Déclaration de M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, sur la définition du corps électoral aux élections du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, le transfert des compétences de l'Etat aux institutions de la Polynésie française et sa mutation de territoire d'outre mer (TOM) en "pays d'outre-mer" en vertu de son nouveau statut d'autonomie, à l'Assemblée nationale le 10 juin 1999.

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Circonstance : Présentation des projets de loi constitutionnelles relatifs à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie à l'Assemblée nationale le 10 juin 1999.

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
J'ai l'honneur de vous présenter le projet de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française.
Son article premier porte sur la définition du corps électoral en Nouvelle-Calédonie.
La loi organique du 19 mars 1999 a traduit dans le droit positif les dispositions de l'accord de Nouméa, signé par le FLNKS, le RPCR et le Premier ministre le 5 mai 1998. Elle définit en particulier les règles relatives à la citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie et au corps électoral pouvant participer aux élections au Congrès et aux assemblées de province.
Ces dispositions sont un élément essentiel de cet accord et une des raisons de la révision opérée par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998, adoptée à une très large majorité par le Parlement réuni en congrès à Versailles le 6 juillet 1998.
C'est également à une très large majorité (72 %) que les électeurs calédoniens ont approuvé, le 8 novembre 1998, l'accord de Nouméa.
Le paragraphe 2.2.1. de l'accord a prévu trois catégories d'électeurs pour les élections au Congrès et aux assemblées de province. La première est clairement circonscrite : il s'agit des électeurs inscrits pour participer à la consultation du 8 novembre 1998. Quant aux deux suivantes, le texte offre la possibilité de devenir ultérieurement électeur à certaines personnes, sous réserve de leur inscription ou de celle d'un de leurs parents sur " un tableau annexe ". Il est vrai qu'en l'absence d'une définition explicite de ce document, il a pu être permis d'hésiter sur son contenu. Deux interprétations étaient possibles : soit sont visées uniquement les personnes inscrites sur ce tableau à la date de la consultation du 8 novembre 1998, soit également celles qui pourraient y être inscrites postérieurement.
Seule la première thèse correspond tant à l'intention des signataires de l'accord de Nouméa qu'à celle des deux assemblées réunies en congrès à Versailles le 6 juillet 1998. En effet, la référence aux accord de Matignon de 1988, qui figure en tête de l'article 2.2.1. de l'accord de Nouméa, renvoie au souhait exprimé alors par les signataires de l'accord de ne voir voter aux élections au Congrès et aux assemblées de province que les seules personnes installées en Nouvelle-Calédonie avant la consultation prévue pour 1998. De plus, à la date de la signature de l'accord de Nouméa, la référence au " tableau annexe " ne pouvait nécessairement porter que sur le document existant à cette date et non sur d'autres tableaux prévus par la loi organique à son article 189 pour être élaborés après la consultation du 8 novembre 1998, pendant la période d'application de l'accord.
L'article 188 de la loi organique s'est borné à reprendre fidèlement les termes de l'accord de Nouméa en définissant le corps électoral aux élections du Congrès et des assemblées de province. Les deux rapporteurs, M. Dosière devant votre assemblée et M. Hyest au Sénat, se sont exprimés sans ambiguïté sur ce point.
Or, le Conseil constitutionnel a formulé, dans sa décision du 15 mars 1999, une réserve d'interprétation sur cet article de la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie : selon les termes de sa décision doivent " participer à l'élection des assemblées de province et du Congrès les personnes qui, à la date de l'élection, sont domiciliées depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie, quelle que soit la date de leur établissement en Nouvelle-Calédonie, même postérieure au 8 novembre 1998 ", date de la consultation sur l'accord de Nouméa.
Par l'article 1er du projet de loi constitutionnelle soumis à votre examen, le Gouvernement souhaite donc préciser par un alinéa complétant l'article 77 de la Constitution que le tableau auquel se réfère l'accord de Nouméa, pour la définition du corps électoral aux assemblées de province et au Congrès, est bien le tableau des personnes non admises à participer à la consultation prévue à l'article 76, c'est-à-dire la consultation du 8 novembre 1998.
Le Gouvernement garantit ainsi de façon indiscutable le respect de l'accord de Nouméa. Il respecte l'engagement qu'il a pris vis-à-vis des partenaires calédoniens avant les élections au Congrès et aux assemblées de province qui se sont déroulées le
9 mai 1999 dans un climat serein et qui ont vu le succès des deux formations signataires des accords : le RPCR et le FLNKS. Les nouvelles institutions viennent de s'installer et la semaine prochaine, je transfèrerai officiellement à Nouméa les pouvoirs de l'exécutif au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
La présente révision contribue à assurer que les engagement pris, dans ce domaine comme dans d'autres, seront tenus.
Cette garantie doit ainsi permettre aux élus néo-calédoniens de se consacrer dans les meilleures conditions à l'exercice des compétences qui leur seront transférées et au développement économique et social. L'esprit de responsabilité et de partage qui a prévalu doit se prolonger maintenant dans la gestion de la Nouvelle-Calédonie.
Le projet de loi constitutionnelle introduit également un titre XIV nouveau de la Constitution intitulé " Dispositions relatives à la Polynésie française ".
La Polynésie française est dotée d'un statut d'autonomie qui n'a cessé de se renforcer au cours des vingt dernières années.
Ces régimes successifs ont permis aux élus de faire l'apprentissage de l'exercice de très larges responsabilités. Je veux rappeler que la gauche a été à l'origine des deux textes qui ont fondé l'autonomie de la Polynésie. D'abord la loi Defferre de 1956 a créé les conditions d'une évolution de l'organisation administrative et politique du territoire. Cette avancée a été de courte durée. Si la Constitution de 1958 a institué le cadre de l'article 74 pour les territoires d'outre-mer, le législateur est revenu sur nombre d'acquis. C'est à l'initiative de Georges Lemoine que l'autonomie interne de la Polynésie s'est concrétisée avec le statut de 1984. Un point d'aboutissement a été atteint avec le statut institué par la loi organique du 12 avril 1996 et par la loi ordinaire du même jour.
Après les modifications statutaires intervenues en Nouvelle-Calédonie, le moment est venu de franchir une nouvelle étape dans l'affirmation de la personnalité et l'autonomie de la Polynésie française pour répondre aux attentes de ses habitants qui aspirent majoritairement à trouver leur épanouissement au sein de la République.
En accord avec le Président de la République, le Premier ministre a décidé d'engager la procédure de révision constitutionnelle nécessaire pour faire bénéficier la Polynésie française d'une pleine autonomie institutionnelle, parallèle à celle reconnue à la Nouvelle-Calédonie.
Après une concertation avec les autorités locales, le Gouvernement a élaboré un projet de loi constitutionnelle.
Il a consulté, sans y être juridiquement tenu, l'assemblée de la Polynésie française. Celle-ci a donné un avis favorable au projet et a formulé certaines propositions. D'autres opinions s'y sont exprimées. Elles sont légitimes, le Gouvernement veillera, comme je m'y suis engagé, à les associer à la préparation de l'évolution statutaire dans le cadre de la loi organique.
Le nouvel article 78 de la Constitution reconnaît la place singulière et l'autonomie renforcée de la Polynésie française dans la République.
La Polynésie française se gouverne librement et démocratiquement au sein de la République. C'est une évolution notable par rapport au statut de 1996 où elle ne faisait qu' " exercer librement et démocratiquement " des compétences. L'emploi du verbe " gouverner " souligne bien à l'instar d'autres territoires dans le Pacifique, cette conception de " self-governement ", de responsabilité locale étendue qui permet de distinguer la Polynésie des territoires d'outre-mer de l'article 74 de la Constitution. Cette autonomie poussée s'exerce, ainsi que le rappelle le texte, au sein de la République ce qui implique le respect de ses principes fondamentaux.
De fait, comme la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française cesse d'être un territoire d'outre-mer. Elle devient un pays d'outre-mer, expression déjà consacrée sur le plan européen.
Les compétences de l'Etat qui seront transférées aux institutions de la Polynésie française, l'échelonnement et les modalités de ces transferts ainsi que la répartition des charges résultant de ceux-ci seront fixés par la loi organique.
Ces transferts donneront lieu à une compensation financière.
L'article 78 de la Constitution énumère aussi les compétences régaliennes qui ne pourront pas être transférées par la loi organique aux institutions locales. Il fixe donc les limites de l'autonomie. La loi organique pourra bien sûr réserver à l'Etat d'autres compétences. Je pense en particulier à la fonction publique et aux marchés publics de l'Etat ou encore à la procédure administrative contentieuse.
Ces compétences régaliennes sont la nationalité, les garanties des libertés publiques, les droits civiques, le droit électoral, l'organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, les relations extérieures, la défense, le maintien de l'ordre, la monnaie, le crédit et les changes.
Dans ces matières, une réserve générale protège les compétences actuellement exercées par la Polynésie française. Cela concerne notamment le droit pénal puisque le statut actuel permet aux institutions locales de fixer des peines d'amendes et des peines complémentaires.
La loi organique définira également les règles d'organisation et de fonctionnement des institutions. Certaines catégories d'actes de l'assemblée de la Polynésie française qualifiées de " lois de pays " auront valeur législative dont le contrôle avant publication relèvera de la compétence du Conseil constitutionnel et non plus de la juridiction administrative.
Elle précisera les compétences du délégué du Gouvernement qui continuera d'exercer le contrôle de légalité sur les actes de valeur réglementaire des autorités locales.
La citoyenneté polynésienne que prévoit la révision constitutionnelle n'a pas la même dimension que la citoyenneté calédonienne instituée par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998. Elle ne concerne pas le corps électoral qui demeure celui de droit commun. Son objet est exclusivement de permettre que le développement économique et social profite en priorité aux Polynésiens. Le projet précise les domaines exclusifs où elle leur accordera des avantages spécifiques : l'accès à l'emploi, le droit d'établissement pour l'exercice d'une activité économique et l'accession à la propriété foncière. Il s'agira bien en ces matières de déroger au principe d'égalité pour permettre aux futurs citoyens polynésiens dans ces domaines de disposer de droits plus étendus.
La loi organique précisera les conditions de reconnaissance de cette citoyenneté. Ainsi, la durée maximale de domicile dans le territoire devra être raisonnable. A titre de référence, je souligne qu'un délai de cinq ans existe à l'article 12 de la loi organique du 12 avril 1996 pour l'accession aux fonctions de membre du gouvernement.
Les relations extérieures demeurent une compétence d'Etat. Mais, la Polynésie française pourra intervenir plus activement en matière internationale. Les autorités locales auront l'initiative d'engager avec les Etats du Pacifique des négociations d'accords internationaux portant sur les matières relevant de leurs attributions. Elles pourront signer de tels accords dans le respect des règles fixées par les articles 52 et 53 de la Constitution. La Polynésie française pourra être membre d'organisations internationales. Elle pourra aussi disposer d'une représentation auprès des Etats du Pacifique.
Ces compétences permettront à la Polynésie française de prendre des initiatives et de s'intégrer encore davantage dans son environnement régional, en développant ses relations avec les Etats du Pacifique.
Comme il l'a fait dans la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, le Gouvernement proposera également dans la loi organique des modalités de consultation des institutions de la Polynésie française sur les lois de la République relatives à son organisation et sur les conventions internationales traitant de matières relevant de sa compétence.
Ce projet de loi constitutionnelle constitue un nouveau cadre de l'évolution de la Polynésie française. Les relations entre l'Etat et la Polynésie française seront définies avec les autorités locales et les principales forces politiques du territoire lors de l'élaboration de la loi organique statutaire. Elle fera l'objet de la concertation la plus large avec l'ensemble des forces politiques et sociales de la Polynésie française. Je compte, à l'occasion d'un prochain déplacement, exposer à l'ensemble des forces vives les principes et les modalités possibles de cette consultation qui sera ouverte à tous ceux qui souhaiteront s'associer à la préparation du futur statut.
Après le titre XIII relatif à la Nouvelle-Calédonie, notre Constitution va accueillir un titre XIV relatif à la Polynésie française. Ces textes reprennent la place des articles portant sur l'organisation de la Communauté imaginée en 1958. On sait que celle-ci est mort-née avec les indépendances de l'ancien Empire. La République française imagine aujourd'hui des évolutions pour deux de ses territoires en respectant leur personnalité et leur volonté. Notre Constitution est aussi un cadre juridique vivant qui offre un avenir à ces populations du Pacifique riches de leurs civilisations imprégnées de notre culture.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 15 juin 1999)