Texte intégral
Monsieur le Président,
Madame le Rapporteur,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Nous allons, à une heure fort avancée de la nuit, traiter de chasse de nuit, puisque c'est l'un des deux sujets évoqués par la proposition de loi qui vient en discussion.
Vous cherchez avec celle-ci à répondre à la situation créée par deux décisions rendues récemment, l'une par le Conseil d'Etat l'autre par la Cour européenne des Droits de l'Homme.
Je ne conteste pas la nécessité de régler ces problèmes mais il me semble que la méthode que vous proposez ne permettra pas de le faire de façon durable comme j'aurai l'occasion de l'exposer ultérieurement.
Le premier article de la proposition de loi traite de la chasse de nuit et vise à la légaliser. L'interdiction de cette pratique est fort ancienne et prend racine dans la Grande Ordonnance des Eaux et Forêts de 1669. Elle a été reprise dans la loi du 3 mai 1844 sur la police de la chasse puis dans le Code rural. C'est donc une vieille tradition française issue de la Monarchie et reprise dans le droit républicain. En annulant la circulaire de l'Office national de la Chasse du 31 juillet 1996, le Conseil d'Etat n'a fait que rappeler cette évidence.
Je m'étonne donc que certains des membres de votre assemblée qui affichent, par ailleurs, un profond attachement aux traditions soient subitement enclins à jeter aux orties l'une d'entre elles ancrée depuis plus de trois siècles. Je constate d'ailleurs que le président de Chasse, pêche, nature et traditions (CPNT) qui vient d'être élu au Parlement européen tient la proposition de loi qui est aujourd'hui discutée pour "un scandale" et les parlementaires qui l'ont proposés comme se "moquant des électeurs".
Pour justifier une telle légalisation de la chasse de nuit, les auteurs de cette proposition de loi arguent du fait que divers pays de l'Union européenne pratiqueraient cette chasse. Une analyse de la situation dans les pays mentionnés à l'appui de leur thèse montre que la réalité est toute autre.
Autriche.
La chasse de nuit est interdite. Cependant dans certaines provinces comme le Burgenland et le Niederösterreich le gibier d'eau peut être tiré de 60 à 90 minutes après le coucher et avant le lever du soleil.
Belgique.
La chasse de nuit est interdite dans les trois régions. Le tir des Oies bernaches et du Canard colvert est autorisé 60 minutes après le coucher et avant le lever du soleil en Flandre. Le tir du Canard colvert l'est également en Wallonie pendant 30 minutes après le coucher et avant le lever du soleil pour peu qu'une lettre recommandée ait été adressée préalablement au responsable cynégétique administratif du territoire concerné.
Espagne
La chasse de nuit est interdite. La législation nationale permet aux provinces d'autoriser la chasse aux oiseaux d'eau au maximum 1 heure après le coucher du soleil ou avant son lever. Il y a deux exceptions. La chasse au gibier d'eau est autorisée les nuits de pleine lune, 2 jours par mois dans le delta de l'Ebre et 7 jours par mois dans l'Albufera.
Finlande
La chasse de nuit n'est pas formellement interdite mais elle ne se pratique pas. De plus, la loi sur la chasse exige l'identification préalable du gibier, ce qui n'est pas possible de nuit.
Irlande
La chasse de nuit est interdite. Quelques gibiers d'eau peuvent être tirés 60 minutes après le coucher et avant le lever du soleil.
Royaume Uni
La chasse de nuit n'est pas formellement interdite car elle ne se pratique pas. En revanche, l'usage des appelants de toutes sortes est prohibé.
La chasse de nuit est donc en principe interdite dans la plupart des pays de l'Union européenne et cette interdiction ne connaît que des exceptions limitées qui ne vont jamais aussi loin que ce que prévoit la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui
Il convient d'examiner quels sont les modes de chasse concernés en France pour la chasse au gibier d'eau
À la passée
Elle peut intéresser le plus grand nombre de chasseurs de gibier d'eau sur certains territoires. Elle concerne essentiellement la chasse aux canards lorsque ceux-ci rejoignent, à la tombée de la nuit, leurs lieux de gagnage (nourrissage) et le matin, lorsqu'ils en reviennent
Mais elle peut également concerner outre les " becs plats " des sauvaginiers, les oies, les foulques et plus rarement les limicoles.
Ce type de chasse ne se pratique évidemment pas la nuit mais uniquement au crépuscule et à l'aube
À l'affût
C'est une chasse similaire à la précédente, mais alors que la chasse à la passée est une chasse passive, basée sur le hasard. La chasse à l'affût, recourt, elle, aux artifices que sont les appeaux, appelants et sifflets
Au trou ou à la cache
Elle vise essentiellement la chasse des limicoles. Le chasseur, après avoir choisi un endroit favorable creuse une dépression et bâtît un rempart avec du sable et des débris véhiculés par la mer ou creuse un trou plus profond pour se dissimuler. Elle recouvre les chasses aux hutteaux dont je vous parlerai dans quelques instants
La battue
Elle n'est pratiquée que pour les foulques et quelquefois le colvert. C'est un mode de chasse diurne
Le rabat
Pratiquée pour les bécassines, les vanneaux et les pluviers, c'est aussi un mode de chasse diurne
À la botte, à l'approche ou devant soi
C'est une chasse particulièrement prisée pour les limicoles et les canards. C'est une chasse à la découverte effectuée en longeant les vasières, le littoral ou dans les marais de l'intérieur. Elle est exclusivement diurne.
Au hutteau
Ce type de chasse recouvre une grande variété d'installations fixes, mais rarement permanentes.
Afin de simplifier, je regrouperai sous ce terme les hutteaux "debout" et les hutteaux "assis". Ils sont également appelées "tente", "guette" (sur l'île de Ré), "pioutade" (dans le midi), "bosse" (en Brière), "agachon" (en Camargue), "parge" ou "caisse" ailleurs. Cette variété, Madame, valide tout à fait vos remarques sur la diversité des traditions.
Ces installations consistent, notamment, en une caisse verticale enterrée ou bien un petit édifice en planches dissimulé par des buttes de terre, de vase ou de végétaux, un tonneau enfoncé dans le sol, une tente d'affût spécialement construite pour la chasse, un simple filet de camouflage ou une toile tendue entre quatre piquets. Leur hauteur est celle qui permet la dissimulation du corps d'un homme assis. L'installation doit avoir quatre côtés et comporter des meurtrières. L'emplacement du hutteau est primordial, mais quelquefois, le gibier est attiré par des appelants, des formes, des appeaux ou tout simplement par le chasseur qui imite le cri ou le sifflement de l'oiseau. C'est un mode de chasse diurne, mais ces installations peuvent être utilisées pour la chasse à la passée.
À la toile ou hutteau couché
Le chasseur est couché dans un trou qu'il a creusé et qui est recouvert d'une toile. Le fond du trou est recouvert de paille. La "calorge" (en Vendée), qui est un tuyau enterré dans lequel se glisse le chasseur peut être rattachée à ce type de chasse qui est également une chasse diurne. Contrairement à la réglementation sur le domaine public maritime, ce dispositif est utilisé pour la chasse de nuit.
Au cercueil
C'est un hutteau mobile; Le chasseur est couché dans une boite en bois étanche (en contreplaqué marine) recouverte aujourd'hui de fibre de carbone, matériau à l'évidence " traditionnel " Cette boîte, qui a la forme d'un cercueil, est transportée sur la vasière à l'endroit propice, grâce à deux roues légères, le plus près possible du flot, mais pas trop. Ce cercueil est alors semi-enterré. Il peut contenir une ou deux personnes. Certains, au mépris de la tradition, y incorporent un chauffage à la tête et aux pieds. Différents autres types de hutteaux mobiles sont utilisés. Ils sont utilisés pour la chasse diurne, mais aussi, contrairement à la réglementation sur le domaine public maritime, pour la chasse de nuit.
À la hutte ou gabion
Il s'agit d'installations fixes et permanentes. Ce sont des abris généralement souterrains utilisés pour la chasse de nuit. Ils sont plus ou moins sophistiqués et peuvent comporter des coins cuisine, des couchettes, un chauffage, un réfrigérateur, etc. Ils peuvent comporter plusieurs étages (notamment pour parer aux problèmes d'inondation), être montées sur pilotis ou être flottants.
À la tonne
C'est le gabion du sud-ouest. Cette installation doit son nom à l'utilisation des grandes futailles du bordelais qui sont utilisées pour servir d'affût. Les tonnes sont également utilisées pour la chasse de nuit.
Au cheval
En fait, il s'agit d'une jument, car comme vous le savez, les femelles sont plus calmes et raisonnées que les mâles. Le gibier, familiarisé avec le bétail, ne porte pas attention à une jument qui se déplace. Il suffit donc au chasseur de se dissimuler derrière l'animal spécialement dressé pour pouvoir approcher le gibier. Cette chasse diurne est encore pratiquée dans les barthes de l'Adour.
Le malonage
Dans certaines régions, les sauvaginiers utilisent, en complément de leurs appelants, un canard dressé, totalement libre de ses mouvements qui est lâché au moment propice pour ramener ses congénères sauvages à portée de fusil. Ce canard s'appelle le malon dans les pays de Loire ou, dans le midi, le verdaou.
Le badinage
Pour attirer les canards certains utilisent un chien de couleur rousse ressemblant à un canard, qu'ils laissent divaguer. Les canards sauvages curieux, excités finissent par se rapprocher du chasseur.
La chasse en bateau plat
On utilise des bateaux bas sur l'eau (pour passer inaperçu), d'un faible tirant d'eau. Ils sont mus à la rame pour se déplacer sans bruit. Le plus connu est le punt, mais il existe de nombreux autres types selon les régions : le négachien, le nageret, la rabalade, le négafol ou noie-chiens. C'est un moyen d'approche des canards utilisé de jour
La clavée
C'est une sorte de battue diurne organisée par 20 ou 30 chasseurs dont les barques, disposées en fer à cheval poussent des foulques vers des baies où les attendent des chasseurs postés.
La billebaude en barque
Un chien explore les berges d'une rivière, alors que son maître est sur une barque. Le chien a deux fonctions : lever le gibier et le ramener. C'est un mode de chasse diurne et qui se pratique essentiellement lors des crues, en particulier près de chez moi, dans le Doubs.
Au pédalo
L'utilisation de cet engin permet d'approcher les oiseaux. Le chasseur, en acte de chasse, est couché sur le dos et non sur le ventre comme dans le punt C'est une chasse pratiquée le jour dans le bassin d'Arcachon.
La dérive au canot
Le chasseur utilise un petit canot qu'il laisse dériver dans les chenaux à marée montante. Cela permet d'approcher les canards et les limicoles qui stationnent le long des rives. C'est une chasse diurne.
La barque-hutte
Le chasseur plante des piquets entre lesquels il place une embarcation. Il se couche dans cette barque recouverte d'une toile de camouflage. C'est une chasse diurne que l'on pratique dans le centre de la France notamment en Brenne.
À la perche
Il s'agit d'une chasse diurne pratiquée dans les marais à roselières. Deux ou trois chasseurs sont dans une barque. L'un d'eux, placé à l'arrière, manie une longue perche que l'on appelle quelquefois bourde sur certains rivages de la Loire. Cette perche permet de faire progresser l'embarcation en silence. C'est un mode de chasse utilisé pour canards, oies et limicoles notamment lorsque le temps est brumeux.
Cet exposé vous a peut-être paru long, mais il me semblait indispensable que votre assemblée ait une vue la plus large et la plus juste possible de la diversité des modes de chasse au gibier d'eau dans notre pays. J'en ai probablement oublié quelques-uns. C'est avec plaisir que je recevrais de votre part des informations complémentaires.
Je suis certaine que vous admirez l'ingéniosité des chasseurs qui ont développé au cours des siècles de telles méthodes. Vous partagerez mon souhait de tout faire pour que cette diversité soit préservée. Il doit cependant rester à l'esprit de chacun que le maintien de ces traditions n'est possible qu'à une seule condition: qu'il reste du gibier! Ceci dépend du maintien de milieux naturels de qualité et de prélèvements raisonnables, qui ne mettent pas en danger la pérennité des espèces.
Un autre intérêt de cette présentation est de vous montrer que la plupart des modes de chasse au gibier d'eau se pratiquent le jour, au crépuscule ou à l'aube. La chasse de nuit ne représente qu'une très faible part de la chasse au gibier d'eau.
L'historique de la chasse au gibier d'eau en France et sa situation de nos jours
L'ordonnance de Colbert qui institue, en 1682, les inscrits maritimes leur donne l'autorisation de chasser sur le domaine public maritime. C'est ainsi que va naître la chasse populaire au gibier d'eau. Elle se pratiquait alors essentiellement en hiver, lorsque la pêche n'était pas possible. C'était une source importante de nourriture durant cette saison. La chasse était à cette époque une activité de subsistance.
Pour chasser, les inscrits maritimes utilisaient leurs filets de pêche qu'ils tendaient le long du littoral à marée basse et les oiseaux se prenaient en suivant la marée montante. Cette chasse avait lieu la nuit et certains récits font état de captures très importantes déjà parfois jugées excessives. Il convient de rappeler qu'à cette époque les milieux naturels étaient de meilleure qualité et abritaient une faune plus abondante et diversifiée qu'aujourd'hui.
La Révolution française autorisera brièvement tous les Français à chasser toutes les espèces, donc le gibier d'eau, en tout temps. L'anarchie cynégétique qui se développe alors conduit l'Assemblée nationale à voter une loi sur la chasse le 30 avril 1790. Elle donne par son article 13 à "tout propriétaire ou possesseur la faculté de chasser ou faire chasser, en tout temps, sur ses lacs et étangs".
En 1844, le parlement français discute d'un projet de loi, qui deviendra la base de notre code rural.
Cette loi interdit la chasse de nuit, j'y reviendrai dans quelques instants.
La chasse à la hutte, à la tonne ou au gabion remonte, semble-t-il, au milieu du XIXe siècle dans quelques rares zones côtières. Elle était circonscrite au littoral picard et bas normand, au bassin d'Arcachon et à l'estuaire de la Gironde.
Une grande figure de la chasse au gibier d'eau, le Comte de Valicour, qui disait disposer de preuves nombreuses de l'ancienneté de ce type de chasse n'a cependant jamais rien écrit de substantiel sur ce sujet. Curieusement ses successeurs n'ont pas, non plus, cherché à attester l'ancrage ancien de ces pratiques qui reste encore donc bien mystérieux.
Un fait est certain, jusqu'au lendemain de la seconde guerre mondiale le phénomène reste très limité. Il commence à se développer, avec notamment l'accroissement de l'utilisation de l'automobile.
Ainsi lorsque que l'on examine les photographies aériennes de la baie de Somme, que je tiens à votre disposition, le nombre de huttes entre 1939 et maintenant reste stable sur la petite molière du sud. Par contre, sur celle de l'embouchure, il n'y a pas une seule hutte en 1939, il y en a une vingtaine en 1961 et près d'une centaine en 1997.
Dans le Pas-de-Calais, le nombre de huttes sur le domaine public maritime a été multiplié par quatre entre 1961 et 1994 à Oye-Plage (de 8 à 33) et par deux (de 38 à 74 ) à Marck.
Jusqu'aux années 1980, la chasse à la hutte n'était pratiquée que dans une quinzaine de départements.
Une nouvelle accélération du développement des huttes est apparue au cours des dix dernières années. Dans un marais de l'ouest de la France, un recensement effectué en 1970 n'indique aucune hutte. En 1985, il y en avait 45 et aujourd'hui, il y a entre 100 et 150 huttes. Ce phénomène est observé dans la plupart des zones de marais en France.
Dans de nombreux départements de l'intérieur, la chasse à la hutte apparaît avec la fin d'exploitation des gravières. Bien qu'illégale, elle bénéficie d'une certaine passivité des pouvoirs publics qui ont laissé s'installer et se développer rapidement cette pratique.
Où est la tradition dans tout cela ?
On assiste au déroulement d'un phénomène classique d'extension d'un mode de chasse très limité au départ et dont l'impact est faible du fait de sa rareté. Il s'étend sous la couverture d'une "tradition " pour atteindre un niveau inquiétant.
Et puis, la tradition ne justifie pas tout. De nombreuses chasses vraiment traditionnelles ont été interdites, à la demande des chasseurs eux-mêmes parce qu'elles avaient des effets dévastateurs. Je pense à la chasse aux alouettes au miroir, à la chasse à la bécasse à la croûle. Et il y en a bien d'autres.
Avant d'autoriser ou de maintenir tel ou tel mode de chasse, il faut se demander s'il est acceptable au regard de la protection des espèces, s'il est compatible avec l'évolution des milieux.
Je crains, qu'au-delà de la tradition, l'on ne défende en réalité des intérêts particuliers. Dans les zones de chasse vraiment traditionnelle, chaque chasseur avait sa hutte ou son gabion qu'il partageait avec ses amis. Mais après guerre s'est développée la location des installations qui sont ainsi devenues des canes aux ufs d'or. C'est un aspect sur lequel l'on est resté toujours très discret. Il explique peut-être la vigueur des réactions lorsqu'il s'agit de vouloir réglementer en la matière.
Une "nuit" pour toute la saison se loue entre cinq et dix mille francs sur les huttes de l'arrière-littoral du Pas-de-Calais. Les " bonnes " huttes sur le littoral de ce même département se louent jusqu'à 2 000 Francs pour une seule nuit. Dans l'Ouest de la France, certains considèrent qu'une hutte rapporte plus qu'une vache!
Certains chasseurs s'opposent d'ailleurs à la chasse de nuit.
Monsieur J.-R. B. de la Somme m'a écrit le 7 juin dernier : " Je suis chasseur et socialiste. Cependant, je n'apprécie guère la chasse à la hutte. En effet, j'estime que les oiseaux viennent se reposer la nuit. De ce fait, il est un peu cruel de tirer sur du gibier au repos. C'est mon point de vue et je conçois que l'on ne soit pas d'accord avec moi. Ce que j'ai le plus apprécié, à la hutte, c'est son repas convivial et ses discussions, la nuit, à refaire le monde. "
La situation sur le domaine public maritime.
Les huttes et gabions ont été installés, à l'origine, surtout sur le domaine public maritime. Sur ce territoire, la plus parfaite liberté en matière cynégétique a existé pendant des siècles. Les inscrits maritimes n'avaient pas besoin de permis de chasser. Le statut des installations était indéterminé. C'est la raison pour laquelle le législateur a finalement adopté une loi en 1968 pour réglementer la chasse sur le domaine public maritime. Cette loi permet essentiellement l'application du code rural sur le domaine public maritime. Elle a donné lieu à un décret créant les associations de chasse maritime et établissant le premier réseau de réserves de chasse sur le littoral.
Il en résulte, entre autres, un cahier des charges pour la location par l'Etat du droit de chasse sur le domaine public maritime. Il détermine notamment des conditions particulières pour les huttes et les gabions.
J'ai noté avec surprise que ce cahier des charges comporte une clause relative aux hutteaux mobiles. En 1978, cette clause était ainsi rédigée: "L'affût à partir de hutteaux peut se pratiquer de la passée du matin à la passée du soir". En clair, le cahier des charges interdisait donc la chasse de nuit au hutteau.
Mais, en 1996, cette clause a été remplacée par "les conditions d'exercice de la chasse à l'affût, à partir de hutteaux mobiles, seront précisées par le cahier des clauses particulières ". Cette clause permettait donc, subrepticement, d'autoriser la chasse de nuit au hutteau.
La loi du 3 mai 1844
Cette loi qui interdit la chasse de nuit est toujours en vigueur aujourd'hui.
La consultation des débats qui ont précédé et accompagné le vote de cette loi est passionnante.
La chambre des députés, comme la chambre des pairs, ont considéré qu'il existait deux types de gibier pour lesquels il est difficile de légiférer au niveau national. Ce sont le gibier d'eau et le gibier de passage (en fait le gibier migrateur). Ils ont donc décidé que la réglementation de ces chasses serait établie par les préfets. Pour mémoire, je vous rappelle que le pouvoir de réglementer ces chasses a été transféré au Ministre chargé de la chasse par une ordonnance de 1941.
Les parlementaires ont cependant décidé d'établir un cadre minimal. C'est dans ce cadre que figure l'interdiction de la chasse de nuit.
Le gouvernement avait proposé qu'un règlement d'administration publique détermine dans quels cas et sous quelles conditions la chasse serait permise de nuit. La chambre des pairs, vos prédécesseurs en quelque sorte, s'est montré plus exigeante et décida que la chasse ne pouvait jamais être permise la nuit.
Ultérieurement la chambre des députés décida que la chasse ne pouvait être pratiquée que le jour.
Il est intéressant de constater que plusieurs interventions traitent de la chasse à l'affût lors de la passée. L'assemblée des pairs, comme la chambre des députés reconnurent que la chasse à la passée était licite dans la mesure où elle se pratiquait avant la nuit.
À l'interpellation du Marquis de Boissy, le rapporteur de la loi à la chambre des pairs répondait :
" La Commission a entendu prohiber d'une manière absolue la chasse pendant la nuit ; mais elle a compris que très souvent la chasse à l'affût avait lieu dans un temps très rapproché de la nuit soit le matin, soit le soir, mais qui n'est pas la nuit. Vouloir aller plus loin et définir ce qu'est la nuit a paru impossible à la commission. Elle a cru qu'il fallait, en posant le principe de l'interdiction de la chasse pendant la nuit, laisser les appréciations de fait aux tribunaux, c'est ce qui se pratique dans toutes les matières de fait et notamment dans tous les cas où la circonstance de nuit est considérée comme aggravante. "
La comparaison entre le rapport de votre commission et celui du rapporteur de la loi de 1844 me laisse penser qu'on reprend, aujourd'hui, le même débat qu'il y a 155 ans.
Votre rapporteur indique que les travaux préparatoires de la loi de 1844 montrent clairement que le législateur était favorable à l'autorisation de certaines chasses de nuit pratiquées dans plusieurs départements. Nous n'avons pas la même lecture.
L'un des arguments avancé est que la loi de 1844 prévoit que "les préfets des départements, sur avis des conseils généraux, prendront des arrêtés pour déterminer:
-l'époque de la chasse des oiseaux de passage
-le temps pendant lequel il sera permis de chasser le gibier d'eau dans les marais, sur les étangs, les fleuves et rivières "
Si les juristes avaient considéré qu'un arrêté préfectoral pouvait autoriser la chasse de nuit à la hutte, cela aurait été fait depuis longtemps !
La raison est simple, il est clair à la lecture des débats que le législateur a utilisé le mot "temps " à la place du mot "période " pour éviter la répétition du mot qui figure à l'alinéa précédent.
Tous les traités de droit de la chasse indiquent que la chasse de nuit est interdite mais que dans certains départements, elle bénéficie d'une tolérance (!).
La lecture du projet alors présenté par le gouvernement conforte cette analyse. Ce projet comportait un paragraphe prévoyant que des ordonnances royales détermineraient les conditions pour la chasse de nuit (disposition repoussée par les deux chambres) et un deuxième paragraphe qui prévoyait que des ordonnances royales détermineraient "également " le temps où la chasse au gibier d'eau est permise. Enfin les déclarations des députés et des pairs sont sans ambiguïté sur la volonté d'une interdiction de la chasse de nuit.
Je vous lis un extrait du rapport de l'une des Commissions du parlement d'alors
"La loi de 1790 donnait à tout propriétaire ou possesseur la faculté de chasser, en toute saison, sur ses lacs et étangs. La loi nouvelle ne lui permet cette chasse que pendant le temps qui sera déterminé par le préfet ". Il est donc sans ambiguïté que le mot "temps" est employé avec le sens de "saison".
Enfin, l'analyse juridique du texte démontre que si le préfet pouvait prendre un arrêté déterminant les heures où la chasse est autorisée, la période définie ne pouvait en aucun cas comprendre la nuit.
Depuis ces débats aucun texte n'a jamais mentionné la chasse de nuit en tant que telle. Mais, et cela n'est pas l'un des moindres paradoxes de la réglementation cynégétique, certaines dispositions permettent la chasse à la hutte, à la tonne ou au gabion dont on sait qu'elle doit être nocturne pour garantir de beaux tableaux de chasse.
Les circulaires ministérielles et de l'Office national de la chasse
Depuis des lustres, le Ministre chargé de la chasse, le Conseil supérieur de la chasse puis l'Office national de la chasse ont publié des circulaires concernant la chasse de nuit. Je me limiterai à un passé récent car il se fait tard et je souhaiterais finir avant la passée du matin.
Le 7 juillet 1977, la Direction de la protection de la nature du Ministère de la culture et de l'environnement demandait à l'Office national de la Chasse de ne pas verbaliser les chasseurs qui pratiquaient leur activité à la passée dans les deux heures avant le lever du soleil ou les deux heures après son coucher pour la chasse à la botte ou dans les hutteaux mobiles.
Cette instruction s'appliquait aux actes de chasse à partir des tonnes, huttes ou gabions lorsque l'emploi de ceux-ci était constant dans une région et faisait partie des usages locaux.
Le 27 avril 1982 une nouvelle lettre de la Direction de la protection de la nature, à l'Office national de la Chasse constatant les difficultés d'application de la précédente circulaire, demandait à ce que "soit rappelé aux gardes qu'il leur appartient, comme le veut la loi, d'apprécier le moment où la nuit est faite selon les circonstances et de consigner dans leurs procès-verbaux les éléments d'appréciation correspondants à l'attention du juge"
Cette lettre indiquait également que la chasse de nuit à la hutte n'était tolérée que dans 16 départements côtiers en vertu d'anciens usages et qu'il n'était donc pas possible d'étendre cette tolérance à quelqu'autre département que ce soit, notamment de l'intérieur des terres.
Le 26 avril 1986, le Directeur de l'Office national de la chasse rappelait la circulaire de 1977 et donnait une liste des départements où la chasse à la hutte et au gabion est constante et fait partie des usages locaux. Cette liste comportait 42 départements (dont certains de haute montagne).
Je n'ai pas encore compris comment on était passé de 16 départements à 42 entre 1982 et 1986 et personne n'a pu m'expliquer cette explosion subite de traditions ancestrales de chasse nocturne au gibier d'eau. Il est vrai qu'à cette époque, le président de l'Office national de la chasse était également président de l'Association nationale des chasseurs de gibier d'eau, mais il me paraît absolument invraisemblable qu'il y ait une corrélation.
Enfin, le 31 juillet 1996, le directeur de l'office national de la chasse diffusait une circulaire reprenant des éléments similaires à ceux contenus dans les précédentes circulaires.
La décision du Conseil d'Etat.
Dans son arrêt du 7 avril 1999, le Conseil d'Etat a statué sur un recours déposé, je tiens à le rappeler, le 21 janvier 1997, soit bien avant mon arrivée. Il a constaté que le code rural était sans ambiguïté: la chasse de nuit est interdite par l'Article L 228-5 du code rural et " qu'en prescrivant aux agents de l'Office national de la chasse de ne relever les infractions que dans la période en deçà des deux heures avant le lever du soleil et au delà des deux heures après le coucher du soleil (heure légale), l'instruction méconnaît l'interdiction légale de la chasse de nuit ". Il a en conséquence annulé ces dispositions dans la circulaire.
Les commentaires de cet arrêt par "La Sauvagine" du mois de juin 1999, bulletin de l'Association nationale des chasseurs de gibier d'eau sont éloquents. Le rédacteur en chef écrit en effet :
" La chasse à la passée est dorénavant interdite ?
Faux ! ce qui est interdit c'est la chasse à la passée dès l'instant qu'il fait nuit. Problème : la définition du jour et de la nuit est à la libre appréciation des agents verbalisateurs et des juges.
Par temps couvert, il fait nuit parfois 30 minutes après le coucher du soleil. Par temps clair, on distingue déjà très bien une heure avant le lever.
La chasse de nuit à la hutte est interdite ?
Vrai ! Elle est interdite par le code rural et le Conseil d'Etat ne pouvait donc pas dire autre chose ! La chasse de nuit est seulement une tolérance qui, jusqu'à ce jour, permettait de chasser de nuit dans 42 départements."
Les problèmes posés par la chasse de nuit
La passée
Peu de personnes conteste ce mode de chasse et ce n'est pas l'intention du gouvernement de la remettre en cause. Reste à déterminer à partir de quelle heure et jusqu'à quelle heure elle peut se pratiquer.
En 1844, un long débat a eu lieu sur ce sujet, aussi bien à l'assemblée qu'à la chambre des pairs. Devant la difficulté de déterminer ce qu'était un acte de chasse de nuit, il avait été décidé de s'en remettre aux juges. La jurisprudence s'est établie petit à petit et comme le rappelle justement votre rapporteur, il est actuellement considéré que "la nuit doit s'entendre du temps quotidien pendant lequel la clarté est insuffisante pour permettre de distinguer la forme et la couleur des objets "
Je ne suis pas persuadée qu'il soit nécessaire d'établir une norme à ce sujet et la décision prise par vos prédécesseurs me semble être la meilleure.
Comme je vous l'ai montré au début de mon intervention, les pays européens autorisent la chasse à la passée pour une période qui varie de 30 minutes à une heure et demie après le coucher du soleil et une période identique avant le lever du soleil.
Des travaux scientifiques ont mis en évidence qu'une pression de chasse forte décale les horaires des vols crépusculaires des canards vers des heures aussi obscures que possible.
Des chasseurs interprètent ce décalage des horaires de vol des canards vers des heures plus obscures comme une capacité d'adaptation des oiseaux aux pressions de dérangement qu'ils subissent. Ils ont raison. Mais le coût de cette adaptation est une moindre capacité des oiseaux à stocker l'énergie nécessaire à la poursuite de leur cycle annuel, l'effet ultime portant sur le succès de la reproduction.
Le chasseur d'aujourd'hui, soucieux de la pérennité du gibier, doit se limiter et la limite d'une heure après et une heure avant le lever du soleil est un bon compromis.
Je pense donc qu'il est raisonnable, comme c'est actuellement le cas dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, de n'autoriser la chasse au crépuscule et à l'aube qu'une heure après et avant et le coucher et le lever du soleil.
La chasse de nuit
La situation est différente. Cette chasse est interdite depuis 1669 dans les bois et forêts et, de façon indiscutable, partout depuis 1844.
J'ai été surprise de l'apprendre. J'ai cherché à comprendre pourquoi, depuis plus de 150 ans, alors que le parlement a adopté un nombre de lois impressionnant sur la chasse, personne n'avait songé jusqu'ici à remettre en cause cette disposition dont tout un chacun savait qu'elle était régulièrement violée.
Pourquoi les chasseurs qui, durant ces 150 ans, ont présenté de nombreuses demandes de modification de la législation cynégétique, n'ont-ils jamais estimé prioritaire de clarifier une telle situation ?
Pourquoi en 150 ans aucun gouvernement, de droite, de gauche et du centre n'a t-il jamais proposé de modifier cet article du code rural ?
J'ai rapidement compris que les vrais chasseurs ne souhaitaient pas une telle mesure et que celle-ci n'était demandée que pour une minorité d'entre eux.
J'ai eu l'occasion de consulter les déclarations de monsieur Gaston TESSON qui pendant près de 20 ans a présidé la Fédération des chasseurs de Vendée et s'est opposé fermement à ce que cette pratique s'étende à son département. Aujourd'hui, la chasse de nuit en Vendée n'est ni autorisée ni pratiquée. On peut donc d'ailleurs se poser la question de savoir pourquoi la Vendée figure cependant sur la liste des départements où l'on déclare sans rougir qu'il s'agit d'une tradition.
J'ai cherché les raisons pour lesquelles le parlement, les gouvernements, les responsables de la chasse n'ont pas, durant 150 ans, modifié une telle loi. Je vais vous les donner
La première est l'identification et c'est d'ailleurs l'argument fondamental de la Commission européenne. Tout un chacun comprendra que si la nuit, tous les chats sont gris, bien des oiseaux se ressemblent. Ce n'est pas une boutade. J'ai consulté plusieurs spécialistes et tous m'ont confirmé que l'identification de certains oiseaux la nuit est très difficile. Même un ornithologiste confirmé peut aisément se tromper. En 1844, cet élément avait peu d'importance puisque toutes les espèces étaient chassables. Mais aujourd'hui, de nombreuses espèces d'oiseaux d'eau sont protégées. Cette protection n'est effective que si le risque de confusion est aussi réduit que possible.
La seconde, qui était la préoccupation principale de vos prédécesseurs, est la sécurité des gardes chargés de faire appliquer la réglementation. La nuit, le risque est trop grand pour ces agents d'être agressés en toute impunité.
Je citerai la circulaire des ministres de l'intérieur et de la justice du 9 mai 1844 qui commentait la loi récemment votée. L'article 9 " interdit la plus dangereuse de toutes les chasses, la chasse de nuit, qui a été la cause de tant de meurtres et de crimes contre les personnes ".
Le contrôle de la chasse aux huttes ou au gabion est indispensable. Les infractions le plus souvent relevées sont la chasse sans permis, le tir d'espèces protégées ou l'utilisation de magnétophones. Si les contrôles doivent être réalisés de nuit, vous imaginez les difficultés pour les gardes de circuler dans un marais ou une vasière. Leur simple arrivée, dans un milieu ouvert où il est difficile de se dissimuler, déclenche l'alerte et la fuite des oiseaux. Or le contrôle du permis de chasse, du tir d'espèces protégées ou de l'usage du magnétophone nécessite d'être sur place au moment de l'infraction. Autant dire que le contrôle de la chasse de nuit dans les marais et les vasières est impossible.
La troisième est d'ordre biologique. Les oiseaux doivent disposer d'un moment de tranquillité pour pouvoir se nourrir et se reposer. S'ils sont chassés le jour et la nuit, ils sont continuellement soumis au dérangement et ne peuvent pas suffisamment s'alimenter et se reposer. Cela devient particulièrement important en fin d'hiver quand les oiseaux doivent stocker des réserves en vue de la reproduction. L'impact sur la physiologie des oiseaux d'eau déjà relevé à propos du décalage des horaires de déplacement s'en trouve alourdi.
Il faut maintenant en ajouter une quatrième. La directive européenne sur la protection des oiseaux n'interdit pas expressément la chasse de nuit. Cependant la Commission a initié une procédure d'infraction à l'encontre de la France suite à la circulaire de l'Office national de la Chasse de 1996 .Elle est désormais sans objet compte tenu de l'annulation par le Conseil d'Etat des dispositions contestées. Il est probable que votre proposition de loi si elle était adoptée, donne lieu à une nouvelle procédure contentieuse. La Commission a d'ailleurs clairement fait savoir à mon ministère qu'une légalisation de la chasse de nuit l'inciterait à rouvrir le dossier qu'elle s'apprêtait à clore après l'arrêt du Conseil d'Etat .
Il est probable que la Cour de Justice des Communautés considérerait que la protection complète dont doivent bénéficier, les espèces protégées, en application de l'article 5 de la directive et les espèces dont la chasse n'est pas simultanément ouverte en application de l'article 7, ne serait pas assurée lors de la chasse nocturne.
Une position analogue à celle prise par la Cour en 1994 sur l'échelonnement des dates de chasse aux oiseaux migrateurs est à craindre. La chasse de nuit ne pourrait être admise que là et quand les autorités apporteront la preuve de son innocuité pour les autres espèces d'oiseaux, preuve qui ne pourra, en pratique, jamais être apportée.
De même, l'utilisation d'une dérogation sur la base de l'article 9 de la Directive serait contestée et probablement condamnée par la Cour.
Je vous cite enfin la réponse faite par la Commission a une question écrite d'un député européen en 1992 :
" Selon la législation française, le permis de chasse n'autorise pas à chasser la nuit et des sanctions sont prévues pour les contrevenants.
La Commission n'a pas connaissance d'une autorisation explicite ou implicite accordée par le ministère de l'environnement à la chasse de nuit. Une telle autorisation serait, bien sûr, en contradiction avec la législation nationale en vigueur(). La pratique de la chasse de nuit, en raison de son absence de sélectivité n'est en principe pas compatible avec les objectifs de régulation équilibrée et de conservation des espèces d'oiseaux visées par la directive.
La Commission ne voit pas la nécessité d'engager une action spécifique pour l'interdiction totale de la chasse de nuit, puisqu'il serait en principe contraire aux objectifs de la directive que les Etats membres autorisent une telle pratique. "
Enfin l'accroissement du nombre de huttes provoque le creusement des mares attenantes qui se multiplient. Cela n'est pas sans perturber profondément les systèmes hydrauliques au point que les services de l'Etat, comme ceux de Charente maritime, tentent, mais en vain, de réglementer l'installation de nouvelles huttes.
En conclusion
En ce qui concerne la chasse pratiquée au coucher et au lever du soleil, le gouvernement pense qu'elle pourrait effectivement être autorisée à l'image de ce qui se fait déjà en d'autres pays européens. En France, le législateur en avait déjà admis le principe en 1844. Il ressort des débats de l'époque qu'il considérait que compte tenu de la difficulté de définir la nuit, il convenait, tout en maintenant le principe de l'interdiction de la chasse de nuit, de laisser la chasse s'exercer une heure après le coucher et avant le lever du soleil.
Le deuxième article de la proposition de loi fait suite à l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme concernant la loi Verdeille. Cet article répond à deux des trois griefs soulevés par la Cour à l'encontre de la France: l'atteinte au droit de propriété des non-chasseurs et l'atteinte à la liberté d'association. Il ne répond cependant pas au grief sur la discrimination entre petits et grands propriétaires qu'ils soient ou non-chasseurs, ce qui est pourtant évoqué dans l'exposé des motifs de la proposition de loi.
Le gouvernement va devoir prochainement répondre au Conseil des ministres du Conseil de l'Europe de la bonne application de l'arrêt de la Cour européenne. Il salue donc l'intention positive du Sénat de sortir du contentieux engagé il y a cinq ans. Il souhaite cependant une formulation différente.
Il est bon de rappeler l'origine de ce contentieux.
GILLON et de VILLEPIN écrivaient en 1851 "La nuit du 4 août 1789 passa sur le régime féodal; et ce fut, comme on l'a dit depuis pour les droits et devoirs tant féodaux que censuels, ceux qui tiennent à la mainmorte réelle ou personnelle et à la servitude réelle "Ce fut...la nuit éternelle !
L'assemblée nationale en prononça l'abolition.
Le droit exclusif de la chasse et des garennes ouvertes fut pareillement aboli, et l'assemblée nationale décréta que tout propriétaire avait le droit de détruire et faire détruire seulement sur ses possessions toutes espèces de gibier, sauf à se conformer aux lois de police qui pourraient être faites relativement à la sûreté publique. C'est l'une des dispositions de l'article 3 de la loi du 4 août 1789. Par une seconde disposition, elle prononça la suppression de toutes les capitaineries, même royales, et de toutes réserves de chasse, sous quelque dénomination que ce fût, et déclara qu'elle pourvoirait, par des moyens compatibles avec le respect dû à la propriété et à la liberté, à la conservation des plaisirs du roi.
Puis, par un sublime élan de généreuse humanité, reportant une dernière fois ses regards sur le passé, et comme pour effacer jusqu'au cruel souvenir d'une législation qui avait trop duré, l'assemblée nationale chargea son président de demander au roi le rappel des galériens et des bannis pour simple fait de chasse, l'élargissement des prisonniers alors détenus et l'abolition des procédures existantes à cet égard.
Au point de vue de la chasse, l'uvre de l'assemblée nationale paraissait accomplie. Le droit naturel, concilié avec le respect dû à la propriété civile, venait de prévaloir de nouveau dans nos lois; et la France constitutionnelle n'avait rien à envier à la législation romaine.
C'était trop pour notre temps, c'était trop surtout à une époque où la réaction populaire se croyait en droit d'exercer une sorte de représailles contre la féodalité vaincue.
Le décret du 4 août 1789, les abus auxquels il donna naissance imposèrent à l'assemblée nationale une mission nouvelle "
L'Union nationale des Fédérations départementales des chasseurs faisait remarquer en 1989, citant le maire de Montargis, que les pires excès étaient alors commis. Le premier magistrat de cette ville lors d'une réunion du conseil municipal du 28 octobre 1789 constatait que "les campagnes sont désolées et dévastées par le nombre prodigieux de chasseurs et de chiens, qui produisent les plus grands dommages partout ". La passion de la chasse redécouverte devenait donc plus dévastatrice que le gibier tant accusé dans les cahiers de doléances. Les paysans finissaient parfois même par négliger la culture de la terre pour assouvir des désirs si longtemps réprimés. Au début de l'An III, un certain Collot, fonctionnaire à Charleville, écrivait à la Convention: "le plaisir de la chasse est devenu généralement pour les gens des campagnes surtout, une passion dominante. Il est beaucoup de villages où nombre d'habitants ont totalement abandonné leurs états pour se livrer complètement au braconnage "
Comme le relate encore, l'Union nationale des Fédérations départementales des chasseurs, un certain Poitevin, dans un mémoire adressé au Conseil des Cinq-Cents se plaignait amèrement des troubles causés par les chasseurs: " l'habitude malheureusement est généralement contractée de regarder les lois comme illusoires, attendu qu'il n'en est presqu'aucune qui soit ponctuellement exécutée. Il n'existe peut-être pas un seul canton dans la République où des hommes sans propriétés ne chassent journellement sur celles des autres, ou même ceux qui ont des propriétés ne chassent indistinctement sur les domaines de leurs voisins comme sur les leurs "
Face à cette situation, le pouvoir révolutionnaire resta un temps impuissant. Le décret du 11 août 1789 s'en était tenu à n'autoriser la chasse qu'aux seuls propriétaires et laissait à des lois de police ultérieures la faculté de réglementer son exercice.
Comme l'écrivaient GILLON et de VILLEPIN précédemment cités:
"Sublime rôle que celui d'une assemblée qui, au milieu des oscillations qui succèdent à un grand ébranlement politique, déracine d'une main d'injustes privilèges et de l'autre affermit les droits de tous, en protégeant la propriété qui en est le fondement !
Telle fut l'origine de la loi du 30 avril 1790 rendue d'urgence.
Le préambule de cette loi porte: " L'assemblée nationale, considérant que, par son décret du 4 août 1789, le droit exclusif de la chasse est aboli, et le droit rendu à tout propriétaire de détruire ou faire détruire, sur ses possessions seulement, toute espèce de gibier, sauf à se conformer aux lois de police qui pourraient être faites relativement à la sûreté publique ;
Mais que, par un abus répréhensible de cette disposition, la chasse est devenue une source de désordre qui, s'ils se prolongeaient davantage, pourraient devenir funestes aux récoltes, dont il est si instant d'assurer la conservation, a, par provision, et en attendant que l'ordre de ses travaux lui permette de plus grands développements sur cette matière a décrété ce qui suit " (...)
On abusait de son droit, on ne respectait pas le droit d'autrui; la loi du 30 avril 1790 sanctionna par une peine la défense de chasser sur le terrain d'autrui.
La chasse était permise en tout temps, aux termes du décret du 4 août 1789; l'assemblée nationale crut devoir protéger les récoltes, en autorisant chaque département à fixer pour l'avenir le temps dans lequel la chasse serait permise.
Cette même assemblée édicta, en l'article 1 de la loi, qu'"il est défendu à toutes personnes de chasser en quelque temps et quelque manière que ce soit sur le terrain d'autrui, sans son consentement ".
Cette disposition sera reprise dans l'article 1 de la loi du 3 mai 1844 sur la police de la chasse qui stipule que: " nul n'aura la faculté de chasser sur la propriété d'autrui sans le consentement du propriétaire ou de ses ayants droit "
Que faut-il entendre par les ayants droits ?
Sous ce terme il faut comprendre, l'usufruitier, l'emphythéote et l'antichrésiste. Mais c'est, il est vrai, une question fort controversée qui a donné lieu à de longs débats.
Le Code rural dans sa partie législative (article L.222-1) reprendra le principe élaboré par la Révolution française sous une formulation quasi identique à celle de la loi du 3 mai 1844: " nul n'a la faculté de chasser sur la propriété d'autrui sans le consentement du propriétaire ou de ses ayants droit ".
La loi n° 64-696 du 10 juillet 1964 relative à l'organisation des associations communales et intercommunales de chasse agréées, loi due à l'initiative du sénateur socialiste Fernand VERDEILLE, va déroger à l'ancien principe républicain. Elle va permettre la chasse chez autrui sans son consentement s'il est petit propriétaire.
C'est pour le moins paradoxal de la part d'un élu dont la philosophie politique aurait dû plutôt favoriser les petits propriétaires que les capitalistes dotés de vastes domaines.
En effet cette loi, en son article 3 édicte que pour être recevable, l'opposition des propriétaires ou détenteurs de droits de chasse doit porter sur des terrains d'un seul tenant et d'une superficie minimum de 20 hectares. Ce minimum est abaissé, pour la chasse au gibier d'eau, à 3 hectares pour les marais non asséchés et à 1 hectare pour les étangs sont isolés; cette superficie est réduite à 50 ares pour les étangs dans lesquels, au 1er septembre 1963, existaient des installations fixes, huttes et gabions.
Ce minimum est également réduit à 1 hectare sur les terrains où existaient au 1er septembre 1963, des postes fixes destinés à la chasse aux colombidés. Il est porté à 100 hectares pour les terrains situés en montagne au-dessus de la limite de la végétation forestière. Des arrêtés pris, par département, dans des conditions prévues au premier alinéa de l'article 2 pourront augmenter les superficies minimales ainsi définies. Les augmentations ne pourront excéder le double des minima fixés.
L'intention était louable. Il s'agissait de contraindre les chasseurs à regrouper leurs territoires de chasse, à instituer des réserves de chasse dans chaque commune et à gérer collectivement le gibier là où bien souvent régnait auparavant une aimable anarchie. Cette loi les obligeait à adhérer à une association communale ou intercommunale chargée de cette gestion collective. En terme purement cynégétique, la loi Verdeille peut donc être lorsqu'elle est bien appliquée une bonne loi d'organisation de la chasse. Je l'ai, d'ailleurs, dit à plusieurs reprises.
Le loi Verdeille devait rencontrer l'opposition de ceux qui ne souhaitaient pas que s'exerce chez eux un loisir qu'ils ne pratiquaient pas eux-mêmes.
Des députés comme MM. Xavier DENIAU et Pierre RUAIS ne manquèrent pas de le faire remarquer lors de la première lecture le 9 juin 1964. Ils se faisaient alors les porte-parole des petits propriétaires injustement contraints à subir chez eux une chasse non désirée sans d'ailleurs, pour autant, être des opposants à ce loisir. Comme le disait Xavier DENIAU "même si vous n'êtes pas chasseur, vous subirez la règle. On ne vous demandera pas si vous entendez chasser ou non. Un certain nombre de gens pourront venir chasser dans votre propriété, auxquels vous pourrez vous mêler ou non, selon que vous détiendrez ou non un permis de chasse " (...) "Vous aurez donc, dans une même région, côte à côte, un grand propriétaire qui louera sa chasse à un prix élevé à des sociétés parisiennes, et son voisin, propriétaire d'un petit terrain, qui n'aura plus le droit de chasser sur ses terres, à moins que ce ne soit en compagnie d'autres chasseurs qu'on lui aura imposés". Pierre RUAIS ajoutait: "le projet de loi tel qu'il nous est soumis n'intéresse pas seulement les chasseurs. Cependant, il a été élaboré et défendu uniquement dans l'optique de la chasse, en particulier dans l'intérêt des chasseurs.
Il ne tient pas spécialement compte des droits fondamentaux de tous ceux qui ne sont pas chasseurs "(...) " Quand on examine le projet de loi sous l'angle de ceux qui ne sont pas chasseurs, on s'aperçoit qu'il a cette conséquence fâcheuse qu'un petit propriétaire, à l'encontre d'un propriétaire de 20 hectares ou plus, ne peut utiliser son terrain à tel usage qui lui plaît, même si cet usage ne nuit en rien au voisin ou même à des sociétés de chasse. ".
En conséquence M. DENIAU auquel se joignait M. CHARIE déposait un amendement ainsi rédigé: "Tout propriétaire a droit, sur simple déclaration adressée au préfet et pour la durée qui lui conviendra, de faire classer "réserve " le terrain, de quelque superficie qu'il soit, lui appartenant, qu'il soit ou non enclavé dans le domaine d'autrui, s'interdisant par là, à lui-même ou à quiconque d'y chasser". Cet amendement était repoussé par l'Assemblée nationale par 221 voix contre 211. Nous en payons aujourd'hui les conséquences au travers de l'arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme du 29 avril dernier.
Le 29 juin 1964, dans cette enceinte, M. Jean de BAGNEUX reprenait à son compte les arguments des députés. CHARIE, DENIAU et RUAIS. Il demandait au Ministre de l'Agriculture que les décrets d'application de la loi tiennent compte du légitime souci des petits propriétaires non-chasseurs, ce qui ne s'est pas fait.
La loi Verdeille qui concerne maintenant près de 10 000 communes réparties dans près de 70 départements, s'est mise en place progressivement, sans heurts dans la majorité des cas.
En effet, lorsque les responsables des Associations communales de chasse agréées étaient de bonne volonté, les propriétaires non-chasseurs ont obtenu que leurs terrains soient placés en réserve de chasse.
Mais il faut bien aussi convenir que certains responsables se sont fait un malin plaisir d'imposer la chasse sur le territoire de non-chasseurs. Je suis d'ailleurs saisie, d'un nombre croissant de protestations de ruraux qui se plaignent du comportement de certains chasseurs. Ainsi, tout récemment, le Directeur départemental de l'Agriculture et de la Forêt d'un département de l'ouest de la France faisait-il état de conflits de plus en plus fréquents entre chasseurs et non-chasseurs Les premiers font preuve de comportements agressifs à l'égard des seconds et certains présidents d'ACCA plutôt que de rechercher par la concertation des solutions amiables s'arc-boutent sur des considérations procédurières. Ils bloquent les demandes de retrait des ACCA auxquels ont droit les propriétaires qui ont procédé, dans le cadre de regroupement des terres autour des sièges d'exploitation, à la constitution de territoires de 20 à 30 hectares d'un seul tenant.
Je tiens à vous citer deux lettres reçues d'autres régions de France, représentatives de l'ensemble du courrier reçu
M. G..., vit en Ariège où il s'est installé sur une petite exploitation agricole de 18ha, il y a une dizaine d'années après un licenciement dû à la fermeture de l'entreprise qui l'employait.
"L'investissement à peine commencé " écrit-il "les chasseurs voyaient d'un mauvais il ce projet, les privant d'un territoire de chasse. Nous avons subi de violentes menaces, un de mes chiens fut abattu, des tirs d'intimidation nous furent adressés; ainsi que des menaces de mort verbales. J'ai bien essayé de résister, de me défendre un peu face à cette hostilité. Vivant constamment dans la crainte d'un mauvais coup; mon épouse, mes enfants, et moi-même avons décidé sous la contrainte de vendre à perte notre propriété."
M.C... habite la Lozère. Il m'écrit: "j'ai 73 ans et une retraite d'exploitant agricole (...). Dans ma commune, il a été créée une ACCA, il y a une dizaine d'années. À l'époque les créateurs de cette association ont fait signer les propriétaires terriens pour leur demander de leur céder les droits de chasse sur leurs terres. La majorité des propriétaires ont signé un contrat de 6 ans renouvelable par tacite reconduction. Aujourd'hui nous sommes 9 propriétaires représentant environ 130 ha d'un seul tenant qui demandons le retrait du droit de chasse à l'ACCA. Le président de cette association nous le refuse, invoquant la loi Verdeille qui d'après lui est faite pour les chasseurs et non pour les propriétaires ".
Pour s'être opposés physiquement ou intellectuellement à la chasse ou "par erreur" des non-chasseurs ont même été tués chez eux : Cosimo LIPARTITI dans le Var en 1984, Claude MONOD dans les Alpes-de-Haute-Provence en 1990, Pierre LESCHERA dans les Alpes-Maritimes en 1991.
C'est pourquoi depuis le début des années 1980 des associations de protection de la nature ou de non-chasseurs ont demandé l'instauration d'un droit de gîte dont le projet allait être soutenu par deux de mes prédécesseurs M. Brice LALONDE et Mme Ségolène ROYAL. L'intransigeance des instances cynégétiques allait bloquer toute possibilité d'évolution de la situation et conduire à une saisine de la Cour européenne des Droits de l'Homme.
J'ai pu le mesurer moi-même. J'ai dit au Congrès des Fédérations départementales de chasseurs le 22 juillet 1997 que si la loi Verdeille était une bonne loi cynégétique, elle n'en posait pas moins problème à ceux qui ne partagent pas la passion de la chasse et doivent accepter l'exercice de la chasse chez eux. Il s'agissait de l'un des aspects des rapports conflictuels entre chasseurs et non-chasseurs.
À mes yeux la seule issue à cette situation était (et est toujours) la concertation et le respect.
À lire le courrier reçu depuis que j'ai en charge la chasse comme Ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement, j'ai l'impression que ce message n'a pas été entendu.
Il n'était donc pas étonnant qu'après avoir épuisé les possibilités de recours devant des juridictions françaises, 10 petits propriétaires fonciers et agriculteurs non-chasseurs de Dordogne et de la Creuse aient introduit des requêtes devant la Commission européenne des Droits de l'Homme en avril 1994 et avril 1995. Cette commission qui prépare le travail de la Cour européenne des Droits de l'Homme déclarait recevable les requêtes et adoptait en octobre et décembre 1997, trois rapports établissant que l'application de la loi Verdeille conduisait effectivement à une violation de la Convention européenne des Droits de l'Homme sur les points suivants:
- l'obligation faite aux propriétaires d'apporter le droit de chasse à une Association communale de chasse agréée se révèle une ingérence disproportionnée dans leur droit de propriété, dès lors qu'elle ne prévoit aucune indemnisation des propriétaires non-chasseurs,
- la différence de traitement entre les grandes propriétés (qui peuvent échapper à l'adhésion à une Association communale de chasse agréée) et les petites qui sont obligées d'adhérer est discriminatoire,
- l'obligation faite par la loi de contraindre un individu d'adhérer à une association dont il ne partage pas les buts voire sont contraires à ses convictions ce qui porte atteinte à la substance même du droit à la liberté d'association.
C'est à une large majorité de ses membres que la Commission s'est prononcée sur ces griefs. La suite logique a été une demande introductive d'instance invitant la Cour à se prononcer sur les violations qu'elle a relevées.
Afin de donner satisfaction au monde cynégétique français très attaché à la loi Verdeille y compris dans ses aspects les plus extrêmes, la stratégie de la France a été de défendre devant la Cour européenne des Droits de l'Homme la loi Verdeille en l'état. Mes efforts tout comme ceux de mon collègue ministre des Affaires étrangères pour que l'on fasse connaître à la Cour, afin d'éviter une condamnation, notre intention d'amender la loi Verdeille, n'ont pas été couronnés de succès.
Le résultat vous le connaissez.
-Par 12 voix contre 5 la Cour a jugé qu'il y avait violation de l'article 1 du Protocole n°1 quant à l'atteinte au droit de propriété des requérants en ce qu'ils étaient obligés de supporter tous les ans sur leurs fonds la présence d'hommes en armes et de chiens de chasse et qu'il n'y avait pas de compensation dans la loi Verdeille au profit des propriétaires non-chasseurs. Tout en relevant que les buts recherchés par la loi de 1964 étaient légitimes, la Cour considère qu'obliger les petits propriétaires à faire apport de leur droit de chasse sur leurs terrains pour que des tiers en fassent un usage totalement contraire à leurs convictions se révèle une charge démesurée qui ne se justifie pas sous l'angle du second alinéa de l'article 1 du Protocole n° 1. Il y a donc violation de cette disposition.
-Par 14 voix contre 3, la Cour a jugé qu'il y avait violation de l'article 1 du Protocole, combiné avec l'article 14 de la Convention. En effet, la Cour a considéré que la France n'a pas pu expliquer de manière convaincante comment l'intérêt général pouvait être servi par l'obligation faite aux seuls petits propriétaires de faire apport de leur droit de chasse sur leurs terrains. Dans la mesure où la différence de traitement opérée entre les grands et les petits propriétaires a pour conséquence de réserver seulement aux premiers la faculté d'affecter leur terrain à un usage conforme à leur choix de conscience, elle constitue une discrimination fondée sur la fortune foncière au sens de l'article 14 de la Convention. Il y a donc violation de l'article 1 du Protocole n° 1, combiné avec l'article 14 de la Convention.
-Par 16 voix contre 1, la Cour a jugé qu'il y avait violation de l'article 11, combiné avec l'article 14 de la Convention. La Cour estime que la France n'a avancé aucune justification objective et raisonnable de la différence de traitement contestée, qui oblige les petits propriétaires a être membres des Associations communales de chasse agréées et permet aux grands propriétaires d'échapper à cette affiliation obligatoire, qu'ils exercent leur droit de chasse exclusif sur leur propriété ou qu'ils préfèrent, en raison de leurs convictions, affecter celle-ci à l'instauration d'une refuge ou d'une réserve naturelle. En conclusion, il y a violation de l'article 11 combiné avec l'article 14 de la Convention.
Enfin la Cour, après avoir pris note du fait que les requérants ne demandaient rien au titre des frais et dépens, ayant été représentés gratuitement devant les organes de la Convention, a rejeté leur demande en réparation du préjudice matériel allégué, faute de justificatifs. En revanche, statuant en équité, la Cour a accordé à chacun des requérants la somme de 30 000 F pour dommage moral.
À la suite de cet arrêt le gouvernement a fait savoir le jour même qu'il prendrait les dispositions utiles pour respecter cet arrêt: il s'agira non seulement de verser les indemnités allouées aux requérants mais également de préparer les aménagements à apporter à la loi Verdeille. Elle devra à l'avenir mieux répondre aux principes relatifs à la protection du droit de propriété et à la liberté d'associations, tels qu'interprétés par la Cour européenne des Droits de l'Homme.
La proposition de loi portant diverses mesures d'urgence relatives à la chasse répond partiellement à deux des trois griefs retenus par la Cour européenne des Droits de l'Homme à l'encontre de la France, ceux qui concerne l'atteinte au droit de propriété et à la liberté d'association. Mais elle ne répond pas au grief sur la discrimination entre petits et grands propriétaires qu'ils soient ou non chasseurs, ce qui est pourtant évoqué dans l'exposé de cette proposition de loi. N'y lit-on pas ,à propos de l'arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme "Cet arrêt, qui est d'application immédiate, est d'ores et déjà considéré comme permettant à tous les propriétaires fonciers -chasseurs ou non chasseurs- de retirer leur fond du territoire de l'ACCA"?. Il convient donc d'aller jusqu'au bout de la logique initiée par cette remarque. La France va devoir, en effet, dans un proche avenir justifier, face au Conseil des ministres du Conseil de l'Europe, de mesures mettant en conformité sa législation avec les conclusions de la Cour européenne des Droits de l'Homme.
Afin que soient évaluées toutes les conséquences de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme, j'ai demandé au Conseil d'Etat la nomination de l'un de ses membres pour présider un groupe de travail. Ce groupe rassemblera des représentants des ministères et établissements publics concernés et pourra associer à ses travaux des élus et des représentants des organisations et des associations partie prenante aux débats sur les modalités d'exercice de la chasse.
À mon avis, sur cet aspect de la chasse comme dans d'autres, il n'y aura pas, sans compromis, de solution durable aux conflits, entretenus quelquefois artificiellement pour des raisons politiciennes, entre chasseurs, non-chasseurs et protecteurs de la nature
Un peu à l'image de ce qu'avaient entamé à la fin des années 1970, l'Union nationale des Fédérations départementales des chasseurs et France-Nature Environnement, j'ai tenté à plusieurs reprises de recréer les conditions du dialogue.
Durant l'été 1997, un déjeuner était programmé à mon initiative entre l'Union nationale des Fédérations départementales des chasseurs et France-Nature-Environnement comme je l'avais annoncé le 22 juillet 1997 au Congrès des Présidents de Fédérations départementales de chasseurs. Quelques jours avant ce déjeuner le président de l'Union adressait aux présidents de fédérations une lettre circulaire leur faisant part de ses profondes réserves sur la relance de la procédure Natura 2000, à laquelle tenaient beaucoup les associations de protection de la nature. Le déjeuner a dû être annulé.
En avril 1998, après que j'ai mis en place un groupe de réflexion sur la chasse aux oiseaux migrateurs, les protecteurs de la nature (France Nature Environnement, Ligue pour la Protection des Oiseaux) étaient prêts, comme les chasseurs de l'Association nationale pour une chasse écologiquement responsable (ANCER) à s'engager dans un compromis sur les dates d'ouverture et à aller le plaider auprès de la Commission européenne. L'Union nationale des Fédérations départementales de chasseurs (UNFDC) et l'Association nationale des chasseurs de gibier d'eau (ANCGE) ont refusé cette main tendue. Les contentieux ont donc recommencé.
Une nouvelle tentative a été lancée en février dernier par mon cabinet en liaison avec celui du Premier ministre. Il s'agit de faire dresser un bilan des connaissances actuelles sur la reproduction et la migration des oiseaux par un groupe scientifique animé par le professeur LEFEUVRE. Ce groupe est composé de membres du CNRS et de l'Académie des Sciences, du Muséum national d'Histoire naturelle, des Universités et de l'Office national de la Chasse. À l'issue de ce bilan, il sera proposé aux chasseurs et aux protecteurs d'élaborer un compromis compatible avec la directive " Oiseaux ", et donc acceptable par la Commission européenne, sur les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse aux oiseaux migrateurs. Ce compromis permettra au gouvernement d'aller négocier avec la Commission les modalités de chasse aux migrateurs permettant d'éviter une condamnation de la France par la Cour de Justice des Communautés européennes.
Je constate, par ailleurs, que mon directeur de cabinet, plusieurs membres de ce cabinet et la Direction de la Nature ont consacré et consacrent, en concertation avec chasseurs et non-chasseurs, parlementaires et responsables cynégétiques, bien plus de temps à trouver des solutions de compromis qu'ils n'en passent avec toute autre catégorie d'usagers de la nature.
Je constate également qu'année après année des lois relatives à la chasse sont votées "d'urgence"et "à titre provisoire" sans souci de cohérence et qu'elles conduisent à un édifice branlant rafistolé au gré des humeurs du moment et source de conflits et contentieux sans fins en dépit des déclarations de leurs auteurs.
Le 30 juin 1994 votre assemblée discutait d'une proposition de loi relative aux dates de clôture de la chasse aux oiseaux migrateurs dont l'une des finalités était, si l'on se rapporte aux interventions, par exemple, de MM. de CATUELAN ou LACOUR, de mettre fin à des conflits multiples d'interprétation de la directive "Oiseaux " et d'anticiper sa modification. Cette directive faut-il le rappeler encore, à été promue par la France, adoptée à l'unanimité et signée par le président de votre commission des Affaires économiques et du Plan, alors ministre des Affaires étrangères
M. ALTHAPE, avec beaucoup de clairvoyance, constatait, quant à lui, qu'"une fermeture échelonnée de la chasse aux gibiers d'eau et aux oiseaux de passage ne correspond pas à une bonne gestion de ces espèces non menacées. De plus, cette fermeture échelonnée générerait de nombreux conflits et des recours qui, une fois de plus créeraient un climat insupportable ". Il ne croyait pas si bien dire puisque le vote de la loi du 15 juillet 1994 a conduit à la multiplication de contentieux. 37 arrêtés préfectoraux pris en vertu de cette loi ont été attaqués, 23 ont été annulés et la Commission européenne a saisi la Cour de Justice des Communautés européenne pour infraction à la directive " Oiseaux ".
De même, la fixation de dates d'ouverture anticipée de la chasse au gibier d'eau selon des modalités qui seront reprises dans la loi du 3 juillet 1998, avait-elle conduit le Conseil d'Etat à casser 87 des 89 arrêtés signés par mes prédécesseurs.
Quant aux suites de la loi du 3 juillet 1998, elles sont similaires. Les tribunaux administratifs ont annulé 17 arrêtés préfectoraux pris en fonction des dates de fermeture fixées par cette loi mais la Cour d'appel de Bordeaux vient de casser ces jugements concernant 3 départements. Les tribunaux administratifs ont rejeté 12 recours et ne se sont pas prononcés sur le fond pour 4 départements. Quant à la Commission européenne, elle a saisi la Cour de Justice des Communautés européennes, le 5 février 1999, à propos de la loi du 3 juillet 1998.
Contrairement à ce qui a été rapporté, ça et là, dans la presse cynégétique, je tiens à préciser que je n'ai pas répondu subrepticement, en août 1998, à la Commission européenne, ce qui aurait entraîné la saisine de la Cour de Justice. La raison en est simple. Jamais un ministre ne répond directement à la Commission européenne. Les réponses de la France relatives aux mises en demeure ou aux avis motivés sont préparées par le Secrétariat Général du Comité Interministériel pour les Questions de Coopération Economique Européenne (SGCI) placé auprès du Premier ministre sur la base des éléments techniques communiqués par les ministères compétents. Elles sont ensuite transmises à la Représentation Permanente de la France auprès des institutions européennes à Bruxelles qui les transmet à son tour à la Direction Générale compétente de la Commission européenne.
Concernant les documents rédigés dans les affaires devant la Cour de Justice ou le Tribunal de première instance, ils sont rédigés lors de réunions interministérielles au SGCI. Les ministères compétents apportent leur expertise sur les éléments techniques indispensables à la rédaction par le ministère des Affaires étrangères du document finalisé (mémoire en intervention, recours ou plaidoirie, etc.)
Le document avalisé par l'ensemble des départements ministériels, est ensuite transmis au greffe de la Cour ou du Tribunal par le ministère des Affaires étrangères.
La confusion la plus totale règne donc encore et les contentieux que le Parlement disait vouloir éteindre avec la loi du 3 juillet 1998 ont redémarré de plus belle. Ils concernent jusqu'à présent les dates de fermeture mais il faut s'attendre dans les prochains mois à un ou des arrêts du Conseil d'Etat sur les dates d'ouverture.
Cela montre que les lois dites "provisoires ", bricolées à la hâte ne résolvent pas les problèmes posés.
Sur la proposition elle-même quelle cohérence y-a-t-il entre le premier et le second article. Quel rapport y -a-t-il entre la chasse de nuit et la loi sur les associations communales de chasse agréées ?
Je partage tout à fait les conclusions de votre Commission sur le fait qu'une loi d'orientation sur l'organisation générale de la chasse en France est devenue nécessaire.
C'est pourquoi le gouvernement a l'intention de mettre rapidement en chantier une loi qui traitera des différents aspects de la chasse intégrant aussi bien les questions qui touchent aux associations de chasseurs et à la garderie que celles qui concernent les périodes et modalités de la chasse. Trois chantiers ont déjà été ouverts:
-celui sur les fédérations et la garderie à la suite du rapport de l'Inspecteur général CAILLETEAU,
-celui sur les périodes de chasse aux oiseaux migrateurs avec le travail du groupe animé par le professeur LEFEUVRE,
-enfin celui qui aura pour mission de tirer les conclusions de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme dont j'ai parlé précédemment.
C'est pourquoi, je vous rejoins, Madame le rapporteur, lorsque vous écrivez: " le vote d'une loi d'orientation sur l'organisation générale de la chasse en France apparaît désormais indispensable. Elle aura pour objectif de dégager, à partir d'un consensus entre tous les partenaires concernés : chasseurs, protecteurs et usagers de la nature, un corps de principes rénové réglementant l'exercice de la chasse. "
C'est également pourquoi, je ne vous comprends plus lorsque vous soutenez une proposition de loi qui ne résulte ni des travaux de réflexions engagés ni de ce consensus que vous appelez de tous vos vux.
C'est également pourquoi le gouvernement ne peut accepter la proposition de loi portant diverses mesures d'urgence relatives à la chasse.
(source http://www.environnement.gouv.fr, le 15 juillet 1999)
Madame le Rapporteur,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Nous allons, à une heure fort avancée de la nuit, traiter de chasse de nuit, puisque c'est l'un des deux sujets évoqués par la proposition de loi qui vient en discussion.
Vous cherchez avec celle-ci à répondre à la situation créée par deux décisions rendues récemment, l'une par le Conseil d'Etat l'autre par la Cour européenne des Droits de l'Homme.
Je ne conteste pas la nécessité de régler ces problèmes mais il me semble que la méthode que vous proposez ne permettra pas de le faire de façon durable comme j'aurai l'occasion de l'exposer ultérieurement.
Le premier article de la proposition de loi traite de la chasse de nuit et vise à la légaliser. L'interdiction de cette pratique est fort ancienne et prend racine dans la Grande Ordonnance des Eaux et Forêts de 1669. Elle a été reprise dans la loi du 3 mai 1844 sur la police de la chasse puis dans le Code rural. C'est donc une vieille tradition française issue de la Monarchie et reprise dans le droit républicain. En annulant la circulaire de l'Office national de la Chasse du 31 juillet 1996, le Conseil d'Etat n'a fait que rappeler cette évidence.
Je m'étonne donc que certains des membres de votre assemblée qui affichent, par ailleurs, un profond attachement aux traditions soient subitement enclins à jeter aux orties l'une d'entre elles ancrée depuis plus de trois siècles. Je constate d'ailleurs que le président de Chasse, pêche, nature et traditions (CPNT) qui vient d'être élu au Parlement européen tient la proposition de loi qui est aujourd'hui discutée pour "un scandale" et les parlementaires qui l'ont proposés comme se "moquant des électeurs".
Pour justifier une telle légalisation de la chasse de nuit, les auteurs de cette proposition de loi arguent du fait que divers pays de l'Union européenne pratiqueraient cette chasse. Une analyse de la situation dans les pays mentionnés à l'appui de leur thèse montre que la réalité est toute autre.
Autriche.
La chasse de nuit est interdite. Cependant dans certaines provinces comme le Burgenland et le Niederösterreich le gibier d'eau peut être tiré de 60 à 90 minutes après le coucher et avant le lever du soleil.
Belgique.
La chasse de nuit est interdite dans les trois régions. Le tir des Oies bernaches et du Canard colvert est autorisé 60 minutes après le coucher et avant le lever du soleil en Flandre. Le tir du Canard colvert l'est également en Wallonie pendant 30 minutes après le coucher et avant le lever du soleil pour peu qu'une lettre recommandée ait été adressée préalablement au responsable cynégétique administratif du territoire concerné.
Espagne
La chasse de nuit est interdite. La législation nationale permet aux provinces d'autoriser la chasse aux oiseaux d'eau au maximum 1 heure après le coucher du soleil ou avant son lever. Il y a deux exceptions. La chasse au gibier d'eau est autorisée les nuits de pleine lune, 2 jours par mois dans le delta de l'Ebre et 7 jours par mois dans l'Albufera.
Finlande
La chasse de nuit n'est pas formellement interdite mais elle ne se pratique pas. De plus, la loi sur la chasse exige l'identification préalable du gibier, ce qui n'est pas possible de nuit.
Irlande
La chasse de nuit est interdite. Quelques gibiers d'eau peuvent être tirés 60 minutes après le coucher et avant le lever du soleil.
Royaume Uni
La chasse de nuit n'est pas formellement interdite car elle ne se pratique pas. En revanche, l'usage des appelants de toutes sortes est prohibé.
La chasse de nuit est donc en principe interdite dans la plupart des pays de l'Union européenne et cette interdiction ne connaît que des exceptions limitées qui ne vont jamais aussi loin que ce que prévoit la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui
Il convient d'examiner quels sont les modes de chasse concernés en France pour la chasse au gibier d'eau
À la passée
Elle peut intéresser le plus grand nombre de chasseurs de gibier d'eau sur certains territoires. Elle concerne essentiellement la chasse aux canards lorsque ceux-ci rejoignent, à la tombée de la nuit, leurs lieux de gagnage (nourrissage) et le matin, lorsqu'ils en reviennent
Mais elle peut également concerner outre les " becs plats " des sauvaginiers, les oies, les foulques et plus rarement les limicoles.
Ce type de chasse ne se pratique évidemment pas la nuit mais uniquement au crépuscule et à l'aube
À l'affût
C'est une chasse similaire à la précédente, mais alors que la chasse à la passée est une chasse passive, basée sur le hasard. La chasse à l'affût, recourt, elle, aux artifices que sont les appeaux, appelants et sifflets
Au trou ou à la cache
Elle vise essentiellement la chasse des limicoles. Le chasseur, après avoir choisi un endroit favorable creuse une dépression et bâtît un rempart avec du sable et des débris véhiculés par la mer ou creuse un trou plus profond pour se dissimuler. Elle recouvre les chasses aux hutteaux dont je vous parlerai dans quelques instants
La battue
Elle n'est pratiquée que pour les foulques et quelquefois le colvert. C'est un mode de chasse diurne
Le rabat
Pratiquée pour les bécassines, les vanneaux et les pluviers, c'est aussi un mode de chasse diurne
À la botte, à l'approche ou devant soi
C'est une chasse particulièrement prisée pour les limicoles et les canards. C'est une chasse à la découverte effectuée en longeant les vasières, le littoral ou dans les marais de l'intérieur. Elle est exclusivement diurne.
Au hutteau
Ce type de chasse recouvre une grande variété d'installations fixes, mais rarement permanentes.
Afin de simplifier, je regrouperai sous ce terme les hutteaux "debout" et les hutteaux "assis". Ils sont également appelées "tente", "guette" (sur l'île de Ré), "pioutade" (dans le midi), "bosse" (en Brière), "agachon" (en Camargue), "parge" ou "caisse" ailleurs. Cette variété, Madame, valide tout à fait vos remarques sur la diversité des traditions.
Ces installations consistent, notamment, en une caisse verticale enterrée ou bien un petit édifice en planches dissimulé par des buttes de terre, de vase ou de végétaux, un tonneau enfoncé dans le sol, une tente d'affût spécialement construite pour la chasse, un simple filet de camouflage ou une toile tendue entre quatre piquets. Leur hauteur est celle qui permet la dissimulation du corps d'un homme assis. L'installation doit avoir quatre côtés et comporter des meurtrières. L'emplacement du hutteau est primordial, mais quelquefois, le gibier est attiré par des appelants, des formes, des appeaux ou tout simplement par le chasseur qui imite le cri ou le sifflement de l'oiseau. C'est un mode de chasse diurne, mais ces installations peuvent être utilisées pour la chasse à la passée.
À la toile ou hutteau couché
Le chasseur est couché dans un trou qu'il a creusé et qui est recouvert d'une toile. Le fond du trou est recouvert de paille. La "calorge" (en Vendée), qui est un tuyau enterré dans lequel se glisse le chasseur peut être rattachée à ce type de chasse qui est également une chasse diurne. Contrairement à la réglementation sur le domaine public maritime, ce dispositif est utilisé pour la chasse de nuit.
Au cercueil
C'est un hutteau mobile; Le chasseur est couché dans une boite en bois étanche (en contreplaqué marine) recouverte aujourd'hui de fibre de carbone, matériau à l'évidence " traditionnel " Cette boîte, qui a la forme d'un cercueil, est transportée sur la vasière à l'endroit propice, grâce à deux roues légères, le plus près possible du flot, mais pas trop. Ce cercueil est alors semi-enterré. Il peut contenir une ou deux personnes. Certains, au mépris de la tradition, y incorporent un chauffage à la tête et aux pieds. Différents autres types de hutteaux mobiles sont utilisés. Ils sont utilisés pour la chasse diurne, mais aussi, contrairement à la réglementation sur le domaine public maritime, pour la chasse de nuit.
À la hutte ou gabion
Il s'agit d'installations fixes et permanentes. Ce sont des abris généralement souterrains utilisés pour la chasse de nuit. Ils sont plus ou moins sophistiqués et peuvent comporter des coins cuisine, des couchettes, un chauffage, un réfrigérateur, etc. Ils peuvent comporter plusieurs étages (notamment pour parer aux problèmes d'inondation), être montées sur pilotis ou être flottants.
À la tonne
C'est le gabion du sud-ouest. Cette installation doit son nom à l'utilisation des grandes futailles du bordelais qui sont utilisées pour servir d'affût. Les tonnes sont également utilisées pour la chasse de nuit.
Au cheval
En fait, il s'agit d'une jument, car comme vous le savez, les femelles sont plus calmes et raisonnées que les mâles. Le gibier, familiarisé avec le bétail, ne porte pas attention à une jument qui se déplace. Il suffit donc au chasseur de se dissimuler derrière l'animal spécialement dressé pour pouvoir approcher le gibier. Cette chasse diurne est encore pratiquée dans les barthes de l'Adour.
Le malonage
Dans certaines régions, les sauvaginiers utilisent, en complément de leurs appelants, un canard dressé, totalement libre de ses mouvements qui est lâché au moment propice pour ramener ses congénères sauvages à portée de fusil. Ce canard s'appelle le malon dans les pays de Loire ou, dans le midi, le verdaou.
Le badinage
Pour attirer les canards certains utilisent un chien de couleur rousse ressemblant à un canard, qu'ils laissent divaguer. Les canards sauvages curieux, excités finissent par se rapprocher du chasseur.
La chasse en bateau plat
On utilise des bateaux bas sur l'eau (pour passer inaperçu), d'un faible tirant d'eau. Ils sont mus à la rame pour se déplacer sans bruit. Le plus connu est le punt, mais il existe de nombreux autres types selon les régions : le négachien, le nageret, la rabalade, le négafol ou noie-chiens. C'est un moyen d'approche des canards utilisé de jour
La clavée
C'est une sorte de battue diurne organisée par 20 ou 30 chasseurs dont les barques, disposées en fer à cheval poussent des foulques vers des baies où les attendent des chasseurs postés.
La billebaude en barque
Un chien explore les berges d'une rivière, alors que son maître est sur une barque. Le chien a deux fonctions : lever le gibier et le ramener. C'est un mode de chasse diurne et qui se pratique essentiellement lors des crues, en particulier près de chez moi, dans le Doubs.
Au pédalo
L'utilisation de cet engin permet d'approcher les oiseaux. Le chasseur, en acte de chasse, est couché sur le dos et non sur le ventre comme dans le punt C'est une chasse pratiquée le jour dans le bassin d'Arcachon.
La dérive au canot
Le chasseur utilise un petit canot qu'il laisse dériver dans les chenaux à marée montante. Cela permet d'approcher les canards et les limicoles qui stationnent le long des rives. C'est une chasse diurne.
La barque-hutte
Le chasseur plante des piquets entre lesquels il place une embarcation. Il se couche dans cette barque recouverte d'une toile de camouflage. C'est une chasse diurne que l'on pratique dans le centre de la France notamment en Brenne.
À la perche
Il s'agit d'une chasse diurne pratiquée dans les marais à roselières. Deux ou trois chasseurs sont dans une barque. L'un d'eux, placé à l'arrière, manie une longue perche que l'on appelle quelquefois bourde sur certains rivages de la Loire. Cette perche permet de faire progresser l'embarcation en silence. C'est un mode de chasse utilisé pour canards, oies et limicoles notamment lorsque le temps est brumeux.
Cet exposé vous a peut-être paru long, mais il me semblait indispensable que votre assemblée ait une vue la plus large et la plus juste possible de la diversité des modes de chasse au gibier d'eau dans notre pays. J'en ai probablement oublié quelques-uns. C'est avec plaisir que je recevrais de votre part des informations complémentaires.
Je suis certaine que vous admirez l'ingéniosité des chasseurs qui ont développé au cours des siècles de telles méthodes. Vous partagerez mon souhait de tout faire pour que cette diversité soit préservée. Il doit cependant rester à l'esprit de chacun que le maintien de ces traditions n'est possible qu'à une seule condition: qu'il reste du gibier! Ceci dépend du maintien de milieux naturels de qualité et de prélèvements raisonnables, qui ne mettent pas en danger la pérennité des espèces.
Un autre intérêt de cette présentation est de vous montrer que la plupart des modes de chasse au gibier d'eau se pratiquent le jour, au crépuscule ou à l'aube. La chasse de nuit ne représente qu'une très faible part de la chasse au gibier d'eau.
L'historique de la chasse au gibier d'eau en France et sa situation de nos jours
L'ordonnance de Colbert qui institue, en 1682, les inscrits maritimes leur donne l'autorisation de chasser sur le domaine public maritime. C'est ainsi que va naître la chasse populaire au gibier d'eau. Elle se pratiquait alors essentiellement en hiver, lorsque la pêche n'était pas possible. C'était une source importante de nourriture durant cette saison. La chasse était à cette époque une activité de subsistance.
Pour chasser, les inscrits maritimes utilisaient leurs filets de pêche qu'ils tendaient le long du littoral à marée basse et les oiseaux se prenaient en suivant la marée montante. Cette chasse avait lieu la nuit et certains récits font état de captures très importantes déjà parfois jugées excessives. Il convient de rappeler qu'à cette époque les milieux naturels étaient de meilleure qualité et abritaient une faune plus abondante et diversifiée qu'aujourd'hui.
La Révolution française autorisera brièvement tous les Français à chasser toutes les espèces, donc le gibier d'eau, en tout temps. L'anarchie cynégétique qui se développe alors conduit l'Assemblée nationale à voter une loi sur la chasse le 30 avril 1790. Elle donne par son article 13 à "tout propriétaire ou possesseur la faculté de chasser ou faire chasser, en tout temps, sur ses lacs et étangs".
En 1844, le parlement français discute d'un projet de loi, qui deviendra la base de notre code rural.
Cette loi interdit la chasse de nuit, j'y reviendrai dans quelques instants.
La chasse à la hutte, à la tonne ou au gabion remonte, semble-t-il, au milieu du XIXe siècle dans quelques rares zones côtières. Elle était circonscrite au littoral picard et bas normand, au bassin d'Arcachon et à l'estuaire de la Gironde.
Une grande figure de la chasse au gibier d'eau, le Comte de Valicour, qui disait disposer de preuves nombreuses de l'ancienneté de ce type de chasse n'a cependant jamais rien écrit de substantiel sur ce sujet. Curieusement ses successeurs n'ont pas, non plus, cherché à attester l'ancrage ancien de ces pratiques qui reste encore donc bien mystérieux.
Un fait est certain, jusqu'au lendemain de la seconde guerre mondiale le phénomène reste très limité. Il commence à se développer, avec notamment l'accroissement de l'utilisation de l'automobile.
Ainsi lorsque que l'on examine les photographies aériennes de la baie de Somme, que je tiens à votre disposition, le nombre de huttes entre 1939 et maintenant reste stable sur la petite molière du sud. Par contre, sur celle de l'embouchure, il n'y a pas une seule hutte en 1939, il y en a une vingtaine en 1961 et près d'une centaine en 1997.
Dans le Pas-de-Calais, le nombre de huttes sur le domaine public maritime a été multiplié par quatre entre 1961 et 1994 à Oye-Plage (de 8 à 33) et par deux (de 38 à 74 ) à Marck.
Jusqu'aux années 1980, la chasse à la hutte n'était pratiquée que dans une quinzaine de départements.
Une nouvelle accélération du développement des huttes est apparue au cours des dix dernières années. Dans un marais de l'ouest de la France, un recensement effectué en 1970 n'indique aucune hutte. En 1985, il y en avait 45 et aujourd'hui, il y a entre 100 et 150 huttes. Ce phénomène est observé dans la plupart des zones de marais en France.
Dans de nombreux départements de l'intérieur, la chasse à la hutte apparaît avec la fin d'exploitation des gravières. Bien qu'illégale, elle bénéficie d'une certaine passivité des pouvoirs publics qui ont laissé s'installer et se développer rapidement cette pratique.
Où est la tradition dans tout cela ?
On assiste au déroulement d'un phénomène classique d'extension d'un mode de chasse très limité au départ et dont l'impact est faible du fait de sa rareté. Il s'étend sous la couverture d'une "tradition " pour atteindre un niveau inquiétant.
Et puis, la tradition ne justifie pas tout. De nombreuses chasses vraiment traditionnelles ont été interdites, à la demande des chasseurs eux-mêmes parce qu'elles avaient des effets dévastateurs. Je pense à la chasse aux alouettes au miroir, à la chasse à la bécasse à la croûle. Et il y en a bien d'autres.
Avant d'autoriser ou de maintenir tel ou tel mode de chasse, il faut se demander s'il est acceptable au regard de la protection des espèces, s'il est compatible avec l'évolution des milieux.
Je crains, qu'au-delà de la tradition, l'on ne défende en réalité des intérêts particuliers. Dans les zones de chasse vraiment traditionnelle, chaque chasseur avait sa hutte ou son gabion qu'il partageait avec ses amis. Mais après guerre s'est développée la location des installations qui sont ainsi devenues des canes aux ufs d'or. C'est un aspect sur lequel l'on est resté toujours très discret. Il explique peut-être la vigueur des réactions lorsqu'il s'agit de vouloir réglementer en la matière.
Une "nuit" pour toute la saison se loue entre cinq et dix mille francs sur les huttes de l'arrière-littoral du Pas-de-Calais. Les " bonnes " huttes sur le littoral de ce même département se louent jusqu'à 2 000 Francs pour une seule nuit. Dans l'Ouest de la France, certains considèrent qu'une hutte rapporte plus qu'une vache!
Certains chasseurs s'opposent d'ailleurs à la chasse de nuit.
Monsieur J.-R. B. de la Somme m'a écrit le 7 juin dernier : " Je suis chasseur et socialiste. Cependant, je n'apprécie guère la chasse à la hutte. En effet, j'estime que les oiseaux viennent se reposer la nuit. De ce fait, il est un peu cruel de tirer sur du gibier au repos. C'est mon point de vue et je conçois que l'on ne soit pas d'accord avec moi. Ce que j'ai le plus apprécié, à la hutte, c'est son repas convivial et ses discussions, la nuit, à refaire le monde. "
La situation sur le domaine public maritime.
Les huttes et gabions ont été installés, à l'origine, surtout sur le domaine public maritime. Sur ce territoire, la plus parfaite liberté en matière cynégétique a existé pendant des siècles. Les inscrits maritimes n'avaient pas besoin de permis de chasser. Le statut des installations était indéterminé. C'est la raison pour laquelle le législateur a finalement adopté une loi en 1968 pour réglementer la chasse sur le domaine public maritime. Cette loi permet essentiellement l'application du code rural sur le domaine public maritime. Elle a donné lieu à un décret créant les associations de chasse maritime et établissant le premier réseau de réserves de chasse sur le littoral.
Il en résulte, entre autres, un cahier des charges pour la location par l'Etat du droit de chasse sur le domaine public maritime. Il détermine notamment des conditions particulières pour les huttes et les gabions.
J'ai noté avec surprise que ce cahier des charges comporte une clause relative aux hutteaux mobiles. En 1978, cette clause était ainsi rédigée: "L'affût à partir de hutteaux peut se pratiquer de la passée du matin à la passée du soir". En clair, le cahier des charges interdisait donc la chasse de nuit au hutteau.
Mais, en 1996, cette clause a été remplacée par "les conditions d'exercice de la chasse à l'affût, à partir de hutteaux mobiles, seront précisées par le cahier des clauses particulières ". Cette clause permettait donc, subrepticement, d'autoriser la chasse de nuit au hutteau.
La loi du 3 mai 1844
Cette loi qui interdit la chasse de nuit est toujours en vigueur aujourd'hui.
La consultation des débats qui ont précédé et accompagné le vote de cette loi est passionnante.
La chambre des députés, comme la chambre des pairs, ont considéré qu'il existait deux types de gibier pour lesquels il est difficile de légiférer au niveau national. Ce sont le gibier d'eau et le gibier de passage (en fait le gibier migrateur). Ils ont donc décidé que la réglementation de ces chasses serait établie par les préfets. Pour mémoire, je vous rappelle que le pouvoir de réglementer ces chasses a été transféré au Ministre chargé de la chasse par une ordonnance de 1941.
Les parlementaires ont cependant décidé d'établir un cadre minimal. C'est dans ce cadre que figure l'interdiction de la chasse de nuit.
Le gouvernement avait proposé qu'un règlement d'administration publique détermine dans quels cas et sous quelles conditions la chasse serait permise de nuit. La chambre des pairs, vos prédécesseurs en quelque sorte, s'est montré plus exigeante et décida que la chasse ne pouvait jamais être permise la nuit.
Ultérieurement la chambre des députés décida que la chasse ne pouvait être pratiquée que le jour.
Il est intéressant de constater que plusieurs interventions traitent de la chasse à l'affût lors de la passée. L'assemblée des pairs, comme la chambre des députés reconnurent que la chasse à la passée était licite dans la mesure où elle se pratiquait avant la nuit.
À l'interpellation du Marquis de Boissy, le rapporteur de la loi à la chambre des pairs répondait :
" La Commission a entendu prohiber d'une manière absolue la chasse pendant la nuit ; mais elle a compris que très souvent la chasse à l'affût avait lieu dans un temps très rapproché de la nuit soit le matin, soit le soir, mais qui n'est pas la nuit. Vouloir aller plus loin et définir ce qu'est la nuit a paru impossible à la commission. Elle a cru qu'il fallait, en posant le principe de l'interdiction de la chasse pendant la nuit, laisser les appréciations de fait aux tribunaux, c'est ce qui se pratique dans toutes les matières de fait et notamment dans tous les cas où la circonstance de nuit est considérée comme aggravante. "
La comparaison entre le rapport de votre commission et celui du rapporteur de la loi de 1844 me laisse penser qu'on reprend, aujourd'hui, le même débat qu'il y a 155 ans.
Votre rapporteur indique que les travaux préparatoires de la loi de 1844 montrent clairement que le législateur était favorable à l'autorisation de certaines chasses de nuit pratiquées dans plusieurs départements. Nous n'avons pas la même lecture.
L'un des arguments avancé est que la loi de 1844 prévoit que "les préfets des départements, sur avis des conseils généraux, prendront des arrêtés pour déterminer:
-l'époque de la chasse des oiseaux de passage
-le temps pendant lequel il sera permis de chasser le gibier d'eau dans les marais, sur les étangs, les fleuves et rivières "
Si les juristes avaient considéré qu'un arrêté préfectoral pouvait autoriser la chasse de nuit à la hutte, cela aurait été fait depuis longtemps !
La raison est simple, il est clair à la lecture des débats que le législateur a utilisé le mot "temps " à la place du mot "période " pour éviter la répétition du mot qui figure à l'alinéa précédent.
Tous les traités de droit de la chasse indiquent que la chasse de nuit est interdite mais que dans certains départements, elle bénéficie d'une tolérance (!).
La lecture du projet alors présenté par le gouvernement conforte cette analyse. Ce projet comportait un paragraphe prévoyant que des ordonnances royales détermineraient les conditions pour la chasse de nuit (disposition repoussée par les deux chambres) et un deuxième paragraphe qui prévoyait que des ordonnances royales détermineraient "également " le temps où la chasse au gibier d'eau est permise. Enfin les déclarations des députés et des pairs sont sans ambiguïté sur la volonté d'une interdiction de la chasse de nuit.
Je vous lis un extrait du rapport de l'une des Commissions du parlement d'alors
"La loi de 1790 donnait à tout propriétaire ou possesseur la faculté de chasser, en toute saison, sur ses lacs et étangs. La loi nouvelle ne lui permet cette chasse que pendant le temps qui sera déterminé par le préfet ". Il est donc sans ambiguïté que le mot "temps" est employé avec le sens de "saison".
Enfin, l'analyse juridique du texte démontre que si le préfet pouvait prendre un arrêté déterminant les heures où la chasse est autorisée, la période définie ne pouvait en aucun cas comprendre la nuit.
Depuis ces débats aucun texte n'a jamais mentionné la chasse de nuit en tant que telle. Mais, et cela n'est pas l'un des moindres paradoxes de la réglementation cynégétique, certaines dispositions permettent la chasse à la hutte, à la tonne ou au gabion dont on sait qu'elle doit être nocturne pour garantir de beaux tableaux de chasse.
Les circulaires ministérielles et de l'Office national de la chasse
Depuis des lustres, le Ministre chargé de la chasse, le Conseil supérieur de la chasse puis l'Office national de la chasse ont publié des circulaires concernant la chasse de nuit. Je me limiterai à un passé récent car il se fait tard et je souhaiterais finir avant la passée du matin.
Le 7 juillet 1977, la Direction de la protection de la nature du Ministère de la culture et de l'environnement demandait à l'Office national de la Chasse de ne pas verbaliser les chasseurs qui pratiquaient leur activité à la passée dans les deux heures avant le lever du soleil ou les deux heures après son coucher pour la chasse à la botte ou dans les hutteaux mobiles.
Cette instruction s'appliquait aux actes de chasse à partir des tonnes, huttes ou gabions lorsque l'emploi de ceux-ci était constant dans une région et faisait partie des usages locaux.
Le 27 avril 1982 une nouvelle lettre de la Direction de la protection de la nature, à l'Office national de la Chasse constatant les difficultés d'application de la précédente circulaire, demandait à ce que "soit rappelé aux gardes qu'il leur appartient, comme le veut la loi, d'apprécier le moment où la nuit est faite selon les circonstances et de consigner dans leurs procès-verbaux les éléments d'appréciation correspondants à l'attention du juge"
Cette lettre indiquait également que la chasse de nuit à la hutte n'était tolérée que dans 16 départements côtiers en vertu d'anciens usages et qu'il n'était donc pas possible d'étendre cette tolérance à quelqu'autre département que ce soit, notamment de l'intérieur des terres.
Le 26 avril 1986, le Directeur de l'Office national de la chasse rappelait la circulaire de 1977 et donnait une liste des départements où la chasse à la hutte et au gabion est constante et fait partie des usages locaux. Cette liste comportait 42 départements (dont certains de haute montagne).
Je n'ai pas encore compris comment on était passé de 16 départements à 42 entre 1982 et 1986 et personne n'a pu m'expliquer cette explosion subite de traditions ancestrales de chasse nocturne au gibier d'eau. Il est vrai qu'à cette époque, le président de l'Office national de la chasse était également président de l'Association nationale des chasseurs de gibier d'eau, mais il me paraît absolument invraisemblable qu'il y ait une corrélation.
Enfin, le 31 juillet 1996, le directeur de l'office national de la chasse diffusait une circulaire reprenant des éléments similaires à ceux contenus dans les précédentes circulaires.
La décision du Conseil d'Etat.
Dans son arrêt du 7 avril 1999, le Conseil d'Etat a statué sur un recours déposé, je tiens à le rappeler, le 21 janvier 1997, soit bien avant mon arrivée. Il a constaté que le code rural était sans ambiguïté: la chasse de nuit est interdite par l'Article L 228-5 du code rural et " qu'en prescrivant aux agents de l'Office national de la chasse de ne relever les infractions que dans la période en deçà des deux heures avant le lever du soleil et au delà des deux heures après le coucher du soleil (heure légale), l'instruction méconnaît l'interdiction légale de la chasse de nuit ". Il a en conséquence annulé ces dispositions dans la circulaire.
Les commentaires de cet arrêt par "La Sauvagine" du mois de juin 1999, bulletin de l'Association nationale des chasseurs de gibier d'eau sont éloquents. Le rédacteur en chef écrit en effet :
" La chasse à la passée est dorénavant interdite ?
Faux ! ce qui est interdit c'est la chasse à la passée dès l'instant qu'il fait nuit. Problème : la définition du jour et de la nuit est à la libre appréciation des agents verbalisateurs et des juges.
Par temps couvert, il fait nuit parfois 30 minutes après le coucher du soleil. Par temps clair, on distingue déjà très bien une heure avant le lever.
La chasse de nuit à la hutte est interdite ?
Vrai ! Elle est interdite par le code rural et le Conseil d'Etat ne pouvait donc pas dire autre chose ! La chasse de nuit est seulement une tolérance qui, jusqu'à ce jour, permettait de chasser de nuit dans 42 départements."
Les problèmes posés par la chasse de nuit
La passée
Peu de personnes conteste ce mode de chasse et ce n'est pas l'intention du gouvernement de la remettre en cause. Reste à déterminer à partir de quelle heure et jusqu'à quelle heure elle peut se pratiquer.
En 1844, un long débat a eu lieu sur ce sujet, aussi bien à l'assemblée qu'à la chambre des pairs. Devant la difficulté de déterminer ce qu'était un acte de chasse de nuit, il avait été décidé de s'en remettre aux juges. La jurisprudence s'est établie petit à petit et comme le rappelle justement votre rapporteur, il est actuellement considéré que "la nuit doit s'entendre du temps quotidien pendant lequel la clarté est insuffisante pour permettre de distinguer la forme et la couleur des objets "
Je ne suis pas persuadée qu'il soit nécessaire d'établir une norme à ce sujet et la décision prise par vos prédécesseurs me semble être la meilleure.
Comme je vous l'ai montré au début de mon intervention, les pays européens autorisent la chasse à la passée pour une période qui varie de 30 minutes à une heure et demie après le coucher du soleil et une période identique avant le lever du soleil.
Des travaux scientifiques ont mis en évidence qu'une pression de chasse forte décale les horaires des vols crépusculaires des canards vers des heures aussi obscures que possible.
Des chasseurs interprètent ce décalage des horaires de vol des canards vers des heures plus obscures comme une capacité d'adaptation des oiseaux aux pressions de dérangement qu'ils subissent. Ils ont raison. Mais le coût de cette adaptation est une moindre capacité des oiseaux à stocker l'énergie nécessaire à la poursuite de leur cycle annuel, l'effet ultime portant sur le succès de la reproduction.
Le chasseur d'aujourd'hui, soucieux de la pérennité du gibier, doit se limiter et la limite d'une heure après et une heure avant le lever du soleil est un bon compromis.
Je pense donc qu'il est raisonnable, comme c'est actuellement le cas dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, de n'autoriser la chasse au crépuscule et à l'aube qu'une heure après et avant et le coucher et le lever du soleil.
La chasse de nuit
La situation est différente. Cette chasse est interdite depuis 1669 dans les bois et forêts et, de façon indiscutable, partout depuis 1844.
J'ai été surprise de l'apprendre. J'ai cherché à comprendre pourquoi, depuis plus de 150 ans, alors que le parlement a adopté un nombre de lois impressionnant sur la chasse, personne n'avait songé jusqu'ici à remettre en cause cette disposition dont tout un chacun savait qu'elle était régulièrement violée.
Pourquoi les chasseurs qui, durant ces 150 ans, ont présenté de nombreuses demandes de modification de la législation cynégétique, n'ont-ils jamais estimé prioritaire de clarifier une telle situation ?
Pourquoi en 150 ans aucun gouvernement, de droite, de gauche et du centre n'a t-il jamais proposé de modifier cet article du code rural ?
J'ai rapidement compris que les vrais chasseurs ne souhaitaient pas une telle mesure et que celle-ci n'était demandée que pour une minorité d'entre eux.
J'ai eu l'occasion de consulter les déclarations de monsieur Gaston TESSON qui pendant près de 20 ans a présidé la Fédération des chasseurs de Vendée et s'est opposé fermement à ce que cette pratique s'étende à son département. Aujourd'hui, la chasse de nuit en Vendée n'est ni autorisée ni pratiquée. On peut donc d'ailleurs se poser la question de savoir pourquoi la Vendée figure cependant sur la liste des départements où l'on déclare sans rougir qu'il s'agit d'une tradition.
J'ai cherché les raisons pour lesquelles le parlement, les gouvernements, les responsables de la chasse n'ont pas, durant 150 ans, modifié une telle loi. Je vais vous les donner
La première est l'identification et c'est d'ailleurs l'argument fondamental de la Commission européenne. Tout un chacun comprendra que si la nuit, tous les chats sont gris, bien des oiseaux se ressemblent. Ce n'est pas une boutade. J'ai consulté plusieurs spécialistes et tous m'ont confirmé que l'identification de certains oiseaux la nuit est très difficile. Même un ornithologiste confirmé peut aisément se tromper. En 1844, cet élément avait peu d'importance puisque toutes les espèces étaient chassables. Mais aujourd'hui, de nombreuses espèces d'oiseaux d'eau sont protégées. Cette protection n'est effective que si le risque de confusion est aussi réduit que possible.
La seconde, qui était la préoccupation principale de vos prédécesseurs, est la sécurité des gardes chargés de faire appliquer la réglementation. La nuit, le risque est trop grand pour ces agents d'être agressés en toute impunité.
Je citerai la circulaire des ministres de l'intérieur et de la justice du 9 mai 1844 qui commentait la loi récemment votée. L'article 9 " interdit la plus dangereuse de toutes les chasses, la chasse de nuit, qui a été la cause de tant de meurtres et de crimes contre les personnes ".
Le contrôle de la chasse aux huttes ou au gabion est indispensable. Les infractions le plus souvent relevées sont la chasse sans permis, le tir d'espèces protégées ou l'utilisation de magnétophones. Si les contrôles doivent être réalisés de nuit, vous imaginez les difficultés pour les gardes de circuler dans un marais ou une vasière. Leur simple arrivée, dans un milieu ouvert où il est difficile de se dissimuler, déclenche l'alerte et la fuite des oiseaux. Or le contrôle du permis de chasse, du tir d'espèces protégées ou de l'usage du magnétophone nécessite d'être sur place au moment de l'infraction. Autant dire que le contrôle de la chasse de nuit dans les marais et les vasières est impossible.
La troisième est d'ordre biologique. Les oiseaux doivent disposer d'un moment de tranquillité pour pouvoir se nourrir et se reposer. S'ils sont chassés le jour et la nuit, ils sont continuellement soumis au dérangement et ne peuvent pas suffisamment s'alimenter et se reposer. Cela devient particulièrement important en fin d'hiver quand les oiseaux doivent stocker des réserves en vue de la reproduction. L'impact sur la physiologie des oiseaux d'eau déjà relevé à propos du décalage des horaires de déplacement s'en trouve alourdi.
Il faut maintenant en ajouter une quatrième. La directive européenne sur la protection des oiseaux n'interdit pas expressément la chasse de nuit. Cependant la Commission a initié une procédure d'infraction à l'encontre de la France suite à la circulaire de l'Office national de la Chasse de 1996 .Elle est désormais sans objet compte tenu de l'annulation par le Conseil d'Etat des dispositions contestées. Il est probable que votre proposition de loi si elle était adoptée, donne lieu à une nouvelle procédure contentieuse. La Commission a d'ailleurs clairement fait savoir à mon ministère qu'une légalisation de la chasse de nuit l'inciterait à rouvrir le dossier qu'elle s'apprêtait à clore après l'arrêt du Conseil d'Etat .
Il est probable que la Cour de Justice des Communautés considérerait que la protection complète dont doivent bénéficier, les espèces protégées, en application de l'article 5 de la directive et les espèces dont la chasse n'est pas simultanément ouverte en application de l'article 7, ne serait pas assurée lors de la chasse nocturne.
Une position analogue à celle prise par la Cour en 1994 sur l'échelonnement des dates de chasse aux oiseaux migrateurs est à craindre. La chasse de nuit ne pourrait être admise que là et quand les autorités apporteront la preuve de son innocuité pour les autres espèces d'oiseaux, preuve qui ne pourra, en pratique, jamais être apportée.
De même, l'utilisation d'une dérogation sur la base de l'article 9 de la Directive serait contestée et probablement condamnée par la Cour.
Je vous cite enfin la réponse faite par la Commission a une question écrite d'un député européen en 1992 :
" Selon la législation française, le permis de chasse n'autorise pas à chasser la nuit et des sanctions sont prévues pour les contrevenants.
La Commission n'a pas connaissance d'une autorisation explicite ou implicite accordée par le ministère de l'environnement à la chasse de nuit. Une telle autorisation serait, bien sûr, en contradiction avec la législation nationale en vigueur(). La pratique de la chasse de nuit, en raison de son absence de sélectivité n'est en principe pas compatible avec les objectifs de régulation équilibrée et de conservation des espèces d'oiseaux visées par la directive.
La Commission ne voit pas la nécessité d'engager une action spécifique pour l'interdiction totale de la chasse de nuit, puisqu'il serait en principe contraire aux objectifs de la directive que les Etats membres autorisent une telle pratique. "
Enfin l'accroissement du nombre de huttes provoque le creusement des mares attenantes qui se multiplient. Cela n'est pas sans perturber profondément les systèmes hydrauliques au point que les services de l'Etat, comme ceux de Charente maritime, tentent, mais en vain, de réglementer l'installation de nouvelles huttes.
En conclusion
En ce qui concerne la chasse pratiquée au coucher et au lever du soleil, le gouvernement pense qu'elle pourrait effectivement être autorisée à l'image de ce qui se fait déjà en d'autres pays européens. En France, le législateur en avait déjà admis le principe en 1844. Il ressort des débats de l'époque qu'il considérait que compte tenu de la difficulté de définir la nuit, il convenait, tout en maintenant le principe de l'interdiction de la chasse de nuit, de laisser la chasse s'exercer une heure après le coucher et avant le lever du soleil.
Le deuxième article de la proposition de loi fait suite à l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme concernant la loi Verdeille. Cet article répond à deux des trois griefs soulevés par la Cour à l'encontre de la France: l'atteinte au droit de propriété des non-chasseurs et l'atteinte à la liberté d'association. Il ne répond cependant pas au grief sur la discrimination entre petits et grands propriétaires qu'ils soient ou non-chasseurs, ce qui est pourtant évoqué dans l'exposé des motifs de la proposition de loi.
Le gouvernement va devoir prochainement répondre au Conseil des ministres du Conseil de l'Europe de la bonne application de l'arrêt de la Cour européenne. Il salue donc l'intention positive du Sénat de sortir du contentieux engagé il y a cinq ans. Il souhaite cependant une formulation différente.
Il est bon de rappeler l'origine de ce contentieux.
GILLON et de VILLEPIN écrivaient en 1851 "La nuit du 4 août 1789 passa sur le régime féodal; et ce fut, comme on l'a dit depuis pour les droits et devoirs tant féodaux que censuels, ceux qui tiennent à la mainmorte réelle ou personnelle et à la servitude réelle "Ce fut...la nuit éternelle !
L'assemblée nationale en prononça l'abolition.
Le droit exclusif de la chasse et des garennes ouvertes fut pareillement aboli, et l'assemblée nationale décréta que tout propriétaire avait le droit de détruire et faire détruire seulement sur ses possessions toutes espèces de gibier, sauf à se conformer aux lois de police qui pourraient être faites relativement à la sûreté publique. C'est l'une des dispositions de l'article 3 de la loi du 4 août 1789. Par une seconde disposition, elle prononça la suppression de toutes les capitaineries, même royales, et de toutes réserves de chasse, sous quelque dénomination que ce fût, et déclara qu'elle pourvoirait, par des moyens compatibles avec le respect dû à la propriété et à la liberté, à la conservation des plaisirs du roi.
Puis, par un sublime élan de généreuse humanité, reportant une dernière fois ses regards sur le passé, et comme pour effacer jusqu'au cruel souvenir d'une législation qui avait trop duré, l'assemblée nationale chargea son président de demander au roi le rappel des galériens et des bannis pour simple fait de chasse, l'élargissement des prisonniers alors détenus et l'abolition des procédures existantes à cet égard.
Au point de vue de la chasse, l'uvre de l'assemblée nationale paraissait accomplie. Le droit naturel, concilié avec le respect dû à la propriété civile, venait de prévaloir de nouveau dans nos lois; et la France constitutionnelle n'avait rien à envier à la législation romaine.
C'était trop pour notre temps, c'était trop surtout à une époque où la réaction populaire se croyait en droit d'exercer une sorte de représailles contre la féodalité vaincue.
Le décret du 4 août 1789, les abus auxquels il donna naissance imposèrent à l'assemblée nationale une mission nouvelle "
L'Union nationale des Fédérations départementales des chasseurs faisait remarquer en 1989, citant le maire de Montargis, que les pires excès étaient alors commis. Le premier magistrat de cette ville lors d'une réunion du conseil municipal du 28 octobre 1789 constatait que "les campagnes sont désolées et dévastées par le nombre prodigieux de chasseurs et de chiens, qui produisent les plus grands dommages partout ". La passion de la chasse redécouverte devenait donc plus dévastatrice que le gibier tant accusé dans les cahiers de doléances. Les paysans finissaient parfois même par négliger la culture de la terre pour assouvir des désirs si longtemps réprimés. Au début de l'An III, un certain Collot, fonctionnaire à Charleville, écrivait à la Convention: "le plaisir de la chasse est devenu généralement pour les gens des campagnes surtout, une passion dominante. Il est beaucoup de villages où nombre d'habitants ont totalement abandonné leurs états pour se livrer complètement au braconnage "
Comme le relate encore, l'Union nationale des Fédérations départementales des chasseurs, un certain Poitevin, dans un mémoire adressé au Conseil des Cinq-Cents se plaignait amèrement des troubles causés par les chasseurs: " l'habitude malheureusement est généralement contractée de regarder les lois comme illusoires, attendu qu'il n'en est presqu'aucune qui soit ponctuellement exécutée. Il n'existe peut-être pas un seul canton dans la République où des hommes sans propriétés ne chassent journellement sur celles des autres, ou même ceux qui ont des propriétés ne chassent indistinctement sur les domaines de leurs voisins comme sur les leurs "
Face à cette situation, le pouvoir révolutionnaire resta un temps impuissant. Le décret du 11 août 1789 s'en était tenu à n'autoriser la chasse qu'aux seuls propriétaires et laissait à des lois de police ultérieures la faculté de réglementer son exercice.
Comme l'écrivaient GILLON et de VILLEPIN précédemment cités:
"Sublime rôle que celui d'une assemblée qui, au milieu des oscillations qui succèdent à un grand ébranlement politique, déracine d'une main d'injustes privilèges et de l'autre affermit les droits de tous, en protégeant la propriété qui en est le fondement !
Telle fut l'origine de la loi du 30 avril 1790 rendue d'urgence.
Le préambule de cette loi porte: " L'assemblée nationale, considérant que, par son décret du 4 août 1789, le droit exclusif de la chasse est aboli, et le droit rendu à tout propriétaire de détruire ou faire détruire, sur ses possessions seulement, toute espèce de gibier, sauf à se conformer aux lois de police qui pourraient être faites relativement à la sûreté publique ;
Mais que, par un abus répréhensible de cette disposition, la chasse est devenue une source de désordre qui, s'ils se prolongeaient davantage, pourraient devenir funestes aux récoltes, dont il est si instant d'assurer la conservation, a, par provision, et en attendant que l'ordre de ses travaux lui permette de plus grands développements sur cette matière a décrété ce qui suit " (...)
On abusait de son droit, on ne respectait pas le droit d'autrui; la loi du 30 avril 1790 sanctionna par une peine la défense de chasser sur le terrain d'autrui.
La chasse était permise en tout temps, aux termes du décret du 4 août 1789; l'assemblée nationale crut devoir protéger les récoltes, en autorisant chaque département à fixer pour l'avenir le temps dans lequel la chasse serait permise.
Cette même assemblée édicta, en l'article 1 de la loi, qu'"il est défendu à toutes personnes de chasser en quelque temps et quelque manière que ce soit sur le terrain d'autrui, sans son consentement ".
Cette disposition sera reprise dans l'article 1 de la loi du 3 mai 1844 sur la police de la chasse qui stipule que: " nul n'aura la faculté de chasser sur la propriété d'autrui sans le consentement du propriétaire ou de ses ayants droit "
Que faut-il entendre par les ayants droits ?
Sous ce terme il faut comprendre, l'usufruitier, l'emphythéote et l'antichrésiste. Mais c'est, il est vrai, une question fort controversée qui a donné lieu à de longs débats.
Le Code rural dans sa partie législative (article L.222-1) reprendra le principe élaboré par la Révolution française sous une formulation quasi identique à celle de la loi du 3 mai 1844: " nul n'a la faculté de chasser sur la propriété d'autrui sans le consentement du propriétaire ou de ses ayants droit ".
La loi n° 64-696 du 10 juillet 1964 relative à l'organisation des associations communales et intercommunales de chasse agréées, loi due à l'initiative du sénateur socialiste Fernand VERDEILLE, va déroger à l'ancien principe républicain. Elle va permettre la chasse chez autrui sans son consentement s'il est petit propriétaire.
C'est pour le moins paradoxal de la part d'un élu dont la philosophie politique aurait dû plutôt favoriser les petits propriétaires que les capitalistes dotés de vastes domaines.
En effet cette loi, en son article 3 édicte que pour être recevable, l'opposition des propriétaires ou détenteurs de droits de chasse doit porter sur des terrains d'un seul tenant et d'une superficie minimum de 20 hectares. Ce minimum est abaissé, pour la chasse au gibier d'eau, à 3 hectares pour les marais non asséchés et à 1 hectare pour les étangs sont isolés; cette superficie est réduite à 50 ares pour les étangs dans lesquels, au 1er septembre 1963, existaient des installations fixes, huttes et gabions.
Ce minimum est également réduit à 1 hectare sur les terrains où existaient au 1er septembre 1963, des postes fixes destinés à la chasse aux colombidés. Il est porté à 100 hectares pour les terrains situés en montagne au-dessus de la limite de la végétation forestière. Des arrêtés pris, par département, dans des conditions prévues au premier alinéa de l'article 2 pourront augmenter les superficies minimales ainsi définies. Les augmentations ne pourront excéder le double des minima fixés.
L'intention était louable. Il s'agissait de contraindre les chasseurs à regrouper leurs territoires de chasse, à instituer des réserves de chasse dans chaque commune et à gérer collectivement le gibier là où bien souvent régnait auparavant une aimable anarchie. Cette loi les obligeait à adhérer à une association communale ou intercommunale chargée de cette gestion collective. En terme purement cynégétique, la loi Verdeille peut donc être lorsqu'elle est bien appliquée une bonne loi d'organisation de la chasse. Je l'ai, d'ailleurs, dit à plusieurs reprises.
Le loi Verdeille devait rencontrer l'opposition de ceux qui ne souhaitaient pas que s'exerce chez eux un loisir qu'ils ne pratiquaient pas eux-mêmes.
Des députés comme MM. Xavier DENIAU et Pierre RUAIS ne manquèrent pas de le faire remarquer lors de la première lecture le 9 juin 1964. Ils se faisaient alors les porte-parole des petits propriétaires injustement contraints à subir chez eux une chasse non désirée sans d'ailleurs, pour autant, être des opposants à ce loisir. Comme le disait Xavier DENIAU "même si vous n'êtes pas chasseur, vous subirez la règle. On ne vous demandera pas si vous entendez chasser ou non. Un certain nombre de gens pourront venir chasser dans votre propriété, auxquels vous pourrez vous mêler ou non, selon que vous détiendrez ou non un permis de chasse " (...) "Vous aurez donc, dans une même région, côte à côte, un grand propriétaire qui louera sa chasse à un prix élevé à des sociétés parisiennes, et son voisin, propriétaire d'un petit terrain, qui n'aura plus le droit de chasser sur ses terres, à moins que ce ne soit en compagnie d'autres chasseurs qu'on lui aura imposés". Pierre RUAIS ajoutait: "le projet de loi tel qu'il nous est soumis n'intéresse pas seulement les chasseurs. Cependant, il a été élaboré et défendu uniquement dans l'optique de la chasse, en particulier dans l'intérêt des chasseurs.
Il ne tient pas spécialement compte des droits fondamentaux de tous ceux qui ne sont pas chasseurs "(...) " Quand on examine le projet de loi sous l'angle de ceux qui ne sont pas chasseurs, on s'aperçoit qu'il a cette conséquence fâcheuse qu'un petit propriétaire, à l'encontre d'un propriétaire de 20 hectares ou plus, ne peut utiliser son terrain à tel usage qui lui plaît, même si cet usage ne nuit en rien au voisin ou même à des sociétés de chasse. ".
En conséquence M. DENIAU auquel se joignait M. CHARIE déposait un amendement ainsi rédigé: "Tout propriétaire a droit, sur simple déclaration adressée au préfet et pour la durée qui lui conviendra, de faire classer "réserve " le terrain, de quelque superficie qu'il soit, lui appartenant, qu'il soit ou non enclavé dans le domaine d'autrui, s'interdisant par là, à lui-même ou à quiconque d'y chasser". Cet amendement était repoussé par l'Assemblée nationale par 221 voix contre 211. Nous en payons aujourd'hui les conséquences au travers de l'arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme du 29 avril dernier.
Le 29 juin 1964, dans cette enceinte, M. Jean de BAGNEUX reprenait à son compte les arguments des députés. CHARIE, DENIAU et RUAIS. Il demandait au Ministre de l'Agriculture que les décrets d'application de la loi tiennent compte du légitime souci des petits propriétaires non-chasseurs, ce qui ne s'est pas fait.
La loi Verdeille qui concerne maintenant près de 10 000 communes réparties dans près de 70 départements, s'est mise en place progressivement, sans heurts dans la majorité des cas.
En effet, lorsque les responsables des Associations communales de chasse agréées étaient de bonne volonté, les propriétaires non-chasseurs ont obtenu que leurs terrains soient placés en réserve de chasse.
Mais il faut bien aussi convenir que certains responsables se sont fait un malin plaisir d'imposer la chasse sur le territoire de non-chasseurs. Je suis d'ailleurs saisie, d'un nombre croissant de protestations de ruraux qui se plaignent du comportement de certains chasseurs. Ainsi, tout récemment, le Directeur départemental de l'Agriculture et de la Forêt d'un département de l'ouest de la France faisait-il état de conflits de plus en plus fréquents entre chasseurs et non-chasseurs Les premiers font preuve de comportements agressifs à l'égard des seconds et certains présidents d'ACCA plutôt que de rechercher par la concertation des solutions amiables s'arc-boutent sur des considérations procédurières. Ils bloquent les demandes de retrait des ACCA auxquels ont droit les propriétaires qui ont procédé, dans le cadre de regroupement des terres autour des sièges d'exploitation, à la constitution de territoires de 20 à 30 hectares d'un seul tenant.
Je tiens à vous citer deux lettres reçues d'autres régions de France, représentatives de l'ensemble du courrier reçu
M. G..., vit en Ariège où il s'est installé sur une petite exploitation agricole de 18ha, il y a une dizaine d'années après un licenciement dû à la fermeture de l'entreprise qui l'employait.
"L'investissement à peine commencé " écrit-il "les chasseurs voyaient d'un mauvais il ce projet, les privant d'un territoire de chasse. Nous avons subi de violentes menaces, un de mes chiens fut abattu, des tirs d'intimidation nous furent adressés; ainsi que des menaces de mort verbales. J'ai bien essayé de résister, de me défendre un peu face à cette hostilité. Vivant constamment dans la crainte d'un mauvais coup; mon épouse, mes enfants, et moi-même avons décidé sous la contrainte de vendre à perte notre propriété."
M.C... habite la Lozère. Il m'écrit: "j'ai 73 ans et une retraite d'exploitant agricole (...). Dans ma commune, il a été créée une ACCA, il y a une dizaine d'années. À l'époque les créateurs de cette association ont fait signer les propriétaires terriens pour leur demander de leur céder les droits de chasse sur leurs terres. La majorité des propriétaires ont signé un contrat de 6 ans renouvelable par tacite reconduction. Aujourd'hui nous sommes 9 propriétaires représentant environ 130 ha d'un seul tenant qui demandons le retrait du droit de chasse à l'ACCA. Le président de cette association nous le refuse, invoquant la loi Verdeille qui d'après lui est faite pour les chasseurs et non pour les propriétaires ".
Pour s'être opposés physiquement ou intellectuellement à la chasse ou "par erreur" des non-chasseurs ont même été tués chez eux : Cosimo LIPARTITI dans le Var en 1984, Claude MONOD dans les Alpes-de-Haute-Provence en 1990, Pierre LESCHERA dans les Alpes-Maritimes en 1991.
C'est pourquoi depuis le début des années 1980 des associations de protection de la nature ou de non-chasseurs ont demandé l'instauration d'un droit de gîte dont le projet allait être soutenu par deux de mes prédécesseurs M. Brice LALONDE et Mme Ségolène ROYAL. L'intransigeance des instances cynégétiques allait bloquer toute possibilité d'évolution de la situation et conduire à une saisine de la Cour européenne des Droits de l'Homme.
J'ai pu le mesurer moi-même. J'ai dit au Congrès des Fédérations départementales de chasseurs le 22 juillet 1997 que si la loi Verdeille était une bonne loi cynégétique, elle n'en posait pas moins problème à ceux qui ne partagent pas la passion de la chasse et doivent accepter l'exercice de la chasse chez eux. Il s'agissait de l'un des aspects des rapports conflictuels entre chasseurs et non-chasseurs.
À mes yeux la seule issue à cette situation était (et est toujours) la concertation et le respect.
À lire le courrier reçu depuis que j'ai en charge la chasse comme Ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement, j'ai l'impression que ce message n'a pas été entendu.
Il n'était donc pas étonnant qu'après avoir épuisé les possibilités de recours devant des juridictions françaises, 10 petits propriétaires fonciers et agriculteurs non-chasseurs de Dordogne et de la Creuse aient introduit des requêtes devant la Commission européenne des Droits de l'Homme en avril 1994 et avril 1995. Cette commission qui prépare le travail de la Cour européenne des Droits de l'Homme déclarait recevable les requêtes et adoptait en octobre et décembre 1997, trois rapports établissant que l'application de la loi Verdeille conduisait effectivement à une violation de la Convention européenne des Droits de l'Homme sur les points suivants:
- l'obligation faite aux propriétaires d'apporter le droit de chasse à une Association communale de chasse agréée se révèle une ingérence disproportionnée dans leur droit de propriété, dès lors qu'elle ne prévoit aucune indemnisation des propriétaires non-chasseurs,
- la différence de traitement entre les grandes propriétés (qui peuvent échapper à l'adhésion à une Association communale de chasse agréée) et les petites qui sont obligées d'adhérer est discriminatoire,
- l'obligation faite par la loi de contraindre un individu d'adhérer à une association dont il ne partage pas les buts voire sont contraires à ses convictions ce qui porte atteinte à la substance même du droit à la liberté d'association.
C'est à une large majorité de ses membres que la Commission s'est prononcée sur ces griefs. La suite logique a été une demande introductive d'instance invitant la Cour à se prononcer sur les violations qu'elle a relevées.
Afin de donner satisfaction au monde cynégétique français très attaché à la loi Verdeille y compris dans ses aspects les plus extrêmes, la stratégie de la France a été de défendre devant la Cour européenne des Droits de l'Homme la loi Verdeille en l'état. Mes efforts tout comme ceux de mon collègue ministre des Affaires étrangères pour que l'on fasse connaître à la Cour, afin d'éviter une condamnation, notre intention d'amender la loi Verdeille, n'ont pas été couronnés de succès.
Le résultat vous le connaissez.
-Par 12 voix contre 5 la Cour a jugé qu'il y avait violation de l'article 1 du Protocole n°1 quant à l'atteinte au droit de propriété des requérants en ce qu'ils étaient obligés de supporter tous les ans sur leurs fonds la présence d'hommes en armes et de chiens de chasse et qu'il n'y avait pas de compensation dans la loi Verdeille au profit des propriétaires non-chasseurs. Tout en relevant que les buts recherchés par la loi de 1964 étaient légitimes, la Cour considère qu'obliger les petits propriétaires à faire apport de leur droit de chasse sur leurs terrains pour que des tiers en fassent un usage totalement contraire à leurs convictions se révèle une charge démesurée qui ne se justifie pas sous l'angle du second alinéa de l'article 1 du Protocole n° 1. Il y a donc violation de cette disposition.
-Par 14 voix contre 3, la Cour a jugé qu'il y avait violation de l'article 1 du Protocole, combiné avec l'article 14 de la Convention. En effet, la Cour a considéré que la France n'a pas pu expliquer de manière convaincante comment l'intérêt général pouvait être servi par l'obligation faite aux seuls petits propriétaires de faire apport de leur droit de chasse sur leurs terrains. Dans la mesure où la différence de traitement opérée entre les grands et les petits propriétaires a pour conséquence de réserver seulement aux premiers la faculté d'affecter leur terrain à un usage conforme à leur choix de conscience, elle constitue une discrimination fondée sur la fortune foncière au sens de l'article 14 de la Convention. Il y a donc violation de l'article 1 du Protocole n° 1, combiné avec l'article 14 de la Convention.
-Par 16 voix contre 1, la Cour a jugé qu'il y avait violation de l'article 11, combiné avec l'article 14 de la Convention. La Cour estime que la France n'a avancé aucune justification objective et raisonnable de la différence de traitement contestée, qui oblige les petits propriétaires a être membres des Associations communales de chasse agréées et permet aux grands propriétaires d'échapper à cette affiliation obligatoire, qu'ils exercent leur droit de chasse exclusif sur leur propriété ou qu'ils préfèrent, en raison de leurs convictions, affecter celle-ci à l'instauration d'une refuge ou d'une réserve naturelle. En conclusion, il y a violation de l'article 11 combiné avec l'article 14 de la Convention.
Enfin la Cour, après avoir pris note du fait que les requérants ne demandaient rien au titre des frais et dépens, ayant été représentés gratuitement devant les organes de la Convention, a rejeté leur demande en réparation du préjudice matériel allégué, faute de justificatifs. En revanche, statuant en équité, la Cour a accordé à chacun des requérants la somme de 30 000 F pour dommage moral.
À la suite de cet arrêt le gouvernement a fait savoir le jour même qu'il prendrait les dispositions utiles pour respecter cet arrêt: il s'agira non seulement de verser les indemnités allouées aux requérants mais également de préparer les aménagements à apporter à la loi Verdeille. Elle devra à l'avenir mieux répondre aux principes relatifs à la protection du droit de propriété et à la liberté d'associations, tels qu'interprétés par la Cour européenne des Droits de l'Homme.
La proposition de loi portant diverses mesures d'urgence relatives à la chasse répond partiellement à deux des trois griefs retenus par la Cour européenne des Droits de l'Homme à l'encontre de la France, ceux qui concerne l'atteinte au droit de propriété et à la liberté d'association. Mais elle ne répond pas au grief sur la discrimination entre petits et grands propriétaires qu'ils soient ou non chasseurs, ce qui est pourtant évoqué dans l'exposé de cette proposition de loi. N'y lit-on pas ,à propos de l'arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme "Cet arrêt, qui est d'application immédiate, est d'ores et déjà considéré comme permettant à tous les propriétaires fonciers -chasseurs ou non chasseurs- de retirer leur fond du territoire de l'ACCA"?. Il convient donc d'aller jusqu'au bout de la logique initiée par cette remarque. La France va devoir, en effet, dans un proche avenir justifier, face au Conseil des ministres du Conseil de l'Europe, de mesures mettant en conformité sa législation avec les conclusions de la Cour européenne des Droits de l'Homme.
Afin que soient évaluées toutes les conséquences de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme, j'ai demandé au Conseil d'Etat la nomination de l'un de ses membres pour présider un groupe de travail. Ce groupe rassemblera des représentants des ministères et établissements publics concernés et pourra associer à ses travaux des élus et des représentants des organisations et des associations partie prenante aux débats sur les modalités d'exercice de la chasse.
À mon avis, sur cet aspect de la chasse comme dans d'autres, il n'y aura pas, sans compromis, de solution durable aux conflits, entretenus quelquefois artificiellement pour des raisons politiciennes, entre chasseurs, non-chasseurs et protecteurs de la nature
Un peu à l'image de ce qu'avaient entamé à la fin des années 1970, l'Union nationale des Fédérations départementales des chasseurs et France-Nature Environnement, j'ai tenté à plusieurs reprises de recréer les conditions du dialogue.
Durant l'été 1997, un déjeuner était programmé à mon initiative entre l'Union nationale des Fédérations départementales des chasseurs et France-Nature-Environnement comme je l'avais annoncé le 22 juillet 1997 au Congrès des Présidents de Fédérations départementales de chasseurs. Quelques jours avant ce déjeuner le président de l'Union adressait aux présidents de fédérations une lettre circulaire leur faisant part de ses profondes réserves sur la relance de la procédure Natura 2000, à laquelle tenaient beaucoup les associations de protection de la nature. Le déjeuner a dû être annulé.
En avril 1998, après que j'ai mis en place un groupe de réflexion sur la chasse aux oiseaux migrateurs, les protecteurs de la nature (France Nature Environnement, Ligue pour la Protection des Oiseaux) étaient prêts, comme les chasseurs de l'Association nationale pour une chasse écologiquement responsable (ANCER) à s'engager dans un compromis sur les dates d'ouverture et à aller le plaider auprès de la Commission européenne. L'Union nationale des Fédérations départementales de chasseurs (UNFDC) et l'Association nationale des chasseurs de gibier d'eau (ANCGE) ont refusé cette main tendue. Les contentieux ont donc recommencé.
Une nouvelle tentative a été lancée en février dernier par mon cabinet en liaison avec celui du Premier ministre. Il s'agit de faire dresser un bilan des connaissances actuelles sur la reproduction et la migration des oiseaux par un groupe scientifique animé par le professeur LEFEUVRE. Ce groupe est composé de membres du CNRS et de l'Académie des Sciences, du Muséum national d'Histoire naturelle, des Universités et de l'Office national de la Chasse. À l'issue de ce bilan, il sera proposé aux chasseurs et aux protecteurs d'élaborer un compromis compatible avec la directive " Oiseaux ", et donc acceptable par la Commission européenne, sur les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse aux oiseaux migrateurs. Ce compromis permettra au gouvernement d'aller négocier avec la Commission les modalités de chasse aux migrateurs permettant d'éviter une condamnation de la France par la Cour de Justice des Communautés européennes.
Je constate, par ailleurs, que mon directeur de cabinet, plusieurs membres de ce cabinet et la Direction de la Nature ont consacré et consacrent, en concertation avec chasseurs et non-chasseurs, parlementaires et responsables cynégétiques, bien plus de temps à trouver des solutions de compromis qu'ils n'en passent avec toute autre catégorie d'usagers de la nature.
Je constate également qu'année après année des lois relatives à la chasse sont votées "d'urgence"et "à titre provisoire" sans souci de cohérence et qu'elles conduisent à un édifice branlant rafistolé au gré des humeurs du moment et source de conflits et contentieux sans fins en dépit des déclarations de leurs auteurs.
Le 30 juin 1994 votre assemblée discutait d'une proposition de loi relative aux dates de clôture de la chasse aux oiseaux migrateurs dont l'une des finalités était, si l'on se rapporte aux interventions, par exemple, de MM. de CATUELAN ou LACOUR, de mettre fin à des conflits multiples d'interprétation de la directive "Oiseaux " et d'anticiper sa modification. Cette directive faut-il le rappeler encore, à été promue par la France, adoptée à l'unanimité et signée par le président de votre commission des Affaires économiques et du Plan, alors ministre des Affaires étrangères
M. ALTHAPE, avec beaucoup de clairvoyance, constatait, quant à lui, qu'"une fermeture échelonnée de la chasse aux gibiers d'eau et aux oiseaux de passage ne correspond pas à une bonne gestion de ces espèces non menacées. De plus, cette fermeture échelonnée générerait de nombreux conflits et des recours qui, une fois de plus créeraient un climat insupportable ". Il ne croyait pas si bien dire puisque le vote de la loi du 15 juillet 1994 a conduit à la multiplication de contentieux. 37 arrêtés préfectoraux pris en vertu de cette loi ont été attaqués, 23 ont été annulés et la Commission européenne a saisi la Cour de Justice des Communautés européenne pour infraction à la directive " Oiseaux ".
De même, la fixation de dates d'ouverture anticipée de la chasse au gibier d'eau selon des modalités qui seront reprises dans la loi du 3 juillet 1998, avait-elle conduit le Conseil d'Etat à casser 87 des 89 arrêtés signés par mes prédécesseurs.
Quant aux suites de la loi du 3 juillet 1998, elles sont similaires. Les tribunaux administratifs ont annulé 17 arrêtés préfectoraux pris en fonction des dates de fermeture fixées par cette loi mais la Cour d'appel de Bordeaux vient de casser ces jugements concernant 3 départements. Les tribunaux administratifs ont rejeté 12 recours et ne se sont pas prononcés sur le fond pour 4 départements. Quant à la Commission européenne, elle a saisi la Cour de Justice des Communautés européennes, le 5 février 1999, à propos de la loi du 3 juillet 1998.
Contrairement à ce qui a été rapporté, ça et là, dans la presse cynégétique, je tiens à préciser que je n'ai pas répondu subrepticement, en août 1998, à la Commission européenne, ce qui aurait entraîné la saisine de la Cour de Justice. La raison en est simple. Jamais un ministre ne répond directement à la Commission européenne. Les réponses de la France relatives aux mises en demeure ou aux avis motivés sont préparées par le Secrétariat Général du Comité Interministériel pour les Questions de Coopération Economique Européenne (SGCI) placé auprès du Premier ministre sur la base des éléments techniques communiqués par les ministères compétents. Elles sont ensuite transmises à la Représentation Permanente de la France auprès des institutions européennes à Bruxelles qui les transmet à son tour à la Direction Générale compétente de la Commission européenne.
Concernant les documents rédigés dans les affaires devant la Cour de Justice ou le Tribunal de première instance, ils sont rédigés lors de réunions interministérielles au SGCI. Les ministères compétents apportent leur expertise sur les éléments techniques indispensables à la rédaction par le ministère des Affaires étrangères du document finalisé (mémoire en intervention, recours ou plaidoirie, etc.)
Le document avalisé par l'ensemble des départements ministériels, est ensuite transmis au greffe de la Cour ou du Tribunal par le ministère des Affaires étrangères.
La confusion la plus totale règne donc encore et les contentieux que le Parlement disait vouloir éteindre avec la loi du 3 juillet 1998 ont redémarré de plus belle. Ils concernent jusqu'à présent les dates de fermeture mais il faut s'attendre dans les prochains mois à un ou des arrêts du Conseil d'Etat sur les dates d'ouverture.
Cela montre que les lois dites "provisoires ", bricolées à la hâte ne résolvent pas les problèmes posés.
Sur la proposition elle-même quelle cohérence y-a-t-il entre le premier et le second article. Quel rapport y -a-t-il entre la chasse de nuit et la loi sur les associations communales de chasse agréées ?
Je partage tout à fait les conclusions de votre Commission sur le fait qu'une loi d'orientation sur l'organisation générale de la chasse en France est devenue nécessaire.
C'est pourquoi le gouvernement a l'intention de mettre rapidement en chantier une loi qui traitera des différents aspects de la chasse intégrant aussi bien les questions qui touchent aux associations de chasseurs et à la garderie que celles qui concernent les périodes et modalités de la chasse. Trois chantiers ont déjà été ouverts:
-celui sur les fédérations et la garderie à la suite du rapport de l'Inspecteur général CAILLETEAU,
-celui sur les périodes de chasse aux oiseaux migrateurs avec le travail du groupe animé par le professeur LEFEUVRE,
-enfin celui qui aura pour mission de tirer les conclusions de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme dont j'ai parlé précédemment.
C'est pourquoi, je vous rejoins, Madame le rapporteur, lorsque vous écrivez: " le vote d'une loi d'orientation sur l'organisation générale de la chasse en France apparaît désormais indispensable. Elle aura pour objectif de dégager, à partir d'un consensus entre tous les partenaires concernés : chasseurs, protecteurs et usagers de la nature, un corps de principes rénové réglementant l'exercice de la chasse. "
C'est également pourquoi, je ne vous comprends plus lorsque vous soutenez une proposition de loi qui ne résulte ni des travaux de réflexions engagés ni de ce consensus que vous appelez de tous vos vux.
C'est également pourquoi le gouvernement ne peut accepter la proposition de loi portant diverses mesures d'urgence relatives à la chasse.
(source http://www.environnement.gouv.fr, le 15 juillet 1999)