Interview de Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées, à France-inter le 15 novembre 2001, sur la protection de l'enfance contre la maltraitance, l'aide aux familles en difficulté et la répression de l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales.

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Circonstance : Etats généraux de la protection de l'enfance, à La Sorbonne, à Paris le 16 novembre 2001

Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli.- Comment protéger les enfants en risque ? C'est à cette question qu'entendent répondre les états généraux de la protection de l'enfance à la Sorbonne, à Paris, aujourd'hui. Si le nombre d'enfants maltraités diminue, celui des enfants en risque de maltraitance - violence physique ou psychologique - a augmenté en 2000, c'est ce qu'indique une enquête de l'Observatoire de l'Action Sociale Décentralisée - l'ODAS.
La maltraitance diminue et pourtant, le nombre d'enfants en risque augmente. Comment expliquez-vous cette information qui, en apparence, est contradictoire ?
- "La maltraitance diminue parce que, et c'est heureux, toute la maltraitance qui est liée à la précarité a tendance à reculer. C'est grâce à l'action de soutien aux familles en situation de difficulté - la Couverture Maladie Universelle, les politiques familiales de soutien aux familles en situation de précarité, le repérage aussi très précoce des parents en situation de fragilité... C'est un combat qui commence à être gagné."
C'est celui de l'information, que vous avez entamé il y a déjà un moment...
- "Je le pense."
Il commence à payer ? C'est-à-dire qu'on commence à mieux savoir comment et pourquoi lutter contre ces formes de maltraitance ?
- "Il y a deux actions qui commencent à payer. C'est, d'une part, le repérage très précoce des familles en difficulté, pour que la maltraitance n'arrive pas. Donc, le renforcement de la prévention précoce. Et nous allons le redire à ces états généraux. La nécessité de repérer les mamans fragiles, dès la grossesse ou dès la naissance, la nécessité d'encadrer les pré-adolescents de façon très précoce, si possible dans des internats scolaires de proximité, où les parents peuvent se regrouper. Je pense notamment aux mamans seules, qui peuvent constituer des réseaux de femmes autour de ces internats scolaires, parce qu'elles sont un peu débordées par les adolescents. Ce combat commence à être gagné, parce qu'il y a une politique de proximité et d'action qui se fait. Il y a un autre combat qui commence à être gagné, c'est la lutte contre les violences institutionnelles, par la levée de la loi du silence."
La maltraitance prend des formes souvent difficiles à déceler. Par exemple, ce qu'on citait dans le journal de 8h00 tout à l'heure, P. Roger en parlait : en Alsace, un couple vient d'être mis en examen et écroué, pour avoir laissé leur bébé de huit mois et demi mourir de faim. La mère était au chômage, le père vivait de petits boulots. Là, c'est la précarité qui explique ce drame...
- "C'est abominable. C'est une forme de précarité, d'abandon, de délaissement. Mais cela ne doit pas non plus empêcher de remettre en cause la responsabilité des parents."
Comment fait-on, dans ces cas-là, pour aider ces gens, qui sont dans cette situation ?
- "Il y a, à la fois, un travail de solidarité et de proximité. Comment se fait-il aussi que les voisins n'aient rien vu ? Peut-être ce couple vivait-il d'une façon totalement isolé ? Il y a une question d'immaturité de certains parents. Il y a des parents qui ont eu eux-mêmes des parents maltraitants et qui n'ont jamais appris à être parents. Donc, ils ne savent pas comment faire, ils n'ont pas eu cette transmission des gestes fondamentaux de la responsabilité adulte de l'amour parental. Il faut commencer très tôt : c'est dès l'école, dès le collège, dès le lycée aussi, qu'il faut éduquer les futurs adultes à la parentalité. Et puis renforcer tous les signaux de détresse qui peuvent apparaître."
Cela veut dire que protéger les enfants, c'est éduquer les parents ?
- "Exactement. On ne peut pas protéger les enfants, si on ne protège pas aussi le lien parents enfants et la famille. On sort de tout un système qui a protégé l'enfant contre les parents. Et aujourd'hui - cette mutation est aussi l'objectif des ces Etats généraux -, tout le monde prend maintenant bien conscience de cette nécessité, que c'est en épaulant les parents de façon très précoce, en les aidant, que nous pourrons aussi leur donner le droit d'assumer leur devoir de parents."
Mais quand on protégeait l'enfant contre les parents, on risquait de couper le lien familial ? Et après, quand il y avait retrouvailles, par exemple, lorsque l'enfant sortait d'un établissement où on l'avait placé pendant quelque temps ?
- "C'est cela, il y avait la rupture. On ne sauvait pas l'essentiel. Sauver l'essentiel, c'est sauver l'image symbolique de la famille, parce que cet enfant doit d'abord avoir l'estime de lui-même. Le secret intime de tout enfant est d'être aimé par ses parents. Il n'est jamais trop tard pour faire cela. Donc, même [avec] un enfant qui a été maltraité, il faut reconstruire ce lien affectif à tout prix, parce qu'un jour, cet enfant va devenir parent. Et si on ne veut plus ce qu'il se passe encore aujourd'hui, où 40 % des enfants qui relèvent de l'ASE - ce que l'on appelait autrefois la DDASS - sont issus de familles qui, elles-mêmes, ont eu affaire avec l'aide sociale à l'enfance. Si on veut briser ce cercle, il faut que, très tôt, les enfants aussi aient envie à leur tour de devenir parents. C'est une question politique éminente. Elle pose la question de savoir comment nous assumons notre responsabilité générationnelle, à l'égard de la génération qui suit pour que elle, ait à son tour envie de transmettre et de construire une famille durable."
La nouveauté de la démarche est peut-être aussi la prise en compte du père ? Car quand vous dites qu'il faut éduquer les parents, l'éducation commence très tôt et même pendant la grossesse. Là, c'est peut-être le père qu'il faut sensibiliser au fait qu'il va devenir père et qu'il se pose à lui-même la question de l'enfant ?
- "Absolument. D'ailleurs, plusieurs départements viendront témoigner tout à l'heure d'un travail exceptionnel qui sont faits auprès des tout jeunes parents, puisque l'Aide sociale à l'enfance relève des départements - et je les ai, bien sûr, étroitement associés à ces états généraux. Ils ont beaucoup à dire et à montrer. Et dans certains départements, il y a un travail qui est fait avec le père et avec la mère, avant même la naissance, pour les épauler, les aider, leur faire prendre conscience de leurs responsabilités. C'est aussi pour cela que le Gouvernement réforme le droit de la famille, l'autorité parentale, qui sera présentée au Sénat la semaine prochaine. Ceci, pour que les parents soient bien au clair avec leur responsabilité parentale, leur devoir de protéger et de respecter leur enfant. Nous allons créer la "reconnaissance solennelle prénatale." Puisqu'aujourd'hui, un premier enfant sur deux naît hors mariage, il n'y a donc plus ce rite de passage où les parents, à moment donné, prennent acte de leurs responsabilités et de la constitution de la famille. Je pense qu'il faut restaurer ces rites de passage. Ce sera l'objectif de la déclaration solennelle conjointe, par le père et par la mère, avant la naissance, devant l'officier d'état civil, où on leur relira leurs obligations parentales."
On voit bien que c'est une politique de proximité, même de capillarité. Vous êtes "à la peau" de la famille avec une telle démarche. Est-ce que cela fonctionne partout dans les régions ?
- "Cela commence à fonctionner partout. Ces états généraux ont été annoncés il y a un an. Cela fait quatre ans que ce Gouvernement se bat pour lutter contre toutes les formes de maltraitance. Pour moi, c'est la poursuite d'un engagement politique entamé à l'Education nationale, où je crois avoir fait énormément sur la lutte contre les maltraitances institutionnelles, la pédophilie, la petite violence au quotidien, celle qui méprise les enfants, les violences entre enfants. Aujourd'hui, nous passons vraiment à la vitesse supérieur, c'est-à-dire que nous engageons l'ensemble des départements à mettre en place partout les schémas départementaux de l'enfance, les conventions conjointes avec la justice. Et c'est aussi avec M. Lebranchu, ministre de la Justice, que j'organise ces Etats généraux pour que partout, les juges, les services sociaux, l'Education nationale travaillent ensemble, à la fois, à la prévention, aux signalement, à la sanction aussi et surtout à la réparation et à l'aide aux victimes."
Venons-en à des formes abominables - cela concerne des jeunes enfants et des adolescents aussi -, c'est tout ce qui est relatif à la sexualité. Je crois même que L. Jospin est décidé à aller assez loin sur ce point. Il y en a de plus en plus malheureusement. Avec la situation internationale que l'on connaît, des mouvements de populations, on voit maintenant des pauvres gosses entre 14 et 17, 18 ans qui font commerce de leur corps en ville, chez nous...
- "Il y a un vrai combat à mener. Le Premier ministre s'y engage personnellement, il est farouchement déterminé à faire en sorte, non seulement que ces problèmes d'enfants mineurs isolés, en France, qui sont pris en charge par des réseaux de prostitution..."
Ils sont plus nombreux qu'avant ?
- "Oui, je crois qu'ils sont plus nombreux, parce qu'on a le courage de regarder les choses en face - et ce Gouvernement a toujours eu le courage de regarder les problèmes pour pouvoir les traiter. Avant, c'était des choses, c'est vrai, qui étaient plus ou moins édulcorées..."
Taboues, on ne parlait pas des questions sexuelles...
- "Il y avait le tabou. Donc, d'une part, il faut lutter en France, c'est ce que le Premier ministre a décidé de faire. Nous allons très rapidement voter un dispositif pénal pour protéger et sanctionner les clients des prostitués mineurs jusqu'à l'âge de 18 ans, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui dans le Code pénal. Et surtout, la France va prendre une initiative au niveau européen, pour que dans le cadre du prochain Congrès mondial qui a lieu et auquel je serai, en décembre, à Yokohama, qui va mettre en place une série d'actions pour lutter contre l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales, la France puisse être leader dans cette lutte. C'est, à la fois, la lutte contre la prostitution, la lutte contre la pornographie, la lutte contre les réseaux sur Internet. Il y a donc un enjeu majeur. Je crois qu'une des conséquences de la mondialisation, qui fait que tout est commerce, y compris le corps des enfants, c'est quelque chose qui est absolument intolérable, inacceptable. Il y a là un combat humain à mener et que nous entendons mener avec beaucoup de force et de détermination."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 23 novembre 2001)