Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, en réponse à une question sur la mission d'évaluation sur la présomption d'innocence et le rapport remis par M. Julien Dray, à l'Assemblée nationale le 9 janvier 2002.

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Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Monsieur le député,
Dans un Etat de droit, les règles de procédure pénale ont pour première finalité de permettre que la répression de la délinquance s'accomplisse dans le respect des droits fondamentaux et de la liberté individuelle. Sur cette question essentielle, une réflexion a été conduite par la commission Truche qui avait été mise en place à la demande du président de la République au début de l'année 1997. Cette commission a fait des propositions tendant à mieux garantir dans notre pays la présomption d'innocence. Mon Gouvernement, ensuite, a présenté au Parlement et fait voter une grande loi : celle du 15 juin 2000 qui a défini, entre les impératifs de la répression de la criminalité et ceux des droits de la personne, un équilibre qui prenait en compte aussi les obligations découlant de la Convention européenne des droits de l'Homme, comme vous l'avez rappelé.
Le débat, en particulier ici même, a conduit l'Assemblée nationale sur amendements de parlementaires de la majorité comme de l'opposition, à aller parfois plus loin que ne le proposait lui-même le Gouvernement par la voix de la garde des Sceaux, à l'époque E. Guigou. Ce texte a fait l'objet - je le rappelle car ce n'est pas si fréquent - d'un accord en commission mixte paritaire entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Il a même été voté ici même en dernière lecture sans aucune opposition.
Les premiers temps de l'application de la loi nouvelle ont conduit les praticiens magistrats, policiers, gendarmes à constater des difficultés de mise en oeuvre pouvant faire obstacle à ce que des procédures visant des délinquants soient menées à bien. Devant un risque d'un développement de l'impunité dangereux pour la sécurité de nos concitoyens, j'ai demandé à l'un d'entre vous, J. Dray, de procéder à une évaluation précise et concrète des difficultés rencontrées. Il l'a fait après toute une série de dialogues, de visites sur le terrain ; il l'a bien fait et son rapport a été salué comme tel. Dans le rapport que celui-ci m'a remis le 19 décembre dernier, votre collègue a relevé qu'en raison d'un formalisme parfois tatillon, la charge de travail des enquêteurs était alourdie, ce qui pouvait nuire à leur efficacité. Il a cependant conclu que l'essentiel des critiques faites aux nouvelles dispositions de procédure pénale pouvait trouver des solutions par le biais d'adaptations rapides.
Le gouvernement fait siennes ces conclusions. Celles des propositions du rapport Dray qui ne nécessitent que des précisions d'interprétation de la loi vont trouver place, dans les prochains jours, dans une circulaire de la garde des Sceaux, madame M. Lebranchu.
Mais il apparaît que sur des points limités, des ajustements de la loi du 15 juin 2000, qui ne portent pas atteinte à ces principes, peuvent être apportés sans retard. Ils tirent les leçons du rapport de J. Dray tout en prenant en compte aussi les éclairages apportés par l'évaluation de madame C. Lazerges.
Pour moi, la sécurité de nos concitoyens et la lutte contre l'impunité sont des devoirs d'Etat. Je pense que le Gouvernement et le législateur assument pleinement leurs responsabilités en se montrant capables d'évaluer, sur la base de l'expérience, leur propre texte pour y apporter des adaptations utiles.
C'est pourquoi j'approuve le dépôt d'une proposition de loi. Ces ajustements devraient porter notamment sur :
- une meilleure définition des motifs qui peuvent conduire à considérer une personne comme suspecte et à la placer en garde à vue ;
- l'élargissement des délais dont disposeront les enquêteurs dans la garde à vue pour respecter les formalités exigées par les droits de la personne ;
- la prise en compte enfin de la répétition d'actes délictueux, pour permettre le placement en détention provisoire, car cette répétition sans entrave est inacceptable.
Mesdames et messieurs les députés, naturellement, les grands principes et les novations apportées par la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence - droit à la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue, création d'un juge des libertés et de la détention, instauration d'un appel en matière criminelle, meilleure protection des droits des victimes - ces valeurs, ces principes et ces novations demeurent et constituent des avancées pour notre droit dont nous pouvons tous être fiers."
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 11 janvier 2002)