Texte intégral
France 3 : Vous dites que cette baisse va profiter à tous les Français. Comment arriver à un tel résultat lorsqu'on sait qu'un Français sur deux paie l'impôt sur le revenu ?
N. Sarkozy : Le problème aujourd'hui de la crise économique, c'est qu'il faut absolument d'une manière ou d'une autre relancer la consommation. Il est bien évident que ce que l'on dépense lorsqu'on est un particulier pour payer ses impôts, on ne le dépense pas en achetant des biens aux entreprises. Ça nuit aux entreprises et donc, ça nuit à l'emploi. Et nous pensons qu’alléger l'impôt sur le revenu, cela permet de donner en quelque sorte du travail aux entreprises et donc du travail aux Français.
France 3 : Mais par exemple la CSG, tout le monde la paye, or cette baisse des impôts ne va profiter qu'à un Français sur deux.
N. Sarkozy : Il y a quand même 15 ou 16 millions de Français qui payent l'impôt sur le revenu. Après tout, si on leur rend la vie un peu plus facile, on n'aura pas rendu la vie facile à tous les Français, mais 15 à 16 millions, ça commence à faire pas mal. J'ajoute que je n'oublie pas que je suis le ministre du Budget d'un Premier ministre qui lorsqu'il était lui-même à l'Économie et aux Finances a fait des allégements extrêmement importants. L'impôt sur le revenu français est très lourd, pèse surtout sur les classes moyennes sur lesquelles reposent une grande partie de la situation économique en France. Il faut reprendre le chemin de la diminution des prélèvements obligatoires.
France 3 : Quand on veut aider les classes moyennes donc relancer la consommation, est-ce que l'effort ne devait pas être plus important ?
N. Sarkozy : Si vous voulez m'expliquer qu'il valait mieux supprimer complètement l'impôt sur le revenu, je serais en tant que contribuable assez sensible à vos thèses. Le problème c'est que la politique et lorsqu'on est au gouvernement, les affaires de la France, au vrai sens du terme, on fait avec ce qu'on peut et ce qu'on a. La situation économique fait que les rentrées fiscales de l'État sont faibles, que les dépenses sont multiples et nous avons mobilisé le maximum d'économie pour dégager les marges de manœuvre sur l'impôt sur le revenu.
France 3 : Alors on parle de 17 milliards d'effort de l'État, comment allez-vous trouver ces 17 milliards ?
N. Sarkozy : C'est tout l'objet de la préparation de la loi de finances auquel je suis occupé et qui passera au Conseil des ministres le 22 septembre. Quand on veut dépenser plus pour financer des priorités, il y a qu’une seule situation et une seule solution possible, c'est de faire des économies. Il faudra faire des économies sur le train de vie de l'État. Et toute l'instruction qui m'a été donnée par le Premier ministre, c'est de traquer les dépenses pour ne garder que celles qui sont utiles.
Sur la révision de la Constitution
France 3 : Pouvez-vous véritablement éviter une révision de la Constitution ?
N. Sarkozy : C'est ce que nous sommes en train d'étudier. Mais qu'est-ce qu'on veut faire dans cette affaire ? D'abord je souhaiterais que vous notiez que le Premier ministre et le gouvernement ne souhaitent pas faire de cette affaire une querelle théologique ou idéologique. La France a suffisamment de problèmes pour qu'elle ne se divise pas sur cette situation. Qu'est-ce qu'il se passe ? Nous voulons mettre en œuvre une politique de l'immigration qui permette de maîtriser les flux migratoires. Nous avons été élus pour ça, pas que pour cela, mais en partie. Et nous sommes en train d'expertiser pour voir si la décision du Conseil constitutionnel rend impossible toute maîtrise du flux migratoire s'agissant des réfugiés politiques avec une autre obsession : respecter le droit des gens. C'est ce qui fait l'objet de ce débat.
France 3 : Mais on a eu le sentiment en écoutant E. Balladur, qu'il s'orientait vers une révision de la Constitution.
N. Sarkozy : Vous avez surtout le sentiment que E. Balladur, Premier ministre, comme à l'accoutumée, est très attaché à respecter les engagements qui avaient été ceux de la majorité lorsque nous étions dans l'opposition. Et parmi ceux-ci, nous avons dit à nos compatriotes, la politique de l'immigration va changer en étant très respectueux du droit des personnes.
France 3 : F. Mitterrand s'est exprimé à ce sujet dans le Conseil des ministres, j'imagine qu'il est inutile de vous demander de nous dire ce qu'il a dit.
N. Sarkozy : J'ai du mal à être le porte-parole du président de la République.
France 3 : On ne voit pas comment le gouvernement ne pourra pas prendre en compte son avis sur la question.
N. Sarkozy : C'est une affaire difficile, complexe juridiquement et très sensible politiquement. Il faut faire attention parce qu'il y a des réalités humaines derrière. Donc nous avons décidé de prendre le temps de l'expertise pour faire en sorte que la France ne se retrouve pas dans des querelles inutiles. À partir de ce moment-là, le Premier ministre a clairement fixé le cadre : une autre politique d'immigration, le respect des droits de l'homme et à partir de ce moment-là, faire en sorte de manière à ce que la décision du Conseil constitutionnel n'empêche pas le gouvernement d'agir. Et en matière d'immigration, depuis des années, on parle et on n'agit pas. Nous nous voulons agir.
4 septembre 1993
Le Figaro Magazine
Alain Berger : On parle beaucoup, depuis quelques jours, de la réforme de l'impôt sur le revenu. Mais, en fait, nous savons bien peu de chose…
Nicolas Sarkozy : Vous savez quand même qu'à la demande d'Édouard Balladur le gouvernement a décidé d'engager une réforme profonde de l'impôt sur le revenu. Je vous rappelle que la dernière remonte à 1959. En ce moment même, les ordinateurs sont encore en train de "travailler". Les arbitrages ne sont pas tous rendus. Ils le seront pour la mi-septembre.
Alain Berger : Le nombre de tranches d'imposition va être ramené de 13 à 8, et la progressivité sur les tranches intermédiaires va diminuer. Certains penseront peut-être qu'il s'agit là davantage d'une "réformette" que d'une réforme ! …
Nicolas Sarkozy : Non ! Et je vais vous en apporter la preuve : la réforme que nous engageons est extrêmement ambitieuse. Elle l'est d'abord par l'ampleur de l'allègement. Je vous confirme que le montant des allègements sur le barème atteindra 17 milliards. C'est un montant considérable, eu égard au contexte budgétaire dans lequel nous nous trouvons et aux recettes de l'impôt sur le revenu. Cela représente près de 6 % du produit de cet impôt ! Elle l'est ensuite par l'effort de simplification et de réduction de la progressivité, puisque le nombre des tranches sera en effet réduit de près d'un tiers. Nous passerons de 13 à 8 tranches, ce qui nous permettra de rejoindre la situation de pays comparables au nôtre. Nous ne nous arrêterons pas en si bon chemin en ce qui concerne la simplification. D'autres mesures seront prises en ce sens. Je pense notamment aux minorations. J'ajoute, pour que la question de la "réformette » soit définitivement réglée, que, dans l'esprit du premier ministre, cette réforme ne constitue qu'une première étape, applicable en 1994. Nous sommes bien décidés à en franchir une autre en 1995.
Alain Berger : Pourquoi avoir choisi de commencer la réforme fiscale par celle de l'impôt sur le revenu ?
Nicolas Sarkozy : Deux raisons ont guidé notre choix. Dans le cadre du collectif pour 1993, nous avions décidé de donner la priorité aux entreprises parce que nous nous étions inquiétés du nombre des faillites de l'année précédente : 60 000 en 1992 ! Il nous fallait enrayer ce processus destructeur d'emplois. Beaucoup a donc été fait pour les entreprises : réforme de la taxe professionnelle, allègement de la TVA, plans de soutien au logement et aux travaux publics, allègement des cotisations familiales. Encore une fois, il s'agissait là de préserver l'emploi en aidant les entreprises à passer un cap difficile. Il nous faut maintenant agir sur la demande. Dans cette perspective, dès cette année, le montant de l'allocation de rentrée scolaire a été triplé, les titulaires de plan d'épargne populaire pourront bénéficier de la prime versée par l'État sans attendre l'échéance de leur plan. Nous nous attaquons maintenant à la réforme de l'impôt sur le revenu.
Diverses manières de relancer la consommation peuvent être envisagées. Il y a d'abord celle qui consiste à dépenser l'argent que l'on n'a pas. Cela conduit à l'échec, on l'a bien vu dans un passé récent. La France a mis cinq ans à se relever de l'expérience de 1981. Nous aurions pu, nous aussi, distribuer de l'argent à satiété en 1994 et le récupérer sous forme d'impôt en 1995.
La stratégie que nous retenons est bien différente. Elle consiste à rendre l'espérance aux Français. Nous leur disons : "Nous allons alléger votre impôt sur le revenu afin de vous permettre de consommer davantage." Il s'agit de déclencher des anticipations à nouveau positives.
Alain Berger : Il faut quand même admettre qu'un certain nombre de promesses ne seront pas tenues. La plate-forme de l'UPF mentionnait par exemple une diminution du taux marginal, actuellement de 56,8 %, voire 59 %, si l'on tient compte de la CSG. Or rien ne sera fait cette année pour diminuer ce taux marginal, qui est l'un des plus élevés des grands pays industrialisés.
Nicolas Sarkozy : Il est vrai que notre taux marginal est élevé, si on le compare à celui des autres grands pays industriels. Mais doit-on toucher au taux marginal la première année de la réforme de l'impôt sur le revenu ? La question est posée. Chacun doit prendre ses responsabilités. Si l'on veut que la réforme de l'impôt sur le revenu aille au bout de sa logique, il faut éviter qu'elle soit caricaturée. Chacun sait que ce risque existe. La réforme de l'impôt sur le revenu doit d'abord favoriser les familles et les classes moyennes, qui sont la base et la force d'une économie !
Alain Berger : Peut-on s'attendre alors à une baisse du taux marginal en 1995 ?
Nicolas Sarkozy : Admettez qu'il est déjà bien difficile de réformer l'impôt sur le revenu au moment où nous sommes ! Nous engageons cette réforme alors que, pour la première fois depuis dix-huit ans, la France se trouve en récession. Je répondrai donc à cette question lors qu'il s'agira de préparer la loi de finances 1995. On peut tout reprocher au gouvernement, sauf de choisir la voie de la facilité. Dans la situation où nous nous trouvons, bien des gouvernements se seraient, eux, contentés d'augmenter les impôts, alors que nous, nous les diminuerons l'an prochain.
Alain Berger : Je reformule ma question. Le gouvernement envisage-t-il de diminuer le taux marginal, lorsque les circonstances politiques et économiques le permettront, pour le ramener au niveau de celui que connaissent les principaux pays industrialisés ?
Nicolas Sarkozy : Lorsque les finances publiques le permettront, je n'ai pas, sur ce sujet, d'opposition de principe. Je veux que vos lecteurs comprennent bien que, quel que soit leur niveau de revenu, ils profiteront de la réforme. Ce sera notamment le cas des contribuables imposés au taux marginal. Ils profiteront de la réduction du nombre de tranches et de l'allègement de la progressivité puisque tous leurs revenus ne sont pas touchés à ce taux.
Alain Berger : Parlons d'une autre anomalie de la fiscalité française. La moitié des foyers ne paie pas l'impôt sur le revenu. Une telle situation vous paraît-elle normale et juste ?
Nicolas Sarkozy : On pouvait sans doute dire que la moitié des foyers ne payait pas l'impôt tant que la CSG n'existait pas. Votre observation perd de la pertinence, depuis que la CSG a été créée et que son montant a été porté à 2,4 %. Tous les Français paient donc l'impôt. Cela dit, il faut bien admettre que l'impôt sur le revenu pesant sur un peu plus de la moitié des foyers français, c'est-à-dire sur 15 millions de contribuables environ, frappe trop lourdement ceux qui doivent l'acquitter. C'est bien la raison qui conduit le gouvernement à l'alléger.
Alain Berger : Un élargissement de l'assiette de l'impôt sur le revenu – donc une augmentation du nombre des contribuables – est-il totalement exclu ?
Nicolas Sarkozy : À revenu constant, nous l'excluons. J'ajoute qu'au-delà de la CSG, il faut tenir compte des cotisations sociales. Une personne non imposable à l'impôt sur le revenu contribue déjà à hauteur de 40 % de ses revenus au financement de la protection sociale.
Alain Berger : À l'inverse, envisagez-vous d'exonérer un plus grand nombre de contribuables, comme cela s'est fait entre 1986 et 1988 ?
Nicolas Sarkozy : Non. Nous voulons une réforme équilibrée. À revenus équivalents, il n'y aura pas davantage de personnes qui paieront l'impôt, mais il n'y en aura pas moins non plus.
Alain Berger : Quels sont vos objectifs à plus long terme ?
Nicolas Sarkozy : Notre objectif, à terme, sera d'aller plus loin dans la réduction du nombre des tranches et dans la nécessité de l'allègement de l'impôt sur le revenu. En effet, avec un système à 8 tranches, nous resterons encore un peu au-dessus de la moyenne, Il serait sans doute utile de pouvoir arriver à mettre en place un barème à 5 ou 6 tranches. Ce peut être un objectif pour deux ans, réforme de 1994 non comprise.
Alain Berger : Il y a quelques mois, Christian Poncelet, président de la commission des Finances du Sénat, avait proposé une fusion éventuelle de l'impôt sur le revenu et de la CSG. Qu'en pensez-vous ?
Nicolas Sarkozy : Une proposition dans ce sens a été présentée par Jacques Barrot, président de la commission des Finances à l'Assemblée, et en effet par Christian Poncelet. Dans leur esprit, il ne s'agissait pas d'une proposition pour la loi de finances de 1994 mais de la fixation d'un objectif. Sans prendre parti dans ce débat, je veux cependant préciser que la CSG et l'impôt sur le revenu ne sont pas des impôts de même nature. L'un sert au financement de la protection sociale, l'autre au financement de l'État. C'est un système assez transparent où chacun sait à quoi sert son argent. Un impôt est d'autant mieux accepté que l'on sait où il va et à quoi il sert. En revanche, la question de la déductibilité partielle de la CSG est posée. Faut-il ou non intégrer l'effet de cette déductibilité dans le nouveau barème ? La volonté de simplification du système d'imposition devrait nous conduire à le faire. La question reste cependant ouverte.
Alain Berger : La CSG est un impôt qui semble pervers. Prélevée à la source, elle est relativement indolore. Au départ, son taux était de 1,1 %. Depuis, il a plus que doublé. La CSG, pour un cadre moyen ou supérieur, c'est le "treizième mois fiscal" ! Un treizième mois d'impôt sur le revenu en plus ! On a le sentiment d'assister à une dérive dangereuse. Pourquoi pas une CSG à 3 % l'année prochaine ?
Nicolas Sarkozy : La confirmation de l'allègement de l'impôt sur le revenu est-elle une dérive dangereuse ? Il est singulier de nous faire ce reproche alors que nous reprenons le mouvement indispensable de baisse des prélèvements obligatoires. Quant à l'augmentation de la CSG, chacun sait bien que nous avons été contraints de la faire sous peine d'assister à la ruine de notre système de retraite et à la faillite de l'assurance-maladie. Pour le reste, il n'y aura pas de CSG à 3 % pour la raison simple que le gouvernement a décidé courageusement de s'attaquer à la maîtrise des dépenses. Cela faisait longtemps qu'on en parlait. Nous, nous sommes en train de le faire.
Alain Berger : C'est pour vous un prélèvement d'avenir ?
Nicolas Sarkozy : Je ne vais certainement pas dire qu'il existe des prélèvements "d'avenir" le jour où nous allons procéder à un allègement de l'impôt sur le revenu. Quelle aurait été la réaction des Français, je vous le demande, s'il avait fallu leur expliquer qu'on ne pouvait plus payer les retraites ni rembourser les dépenses de maladie ? J'ajoute que l'on ne peut plus désormais faire peser la fiscalité exclusivement sur le travail, la priorité étant la réduction du chômage.
Alain Berger : L'impôt de solidarité sur la fortune sera-t-il lui aussi modifié ?
Nicolas Sarkozy : Cet impôt reste en l'état. Quoi qu'on en pense, chacun peut comprendre que les marges budgétaires ne sont pas infiniment extensibles. Une vraie réforme ne se conduit pas à coups de symbole. Il faut chercher avant tout à être efficace, et l'efficacité commandait de réformer l'impôt sur le revenu pour l'alléger et le simplifier. Ne vous imaginez pas que dans le contexte financier actuel, il a été facile de trouver les moyens de financer cette réforme. Nous avons dû faire un effort sans précédent de maîtrise des dépenses de l'État qui augmenteront en 1994 de la moitié de l'inflation. C'est mieux qu'un début. C'est beaucoup plus qu'une "réformette". C'est une décision forte qui permettra de rendre espoir aux Français.
Alain Berger : Avez-vous des projets de réforme de la taxe d'habitation ?
Nicolas Sarkozy : Nous avons surtout pour ambition de ne pas retenir le projet socialiste qui consistait à faire de la taxe d'habitation un troisième impôt sur le revenu ! Je confirme à vos lecteurs que, dans notre esprit, ce texte est définitivement enterré. C'est simple et clair. Ce projet ne se fera pas avec moi. Nous nous donnons beaucoup de mal pour alléger l’impôt sur le revenu, nous y avons travaillé tout l'été. Ce n'est certainement pas pour en créer un troisième.