Déclaration de M. François Patriat, secrétaire d'Etat aux PME, au commerce, à l'artisanat et à la consommation, sur les mesures gouvernementales en faveur des professions libérales dont la création d'un OPCA (organisme paritaire collecteur aggréé des professions libérales), la réforme des baux professionnels et la réforme de la taxe professionnelle, Grenoble, le 18 mai 2001.

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Circonstance : 71è congrès de la Confédération nationale des avocats à Grenoble, les 18 et 19 mai 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mesdames, Messieurs et chers collègues,
C'est avec spontanéité que j'ai accepté l'invitation du Président HOCQUARD à venir participer aux travaux de votre congrès annuel, en tant que membre du Gouvernement chargé des professions libérales.
Comme vous le savez, avant d'entrer en politique, j'étais un professionnel libéral puisque j'ai exercé le noble art de docteur vétérinaire durant de longues années. C'est donc toujours un plaisir que de me retrouver parmi les libéraux. Il me plaît de souligner que nous pouvons parler de vocation, de dévouement, de qualité d'écoute et d'altruisme pour l'ensemble de vos professions.
Chefs d'entreprises, vous n'êtes pas des entreprises comme les autres. Comme je le disais devant vos confrères lors du dernier congrès de l'UNAPL en février 2001, je crois en l'identité et la spécificité des professions libérales.
Pour adopter le langage de la politique de concurrence, vous vous situez sur un marché de services.
Nulles autres professions n'incarnent mieux à mes yeux la relation de confiance nécessaire avec vos clients, c'est particulièrement vrai dans le cas de la profession d'Avocat, d'où la dimension irremplaçable du secret professionnel. Votre démarche implique une relation personnalisée avec le client qui induit un rapport de confiance essentiel. Sur un plan d'ensemble, je suis intimement convaincu que vos professions jouent un rôle, tout à fait irremplaçable, dans notre société. Vous contribuez utilement à renforcer la cohésion sociale, plus encore que d'autres services de proximité.
Si la relation de confiance est une donnée essentielle dans l'exercice libéral de vos professions, je m'attache au sein du Gouvernement à être votre interlocuteur.
Mon Secrétariat d'Etat est certes essentiellement un " ministère d'influence " et je m'emploie à l'utiliser avec détermination pour faire avancer vos idées et les dossiers transversaux concernant l'ensemble des professions libérales.
Le sens du travail accompli ces derniers mois est d'améliorer votre environnement de travail.
Tout d'abord, nous avons voici peu mis en place un nouvel organisme paritaire collecteur agréé des professions libérales (OPCA). Comme vous le savez, il s'agit d'un important outil de solidarité interprofessionnelle dans le domaine de la formation professionnelle. Il réunit maintenant la presque totalité de vos secteurs d'activité dans la collecte des fonds dévolus à la formation professionnelle continue ou en alternance. C'est là toute son importance. Cette structure améliorera l'usage des fonds pour la formation professionnelle dans vos entreprises. Vous bénéficiez d'une compétence et d'une qualification accrues pour vos employés. C'est un gage de compétitivité.
Nous avons ensuite essayé de régler la délicate question des baux professionnels.
Le statut actuel de certains baux conclus par les professions libérales m'est en effet apparu comme un véritable archaïsme juridique. Bien souvent, les locataires libéraux se trouvaient en situation précaire. Le bail, à son échéance, pouvant en effet être résilié sans motivation par le propriétaire.
Dans le cas de vos professions, je pense qu'il s'agissait d'une réelle entrave à la fidélisation de la clientèle, constituée par la proximité du lieu d'exercice de son conseil juridique.
C'est pourquoi la réforme que nous proposons est, qu'à chaque terme du bail, comme en matière d'habitation, il soit tacitement reconductible et que cette disposition soit d'ordre public. En outre, en cas de non-renouvellement, le congé devra désormais être motivé.
Cette disposition fera partie intégrante du prochain projet de loi portant sur diverses mesures d'ordre économique et financier (le "DDOEF"). Comme vous le savez, le calendrier parlementaire de cette fin de législature est particulièrement chargé, aussi ce projet ne sera examiné en première lecture qu'à l'automne. Je tiens ici cependant à vous réaffirmer la volonté sans faille du Gouvernement de voir aboutir ce texte.
C'est là, je crois, une disposition attendue qui devrait apporter pour beaucoup d'entre vous la stabilité nécessaire à l'exercice libéral.
Plusieurs réformes, à caractère social, seront mises en oeuvre dès cette année :
Les femmes professionnelles libérales sont doublement pénalisées en cas d'accouchement. En effet, d'une part, contrairement aux dispositions en vigueur dans le régime social, la période de la maternité n'est pas reconnue comme période d'assurance dans les régimes de retraites des professions libérales. D'autre part, en raison du caractère forfaitaire des cotisations, celles-ci restent élevées durant le trimestre d'accouchement ce qui entraîne une dégradation de revenu qui peut être importante. J'ai donc préparé un amendement à la loi qui entend remédier à cette injustice et qui prévoit une exonération des cotisations aux régimes d'assurance vieillesse de base des Avocats et autres professions libérales en faveur des assurées qui ont accouché. Je souhaite que cette réforme puisse être mise en uvre rapidement. Je suis, à cet égard, en discussion avec ma collègue des Affaires Sociales pour trouver le véhicule législatif le plus adapté à une entrée en vigueur la plus rapide possible.
L'amélioration de la situation du conjoint collaborateur d'un professionnel libéral, me paraît aussi s'imposer. Contrairement aux conjoint d'artisans et de commerçants, les conjoints qui participent à la vie du Cabinet dans le cadre de l'entraide familiale ne disposent d'aucun statut permettant une reconnaissance de leur activité. Il convient de mettre rapidement fin à cette situation délicate. A l'instar du statut institué en 1982 pour les conjoints d'artisans et commerçants, j'ai préparé un statut pour les professionnels libéraux. Ce statut pourra s'appliquer à condition qu'aucune rémunération ne soit perçue à ce titre, que l'activité exercée ne dépasse pas le mi-temps et qu'une déclaration personnelle et volontaire ait été faite préalablement auprès des URSSAF. Par ailleurs, ce statut limitera explicitement la collaboration aux actes de gestion courante de l'entreprise, avec l'obligation de respecter le secret professionnel, sous peine de voir sa responsabilité civile mise en jeu en cas de manquement. Dans ce cadre, le conjoint collaborateur aura vocation à percevoir les prestations sociales résultant de ses droits, qu'il aura acquis régulièrement durant sa période d'activité.
Je connais la demande des professionnels libéraux de voir aligné leur taux de pension de réversion, actuellement de 50 % sur celui du régime général et des régimes des autres travailleurs indépendants, artisans et commerçants (54 %). Cette demande est tout à fait légitime car l'écart est loin d'être négligeable. Je m'attacherai à la faire aboutir rapidement. Ici aussi je m'efforcerai de trouver un " véhicule législatif " permettant une adoption rapide de cet amendement.
Quelques réflexions sur l'interprofessionnalité :
La loi du 31 décembre 1990 a autorisé l'association de professionnels venant d'horizons différents au sein de société d'exercice libéral (S.E.L.), permettant la participation au capital de professions à statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé. A défaut de décret d'application, cette forme juridique n'a jamais vu le jour. La réflexion s'est poursuivie avec la rédaction d'un rapport de l'ancien Garde des Sceaux, Henri NALLET, qui proposait de reconnaître l'existence de réseaux.
Certaines professions du chiffre et du droit craignent la montée en puissance des réseaux de consultants multinationaux pluri-disciplinaires associant notamment conseil juridique, comptable et fiscal. Mon sentiment, sur cette délicate question, est que, faute d'une organisation adéquate des relations entre professions libérales, une partie non négligeable de celles-ci ne peuvent répondre à une demande pourtant bien réelle de conseil, puisque ceux-ci sont généralement à cheval sur plusieurs disciplines.
La Commission permanente de concertation des professions libérales s'est régulièrement réunie sur cette question. Elle bute sur l'épineuse question de la mise en oeuvre des règles déontologiques. Je prends acte de la volonté de la Chancellerie de rouvrir le dossier, et je pense qu'une évolution réglementaire sur ces aspects est envisageable.
Certains d'entre vous craignent que ces réseaux puissent faire perdre aux Avocats le " monopole du droit ". D'autres (le Conseil National des Barreaux) considèrent que les réseaux mettent en danger les règles de déontologie professionnelle, qu'elles portent atteinte au secret professionnel et puissent aboutir à des formes de publicité déguisées.
Ainsi en 1999, le CNB adoptait un règlement intérieur limitant la possibilité pour les Avocats de travailler en réseaux : ils ne le peuvent qu'avec des membres de professions réglementées ayant des règles déontologiques identiques aux siennes.
Deux options, qui ne s'opposent pas, sont concevables :
La première consiste à s'en tenir à une interprétation stricte de la loi de 1990, et que l'interprofessionnalité ne s'applique qu'aux seuls membres d'une même profession. C'est dans cet esprit qu'un projet de décret d'application de la loi de 1990 a été préparé. Il introduit pour les seuls membres du barreau la possibilité de créer des sociétés "holding". Cette approche me semble réductrice.
La seconde, viserait à permettre que les S.E.L. puissent être constituées entre membres de professionnels de familles différentes (exemple : architecte et géomètre, Avocat et expert-comptable). En tant que Ministre de tutelle de l'ensemble des professions libérales, je privilégierai naturellement cette approche. Je me dois en effet de veiller à ce que cette importante question ne se limite pas aux seules professions du droit et du chiffre. A mes yeux, elle concerne toutes les professions libérales. L'ensemble de ces professions ont besoin d'une structure sociétale horizontale répondant à l'exigence grandissante d'interdisciplinarité. C'est par ce biais que nous saurons trouver une réponse adaptée à l'environnement international de marchés globalisés. Nous ne pourrons en effet pas éluder ce phénomène de décloisonnement des marchés qui résulte de la globalisation des échanges. Je suis persuadé que seule cette approche nous permettra de trouver le mode organisationnel adéquat en éloignant le danger des " grandes surfaces " anglo-saxonnes. J'attends des propositions concrètes en ce sens de la part de la Commission permanente de concertation dont je présiderai une séance plénière de travail le 6 juin.
Le régime de la taxe professionnelle est un sujet sensible.
La suppression de la part salariale de l'assiette de la taxe professionnelle ne concernait pas les titulaires de bénéfices non commerciaux de moins de cinq salariés. Cette question intéresse quelques 350 000 entreprises, dans leur très grande majorité des professionnels libéraux. Cette mesure a été, j'en suis conscient, mal ressentie par vos professions. Vous la considérez comme injuste.
La réforme de la taxe professionnelle s'est inscrite dans un contexte de lutte renforcée pour l'emploi. Elle avait pour objectif de supprimer à terme le poids que cette taxe fait peser sur le coût du travail en raison de son assiette salariale. Elle ne pouvait donc, en toute logique, concerner les contribuables qui ne sont pas assujettis à la taxe professionnelle sur une telle assiette.
Néanmoins, plusieurs pistes peuvent être examinées. Elles présentent toutes des avantages et des inconvénients. Le retour à une taxe professionnelle de droit commun ne ferait pas, loin s'en faut, que des gagnants parmi vous ; un système de décote proportionnelle au nombre de salariés affecterait les ressources financières des collectivités locales. Dès lors, toute solution doit être examinée dans le contexte des réflexions en cours sur leurs ressources financières.
Les professionnels libéraux bénéficient de l'entrée en vigueur du plan triennal de baisse de l'impôt sur le revenu qui concerne toutes les tranches d'imposition soumises au barème progressif. Vos professions ont aussi bénéficié des récentes dispositions fiscales concernant une meilleure transmission ou transformation des entreprises par l'allongement de la durée de non-imposition des plus values ou encore de la non-imposition des droits d'apports.
Je ne doute pas que l'aménagement de la réduction du temps de travail constitue une préoccupation.
Certes, des accords concernant les salariés employés dans les Cabinets d'Avocats et d'Experts-comptables et dans les Etudes notariales ont d'ores et déjà été conclu et je m'en félicite.
Cependant, le secteur libéral est majoritairement constitué d'entreprises de moins de dix salariés. Pour celles-ci, la modulation du temps de travail et la mise en oeuvre de dispositifs d'amélioration ne sont pas simples à concevoir. Je suis ouvert à toutes solutions, en particulier celles permettant d'exploiter les marges de souplesse offertes par la loi.
(source http://juripole.u-nancy.fr, le 5 février 2002)