Déclaration de M. Michel Giraud, ministre du travail de l'emploi et de la formation professionnelle, sur les projets de développement de la participation des salariés dans l'entreprise et l'intéressement, Paris le 2 décembre 1993.

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Intervenant(s) : 
  • Michel Giraud - Ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle

Circonstance : Forum national FONDACT (Fondation Promotion Epargne Actionnariat Salariés) sur le thème "Participation et intéressement" le 2 décembre 1993

Texte intégral

La participation est une idée généreuse sur le plan social. Son objectif est de faire du salarié un acteur et un associé, un partenaire et un citoyen de l'entreprise. Cet objectif est d'autant plus nécessaire, que nous traversons une période de difficultés économiques.

La participation est également une idée prometteuse, particulièrement moderne sur le plan économique.

Je suis certain, comme vous, que la participation des salariés est l'un des fondements de la compétitivité des entreprises dont notre pays a besoin s'il veut surmonter la crise de l'emploi.

Certains diront que parler de participation nous éloigne de cette réalité.

Ma conviction est, au contraire, que la participation n'est pas à côté mais au cœur des solutions à la crise de l'emploi.

L'expérience montre que la participation crée un climat dans et autour de l'entreprise, considérée non comme un lieu d'affrontements stériles, mais comme une communauté d'intérêts, comme un lieu de solidarité où le dialogue est possible, où les salariés peuvent s'informer, s'exprimer, se comprendre, partager.

Je suis convaincu qu'un développement qualitatif des relations du travail demeure une condition fondamentale pour satisfaire l'enjeu considérable que représente le rayonnement de nos entreprises : enjeu en termes d'emplois mais aussi d'expression culturelle.

La participation est, en effet, facteur d'un nouvel humanisme dans l'entreprise avant même de favoriser une meilleure cohérence des rémunérations.

C'est cette prise en compte des ressources humaines qui doit se traduire, à terme, par un sentiment d'appartenance, une solidarité autour des objectifs de l'entreprise. Le Premier ministre, le Gouvernement y sont très attachés.

Cette nouvelle culture n'émergera réellement que si la participation s'intègre fortement dans la politique contractuelle de l'entreprise et dans sa politique salariale.

L'actualité montre, en effet, que les hausses de salaires collectives ne peuvent plus être que modérées, limitant, réduisant même, parfois, le pouvoir d'achat des salariés.

Réaliser un lien entre politique salariale et participation permet de développer une nouvelle politique cohérente de rémunération du personnel.

C'est ainsi que les mécanismes de participation financière offrent un espace de négociation. En liant une partie de la rémunération du salarié aux résultats de l'entreprise, ils concourent à la réalisation de ses objectifs en gratifiant les efforts de tous.

Les textes de 1986 ont bien répondu à cette attente. Alors pourquoi remettre en chantier la participation ?

C'est ce que je veux rapidement évoquer devant vous en replaçant tout d'abord les dispositions de 1986 dans leur contexte.

Le système Français de participation s'est développé à travers la création de nombreuses institutions, ayant chacune leurs caractères propres, et autour de trois pôles.

D'abord celui de la participation des salariés à la gestion.

Qu'il s'agisse de l'information des salariés, de leur consultation, de leur expression dans l'entreprise et même de leur participation aux décisions, les cinquante dernières années ont vu apparaître :
- d'abord, les délégués du personnel en 1936/1938 ;
- ensuite, le Comité d'entreprise ;
- puis, la participation des représentants de salariés aux conseils d'administration ou de surveillance des entreprises appartenant au secteur public ;
- enfin, la mise en place du droit d'expression, idée lancée par le rapport Sudreau.

Un deuxième pôle de participation est celui que constitue la participation financière mise en place à l'initiative et sous l'égide du Général de Gaulle :
- avec l'intéressement, en 1959, fondé sur le volontariat ;
- puis, avec la participation aux fruits de l'expansion des entreprises, en 1967, système obligatoire pour les grandes entreprises ;
- enfin, avec l'actionnariat des salariés qui pouvait être le produit des deux systèmes précédents ou celui de lois spécifiques, qui se sont succédé de 1970 à 1980.

Enfin, le troisième pôle – que j'inclus volontairement dans la participation au sens large du terme – à savoir la négociation dans l'entreprise, amorcée avec la reconnaissance de la section syndicale dans l'entreprise en 1968, relancée par la loi de 1982 sur l'obligation annuelle de négocier dans l'entreprise.

I. – C'est dans ce cadre que doit être apprécié l'apport de l'œuvre gouvernementale de 1986, constituée de 3 textes essentiels

1. L'ordonnance sur la participation financière et l'intéressement qui répond à plusieurs objectifs.

Un objectif de simplicité, d'une part, en harmonisant et en regroupant en un texte unique les mécanismes existants.

De fait, après avoir précisé les notions d'intéressement et de participation, le même texte oriente ces deux sources financières vers les plans d'épargne d'entreprise, et fait de ces derniers le support privilégié de l'actionnariat du personnel.

Un objectif de liberté, d'autre part, sont supprimés tous les contrôles administratifs préalables qui subordonnaient l'entrée en vigueur des accords d'intéressement ou de participation à l'homologation des pouvoirs publics.

S'agissant de la participation aux résultats, les contrats peuvent se référer à des définitions souples de la notion de bénéfice.

S'agissant des contrats d'intéressement, ils sont immédiatement applicables, sans condition d'aval des commissions départementales.

Cette liberté recouvrée a eu pour corollaire un enrichissement de la négociation d'entreprise.

L'accord d'entreprise paraît, à ce titre, le mode de conclusion le plus pédagogique, car il implique tous les partenaires, et évite de faire de la participation un système coupé des relations quotidiennes du travail. D'ailleurs, l'expérience montre que, quelles que puissent être leurs réticences de principe, les syndicats signent les accords de participation.

Un objectif de responsabilité, enfin ; celle-ci n'est-elle pas, en effet, le corollaire évident de la liberté ?

Mais la participation financière, si complète soit-elle, ne saurait épuiser toutes les virtualités de la participation au pouvoir de décision et, donc, l'implication responsable des acteurs de l'entreprise dans ce qui les concerne au premier chef, la marche de leur entreprise. Tel a été l'objet de la seconde ordonnance sur la participation à la gestion de l'entreprise.

Des salariés figuraient dans les conseils d'administration, soit comme représentants du comité d'entreprise – mais ne disposant que d'une voix consultative –, soit comme administrateurs mais seulement dans le secteur public et avec un statut dérogatoire.

L'ordonnance du 21 octobre 1986 initiait une conception radicalement nouvelle : son champ d'application recouvre l'ensemble des sociétés anonymes employant plusieurs millions de salariés ; elle confère vocation à ces salariés à élire en leur sein des administrateurs à part entière.

Deux principes ont guidé la démarche du Gouvernement : le volontariat, d'une part ; le respect des identités et des fonctions de chacun, d'autre part.

Le volontariat ? L'entrée des administrateurs est facultative.

Le respect des identités et des fonctions de chacun : les nouveaux administrateurs sont d'authentiques représentants des salariés, élus par leurs pairs : ils sont également administrateurs à part entière.

2. Le troisième texte essentiel est la loi du 6 août 1986 sur les modalités d'application des privatisations, notamment ses dispositions concernant l'actionnariat des salariés.

Deux types de dispositions ont été prises pour développer cet actionnariat :
- des conditions préférentielles d'acquisition des titres ;
- une attribution gratuite d'actions.

Chacun a pu mesurer le succès de ce dispositif, dès les premières privatisations.

Le développement de l'épargna et de l'actionnariat salarial, est et demeure un objectif auquel le Gouvernement est fortement attaché.

Grâce au succès des premières privatisations, grâce aux possibilités offertes par la loi du 6 août 1986, nous sommes passés de l'actionnariat des salariés à un véritable capitalisme populaire. L'engouement des Français, notamment des salariés des entreprises privatisées, atteste du fait que l'objectif du Gouvernement rencontre un écho très positif de la part de l'opinion publique.

Les résultats significatifs de la participation financière confirment le bien fondé des orientations prises dans le cadre de l'ordonnance du 21 octobre 1966. Il faut toutefois reconnaître que la loi du 7 novembre 1999 a freiné l'élan en imposant des limitations au développement de l'intéressement au moment même où la conjoncture économique se retournait. Les derniers chiffres disponibles – ceux de 1991 – traduisent un incontestable fléchissement du nombre d'accords signés et de salariés concernés.

Aujourd'hui, une nouvelle pulsion doit être donnée à l'intéressement. La mission, confiée par le Premier ministre à mon ami Jacques Godfrain, s'inscrit dans le cadre de cette volonté comme un préalable au projet de loi qui sera prochainement déposé devant le Parlement.

II. – Après sept années de fonctionnement, il s'avère en effet nécessaire de relancer l'intéressement en réexaminant notamment les modalités de plafonnement résultant de la loi du 7 novembre 1990, ainsi qu'en simplifiant fortement un dispositif devenu particulièrement complexe.

Il faut également, – l'expérience y convie – prévoir des adaptations pour accroître la souplesse et l'attractivité de l'actionnariat salarié.

Mais, ainsi que je le précisai dès l'introduction de mon propos, la participation ne se réduit pas à sa dimension financière. Elle implique également une plus grande présence des représentants des salariés dans les organes de direction des sociétés.

Avec l'étape de 1986, le Gouvernement avait franchi un pas important en introduisant, dans les organes de gestion des sociétés privées, des administrateurs élus par leurs salariés.

Toutefois, conscient que, dans le cadre d'une telle démarche, il fallait se garder de brusquer les choses – la participation aux organes de gestion ne se décrète pas – le Gouvernement avait, à l'époque, ouvert une simple faculté. Il s'agissait de faire en sorte que cette forme de participation à la décision puisse être pratiquée sur la base du volontariat, en résultant non pas d'une contrainte mais d'un clair consentement de l'entreprise.

En pratique, cette faculté a surtout été concrétisée par les entreprises privatisées. Aujourd'hui, le Gouvernement souhaite vivement que cette faculté puisse être davantage mise en œuvre.

Il nous faut désormais franchir une nouvelle étape. Le Premier ministre l'a clairement indiqué dans sa déclaration de politique générale en évoquant l'amélioration du statut des salariés. Il s'agit d'accroître la participation à la gestion des entreprises. Les fortes et rapides mutations économiques et sociales le justifient.

La participation doit être conçue dans sa globalité, c'est-à-dire non seulement sous ses aspects financiers mais également en matière de gestion. Ses deux déclinaisons sont de plus en plus indissociables.

D'une part les conditions sont aujourd'hui réunies pour que la participation connaisse un progrès décisif.

Il existe, du côté des salariés, une réelle aspiration à participer, directement ou non, à l'évolution interne de l'entreprise qualifications, emplois, durée et aménagement du temps de travail…

D'autre part, le développement de la participation ne doit pas être confiné au secteur privé et au secteur public concurrentiel.

Il n'y a aucune raison – même si des adaptations s'avèrent forcément nécessaires – pour que les agents publics demeurent à l'écart de ce grand mouvement qui vise à associer les personnels aux décisions qui concernent leurs conditions de travail, leur environnement professionnel, en leur permettant de mieux s'exprimer, c'est-à-dire de traduire une réelle capacité d'inflexion ou d'orientation.

Diverse dans ses formules, souple dans ses applications, la participation conçue dans sa globalité doit être largement ouverte. Elle est une méthode, un état d'esprit qui doit imprégner les relations de travail, toutes les relations de travail.

C'est pourquoi le champ d'investigation du prochain projet de loi est très large. Les gouvernements précédents ont ouvert des espaces à la participation. Certains chefs d'entreprises s'y sont résolument engagés.

On peut aujourd'hui admettre que les textes de 86 ont facilité l'adaptation des entreprises et ont amélioré la qualité du dialogue social.

Le niveau des colloques qu'organise votre association et leur fréquence annuelle en sont la démonstration.

Dans son discours de politique générale, le Premier ministre nous a invité à aller, ensemble, plus loin pour offrir au salarié la place qui doit être la sienne dans l'entreprise, dans la société d'aujourd'hui : celle d'un acteur considéré.

C'est ainsi que le projet de loi que j'aurai l'honneur de présenter devant le Parlement, au printemps, aura pour premier effet de supprimer les limites fixées par la loi de 1990 et notamment le plafonnement des sommes versées au titre de l'intéressement.

Par ailleurs, les partenaires sociaux admettent, désormais, que la participation financière est un des meilleurs moyens pour responsabiliser le salarié d'une entreprise. Le moment est venu de donner un nouveau souffle à la participation, notamment en assouplissant les procédures, en la rendant plus attractive. C'est le Second objectif que je me fixe.

Enfin, j'estime indispensable de favoriser une écoute privilégiée des salariés en les faisant participer aux conseils d'administration et aux conseils de surveillance. Le principe est simple, les modalités doivent être étudiées sérieusement, sans précipitation. Des décisions d'une telle importance ne doivent, en effet, pas être prises à la hâte. Cependant, je souhaite ardemment qu'un nouveau pas soit réalisé grâce à ce projet de loi.

Il faut, en effet, regretter qu'aucun des textes antérieurs, pas même l'ordonnance du 21 octobre 1986 qui permet l'élection de salariés au conseil d'administration ou au conseil de surveillance des entreprises, n'a permis une représentation réelle des salariés dans les organes de décisions des entreprises.

On ne dénombre aujourd'hui que 9 cas d'application. Encore ceux-ci ne concernent-t-ils que des sociétés privatisées.

Paradoxalement, on a pu constater, dans le même temps, le très vif succès de l'actionnariat salarié organisé dans le cadre de la participation aux résultats par le biais de distribution d'actions ou de souscriptions à des augmentations de capital. Ce succès s'est vu confirmé lors de la récente privatisation de la BNP, puisque 90 % du personnel de la banque a souscrit à des achats d'actions.

C'est pourquoi le texte qui sera présenté par le Gouvernement aura notamment pour objet de faciliter la représentation des actionnaires salariés aux organes de gestion de l'entreprise, en comblant le vide entre les dispositions de l'ordonnance de 1986 qui favorise la participation des salariés sans la lier à l'actionnariat, et celles de la loi de 1966 trop strictes pour permettre une réelle participation.

Il s'agit, aujourd'hui, par une démarche volontariste, de traduire aussi concrètement que possible le souci d'humanisme qui doit tous nous animer pour faire vivre, au travers de nos entreprises, une société plus fraternelle.