Déclaration de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur la mobilisation du ministère des affaires étrangères pour la préservation de l'environnement et l'action internationale en faveur de l'environnement dans le cadre de la régulation de la mondialisation, Paris le 30 novembre 2001.

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Circonstance : Organisation les 29 et 30 novembre au Centre de conférences internationales Kléber à Paris d'un séminaire de formation destiné aux agents chargés des questions d'environnement au sein du ministère des Affaires étrangères

Texte intégral

La préservation de l'environnement est vitale pour notre planète. Elle est donc logiquement une priorité de notre action diplomatique, tout particulièrement depuis le Sommet de la Terre à Rio, en 1992. Le rythme de notre action s'intensifie depuis lors, pour répondre aux préoccupations grandissantes qui découlent de la prise de conscience des effets du développement prédateur.
Pourtant, malgré de substantiels progrès, il faut bien reconnaître que les modalités de la protection de l'environnement ne fait pas encore consensus au niveau international. Des différences d'approche entre pays industrialisés. A cela s'ajoute un profond clivage avec les pays en voie de développement.
Pour toutes ces raisons, l'environnement constitue une préoccupation de politique étrangère à part entière. J'y associe Yves Cochet, mon collègue en charge de l'Environnement et de l'Aménagement du territoire, comme je l'ai fait depuis 1997 avec Dominique Voynet, à l'action de laquelle je veux rendre hommage.
Cette préoccupation est aussi celle des parlementaires et des autres acteurs non gouvernementaux dont je remercie certains représentants d'être avec nous aujourd'hui pour cet échange. Qu'il s'agisse des ONG, des entreprises ou des collectivités territoriales, je suis très attaché à ce que, dans le respect des compétences de chacun, ils soient informés, consultés, écoutés. C'est la condition de l'efficacité de notre action.
C'est pourquoi je me réjouis de l'occasion qui m'est donnée d'un échange avec vous et avec les correspondants environnement de nos Ambassades à travers le monde pour lesquels est organisé, pour la première fois, ce séminaire.
1) C'est au titre de son projet d'humanisation de la mondialisation et en pensant aux prochaines générations, que ce Gouvernement conduit une action internationale résolue en faveur de l'environnement.
Dès 1997, j'ai, avec Dominique Voynet, créé la fonction, nouvelle et interministérielle, d'ambassadeur pour l'Environnement. Il s'agit de renforcer la présence française dans les enceintes internationales chargées d'élaborer et de contrôler l'application du droit international de l'environnement ; mais aussi de renforcer la capacité d'analyse, de prospective, de réaction et de proposition de la France dans ce domaine. Yves Cochet et moi-même avons récemment choisi Bérengère Quincy pour succéder au premier titulaire de cette fonction, Philippe Zeller. Elle est désormais en fonctions.
J'ai également voulu que, dans son fonctionnement quotidien, le ministère des Affaires étrangères s'ouvre plus aux préoccupations liées à l'environnement. C'est en premier lieu la fonction de la nouvelle sous-direction exclusivement consacrée à l'environnement. Des spécialistes de la sécurité des transports maritimes ou encore de la sécurité des aliments sont venus renforcer les équipes du Quai d'Orsay. A cela s'ajoute un travail de coordination régulier sur les questions d'environnement, comme sur toutes celles qui touchent à la mondialisation, afin d'élaborer une vision globale de la régulation. Enfin, la tenue de ce premier séminaire des correspondants environnement des ambassades de France à l'étranger atteste, si cela était nécessaire, de la mobilisation de ce ministère autour de cet enjeu.
Le droit international de l'environnement a fait d'indéniables progrès depuis 1992. La conclusion du protocole de Montréal sur les échanges d'OGM, qui a consacré en la matière le principe de précaution, mais aussi les travaux concernant la biodiversité ou les forêts, en témoignent. Le renforcement de la sécurité maritime, pour lesquelles la France a beaucoup fait après la catastrophe de l'Erika, dont nous atteignons le second anniversaire, doit également être souligné.
Mais ce sont bien sûr les avancées de la négociation sur la lutte contre l'effet de serre qui ont légitimement retenu l'attention de l'opinion. Je me réjouis de l'issue favorable des négociations de Marrakech qui ouvrent la voie à l'entrée en vigueur du protocole de Kyoto. Quelle cause mérite plus que celle-ci notre mobilisation et celle de la planète toute entière ? Je déplore l'attitude des Etats-Unis. Je souhaite qu'ils rejoignent le plus vite possible l'accord international atteint sans eux à Bonn et à Marrakech. Il ne serait pas acceptable que des Etats qui ont fait part de leur accord se cachent derrière les Etats-Unis pour empêcher l'entrée en vigueur du protocole. La France et l'ensemble de l'Union européenne doivent quant à elles sans attendre amplifier les mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. L'Europe n'est qu'à mi-chemin de ses engagements de Kyoto. Je me réjouis qu'en application de l'accord de Marrakech, les technologies nucléaires soient reconnues comme pouvant contribuer à la lutte contre l'effet de serre.
De ce point de vue, il faut saluer le premier pas positif que constitue l'inclusion à Doha, dans le prochain cycle de négociations commerciales multilatérales à l'OMC, des préoccupations environnementales. Mais, ce n'est que le début d'un processus. Les pays en développement, mais aussi les Etats-Unis, ont veillé à introduire dans les formules de Doha l'expression de leurs réticences, y compris en ce qui concerne le principe de précaution. Mais, pour la première fois, à l'insistance des Européens et plus particulièrement de la France, le renforcement des règles en matière d'environnement fait partie, comme l'ouverture des marchés, de l'engagement unique sans lequel il n'y aura pas, en 2005, d'accord sur le cycle. Le levier existe, pour peu qu'on sache l'utiliser, à travers l'articulation entre les règles de l'OMC et les accords environnementaux. Je souhaite que nous y travaillions tous ensemble, Etat, parlementaires et acteurs non gouvernementaux, sans tarder.
2) C'est à partir de ces acquis que doivent être abordées les toutes prochaines échéances environnementales et notamment le Sommet du développement durable de Johannesburg en septembre 2002. Sous la responsabilité du Premier ministre, trois comités seront chargés de préparer cette échéance pour la France. L'Ambassadrice pour l'environnement aura la charge de la coordination de la préparation du volet externe de cette conférence. Je souhaite que ce Sommet, après Doha et la Conférence sur le financement du développement qui se tiendra au Mexique en mars 2002, contribue à une meilleure prise en compte des préoccupations que provoque la mondialisation, en particulier dans le domaine de l'environnement.
Ne nous voilons pas la face : cet objectif ne sera pas aisé à atteindre. L'état du monde ne porte pas naturellement à l'optimisme s'agissant de la régulation de la mondialisation et tout particulièrement de l'environnement. Même si le résultat positif de Doha constitue un encouragement, le souvenir reste vif des clivages de Seattle ou de Durban.
Je veux aujourd'hui vous proposer les éléments d'une méthode, plus que des solutions toutes faites. Les progrès de la régulation internationale, en environnement comme ailleurs, ne seront réels que si nous savons dépasser le stade des incantations pour aborder celui de l'analyse des obstacles qui nous font face, pour mieux les surmonter. C'est le travail auquel je m'attelle.
C'est d'abord le cas des pays en développement, qui perçoivent l'environnement comme une atteinte à la valorisation de leurs avantages comparatifs. Ces réticences sont marquées sur tous les dossiers, y compris lorsqu'il s'agit d'avancer vers la création d'une Organisation mondiale de l'Environnement, comme la France en a fait a plusieurs reprises la proposition.
Pour cela, je suggère que nous approfondissions l'approche définie au Sommet de Rio et qui inspire le protocole de Kyoto, celle de la responsabilité commune et différenciée :
- commune face à des défis globaux ;
- différenciée en organisant les transitions pour les pays en développement ;
- la mise à niveau des pays en développement doit être favorisée par des transferts de technologies et financiers.
Mais cette analyse des obstacles à la régulation doit également concerner nos partenaires des pays développés. La question se pose surtout pour nos partenaires américains. Il demeure de toute évidence des différences culturelles d'approche avec les Etats-Unis sur la mondialisation et tout particulièrement sur l'environnement. Il est clair que l'opinion américaine a du mal à modifier ses comportements, par exemple dans le domaine énergétique. Les Etats-Unis répugnent, dans ce domaine comme dans d'autres, à contracter de nouveaux engagements multilatéraux. Il nous faut mieux comprendre les attitudes américaines, mieux connaître les différents acteurs, accepter de prendre en compte certaines de leurs approches, sans céder sur l'essentiel. Je voudrais en prendre deux illustrations :
- la première concerne le rapport au risque et à la précaution. Nous devons donc encore progresser vers la reconnaissance dans les enceintes internationales du principe de précaution. Mais, cela ne doit pas conclure à un nouvel obscurantisme. Le progrès scientifique, dans le cadre démocratique et de transparence qui prévaut en France, ne peut être l'ennemi de l'environnement. Ce sera un atout dans les négociations internationales ;
- la seconde illustration concerne la bonne articulation, pour préserver l'environnement, entre le fonctionnement du marché et la mise en place de règles contraignantes. La dérégulation sans frein est l'ennemie de l'environnement. La préservation de l'environnement rend pleinement légitime l'intervention des pouvoirs publics, au niveau national comme européen ou multilatéral. Mais cette intervention de l'Etat n'est en rien exclusive du fonctionnement de certains mécanismes de marché. Je pense tout particulièrement à la mise en place d'un marché des droits d'émission en appoint des politiques publiques, pour lutter contre l'effet de serre.
Nous pouvons, pour mieux préserver l'environnement, nous appuyer sur l'espace européen. La négociation du protocole de Kyoto en porte témoignage. La cohésion européenne sur ces questions, comme sur toutes celles qui concernent la régulation de la mondialisation, doit être sans cesse renforcée. Car tous les Européens n'adoptent pas comme par enchantement la même vision que la nôtre. De ce point de vue, la mise en place d'un groupe franco-allemand sur la mondialisation qui a commencé à travailler, entre autres sur l'environnement, doit renforcer cette compréhension mutuelle, s'agissant de la France et de l'Allemagne.
L'action internationale en faveur de la préservation de l'environnement appelle, comme tout ce qui touche à la régulation de la mondialisation, force de conviction, détermination dans la poursuite des objectifs. Le monde n'est pas naturellement acquis à notre vision des choses. C'est pourquoi le ministère des Affaires étrangères, et tout particulièrement les correspondants environnement dans les ambassades de France, ont un rôle éminent à jouer : identifier, sans complaisance et sans aveuglement, les obstacles qui se dressent devant nous, pour mieux les surmonter et contribuer à forger une volonté commune de préserver l'environnement mondial.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 décembre 2001)