l'expérimentation du mandatement qui avait pour objet de permettre le développement de la négociation d'accords sur la réduction et l'aménagement de la durée du travail dans les petites entreprises dépourvues de délégué syndical. Il s'agissait par cette possibilité de créer dans ces entreprises les conditions du dialogue social pour lui permettre de se développer ensuite en s'inscrivant dans les modes classiques : ces résultats sont en débat et vous aurez sans doute l'occasion d'y revenir Mais je crois qu'il était intéressant d'explorer cette voie car le dialogue et la négociation ne peuvent se développer qu'avec la pratique.
COMMENT PERFECTIONNER LA NÉGOCIATION COLLECTIVE ?
Vous savez sans doute que dans le cadre des objectifs fixés par le Premier Ministre, je rencontre les organisations syndicales et professionnelles pour faire l'état des lieux notamment en matière de démocratie sociale et voir comment progresser. Je vous rappelle que nous avons défini trois chantiers : l'avenir de notre protection sociale ; l'objectif de plein emploi ; l'avenir de la démocratie sociale. De ces discussions je retiens déjà plusieurs points de convergence : la négociation et la représentation collectives sont les meilleurs vecteurs de la démocratie sociale à condition de :
- Définir des règles en matière de hiérarchie des normes.
- Progresser dans la voie de l'effectivité de l'accord.
- Renforcer les pouvoirs des négociateurs
Sur la hiérarchie des normes.
Elle est déjà inscrite dans nos principes mais nous devons la perfectionner.
Il nous faut aussi veiller à inscrire ce système dans le cadre du droit international et surtout européen. Le traité de Maastricht et son protocole social ont déjà modelé les contours du dialogue social européen. Et le Traité d'Amsterdam va plus loin encore. Les articles 138 et 139 du traité reconnaissent aux partenaires sociaux européens la possibilité de conclure des accords qui s'imposent aux institutions communautaires et aux Etats nationaux qui doivent les transposer dans leur droit national. Mais c'est vari que jusqu'ici l'utilisation de cette faculté est restée bien faible : quelques accords ont été ainsi adoptés sur le congé parental d'éducation, le temps partiel, le travail à durée déterminée. D'autres thèmes le télétravail sont toujours en débat. Il est clair que le dialogue social européen doit être relancé si nous voulons faire de la négociation collective le moyen d'action privilégié de l'Europe sociale. Les partenaires sociaux européens doivent aussi se déterminer sur ce choix.
Cette question, les partenaires sociaux français l'ont abordée. La position commune sur les voies et moyens de l'approfondissement de la négociation collective adoptée le 16 juillet 2001 ébauche les grandes lignes de ce que pourrait être notre système de régulation sociale avec un domaine réservé au législateur -le domaine de l'ordre public social- un domaine réservé à la négociation et un domaine partagé du législateur et des partenaires sociaux. Je crois que cette idée de répartition des domaines mérite d'être explorée et discutée. Mais une approche systématique serait contraire à notre expérience historique, et que nous savons bien qu'en dehors de l'ordre public social l'espace a été occupé selon les cas par la loi ou la négociation, les deux d'ailleurs s'articulant souvent assez bien. Je pense par exemple à la formation professionnelle. Dans ce domaine le Gouvernement a souhaité laisser discuter les partenaires, mais face à l'échec des négociations récentes sur cette question renvoie à l'Etat et au législateur la responsabilité d'engager la réforme de la formation que tous appellent de leurs vux.
Alors quelle méthode pour définir les champs respectifs de l'Etat et des partenaires sociaux ?
Plus largement pour convenir de la répartition des rôles dans le champ social entre l'Etat et les partenaires sociaux l'idée d'une conférence nationale qui les réunirait pour en décider en début de législature et faire un bilan annuel -pour adapter le cas échéant- est, il me semble, une formule intéressante à débattre.
La loi doit rester le garant de l'ordre public social : c'est je crois un principe indiscutable. C'est à la loi, expression du suffrage universel qu'il appartient de définir les principes généraux de protection des salariés, des conditions minimales de rémunération ,des droits fondamentaux en matière de durée du travail, de formation tout au long de la vie, de prévention des risques professionnels. C'est à partir de ce socle que doivent se négocier les dispositifs conventionnels au niveau interprofessionnel, professionnel et au niveau de l'entreprise. Je crois qu'on ne peut jouer les uns contre les autres. Une démocratie sociale adulte est celle qui fait place à la loi et au contrat. Il nous faut assurer leur complémentarité. La négociation collective n'est pas l'expression d'une simple liberté contractuelle, c'est une liberté publique. C'est l'expression du principe de participation reconnu par le préambule de la constitution : de ce fait les partenaires sociaux ont aussi une fonction légitime d'intervention dans la mise en uvre des politiques de régulation sociale. L'objectif reste d'assurer à chacun un ensemble de droits collectifs qui s'inscrivent dans nos priorités d'égalité et de solidarité.
Sur la question de la garantie de l'effectivité de l'accord.
Cette question pose celle des conditions de leur signature. Aujourd'hui, hormis les dispositions spécifiques aux accords dérogatoires, un accord peut être signé par une seule organisation syndicale.
Les partenaires sociaux ont évolué sur cette question du principe majoritaire puisque pour la première fois, ils l'ont introduit dans la position commune signée le 16 juillet. L'évolution de la négociation collective, à la fois d'acquisition et d'adaptation requiert une plus forte légitimité. Elle doit recueillir l'assentiment de la majorité des salariés via leurs représentants syndicaux.
L'évolution de la négociation collective, à la fois d'acquisition et d'adaptation requiert une plus forte légitimité. Elle doit recueillir l'assentiment de la majorité des salariés via leurs représentants syndicaux.
Mais face à un choix si fondamental, je crois que nous devons encore travailler avec les partenaires sociaux cette question.
Nous avons aussi à réfléchir ensemble sur la problématique du referendum. Il a été introduit avec la loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction du temps de travail. Il serait utile d'évaluer ces pratiques, de voir en quoi elles ont pu faire progresser le dialogue social dans l'entreprise et s'interroger sur les moyens de poursuivre dans cette voie ou de la refermer si elle s'avère trop incertaine. C'est cela aussi je crois la démocratie sociale : expérimenter, évaluer, aménager ensemble.
Pour renforcer le pouvoir des négociateurs.
Cette préoccupation est à conjuguer avec l'état des forces en présence : faible taux de syndicalisation, crise du militantisme, technicité croissante des sujets à traiter et donc moindre visibilité. Les négociateurs doivent se professionnaliser, avoir du temps : force aussi est de constater qu'il y a une inégalité entre les organisations professionnelles et syndicales. Certaines ont les moyens d'avoir des négociateurs permanents, d'autres non.
Cette disparité se retrouve également au niveau des entreprises : quelles compétences, quels moyens pour les négociateurs des petites entreprises, souvent isolés? Les méthodes d'accompagnement des salariés mandatés pour la négociation de la réduction du temps de travail permettant au salarié d'être assisté pendant la négociation mériteraient d'être évaluées et pérennisées. Plus généralement n'est-il pas nécessaire de réfléchir à un appui général (formation, méthodologie) à la négociation comme nous l'avons fait pour l'ARTT. Des sujets comme l'épargne salariale, la gestion prévisionnelle des emplois, le plein emploi et les problématiques âge et travail, l'emploi des personnes handicapées -mais cette liste n'est pas exhaustive- justifieraient cet investissement.
Se profile bien sur derrière cette question celle du financement des organisations syndicales. Nous avons ouvert ce chantier cet été et nous sommes en train de travailler en concertation étroite avec les partenaires sociaux sur des propositions qui respecteront la liberté syndicale, reconnaîtront leur fonction sociale et leur permettront d'assurer l'exercice de leurs missions. J'espère que nous pourrons très prochainement traduire ces propositions dans un texte de loi.
Vous avez prévu de consacrer votre colloque à ces questions et je serais très intéressée de connaître vos réflexions et vos propositions sur ces sujets. Par la qualité des intervenants, par le travail de préparation qui a précédé ces deux jours de colloque, je ne doute pas de la richesse de vos travaux et de l'intérêt de vos suggestions.
Un mot pour conclure sur le modèle social européen que Gérard Collomb a évoqué, je crois que l'enrichissement de ce modèle est un sujet fondamental de la construction institutionnelle de l'Europe, avec l'échéance de 2004, celle de l'élaboration d'un nouveau traité.
Il y a déjà les acquis de la Charte européenne des droits fondamentaux, qui est appelée à devenir le préambule de ce qui pourrait être la future constitution. Il nous faut encore l'enrichir : un salaire et un revenu minimum, et lui donner force obligatoire. Il faut bâtir un véritable contrat social européen.
Méfions-nous d'une approche qui vise à évacuer les directives européennes. Il faut maintenir aussi le champ de la loi européenne, car l'Europe est d'abord une construction juridique. Je dis attention, car en prônant la concertation intergouvernementale, le dialogue social -encore trop embryonnaire-, il ne faut pas pour autant négliger la loi, qui permet de construire l'Europe. C'est ainsi que sous la Présidence française nous avons pu faire voter à la majorité la Directive Renault Vilvorde.
Je crois qu'il est très important que là aussi vous nous fassiez des suggestions sur la nature d'un contrat européen pour un futur Traité.
(Source http://www.travail.gouv.fr, le 14 novembre 2001)