Déclaration de Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre de l'intérieur, sur les collectivités locales, au Sénat le 22 novembre 2017.

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Circonstance : "Collectivités locales" : Débat organisé à la demande du groupe socialiste et républicain, au Sénat le 22 novembre 2017

Texte intégral


M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe socialiste et républicain, sur la thématique des collectivités locales.
Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
L'orateur du groupe qui a demandé ce débat, en l'occurrence le groupe socialiste et républicain, disposera d'un temps de parole de dix minutes, y compris la réplique, puis le Gouvernement répondra pour une durée qui ne devra pas excéder dix minutes.
(…)
M. le président. Mon cher collègue, les autres orateurs ne devront pas suivre votre exemple, il leur faudra mieux respecter leur temps de parole…
La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai bien écouté le propos introductif de M. Manable. Je n'aurai pas le temps, en dix minutes, d'apporter des réponses sur l'ensemble des sujets, mais je pense que la série de vingt et une questions qui va suivre me permettra de le faire. Je vais plutôt, à cet instant de nos débats, vous donner le cadre général de l'action du Gouvernement.
Votre première préoccupation, monsieur le sénateur, concerne les relations entre l'État et les collectivités territoriales. Il est vrai que nous avons besoin de rétablir, de retisser cette relation, tant une certaine méfiance s'est installée. Sans accuser tel ou tel gouvernement, je crois que cette situation est le fruit de nombreuses années durant lesquelles diverses réformes ont entraîné, dans des territoires et chez certains élus, un sentiment d'abandon.
Rétablir la confiance, c'est exactement l'objectif affiché par le Président de la République au mois de juillet, lorsqu'il a lancé, ici même au Sénat, la Conférence nationale des territoires.
Cette instance, qui est destinée à discuter des différents sujets qui nous préoccupent et à les traiter, connaîtra bien évidemment des temps forts, comme la réunion de juillet ou celle qui va avoir lieu le 14 décembre, mais il serait restrictif de la limiter à ces moments.
Entre ces réunions, le dialogue se poursuit avec les acteurs locaux et le Gouvernement a lancé plusieurs missions d'expertise.
Par exemple, le Premier ministre a demandé au sénateur Alain Richard et à l'ancien préfet Dominique Bur de réfléchir aux aspects financiers qui constituent, monsieur le sénateur, la deuxième préoccupation que vous avez exposée.
Autre exemple, le Premier ministre m'a chargée d'une mission relative à l'eau et à l'assainissement, dont le transfert obligatoire de la compétence aux intercommunalités, prévu pour 2020, pose un certain nombre de questions.
Nous menons aussi des discussions avec les départements sur les allocations de solidarité et les mineurs isolés.
Vous le voyez, un travail de fond et de nombreuses discussions ont lieu pour essayer de répondre aux nombreuses questions qui se posent à l'échelon des différents niveaux de collectivité locale.
La question des compétences, vous en avez parlé, monsieur le sénateur, est également un sujet très important.
Le Président de la République a annoncé une orientation générale très claire : faire vivre les structures telles qu'elles sont et apporter, le cas échéant, les assouplissements nécessaires. Le Président de la République ne souhaite donc pas lancer une grande réforme territoriale, il entend plutôt achever ce qui a déjà été lancé.
Je vous donne un exemple : la compétence liée à la gestion des milieux aquatiques et à la prévention des inondations, dite GEMAPI.
Une décision, que le Gouvernement soutient et qui résulte – je le rappelle – de l'adoption d'un amendement d'origine sénatoriale, a été prise il y a quelques années lors de l'examen de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite loi MAPTAM.
Or, la mise en oeuvre de cette compétence mérite des améliorations et, après discussion avec des élus qui nous ont alertés, nous soutenons la nécessité de légiférer, non pas pour revenir sur le transfert de la compétence, mais pour en faciliter l'application.
Les départements, par exemple, ont demandé à être parties prenantes de cette compétence, car plusieurs d'entre eux, je pense aux départements littoraux, se sont déjà beaucoup engagés sur les questions de la submersion marine. Je peux vous dire que le Gouvernement est tout à fait favorable à ce que les départements participent à l'exercice de cette compétence.
Notre idée, vous le voyez, est assez simple : maintenir le cadre actuel, mais assouplir, là où c'est nécessaire. Nous réformerons en marchant… et en portant notre attention sur les éléments essentiels.
En ce qui concerne ce que vous avez appelé, monsieur le sénateur, la nécessaire autonomie fiscale des collectivités, nous sommes absolument d'accord avec ce principe, qui – je le rappelle – est d'ordre constitutionnel. Au-delà de son application, nous devons réussir à mettre en place une réforme fiscale.
Au sujet de la réforme de la taxe d'habitation, on ne peut pas la comprendre sans prendre en compte son aspect social. Elle va s'étaler sur trois ans, c'est l'État qui va se substituer au contribuable – c'est le principe du dégrèvement – et il faudra insérer ces changements dans une rforme de la fiscalité locale.
Nous devrons trancher les grands débats qui existent sur ces questions et qui concernent tous les niveaux de collectivité territoriale.
Vous avez par exemple cité comme positive l'attribution aux régions d'une part de TVA à la place de la DGF. C'est d'autant plus une bonne chose que cet impôt est dynamique, ce dont les régions vont bénéficier.
Je rappelle, par ailleurs, que les régions se sont vu transférer vingt-cinq points de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises des départements – la CVAE –, en fonction de leurs nouvelles compétences.
Pour en revenir à la TVA, qui est – est-il besoin de le rappeler ? – un impôt national, une question fondamentale peut se poser : restons-nous dans la tradition française, qui repose sur des impôts locaux levés par les collectivités locales et qui leur sont attribués, ou allons-nous vers un système de transfert d'un impôt national, comme on vient de le faire pour les régions et comme cela existe en Allemagne ? C'est une question qui me semble essentielle.
Je relève que les départements ont déjà évoqué la question de l'éventuelle attribution d'une part de la CSG.
C'est un vrai débat, sur lequel travaillent Alain Richard et Dominique Bur dans le cadre de la mission qui leur a été confiée.
Je le répète, nous n'envisageons pas de procéder à une nouvelle réforme des collectivités territoriales, mais nous apporterons des assouplissements là où c'est nécessaire. La Conférence nationale des territoires a d'ailleurs été créée pour traiter toutes les questions qui se posent.
J'évoquerai pour conclure deux sujets particuliers.
Vous vous êtes inquiété, monsieur le sénateur, de la pérennisation des crédits liés aux rythmes scolaires. Ils ont bien été votés, conformément à un engagement du Président de la République.
En ce qui concerne le logement social, les discussions avec les bailleurs sociaux ne sont pas terminées, mais le Premier ministre a déjà annoncé, hier, certaines décisions : premièrement, les garanties des collectivités locales aux bailleurs sociaux ne joueront pas ; deuxièmement, la baisse des APL s'opérera sur trois années, concomitamment avec une hausse de la TVA sur les loyers, ce qui réduira l'effet financier pour les bailleurs.
Nous avons la volonté d'aller plus loin dans la discussion et d'arriver à un accord avec l'ensemble des bailleurs sociaux.
Je vois que le temps passe vite… (Sourires sur plusieurs travées.) Je reviendrai donc tout à l'heure, pendant les questions, sur le sujet de la taxe d'habitation. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
- Débat interactif -
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que les auteurs de questions disposent chacun de deux minutes au maximum, y compris la réplique. Le Gouvernement a la possibilité d'y répondre pour une durée équivalente.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Mireille Jouve, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis 2014, les conseillers métropolitains, tout comme l'ensemble des conseillers communautaires dans les communes de plus de 1 000 habitants, sont élus au suffrage universel par l'application d'un système de fléchage.
Lors des débats entourant l'élaboration de la loi MAPTAM, le principe de l'élection de ces conseillers au suffrage universel dans le cadre d'un régime électoral autonome à l'occasion du prochain renouvellement général des conseils municipaux a été retenu.
Il a été convenu de renvoyer ce débat et les modalités de cette élection à une loi ultérieure. Celle-ci devait initialement intervenir avant le 1er janvier 2017. Les dispositions introduites dans la loi relative au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain ont finalement repoussé cette échéance au 1er janvier 2019.
Comme vous le savez, madame la ministre, la perspective d'une élection des conseillers métropolitains au suffrage universel direct dans le cadre d'un régime électoral autonome est perçue au sein des communes concernées avec une très forte inquiétude.
Les maires ont démontré leur volonté d'accompagner les réformes votées par le Parlement, en s'associant pleinement à l'émergence des métropoles. Ils ont accepté d'exercer leurs compétences dans un cadre fortement élargi. Et ils ont aujourd'hui la légitime appréhension de se voir évincés par un système électoral, qui viendrait clairement dissocier représentation communale et métropolitaine.
Dans un souci d'efficacité de l'action publique et de proximité avec la population, une telle entreprise ne semble pas souhaitable.
Le groupe du RDSE avait d'ailleurs voulu, par voie d'amendement le 7 février dernier, acter l'abandon de cette hypothèse.
À la veille de l'ouverture du centième congrès des maires de France, M. le Premier ministre a rappelé par voie de presse que, dans ce débat, « tous les mécanismes qui remettraient en cause la place du maire ne [lui] semblent pas crédibles. »
Madame la ministre, pouvez-vous nous éclairer sur la position de l'exécutif vis-à-vis de l'évolution du mode d'élection des conseillers métropolitains ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Madame la sénatrice, ce sujet a déjà été soulevé lors du débat auquel j'assistais ce matin au congrès des maires de France.
Vous avez rappelé vous-même que les conseillers métropolitains sont d'ores et déjà élus au suffrage universel direct, par fléchage au niveau de chaque commune – il est important de rappeler ce point.
Ce fléchage a eu lieu pour la première fois en 2014. Aujourd'hui, environ 10 % des communes membres des métropoles comptent moins de 1 000 habitants.
Par ailleurs, dans le cadre de la loi MAPTAM, le Gouvernement a conduit une réflexion sur l'évolution possible des modalités d'élection des conseillers métropolitains, un sujet sur lequel il n'y avait pas, à l'époque, de consensus.
En réalité, la question que vous posez aujourd'hui est celle de la généralisation du modèle électoral de la métropole de Lyon. Cette métropole à statut particulier ne peut pas être comparée aux autres métropoles, qui sont des EPCI, et donc, si je puis m'exprimer ainsi, de « super-communautés urbaines ».
Les principes de libre administration et de non-tutelle d'une collectivité sur une autre ne permettent pas, en droit, de reprendre le modèle lyonnais pour les autres métropoles.
Il importe par ailleurs que le mode électoral retenu favorise la stabilité de l'assemblée élue et soit intelligible pour les électeurs.
Aussi, à ce stade, le Gouvernement considère que le mode d'élection actuel, qui repose largement sur le suffrage universel direct, répond aux exigences juridiques et de démocratie citoyenne pour l'élection des conseillers métropolitains.
Je pourrais d'ailleurs étendre mon propos aux autres intercommunalités, car la même question se pose pour les communautés d'agglomération notamment.
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour le groupe Les Républicains.
M. Pascal Allizard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite avoir des précisions concernant les emprunts toxiques, dossier qui inquiète encore localement.
Je pense en particulier au cas de fusion entre plusieurs EPCI dans le cadre de la loi NOTRe et du schéma départemental de coopération intercommunale, lorsque l'un des EPCI avait précédemment souscrit un emprunt structuré.
La loi a certes créé un fonds de soutien afin de permettre aux collectivités touchées par des emprunts structurés d'en sortir, à condition de renoncer au contentieux engagé contre la banque.
Certaines communautés de communes, bien qu'ayant reçu un avis favorable de l'État à l'octroi d'une aide du fonds de soutien, ont finalement préféré poursuivre le contentieux et ne pas donner suite à la proposition.
Entre-temps, la fusion est intervenue puisque la loi NOTRe a imposé des regroupements d'EPCI au 1er janvier 2017, c'est-à-dire dans un délai très proche de la fermeture du fonds de soutien. L'emprunt structuré a ainsi été transféré dans le budget du nouvel EPCI.
Aujourd'hui, certains de ces nouveaux EPCI issus du processus de fusion se retrouvent responsables du paiement des annuités d'emprunt liées au prêt toxique et sont engagés dans une procédure de contentieux contre la Société de financement local, la SFIL, qui s'est substituée à Dexia.
Par ailleurs, ils ne peuvent plus faire appel au fonds de soutien, celui-ci ayant été fermé quelques semaines avant la création de ces nouvelles communautés, et alors qu'il restait encore 300 millions d'euros non consommés.
Le Gouvernement a récemment annoncé : « la collectivité territoriale unique de Corse sera naturellement éligible au fonds de soutien destiné aux collectivités ayant souscrit à des emprunts toxiques […] dans le cadre de la réouverture de ce fonds pour les collectivités issues de fusion. »
Est-ce une disposition spécifique à la Corse ou d'autres collectivités ainsi que les EPCI sont-ils éligibles, comme le prévoyaient en 2014 les dispositions relatives au fonds de soutien aux collectivités territoriales et à certains établissements publics ayant souscrit des contrats de prêt ou des contrats financiers structurés à risques ?
Dans l'affirmative, madame la ministre, quelles seraient les modalités pratiques de son application ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Comme vous le savez, monsieur le sénateur, un fonds de soutien a été créé par la loi de finances initiale pour 2014. Sa capacité d'intervention a par la suite été portée à 3 milliards d'euros par l'article 31 de la loi de finances pour 2016. Pour bénéficier de ce fonds, les emprunteurs devaient déposer une demande d'aide avant le 30 avril 2015.
Le Gouvernement examine actuellement les conditions de réouverture du fonds de soutien aux collectivités territoriales au regard des risques juridiques identifiés.
En outre, cet examen approfondi nécessite une évaluation précise de la capacité de financement du fonds de soutien.
En effet, une telle réouverture implique de définir précisément des critères objectifs, juridiques et financiers, justifiant la prise en compte des situations spécifiques concernant des collectivités ayant fusionné après le 30 avril 2015.
La réouverture éventuelle du fonds de soutien est une question lourde de conséquences et qui nécessite un examen poussé. À ce stade, aucune décision n'a été prise.
Je précise que c'est le ministère de l'action et des comptes publics qui est responsable de ce dossier, même si le ministère de l'intérieur, en particulier la direction générale des collectivités locales, le suit également très attentivement. Et les deux ministères mènent ensemble des discussions en permanence.
Aujourd'hui, je ne peux pas vous répondre plus précisément, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour la réplique.
M. Pascal Allizard. Je prends acte de votre réponse, madame la ministre. Elle n'est pas totalement négative… Je suivrai bien évidemment ce dossier de près et présenterai éventuellement un amendement au projet de loi de finances en ce sens.
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud, pour le groupe La République En Marche.
M. Didier Rambaud. Madame la ministre, je vous poserai la première question concernant la taxe d'habitation.
L'article 3 du projet de loi de finances pour 2018 instituant un mécanisme de dégrèvement de la taxe d'habitation est, d'abord, la traduction législative d'un engagement majeur du Président de la République, auquel le groupe La République En Marche souscrit.
Voilà une mesure de justice sociale qui pose le premier jalon d'une refonte structurelle de la fiscalité locale sans amputer l'autonomie budgétaire des collectivités locales, par l'instauration corrélative de mécanismes de compensation.
La taxe d'habitation, en l'état, est un impôt profondément injuste. Elle pose de réels problèmes d'équité fiscale entre les habitants des communes riches et ceux des communes plus pauvres, en particulier en raison des valeurs locatives qui demandent à être révisées depuis des décennies, mais qui ne l'ont jamais été.
Globalement, elle frappe proportionnellement beaucoup plus durement les étudiants, les habitants des communes et quartiers populaires, ainsi que les personnes seules.
En conséquence, sa suppression progressive peut être saluée, d'autant qu'elle s'accompagnera d'un gain de pouvoir d'achat significatif pour les Français : 10 milliards d'euros d'impôts en moins !
Cette réforme est pourtant devenue un élément de cristallisation du dialogue parlementaire : on en a extrapolé la portée financière vis-à-vis des collectivités, on en a déformé la logique d'action et on en a caricaturé la philosophie générale.
Madame la ministre, peut-être ne serait-il pas inepte de rappeler aux membres de cet hémicycle et aux élus locaux qu'ils représentent que l'action de votre gouvernement a ceci de nécessaire qu'elle procède courageusement à la refonte d'un système qui, en l'état, galvaude l'autonomie fiscale ou financière des collectivités. L'existence des mécanismes de péréquation en atteste par ailleurs ! (M. Arnaud de Belenet applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur Rambaud, vous avez rappelé l'engagement du Président de la République, l'aspect social de cette décision et, bien sûr, la garantie pour les collectivités territoriales de recevoir le montant attendu de la taxe d'habitation selon le taux voté en conseil municipal à partir des bases envoyées chaque année par la DGFiP, la direction générale des finances publiques. La première année, 30 % des contribuables seront dégrevés et l'État se substituera à ces derniers. La réforme montera ensuite en puissance au cours des deux années suivantes. Naturellement, in fine, nous nous fixons comme objectif une réforme de la fiscalité locale et une plus grande prévisibilité des recettes pour les collectivités territoriales.
Quand on a été élu un certain nombre d'années, on sait tous qu'une sorte de faiblesse collective a empêché de faire évoluer les bases cadastrales.
Nous avons assisté à des débuts de réforme avant que tout le monde ne fasse finalement machine arrière en découvrant les évaluations, craignant que l'augmentation massive de certaines taxes d'habitation ne suscite une révolution. Il faut avoir le courage de le dire aussi simplement : les élus avaient peur de se faire battre aux prochaines élections !
Nous devons donc revenir sur cette fiscalité locale et trouver des réponses pour avoir des impôts à la fois pérennes pour les collectivités et équilibrés pour le contribuable. C'est le but de la tâche confiée au sénateur Alain Richard et au préfet honoraire Dominique Bur, ancien directeur général des collectivités territoriales, dans le cadre de la mission préparatoire au pacte financier entre l'État et les collectivités territoriales.
Je précise également que le comité des finances locales, le CFL, travaille aussi dans cette direction.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le centième congrès des maires, qui se tient en ce moment même, se caractérise par une très forte participation des élus, lesquels sont également très nombreux au Sénat.
Ces élus nourrissent de vives inquiétudes : le gouvernement précédent a déjà privé les services publics locaux de 11 milliards d'euros. À présent, nous voilà à l'acte II : une réforme de la taxe d'habitation qui, selon moi, porte directement atteinte à l'autonomie financière des collectivités.
Concrètement, pour les communes de mon département, le Val-de-Marne, qui compte 1,4 million d'habitants, dont certains en grande difficulté, 253 millions d'euros pourraient être gelés à partir de 2020, soit l'équivalent du financement de la construction de 25 écoles ou de 75 crèches publiques… Je vous laisse imaginer les conséquences !
Je vous ai entendue ce matin à la radio, madame la ministre, et je vous crois de bonne foi. Vous avez parlé d'un mécanisme de compensation en faveur des communes pour pallier le manque de recettes, en déclarant que « l'État prendrait la place des 80 % de contribuables exonérés ». Vous avez brillamment expliqué que les 20 % de contribuables toujours assujettis ne paieraient pas pour les autres. Mais, comme les autres élus locaux, je suis moi aussi de bonne foi, et c'est pourquoi j'attends une réponse précise à trois questions.
Tout d'abord, que se passera-t-il en 2021, puis en 2022 et en 2023 ? Comment pallier la perte de recettes due au gel de la compensation ?
Ensuite, qui payera au final ? Vous allez à juste titre me dire que ce sera l'État. Mais, dans l'État, quels sont les contribuables qui vont payer ?
Enfin, n'allons-nous pas connaître avec la taxe d'habitation ce qui s'est passé avec la taxe professionnelle, c'est-à-dire une lente, mais régulière extinction de la compensation ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Vous avez parlé des 11 milliards d'euros d'économies passés et des 13 milliards d'euros annoncés par l'actuel gouvernement, monsieur le sénateur. Il ne vous aura toutefois pas échappé que les 11 milliards d'euros étaient prélevés sur la DGF alors que les 13 milliards d'euros d'économies proposés sont un appel à la maîtrise de la dépense publique. Il s'agit, au fond, de faire en sorte que les dépenses des collectivités territoriales soient maîtrisées et ne dépassent pas 1,2 % de progression – ou 1,9 %, comme l'a voté le Sénat.
Il n'y a donc aucune baisse des dotations. La DGF reste stable.
En ce qui concerne la taxe d'habitation, je souhaite revenir sur une question de vocabulaire : ce n'est pas une compensation, mais c'est un dégrèvement. Chaque année, les services fiscaux qui envoient les bases aux collectivités tiendront compte des constructions nouvelles qui ont eu lieu : la dynamique de la taxe d'habitation sera par conséquent conservée et les collectivités pourront voter leur produit attendu et fixer librement leur taux, même si je précise que la prise en charge par le Gouvernement se fera, bien évidemment, au taux de 2017.
Il existe d'ores et déjà des dégrèvements pour la taxe d'habitation. Pendant trois années, l'État prendra la place du contribuable et les collectivités territoriales ne connaîtront pas de « gel de compensation », comme vous l'affirmez, le dégrèvement étant dynamique.
Je le dis avec simplicité, mais fermeté, monsieur le sénateur : vous n'avez pas à craindre une baisse de vos ressources de taxe d'habitation.
Quant à ce qui se passera après la période de trois ans, c'est l'objet de l'étude sur la révision de la fiscalité locale. Nous devrons évidemment prévoir un nouveau système qui permette aux collectivités locales d'obtenir des ressources : taxe d'habitation modulée et réformée, impôt sur les portes et fenêtres – c'est une plaisanterie, mais ce type d'impôt a vraiment existé jadis ! – ou autre mécanisme, je ne sais pas encore.
Nous devons trouver des impôts qui soient compris par nos concitoyens et justes pour les collectivités.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour le groupe Union Centriste.
M. Jean-Marie Bockel. La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat, que vous avez présidée, madame la ministre, va engager dans les prochaines semaines, à la demande du président Larcher et avec le concours de l'ensemble des groupes politiques présents en son sein, un travail sur le statut de l'élu local.
Avec la fin du cumul des mandats, le moment est opportun. Bien évidemment, le sujet fait figure de serpent de mer, mais nous ne partons pas de rien.
Trois textes successifs sont intervenus entre 1992 et 2015 et nous pouvons relever des avancées notables sur différents aspects – régime indemnitaire, droit à la réintégration des maires et adjoints dans leur emploi à l'expiration de leur mandat, droit à la formation…
Lors de la discussion de la loi constitutionnelle de 2008 à l'origine de la modification de l'article 34 de la Constitution, mon ancien collègue Jean-Jacques Hyest affirmait que la loi devait reconnaître un statut de l'élu local parfaitement clair et explicite.
Évidemment, de nombreux sujets sont sur la table. Il convient notamment de distinguer entre les différentes fonctions et les différents moments : l'entrée en responsabilité, l'exercice du mandat, l'après-mandat.
Les comparaisons avec d'autres pays sont intéressantes. En Allemagne, par exemple, un pays que je connais bien en tant que frontalier, il y a une notion de professionnalisme, avec des exigences de diplômes. Faut-il s'en inspirer ou conserver notre principe de liberté d'accès aux fonctions d'élu ? Pour ma part, je pense que ce principe doit être maintenu. Le professionnalisme naît aussi de l'expérience.
Toutes ces questions peuvent être surmontées s'il y a une réelle volonté d'avancer. Toutefois, avant d'engager ce travail, nous aimerions connaître l'état d'esprit du Gouvernement, madame la ministre.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, cher Jean-Marie Bockel, vous m'interrogez sur l'évolution du statut de l'élu.
Comme vous le savez, le Parlement, tout particulièrement le Sénat, a joué un rôle décisif dans la constitution progressive d'un réel statut de l'élu.
Vous avez eu l'amabilité de rappeler que la dernière étape en date était la loi du 31 mars 2015, issue de la proposition de loi que j'avais présentée dans cette assemblée avec Jean-Pierre Sueur. Ce texte a complété ce statut de l'élu en renforçant les garanties en matière d'exercice du mandat et de formation, afin de favoriser la réinsertion professionnelle des élus après la fin de leur mandat.
Le statut de l'élu est toujours perfectible et je sais que nous pouvons compter sur le Sénat pour formuler des propositions. Le président Larcher, à la suite de la Conférence nationale des territoires du 17 juillet dernier, vous a confié une mission de réflexion sur ce sujet.
Nous sommes pleinement ouverts à la discussion et le Président de la République lui-même a estimé que la fin du cumul des mandats était l'une des raisons fondamentales qui permettaient de reposer la question du statut de l'élu.
Moins de parlementaires, mais des élus plus protégés, mieux rémunérés et plus libres de leur action : telle est l'orientation donnée par le Président de la République.
S'agissant des élus locaux, nous avons déjà accompli beaucoup de progrès. Certes, on peut toujours faire mieux.
Quant à la comparaison avec l'Allemagne, elle trouve sa limite dans notre tradition d'élus républicains « bénévoles ». Mais, d'un autre côté, il y a l'enjeu de professionnalisation. C'est un vrai sujet.
M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Yannick Botrel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, débattre, même brièvement, de la question des collectivités peut être l'occasion d'une réflexion sur l'environnement dans lequel évoluent ces dernières.
En ce sens, je veux centrer mon propos sur les relations entre l'État déconcentré et l'État décentralisé.
Cette question des relations entre les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l'État est aussi ancienne que la décentralisation.
Après un nouvel acte de décentralisation mené à terme durant le quinquennat précédent, les élus locaux aspirent à une pause dans les réformes.
Ces réformes ne sont pas encore pleinement appliquées, ne serait-ce que parce que le législateur a souhaité mettre en place des délais raisonnables d'application pour certaines dispositions.
Il est nécessaire que les élus locaux disposent en ce sens, sur la durée de cette période, du soutien de l'administration déconcentrée.
Or on note de la part du Gouvernement une volonté de recentrer le corps préfectoral selon une logique descendante. Plus qu'hier, le préfet se fait la voix du Gouvernement, ce qui fait partie de son rôle, mais ce qui ne saurait le résumer.
Un renoncement au rôle de conseil des administrations déconcentrées pose un véritable problème, notamment en zone rurale.
À cela s'ajoute également une problématique fondamentale : la décentralisation dans notre pays ne pourra se faire pleinement sans une réflexion, point par point, sur ce qui relève de l'État et ce qui dépend d'une ou plusieurs collectivités, dans chaque champ de compétences de la puissance publique.
Il faut noter qu'il existe aujourd'hui, parallèlement au souhait de stabilité, une demande forte de meilleure coordination entre les politiques déconcentrées et décentralisées.
Le Gouvernement semble s'engager dans une politique que l'on peut, à certains égards, qualifier de recentralisatrice.
Je pense, pour ne prendre qu'un exemple, au pacte qui est proposé aux 319 plus grandes collectivités.
Au-delà de l'intérêt apparent de cette solution, force est de constater que ce mode d'action, s'il paraît novateur, n'en est pas moins en rupture avec les pratiques passées de responsabilisation des collectivités et pourrait aboutir à une diminution de leur marge de manoeuvre en matière de conduite de l'action publique.
La crainte existe donc que le Gouvernement ne fasse pas les choix qui devraient permettre de renforcer la décentralisation et l'efficacité des politiques publiques locales. Je vous remercie, madame la ministre, de nous éclairer sur ce point. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. J'ai bien entendu vos préoccupations, monsieur Botrel. Vous êtes un vrai décentralisateur, je le sais, mais vous contrebalancez aussi cette conviction avec la nécessaire présence de l'État déconcentré.
Au fond, c'est toute l'articulation de notre pays, avec cette recherche d'équilibre entre le pouvoir des collectivités locales et un État que nous voulons toujours fort et présent ; c'est l'héritage de l'évolution des collectivités françaises et de notre esprit à la fois girondin et jacobin.
Le Président de la République a la ferme volonté politique, je peux vous l'assurer, de redonner du pouvoir aux préfets de département. Nous avons assisté à une régionalisation avec pour conséquence des préfets de département qui, parfois, n'avaient pas suffisamment la main sur des politiques conduites par des administrations entièrement régionalisées.
Par ailleurs, la politique des contrats dont vous avez parlé n'est pas un signe de recentralisation. C'est une manière d'essayer de lutter ensemble contre le déficit public. Les contrats seront individualisés et porteront sur les seules dépenses de fonctionnement. On tiendra compte également des efforts déjà effectués, de l'évolution de la population, des caractéristiques socio-économiques et de la construction de nouveaux logements. C'est donc vraiment une politique qui se veut constructive entre l'État et les collectivités territoriales.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Jean-Louis Lagourgue. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les collectivités locales ne veulent pas de big bang territorial imposé d'en haut. Elles veulent au contraire être libres d'adapter leur organisation aux réalités locales, que ce soit par des fusions de communes, de départements, ou encore par l'approfondissement du fait métropolitain.
En effet, les territoires, dans leur diversité, savent mieux que quiconque l'organisation qui est la plus pertinente pour eux.
Depuis 2010, les collectivités territoriales ont été soumises sans cesse à d'importants changements du point de vue de leurs compétences ou de leurs structures, empêchant les élus de se projeter dans l'avenir avec sérénité, et ce d'autant plus que les collectivités ont également subi une baisse drastique des dotations versées par l'État, alors que lui-même était très loin d'avoir réalisé les économies qu'il leur avait imposées.
Actuellement, les collectivités font face à deux évolutions avec la montée en puissance de grandes intercommunalités, de métropoles et le rôle nouveau dévolu aux régions. Cette période de mutation conduit à s'interroger sur le rôle et la place des départements et des communes, notamment en milieu rural.
La commune, échelon de proximité, a montré qu'elle savait s'adapter aux changements de notre temps. C'est tout le sens de la « révolution silencieuse » des communes nouvelles, qui se sont orientées vers un vrai projet de territoire, voulu, partagé et non imposé par l'État !
Aujourd'hui, les collectivités veulent être mieux prises en compte, mieux associées à la prise de décision, mieux écoutées, mieux respectées.
Madame la ministre, il faut faire confiance aux territoires, faire le pari de leur intelligence collective et de leur capacité à mener à bien les grands projets. Pouvez-vous nous assurer de votre volonté de retisser un lien de confiance avec les collectivités territoriales ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Oui, monsieur le sénateur, c'est vraiment notre volonté ! Ce n'est pas simplement une posture. Nous avons la volonté de travailler avec l'ensemble des collectivités territoriales.
Vous avez rappelé les difficultés passées et la tension qui est apparue entre l'État et ces collectivités.
Je vous confirme que le Président de la République ne veut pas faire de grande réforme territoriale pendant ce quinquennat. Il demande simplement à ses services sur le terrain, aux préfets d'accompagner les élus locaux dans leur volonté d'évolution.
Vous avez évoqué l'exemple pertinent des communes nouvelles. Lors du débat précédent, nous avons insisté sur le fait que ces dernières étaient réellement des nouvelles communes et qu'elles devaient entrer dans le champ de référence d'une organisation de base de la République française.
Je tiens d'ailleurs à vous préciser que seules les communes ont la capacité de mettre en place des politiques dont elles ont besoin, c'est-à-dire qu'elles ont la liberté de se saisir de compétences. C'est ce qu'on appelle la clause de compétence générale, que les départements et les régions n'ont plus puisqu'elles ont des compétences affectées.
L'État, qui n'entend pas bouleverser les structures et est animé par la volonté de garantir l'existence des communes, s'emploiera à être l'accompagnateur des territoires qui voudront évoluer.
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question concerne un outil bien connu des parlementaires et des élus locaux : la réserve parlementaire.
Madame la ministre, il s'agit non de reproduire ici les débats qui ont précédé l'adoption de la loi dite pour la confiance dans la vie politique, mais de vous interroger sur les dispositifs destinés à remplacer ladite réserve.
Je me souviens, comme beaucoup, de la promesse d'une dotation de solidarité locale de 50 millions d'euros pour les collectivités et de 30 millions d'euros pour les associations. Je note à cet égard que, comparé au montant de la réserve pour 2017, le compte n'y est pas.
La première enveloppe, dans un premier temps intégrée comme une part de la dotation de soutien à l'investissement local, la DSIL, a été transférée avec la dotation d'équipement des territoires, la DETR, lors de l'examen du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale.
Si cette évolution apporte une amélioration, elle n'emporte pas totalement l'adhésion.
Tout d'abord, parce que je me souviens du décret du 20 juillet dernier ayant rendu les 260 millions d'euros de crédits DETR et DSIL pour l'exercice 2017.
Ensuite, parce que la réserve parlementaire finançait en zone rurale de petits projets qui, souvent, n'étaient pas éligibles à la DETR.
Enfin, parce que la composition et le fonctionnement de la commission départementale prévue à l'article L. 2334-37 du code général des collectivités territoriales, le CGCT, ne sont pas satisfaisants. Il apparaît notamment que ces commissions sont, au mieux, des chambres d'enregistrement des décisions de la préfecture, et encore, seulement pour les plus grosses opérations.
Nonobstant les améliorations que la navette parlementaire pourra apporter, via le projet de loi de finances, je souhaite connaître les dispositions que vous entendez prendre pour améliorer les modalités d'attribution, afin de ne pas pénaliser les petites communes. En effet, en 2018, elles ne pourront pas compter, madame la ministre, sur la bienvenue réserve parlementaire ! (Mme Nadia Sollogoub et M. Bernard Fournier applaudissent.)
M. Rémy Pointereau. Très bonne question !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. En effet, la réserve parlementaire n'existera plus. À l'Assemblée nationale, en première lecture, la DETR a été augmentée de 50 millions d'euros, afin de financer les projets d'investissement de proximité portés par les petites communes qui bénéficiaient souvent de la réserve parlementaire.
La complémentarité entre la logique de déconcentration et la logique de décentralisation, qui caractérise la DETR, me semble tout à fait adaptée.
D'abord, la commission en cause, composée, bien sûr, d'élus locaux, fixe les règles. Un long débat sur la présence des parlementaires a eu lieu à l'Assemblée nationale. Vous le savez, deux députés et deux sénateurs par département seront désormais associés à cette commission DETR. (M. Yvon Collin fait un signe de protestation.)
On ne peut pas faire en sorte que les députés et les sénateurs soient plus nombreux que les élus locaux, sauf à manquer au respect dû à ces derniers et à la confiance qu'il faut leur faire.
En outre, l'Assemblée nationale a abaissé à 100 000 euros le seuil de consultation de la commission. Évidemment, il faut aussi savoir que la DETR, comme la DSIL, la dotation de soutien à l'investissement local, qui a été pérennisée et qui sera inscrite dans le CGCT, n'auront plus de seuil. Cela signifie que les plus petites communes pourront avoir accès à la DSIL et à la DETR. Nous répondrons ainsi aux besoins des communes, sans oublier qu'un fonds spécifique de 25 millions d'euros a été voté pour les associations.
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin, pour la réplique.
M. Yvon Collin. Je vous remercie, madame la ministre. Nous allons rester très vigilants sur ce dossier.
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour le groupe Les Républicains.
M. Rémy Pointereau. En 2014, le président Gérard Larcher a souhaité faire du Sénat le moteur de la simplification des normes, notamment celles qui sont applicables aux collectivités locales.
La mission qui m'a été confiée au sein de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation a consisté à suivre les différents textes de loi pour limiter à la fois le flux et le stock des normes.
Puis, nous avons voté un certain nombre de textes de loi poursuivant cet objectif. Ainsi, nous avons permis de simplifier la saisine du Conseil national d'évaluation des normes, le CNEN. Nous avons adopté une résolution qui tendait à limiter le poids de la réglementation applicable aux collectivités territoriales. Nous avons également voté une proposition de loi constitutionnelle qui pose trois principes forts : pour une norme créée, deux normes supprimées ; le principe de prescripteur-payeur ; une interdiction de sur-transposition européenne.
Et nous avons fait voter, à l'unanimité, une proposition de loi visant à simplifier les dispositions du code de l'urbanisme. Malgré les demandes répétées du président du Sénat, l'Assemblée nationale n'a jamais donné suite à cette requête, pourtant utile pour nos élus locaux.
Madame la ministre, en cette période de diète financière pour les collectivités territoriales, à laquelle s'ajoute le coût normatif des textes de loi examinés en 2016, qui s'élève, selon le dernier rapport du CNEN, à 6,9 milliards d'euros, ma question simple est double : allez- vous faire du poids et du coût des normes une priorité du Gouvernement ? Allez-vous enfin inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale notre proposition de loi visant à accélérer les procédures et à stabiliser le droit de l'urbanisme ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, cher Rémy Pointereau, je vais parler au nom du Gouvernement. Je ne m'exprimerai pas pour le compte de l'Assemblée nationale, car tel n'est pas mon rôle.
Vous avez rappelé un certain nombre de choses, dont la charte de partenariat conclue le 23 juin 2016 entre le Conseil national d'évaluation des normes et le Sénat qui permet une coordination des initiatives prises en matière de simplification des normes. À titre d'exemple, le CNEN avait saisi le Sénat sur les difficultés rencontrées par les collectivités territoriales en matière d'obligations applicables à celles-ci dans le domaine du service public d'eau potable. Sur ce sujet, une proposition de loi de simplification, déposée par MM. Bernard Delcros et René Vandierendonck, a été adoptée par la Haute Assemblée en septembre 2017. Voilà donc un exemple de coopération particulièrement fructueuse.
Plus généralement, la problématique de la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales s'inscrit dans le cadre du chantier de la Conférence nationale des territoires visant à une meilleure maîtrise du stock des normes.
D'ores et déjà, la circulaire du Premier ministre, en date du 26 juillet, que vous avez rappelée tout à l'heure, a institué la règle selon laquelle toute norme nouvelle doit être gagée par la suppression de deux normes existantes. Je le dis au passage, tout le monde – les assemblées, bien sûr, les professionnels, l'Europe – crée des normes. Or chacun doit veiller à ne pas trop en créer.
Le secrétaire général du Gouvernement est venu personnellement présenter les effets de cette règle au CNEN et montrer que le Gouvernement la fait strictement respecter.
Le Gouvernement est décidé à aller plus loin. Le CNEN aura un rôle fondamental dans le processus, à la fois sur le flux et sur le stock. Il faudra, en particulier, lui donner une vision consolidée des projets de normes, afin qu'il puisse se prononcer en pleine connaissance de cause.
Pour ce qui concerne l'urbanisme, le Gouvernement va présenter un projet de loi relatif au logement qui poursuit bien un objectif de simplification.
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour la réplique.
M. Rémy Pointereau. Je prends acte de ce que vient de dire Mme la ministre. Je regrette la disparition du ministère chargé de la simplification des normes. Il aurait été quand même bon de le maintenir afin de pouvoir continuer à travailler sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour le groupe La République En Marche.
M. Arnaud de Belenet. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, faute d'avoir réussi à choisir parmi tous les sujets sur lesquels nous aurions pu zoomer, vous me permettrez, je l'espère, une intervention un peu plus générique.
Nous partageons tous le même constat : après la réforme de la taxe professionnelle, le gel ou la baisse brutale des dotations depuis 2011, les contraintes, les réformes subies et chronophages, notamment les réformes institutionnelles, la perte d'autonomie, en particulier sur le plan financier, les élus locaux sont épuisés. Ils naviguent sans visibilité et se défient de l'État.
Face à l'insoutenabilit de la dépense publique, face aux besoins d'efficience, le Gouvernement nous propose de relever ces défis collectivement. Il refuse la brutalité à l'égard des collectivités, il refuse la facilité, la baisse drastique des dotations – mieux, il les maintient ! Il fait le choix du courage, de la confiance et de l'intelligence collective. Le projet de loi de finances en est un signal. Le Gouvernement souhaite un pacte de confiance sur des orientations claires et qui ont été rappelées ici, en particulier autour du dispositif fiscal fondamental sur lequel Alain Richard est missionné.
Madame la ministre, ma question sera finalement simple et double. Aujourd'hui, une inquiétude singulière est exprimée par de nombreux élus locaux, particulièrement préoccupés par les baisses que vous venez d'évoquer et par le devenir du fonds de soutien à l'investissement local, le FSIL. Ce qu'ils perçoivent, c'est une diminution des crédits affectés. Pouvez-vous nous rassurer sur ce point ?
D'une manière générale, si quelques-uns sont sincères en manifestant leur inquiétude, d'autres la nourrissent avec une bonne foi relative. Cela pose la question du calendrier. Quand arriverons-nous au terme de ces réformes pour que chacun y voie clair et que les mauvaises langues s'arrêtent ?
M. Didier Rambaud. Très bonne question !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Merci pour votre question, monsieur le sénateur ! Vous avez rappelé les inquiétudes des élus, héritées d'une histoire des relations entre l'État et les collectivités locales. Face à ces inquiétudes, il faut faire un travail très important de pédagogie.
J'ai personnellement assisté à une quinzaine de congrès départementaux de maires. Ainsi, pour les dotations d'investissement – qu'il s'agisse de la DETR, de la DSIL ou de la dotation politique de la ville, la DPV – il nous a fallu expliquer qu'elles étaient maintenues à un haut niveau, 1,8 milliard d'euros. Nous avons dû sans cesse nous battre contre cette idée constamment véhiculée de la baisse de dotations. C'est vrai, il faut faire beaucoup de pédagogie.
On peut, à la limite, dire que ce n'est pas ainsi qu'il faut s'y prendre. Mais les faits et les chiffres sont têtus ! Ils témoignent en effet d'un maintien des dotations d'investissement, qui sont très importantes.
Quel est le calendrier des réformes ? Beaucoup de réformes d'ampleur sont prévues, et elles doivent intervenir lors du quinquennat. Nous espérons que certaines d'entre elles, telle celle de la fiscalité locale, pourront être rapidement mises en place. Quand je dis « rapidement », je sais que cela ne se fera pas en trois mois. Je vous le rappelle, sous le précédent quinquennat, après des mois et des mois de discussions sur la DGF, on n'a pas pu aboutir. Là, en nous y prenant dès maintenant, j'espère que nous aboutirons pour permettre, dans le prolongement de la politique suivie en matière de taxe d'habitation, de trouver de nouveaux impôts locaux. Il faut donc à la fois travailler sur le temps long et essayer de trouver assez rapidement des réponses aux problèmes qui se posent.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Michelle Gréaume. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la teneur des questions posées aujourd'hui révèle l'immuable nécessité de faire part des doléances des collectivités locales. Il y en aurait tant à formuler !
Pour ma part, je concentrerai mon propos sur la complexité de la relation entre l'État et les collectivités locales.
Comme vous le savez tous, contrairement à l'État, les collectivités sont soumises, dans la gestion de leur budget, à la règle de l'équilibre réel qui implique l'existence d'un équilibre entre leurs recettes et leurs dépenses, ainsi qu'entre les différentes parties du budget – sections de fonctionnement et d'investissement.
Or, en parallèle à la gestion, différents transferts de compétences, toujours plus nombreux, sont réalisés. Les derniers en date, par exemple, en matière d'état civil, sont l'établissement du PACS, les changements de nom ou de sexe. Il arrive aussi que des frais soient imposés, comme ceux qui sont liés au dédoublement des classes de cours préparatoire à l'école primaire. Les communes s'évertuent à boucler leur budget, c'est un fait.
Mais il y a pire encore : elles sont pieds et poings liés et elles n'ont aucune visibilité sur l'avenir, aucune possibilité d'emprunter afin d'investir pour nombre d'entre elles, car elles n'ont aucune visibilité sur les dotations à venir de l'État, pas de calendrier fixe et pérenne. Elles n'ont également aucune vision sur les compensations : je pense, par exemple, à celles qui sont relatives à l'abattement de la taxe d'habitation, comme l'a souligné mon collègue Pascal Savoldelli.
De plus, si les communes les plus denses disposent de moyens importants, notamment d'une administration étoffée qui leur permet de recueillir l'information plus facilement et ainsi d'anticiper, nombre de petites communes n'ont pas à leur disposition de cadres, ou simplement de personnels formés leur permettant de recueillir l'information sur les budgets à venir.
Aussi, ma question est la suivante : quelles mesures concrètes et efficaces comptez-vous mettre en place pour améliorer la relation entre l'État et les collectivités et, dans un souci d'égalité de traitement, permettre à toutes les communes, quelle que soit leur taille, leur importance, d'accéder au même niveau d'information en provenance du Gouvernement, notamment en matière de dotation ou de compensation ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question. Vous avez rappelé, à raison, l'équilibre du budget des collectivités territoriales, ce que l'on appelle la règle d'or. En même temps, on ne peut pas opposer les résultats de l'État et ceux des collectivités locales. Il faut, à un moment, que le budget de la Nation soit pris en compte, notamment au regard de nos engagements européens et du respect des fameux 3 % du PIB. (Mme Michelle Gréaume fait un signe de protestation.) Oui, chère amie, nous vivons dans ce système !
Cela dit, le Gouvernement s'est bien engagé à mettre fin aux transferts de charges rampants mal compensés. Vous avez évoqué l'état civil, qui est un problème particulier. À ce sujet, j'apporte une précision : quand ils interviennent à ce titre, la commune et le maire exercent une mission au nom de l'État dont ils sont les agents.
De plus, le Gouvernement s'est engagé à la stabilité des dotations sur cinq années. Nous nous inscrivons donc dans une prévisibilité assez longue.
Je ne reviens pas sur la taxe d'habitation, sujet à propos duquel j'ai répondu à votre collègue.
Vous avez parlé du manque de moyens techniques et d'accompagnement pour les petites communes. Deux solutions coexistent : d'abord, un accompagnement à l'échelon de l'intercommunalité ; ensuite, les communes, notamment les plus petites d'entre elles, pourront profiter des conseils de l'État, conseils que le Gouvernement a l'intention de développer sur les territoires.
Si, dans certains domaines, le nombre des fonctionnaires est réduit par le non-remplacement de ceux qui partent à la retraite, il n'en va pas de même dans les préfectures où la présence des fonctionnaires a été renforcée.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour le groupe Union Centriste.
M. Jean-Marie Mizzon. Madame la ministre, il est prévu que la suppression de la taxe d'habitation se fasse par dégrèvement et sur une période de trois ans. L'État va, nous dit-on, compenser à due concurrence la perte des recettes des communes.
Pouvez-vous nous confirmer que l'État compensera également pour ce qui concerne les constructions en cours et celles à venir ? Il s'agit de recettes actuellement inexistantes et sur lesquelles l'État n'a pas la main puisqu'il ne décide pas des constructions dans les différentes communes.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, oui, je vous le confirme. Cela s'appelle l'évolution des bases, qui sont calculées chaque année et intègrent les constructions nouvelles.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour la réplique.
M. Jean-Marie Mizzon. Je remercie Mme la ministre de sa réponse très claire.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Corinne Féret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la Conférence nationale des territoires avait suscité des espoirs, qui ont aujourd'hui laissé place aux doutes.
Les nombreuses mesures défavorables aux collectivités et aux territoires ont fini par affecter profondément la relation de confiance avec l'État. Les sujets de préoccupation s'accumulent, notamment depuis l'annulation de crédits dédiés aux quartiers et à la ruralité, la baisse des contrats aidés, ou encore l'atteinte majeure aux équilibres du logement social. De plus en plus, la perspective d'une contractualisation entre l'État et les plus grandes collectivités fait craindre un contrat unilatéral et non un engagement réciproque.
On est bien loin de la démarche de décentralisation, conduite en France depuis François Mitterrand en 1981 !
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
Mme Corinne Féret. Si les collectivités sont, bien entendu, favorables au rétablissement des comptes publics, elles s'inquiètent pour leur capacité à investir et à maintenir des services ou des équipements publics locaux de qualité. Sur le terrain, l'instabilité juridique et financière actuelle est source de préoccupation, tout comme la remise en cause du principe de libre administration des collectivités.
Les élus déplorent également la stigmatisation dont ils font l'objet. Dire qu'il y a trop d'élus locaux en France et que ceux-ci ont un coût, comme l'a déclaré le Président de la République, c'est oublier que notre pays compte près de 580 000 élus locaux, dont une très grande majorité de bénévoles ! Personne ne peut nier dans cette enceinte le dévouement et la disponibilité de ces élus de terrain, de ces femmes et de ces hommes qui traitent des petits et des grands sujets de la vie locale dans nos villages, nos communes et nos quartiers.
Comme nous peinons à comprendre le sens de cette annonce relative au nombre d'élus locaux, pouvez-vous, madame la ministre, nous indiquer ce que le Gouvernement entend par « réduction du nombre d'élus » ? Cela signifie-t-il aussi que vous allez réduire le rôle des élus locaux, des maires au premier chef, en transférant à l'administration certaines compétences qui leur étaient jusqu'ici dévolues ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Madame la sénatrice, je veux vous rassurer. Certes, je le dis pour être très claire, une réforme réduira le nombre des parlementaires. Je le sais, tel n'est pas l'objet de votre question, qui concerne les élus locaux.
D'abord, le Président de la République a en effet prononcé une phrase qui a inquiété les élus. Il va y avoir, dans certains cas, par exemple, dans les communes nouvelles, une diminution mathématique du nombre des élus locaux.
Ensuite, un niveau de collectivités réfléchit lui-même à la baisse du nombre des élus. Je veux parler des régions. L'Association des régions de France, l'ARF, a entamé une discussion avec le Gouvernement. Vous le savez, les conseils régionaux sont actuellement constitués de tous les conseillers régionaux des anciennes régions, de sorte qu'ils ont parfois des dimensions très importantes.
L'ARF a posé le problème, qui n'est pas si facile ni évident. C'est une vraie question. Il faut en effet toujours maintenir la répartition, y compris dans les départements les plus ruraux.
Enfin, le Président de la République n'a aucune intention de toucher au nombre des élus municipaux. Je veux le rappeler, nous avons voté nous-mêmes ici, en 2013, une réforme, qui nous a donné l'occasion de ramener de neuf à sept le nombre des élus municipaux dans les communes de moins de 100 habitants. Nous répondions d'ailleurs à la demande des élus qui avaient du mal à établir des listes. Nous avons eu une discussion très intéressante sur le point de savoir si nous allions élargir cette réforme aux autres strates. Finalement, cela ne s'est pas fait.
Je vais vous donner mon avis, qui n'engage que moi.
M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Pour ma part, je siège dans une commune de 4 500 habitants. Nous sommes vingt-sept élus municipaux. Si nous étions vingt-cinq ou vingt-trois, je ne pense pas que cela changerait la face du monde !
En tout cas, le Gouvernement n'a aucune intention de réduire le nombre des élus locaux.
M. le président. La parole est à M. Philippe Pemezec, pour le groupe Les Républicains.
M. Philippe Pemezec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une fois n'est pas coutume, je veux remercier le ministre de l'intérieur du soutien qu'il a apporté aux élus qui sont allés manifester l'autre jour contre les prières de rue. Merci et surtout, madame la ministre, tenez bon !
Hier, le Premier ministre a commencé son discours en disant : « Si j'étais encore maire, je serais inquiet. » Oui, la France est inquiète quand elle voit la façon dont le territoire est en train de se réorganiser autour des métropoles. Cela signifie que si, demain, vous n'habitez pas dans une ville desservie par une ligne de TGV, vous êtes condamné à disparaître à peu près sûrement !
La France est inquiète parce qu'elle voit aussi le découragement des élus, stigmatisés, montrés du doigt, voire quelquefois méprisés, et qui, pourtant, ont tant fait pour nos villes et nos villages.
Les lois de décentralisation avaient ravivé la démocratie, dont les communes étaient devenues le coeur battant. Que reste-t-il de l'esprit de cette décentralisation ? La présidence de M. Hollande a été une catastrophe pour les territoires et les élus. Alors que nous pensions démarrer ce mandat dans un climat de confiance, j'ai aujourd'hui l'impression de subir la double peine !
Cela a été dit par un certain nombre d'entre nous, les élus sont sous le choc et sont tous inquiets. Ils commencent à se réveiller et vont s'organiser parce qu'ils ont la légitimité populaire.
En vous écoutant, j'ai eu l'impression que nous assistons à une certaine recentralisation ou, en tout cas, à une remise sous tutelle.
Vous avez parlé du rôle des préfets. Pouvez-vous nous préciser quel sera demain leur rôle vis-à-vis des collectivités territoriales ? Pouvez-vous nous adresser – au cas où je me tromperais – quelques signes encourageants, de nature à redonner un peu de coeur et de passion à ces élus pour qu'ils gèrent de nouveau demain comme ils géraient hier, c'est-à-dire plutôt pas mal ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, s'il est vrai que le Premier ministre a prononcé cette phrase, il a dit aussi : « Compte tenu de l'importance des enjeux hier, j'aurais souhaité pouvoir discuter et échanger avec le Gouvernement. C'est ce que je veux faire. »
Monsieur le sénateur, comment vous répondre le plus simplement et le plus précisément possible ? Vous avez commencé votre propos en remerciant le ministre de l'intérieur, ce dont je vous sais gré. Nous sommes évidemment, tout comme vous, préoccupés par le sujet des prières de rue ; j'avais apporté une réponse sur ce point à l'occasion des questions d'actualité au Gouvernement.
Cela signifie que vous avez aussi besoin du préfet et d'un État fort. C'est cet aspect qui est important. Le ministre de l'intérieur aime à le répéter, il faut un État puissant et des collectivités territoriales fortes. Nous avons besoin les uns des autres, en matière aussi bien de sécurité, qui est une fonction régalienne de l'État, que d'accompagnement des collectivités territoriales.
Pour être élue d'un département rural, je sais combien on y a besoin d'un État fort et d'un préfet présent pour accompagner les collectivités territoriales. Le préfet n'est pas là pour contrôler celles-ci ou, pour ainsi dire, faire le gendarme, mais bien pour accompagner les territoires dans leur volonté de réforme et de développement économique. Nous espérons tous que la reprise économique permettra de faire baisser le niveau épouvantable de chômage dont nous souffrons en France. Alors, les territoires pourront s'engager dans une évolution plus sereine : la création d'emplois et de richesses permettra à toutes les couches de la société d'évoluer.
Nous avons donc la volonté d'accompagner les collectivités locales. En tout cas, telle est ma philosophie et c'est pour cela que j'occupe mes fonctions actuelles. Je peux d'ailleurs vous dire, monsieur le sénateur, que le ministre d'État, ministre de l'intérieur, Gérard Collomb, a la même démarche que moi. Nous avons tous les deux été élu local et maire ; nous savons ce que sont les collectivités locales et nous ne pourrions pas, à notre poste, ne pas continuer la même politique de soutien aux collectivités locales.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche, pour le groupe Union Centriste.
M. Jean-Claude Luche. En ces journées de congrès des maires, le Sénat est invité à débattre des collectivités locales. Après toutes les réformes territoriales, les discussions budgétaires et les questions d'organisation, il se trouve que les collectivités locales constituent encore un sujet de débats et de passions. Pour ma part, je resterai très pragmatique en évoquant une problématique à laquelle sont confrontées les collectivités, qui restent bien souvent démunies face à cette mission.
Il s'agit de la mise aux normes des bâtiments appartenant aux collectivités. Les élus souhaitent généralement répondre aux exigences et appliquer les principes émanant de différentes lois et aspirations : transition écologique, accessibilité, désamiantage, isolation, ou encore économies d'énergie. Oui, les élus le souhaitent, mais n'exagérons pas : il y a vraiment trop de normes dans ce pays !
Or, dans un contexte de restrictions budgétaires, les collectivités doivent choisir : vaut-il mieux préserver les dépenses de fonctionnement ou investir pour répondre à ces diverses normes ? Il arrive donc que les dépenses de mise aux normes soient reportées sine die. N'y voyez ni un manque de volonté ni de la mauvaise foi : les collectivités se retrouvent parfois très isolées pour la réalisation de ces travaux et sont incapables de leur donner la priorité.
Bien évidemment, chaque élu préférerait procurer une bonne isolation aux bâtiments de sa collectivité. Cela permettrait à la fois de répondre à un souci de transition écologique et d'alléger les charges par les économies d'énergie réalisées ; de même pour le désamiantage.
Alors, madame la ministre, prévoyez-vous, durant votre exercice, d'élaborer un plan en faveur de l'amélioration de notre bâti collectif ou d'y dédier des mesures financières ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, vous évoquez à votre tour le sujet très important des normes et, en particulier, de celles qui s'appliquent aux bâtiments des collectivités territoriales.
Ces normes feront l'objet de dispositions dans le projet de loi relatif au logement auquel travaille le Gouvernement. Il est envisagé de s'orienter davantage vers une obligation de résultat plutôt que vers une obligation de moyens. Cela ne sera peut-être pas très facile, mais il faut avancer dans cette voie parce que ce sera certainement moins contraignant.
Par ailleurs, je rappelle que certains fonds, tels ceux de la DSIL, sont fléchés, notamment dans le cadre du Grand Plan d'investissement, en faveur des collectivités locales dans le domaine que vous avez évoqué.
Enfin, l'État a conclu des contrats dans le cadre du programme Territoires à énergie positive pour la croissance verte. Ces contrats pourront tous être financés – cela avait fait l'objet de tout un débat – parce qu'une enveloppe financière supplémentaire de 75 millions d'euros a été votée pour des travaux comme ceux que vous envisagez pour les bâtiments des collectivités. J'estime en tout cas que le passage d'une obligation de moyens à une obligation de résultat est une piste qu'il faut poursuivre.
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Éric Kerrouche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'article 72-2 de la Constitution, à son alinéa 5, prévoit des dispositifs de péréquation dont le but est de gommer les écarts de richesses entre collectivités locales et, ainsi, de réduire les inégalités territoriales.
En effet, comme vous le savez, tous les territoires ne sont pas également dotés ; ils connaissent des situations socio-économiques et géographiques fort différentes. À l'évidence, les territoires peu denses ne bénéficient pas des mêmes externalités que les métropoles, en termes d'infrastructures et de concentration de richesses. Si ces territoires ruraux sont capables d'innover, il arrive néanmoins qu'ils cumulent les handicaps, notamment géographiques. Il faut par conséquent des dispositifs ambitieux pour leur garantir les moyens d'intervenir et permettre de réduire les inégalités sociales et géographiques.
Le législateur a progressivement mis en place des mécanismes de péréquation verticale et horizontale. Leur empilement a conduit à une certaine illisibilité ; ils gagneraient à être optimisés. Une réflexion sur l'amélioration des mécanismes de péréquation a déjà été menée dans plusieurs rapports. Elle fait également l'objet, indirectement, de la mission actuellement confiée à MM. Alain Richard et Dominique Bur.
Or si la péréquation renvoie à un enjeu essentiel d'égalité des citoyens devant le service public et donc à un enjeu de démocratie, elle est également sous-tendue par une approche spécifique des mécanismes du développement territorial. C'est pourquoi ma question sera double.
Tout d'abord, à un moment où l'on prive les territoires, notamment ruraux, de certaines ressources et où les collectivités les plus importantes sont appelées à poursuivre leur contribution au redressement des comptes de la Nation, comment imaginez-vous refondre le système de péréquation pour optimiser la solidarité territoriale, garantir un équilibre entre le monde rural, le monde périurbain et les métropoles et ainsi limiter les fractures territoriales ?
Plus fondamentalement, sur quelle approche du développement territorial se fonderait cette refonte de la péréquation ? Choisirez-vous une métropolisation et un développement par ruissellement, si chers à votre gouvernement, ou bien préférerez-vous accompagner des dynamiques territoriales qui sont, elles, porteuses d'égalité ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, vous m'interrogez sur le rôle joué par la péréquation dans la préservation des équilibres territoriaux, en particulier entre le monde urbain et le monde rural.
Votre question me donne l'occasion de vous fournir quelques chiffres qui démontrent à quel point la péréquation, tant verticale qu'horizontale, bénéficie au monde rural. Je le dis sans provocation et en l'absence de M. Adnot : c'est pourquoi je n'entends aucune protestation ! (Sourires.)
Les territoires ruraux bénéficient du Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, ou FPIC, davantage qu'ils n'y contribuent. En 2017, les territoires comprenant moins de 50 000 habitants perçoivent 34 % des ressources totales de ce fonds, alors que leurs prélèvements n'alimentent que 26 % de ces ressources. À l'inverse, les territoires urbains alimentent le FPIC plus qu'ils n'en bénéficient. C'est notamment le cas de la métropole du Grand Paris, qui fournit 34 % des ressources du fonds alors qu'elle ne bénéficie que de 4 % du reversement total.
Au sein du monde rural, 10 000 communes bénéficient de la dotation de solidarité rurale cible. Il apparaît que 87 % d'entre elles sont bénéficiaires nettes au titre du FPIC et que 92 % d'entre elles ont bénéficié cette année d'une progression de leur DGF. Par ailleurs, je note que les petites collectivités rurales ne sont pas concernées par la démarche contractuelle de maîtrise des dépenses de fonctionnement qui est proposée dans le projet de loi de programmation des finances publiques. Avec les communes rurales, nous faisons donc le pari de la confiance : nous faisons confiance aux élus pour gérer leurs collectivités.
J'ajouterai que l'Assemblée nationale a adopté un amendement visant à faire réaliser par une commission un rapport sur l'évolution du FPIC. On pourra ainsi déterminer sur quels critères il faudrait jouer pour encore améliorer la péréquation entre les territoires riches et ceux qui sont plus pauvres.
M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier, pour le groupe Les Républicains.
Mme Marie Mercier. La loi MAPTAM du 27 janvier 2014 a créé une nouvelle compétence relative à la gestion des milieux aquatiques et à la prévention des inondations, dite compétence GEMAPI, et l'a confiée aux communes et à leurs groupements. Vous connaissez bien, madame la ministre, les quatre missions importantes qui constituent cette compétence.
Deux ans plus tard, la loi NOTRe a imposé le transfert de cette compétence aux communautés d'agglomération et de communes, au sein du bloc des compétences obligatoires, au 1er janvier 2018. Deux questions se posent alors.
Premièrement, cette nouvelle attribution nécessite une ligne budgétaire, puisque l'entretien du patrimoine et les investissements – barrages, berges ou digues – incomberont dorénavant aux EPCI à fiscalité propre. Pour ce faire, nos élus locaux vont donc devoir trancher, comme d'habitude, entre deux options : diminuer les dépenses, c'est-à-dire économiser sur certaines politiques publiques, ou augmenter les recettes, c'est-à-dire les impôts. À ce jour, la « taxe GEMAPI », même si elle n'est pas encore entrée en vigueur, est une composante de la taxe d'habitation et de la taxe foncière. Or la suppression de la taxe d'habitation, qui affectera 80 % des ménages, nous obligera à réfléchir à une autre solution : en effet, il ne restera que 20 % des contribuables actuels pour payer la taxe GEMAPI.
Ma seconde question concerne l'organisation institutionnelle de cette compétence. Si l'on souhaite mener une politique territoriale cohérente, la GEMAPI doit englober l'ensemble d'un bassin. Un pilotage par les établissements publics territoriaux de bassin, les EPTB, qui disposent de personnels formés et des compétences techniques nécessaires, est donc primordial. Néanmoins, un nombre important de communes ou de groupements s'appuient sur les associations syndicales autorisées, qui ont la connaissance du terrain, pour mettre en oeuvre la GEMAPI. Aussi voudrais-je savoir, madame la ministre, quel sort vous comptez réserver à cette catégorie d'associations.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Madame la sénatrice, vous avez évoqué la question de la compétence GEMAPI et son évolution à la suite des lois MAPTAM et NOTRe. Vous avez surtout posé le problème du financement de cette compétence par la taxe GEMAPI, qui est liée à la taxe d'habitation.
Nous avons devant nous trois ans de tranquillité, si je puis dire, puisque la taxe d'habitation n'est pas supprimée, mais continue d'exister. Simplement, une partie des contribuables continue de la payer et, progressivement, l'État prend la place de certains autres. Nous n'aurons donc pas de difficultés pendant trois ans ; après, il faudra envisager un autre système.
Vous m'avez également interrogée sur les structures. Naturellement, la loi MAPTAM a préservé les compétences en la matière des syndicats et des associations syndicales autorisées ; il n'est pas envisagé de revenir sur ce point.
Enfin, un député, M. Marc Fesneau, a déposé une proposition de loi qui revient sur certains points relatifs à cette compétence de manière à améliorer sa mise en oeuvre. Il ne s'agit pas, à l'évidence, de revenir sur le transfert de cette compétence ou sur les autres points déjà évoqués. Cette proposition de loi est néanmoins très intéressante et je vous conseille de lui octroyer une grande attention. Elle comporte trois points majeurs, mais le temps me manque pour vous les détailler.
M. Guy-Dominique Kennel. Il serait intéressant de les connaître !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je vous les ferai connaître, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Franck Montaugé. Loi d'affirmation des métropoles, loi de création des grandes régions, loi sur la politique de la ville, loi Montagne récemment révisée : je fais le constat que la ruralité n'a toujours pas fait l'objet, à ce jour, d'un grand dessein national.
Il y a aujourd'hui un impensé de la place des territoires ruraux dans l'avenir de la France. Certes, dans le contexte de mondialisation-globalisation que nous connaissons, notre pays a besoin de métropoles fortes et en développement ; c'est indispensable et vital ! Le rural que je suis en est convaincu et y contribue. Mais nous devons aussi penser la place des ruralités – la ruralité française est diverse et plurielle – en partant du principe, qui doit être un objectif politique partagé par le plus grand nombre, que les territoires ruraux et périphériques peuvent accueillir des populations et contribuer significativement à la création de valeur et de richesse nationale.
Mme la ministre rappellera peut-être, à juste titre, les dispositifs qui existent au bénéfice des territoires ruraux, mais mon propos ne consiste pas à dire que rien n'est fait. Je constate toutefois, sur le terrain, des phénomènes de déprise économique et démographique, les fermetures de services publics, les cessations d'activité de médecins, qui ne sont pas remplacés, et, parfois, le déménagement d'entreprises à des fins de développement.
Ne pas traiter ces questions, dans le cadre d'une approche globale, ne fera qu'alimenter le sentiment d'abandon et de défiance des citoyens à l'égard de l'action publique. Ce sentiment croît toujours plus : nous en constatons l'inquiétante traduction d'élection en élection.
Ma question sera en réalité une proposition faite au Gouvernement : madame la ministre, l'État doit reconnaître les ruralités françaises et leurs habitants en engageant l'élaboration, largement participative, d'un projet de loi de reconnaissance et de développement des ruralités. Merci de nous donner votre avis sur une telle initiative, si cela vous est possible. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, comme vous le savez, je connais bien la ruralité, puisque j'y vis, et je suis sensible à vos propos. Je connais les difficultés que vous avez évoquées.
Une difficulté que j'estime majeure pour notre pays est la désertification médicale, qui touche la ruralité et parfois aussi les banlieues. Mme la ministre des solidarités et de la santé a annoncé un plan qui constitue déjà une avancée ; il faudra peut-être le compléter par d'autres mesures, parce que le problème est très grave. J'estime également qu'il est très important de travailler de façon plus concertée avec les médecins, leur ordre et l'université. Le Premier ministre a rappelé hier cette nécessité.
Je veux également, monsieur le sénateur, souligner que des outils existent, par exemple les pôles d'équilibre territoriaux et ruraux, les PETR. Je le dis devant votre collègue, Raymond Vall, qui est président de l'Association nationale des pôles d'équilibre territoriaux et ruraux et des pays.
Par ailleurs, monsieur Montaugé, vous avez réalisé quelque chose d'exemplaire dans votre région, avec la métropole de Toulouse : les contrats de réciprocité. Cela constitue à mes yeux une avancée très intéressante pour le partage des ressources et des richesses.
Cela dit, vous me demandez si l'on peut faire un projet de loi sur la ruralité.
M. Franck Montaugé. Les ruralités !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. En effet, les ruralités ! Faut-il élaborer un tel projet de loi ou plutôt essayer, pour chaque politique, de considérer son impact sur le monde rural et de l'adapter en conséquence ? C'est ce que nous avons fait, par exemple, lors du débat sur l'eau et l'assainissement. Je n'ai pas de réponse ferme à cette question de priorité entre l'approche thématique et l'approche géographique, si je puis dire. Nous poursuivrons en tout cas le débat.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Ma question porte sur la contractualisation proposée par le Gouvernement entre l'État, via le préfet, et les collectivités locales.
Cette contractualisation concerne exclusivement les 319 plus grandes collectivités de France, lesquelles sont à l'origine de 80 % de la dépense publique locale. L'État leur demande, jusqu'en 2022, un effort de 13 milliards d'euros d'économies sur leurs dépenses de fonctionnement ; la hausse des dépenses est plafonnée à 1,2 % par an.
Madame la ministre, vous avez déclaré que cette contractualisation serait un « travail de dentelle » qui prendrait en compte différents critères, comme la taille de l'agglomération, l'évolution de sa démographie ou l'importance des charges de fonctionnement.
Néanmoins, si cette contractualisation est aussi technique à établir, pourquoi ne pas l'avoir proposée de prime abord à l'ensemble des collectivités locales pour déterminer un barème national, plutôt que d'en réserver le périmètre aux seules communautés d'agglomération de plus de 150 000 habitants, ainsi qu'aux communes de plus de 50 000 habitants ?
Cette contractualisation exclut les villes moyennes, les petites communes et les villages. Elle envoie un très mauvais signal à ces territoires tout en renforçant l'inquiétude budgétaire et le sentiment d'abandon des élus qui les représentent.
De plus, dans le cadre de ce contrat proposé aux grandes collectivités locales, certaines d'entre elles n'ont pas toujours été vertueuses ces dernières années. Comment ne pas voir dans la contractualisation, pour les collectivités les plus dispendieuses, un effet d'aubaine, puisqu'elles se raviseront dans leur gestion ?
Les collectivités locales qui ont choisi d'être vertueuses depuis longtemps, car elles sont gérées par des élus responsables et courageux, seront également désavantagées, puisque leurs efforts passés ne seront pas récompensés. Pourtant, ces collectivités ne méritent pas cette menace d'assèchement fiscal.
Madame la ministre, comptez-vous mettre en place un dispositif mesurant les efforts et les économies déjà consentis dans le passé, et non pas seulement à la date d'effet du contrat, afin de ne pas soumettre ces collectivités à une double peine budgétaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Madame la sénatrice, le contrat de mandature entre l'État et les collectivités locales repose effectivement sur la confiance. Le projet de loi de programmation des finances publiques définit un cadre et des objectifs, mais la méthode pour y parvenir sera laissée à l'appréciation de chaque collectivité. Telle est la philosophie du pacte de confiance que nous entendons nouer entre l'État et les collectivités.
À ce stade de l'examen du projet de loi de programmation, trois dispositifs sont prévus. Outre le débat d'orientation budgétaire en matière de dépenses de fonctionnement, il sera instauré une règle d'or renforcée pour les communes de plus de 10 000 habitants et les intercommunalités de plus de 50 000 habitants. Cela signifie, en exagérant quelque peu pour mieux le faire comprendre, que l'on devra s'assurer que les emprunts ne courent pas sur trente ou quarante ans.
Enfin, certaines collectivités, si elles le veulent, pourront s'engager dans cette contractualisation même si elles n'appartiennent pas aux 319 collectivités qui, par leur population, doivent y prendre part. Je tiens, à ce propos, à préciser que MM. Bur et Richard proposent une définition quelque peu différente des collectivités concernées : il s'agirait d'élargir le champ de la contractualisation aux collectivités dont le budget s'élève au moins à 30 millions d'euros par an. Cela concernerait à peu près 600 collectivités, au lieu de 319, et 80 % de la dépense publique locale au lieu de 70 %. Il faut en discuter, afin de déterminer quelle méthode appliquer.
Je voudrais enfin insister sur un point : les critères de la contractualisation incluent les efforts déjà consentis par les collectivités. Il est impossible de ne pas tenir compte du passé !
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour le groupe Les Républicains.
M. Dominique de Legge. En 2010, le Gouvernement décidait la suppression de la taxe professionnelle au motif que les éléments servant à son calcul étaient anti-économiques. Il en est résulté une perte de 13 milliards d'euros, qui a été compensée dans les conditions que vous savez.
Aujourd'hui, madame la ministre, vous nous proposez la suppression de la taxe d'habitation.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Non !
M. Dominique de Legge. Cela permettra peut-être d'améliorer le pouvoir d'achat des familles, mais on aurait pu faire un autre choix que celui d'obérer les marges de manoeuvre des communes. On estime aujourd'hui à 18 milliards d'euros le manque à gagner pour le bloc communal.
Aussi deux questions se posent-elles. Premièrement, quel avenir réserver aux deux impôts locaux qui restent aux communes, les taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties, qui sont des impôts peu dynamiques et aux taux déjà fort élevés ? Deuxièmement, les impôts locaux, qui représentaient 50 % des recettes du bloc communal en 2000, n'en représenteront plus que 20 % en 2020 : considérez-vous que cette évolution est compatible avec l'article 72-2 de la Constitution ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, l'autonomie financière des collectivités, au sens de l'article 72-2 de la Constitution, sera en tout état de cause respectée. La réforme de la taxe d'habitation n'altère pas le ratio d'autonomie ainsi défini. En effet, la taxe d'habitation n'est pas supprimée ; elle fait simplement l'objet d'un dégrèvement, et non pas d'une exonération. La dynamique des bases reste donc acquise à la collectivité et la taxe d'habitation dégrevée demeure une ressource propre au sens de la Constitution.
Par ailleurs, et même si la règle constitutionnelle d'autonomie financière ne garantit pas en droit le pouvoir de fixer les taux, le Gouvernement a proposé, dans le projet de loi de finances pour 2018, de maintenir ce pouvoir pour la taxe d'habitation. Évidemment, les hausses de taux au-delà de celui de 2017 seront à la charge du contribuable.
Cela étant, vous savez qu'une réflexion d'ensemble sur la fiscalité locale a été engagée dans le cadre de la mission confiée à MM. Alain Richard et Dominique Bur. Pour ma part, à titre personnel, au vu de ce que rapporte, dans certaines régions, la taxe foncière sur les propriétés non bâties, j'estime qu'il faut aussi revoir cet impôt et instaurer des différenciations suivant l'usage de la propriété taxée. Je pense surtout aux agriculteurs, mais des ressources pourraient également y être trouvées pour les collectivités locales.
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour la réplique.
M. Dominique de Legge. Madame la ministre, j'ai bien compris qu'il s'agissait d'un dégrèvement. En 2010, lors de la suppression de la taxe professionnelle, on nous avait expliqué la même chose. Or je me souviens qu'un excellent sénateur d'alors, qui était d'ailleurs une sénatrice, avait ainsi répondu : « Je voudrais relayer ici l'angoisse des élus. […] la réforme de la taxe professionnelle […] correspond à une recentralisation fiscale [Les collectivités locales] craignent de ne plus pouvoir assumer leurs missions. » J'aimerais que l'actuelle ministre n'oublie pas ce que disait la sénatrice !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Ce n'était pas un dégrèvement ; c'était une exonération !
M. le président. Madame la ministre, le principe veut que le dernier mot revienne au sénateur auteur de la question ; c'est l'un des rares privilèges sénatoriaux. Vous auriez pu compléter votre réponse lors de votre prochaine intervention.
La parole est à M. Bernard Fournier, pour le groupe Les Républicains.
M. Bernard Fournier. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur les transferts obligatoires des compétences communales à l'échelon supérieur.
Comme vous, je suis convaincu que l'intercommunalité représente une chance de survie pour les communes et je reste pleinement conscient que la mutualisation des moyens humains et financiers est un enjeu déterminant, notamment en milieu rural.
En revanche, il est certain que l'intercommunalité doit impérativement être consensuelle et cohérente pour servir d'outil en faveur d'un projet de territoire.
Quelle est la logique actuelle ? Une course aux collectivités « XXL », coûteuses et peu démocratiques ! Comme une très large majorité d'élus, soutenus dans leurs actions par l'Association des maires ruraux de France, l'AMRF, je considère que les transferts obligatoires de compétences vers les EPCI sont particulièrement dangereux, puisqu'ils contribuent encore un peu plus à faire de nos communes des coquilles vides.
La loi NOTRe, qui transfère obligatoirement les compétences eau et assainissement au 1er janvier 2020, en est un très bon exemple – je devrais plutôt dire, un très mauvais exemple !
Fruit d'une vision dogmatique de la loi NOTRe qui consiste à concentrer les compétences sans s'interroger sur l'opportunité ou la faisabilité d'un tel transfert, la disposition actuelle dépossède les élus ruraux de tout choix, alors qu'ils ont souvent déployé des solutions adaptées à la géographie et à la morphologie des territoires.
L'enjeu est d'améliorer la gestion de ces politiques en redonnant pouvoir de décision et de responsabilité aux élus locaux. L'idéologie consistant à « éplucher » les compétences des communes pour les affecter sans choix aux intercommunalités se heurte à une réalité concrète : le périmètre des nouveaux EPCI ne correspond pas nécessairement aux périmètres des syndicats gérant ces enjeux.
L'enjeu est aussi économique, puisque, dans de nombreux cas, le coût du transfert à l'échelon de l'intercommunalité se répercutera sur le prix de l'eau.
En d'autres termes, le maintien du transfert obligatoire des compétences eau et assainissement à l'intercommunalité serait la preuve de la poursuite d'une vision technocratique.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, puisque l'on aime citer ce que j'ai fait pendant des années au Sénat, on pourrait rappeler combien, lors de l'examen de la loi NOTRe, nous nous sommes battus sur la question du périmètre des EPCI, pour que soit fixé un critère de densité de population permettant au monde rural de ne pas être contraint par le seuil de 15 000 habitants qui avait été finalement retenu.
Un certain nombre d'événements se sont ensuite produits. Certains élus ont souhaité créer des communautés plus grandes, alors qu'ils n'en avaient pas l'obligation ; parfois, je le reconnais, certains se sont vu forcer la main. Mais, dans le Grand Reims par exemple, les élus ruraux ont manifesté la volonté de se rattacher à Reims au sein d'une grande intercommunalité. Certaines situations ont pu se révéler particulièrement difficiles.
Sur les compétences eau et assainissement que vous avez évoquées, monsieur le sénateur, lorsque des difficultés manifestes se sont posées dans les zones rurales ou dans les zones de montagne, nous avons travaillé. Vous le savez, le Premier ministre m'a confié une mission et un texte législatif est prévu. Les élus ont été entendus et respectés.
Le Premier ministre l'a annoncé hier : un droit d'opposition un peu similaire à ce qui existe pour le PLUI sera créé, qui permettra, dans le respect d'au moins 25 % des communes et d'au moins 20 % de la population, le maintien de la compétence à l'échelon communal.
C'est là, je crois, une avancée importante, grâce à laquelle nous sortons par le haut du clivage entre ceux qui voulaient garder le transfert et ceux qui souhaitaient le supprimer. C'est un bon compromis.
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la thématique des collectivités locales.
Madame la ministre, je vous remercie de vous être livrée à cet exercice exigeant et, mes chers collègues, je vous remercie d'avoir, dans l'ensemble, respecté vos temps de parole.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures cinq.
La séance est suspendue.
Source http://www.senat.fr, le 30 novembre 2017