Déclaration de M. Pierre Méhaignerie, ministre de la justice, sur le projet de loi relatif au nouveau code pénal et à la perpétuité réelle, à l'Assemblée nationale le 8 décembre 1993.

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Circonstance : Débat à l'Assemblée nationale sur le projet de loi relatif au nouveau code pénal

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,

Le texte que j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui, et qui a été adopté le mois dernier par le Sénat, répond à un objectif prioritaire, celui d'améliorer notre justice pénale. Ce projet de loi comporte certes des dispositions de nature diverse, mais toutes répondent à la volonté de rendre à la justice le rôle qui est le sien dans la société, d'une part en accroissant son efficacité, d'autre part en mettant clairement en évidence les valeurs qu'elle protège.

Le projet se compose de cinq titres, respectivement consacrés à la police judiciaire, aux juridictions spécialisées en matière de lutte contre la délinquance économique et financière, à la répression de crimes particulièrement odieux commis contre des mineurs de quinze ans, à des adaptations nécessitées par l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal, et a diverses dispositions de procédure relatives à la garde à vue.

Les dispositions concernant les assassins d'enfants présentent naturellement une importance toute particulière, et c'est pourquoi je les exposerais, si vous me le permettez, après les autres dispositions du projet. Toutefois, avant de commencer cette présentation, je voudrais rendre hommage à la qualité du travail effectué par votre rapporteur M. Pasquini son rapport pose d'une façon claire, objective et constructive, les vrais problèmes auxquels s'efforce de répondre le présent projet, notamment en ce qui concerne la protection des mineurs contre les criminels sexuels. Ce rapport a pourtant dû être rédigé dans des délais dont je regrette la brièveté mais qui nous étaient imposés, vous le savez, par un calendrier parlementaire particulièrement chargé. Le mérite de votre rapporteur n'en est donc que plus grand.

Le titre Ier, relatif à la police judiciaire, apporte une réponse adaptée à l'évolution de la criminalité et de la délinquance, notamment en milieu urbain qui exige l'augmentation du nombre des officiers de police judiciaire et l'accroissement de leur mobilité.

À cette fin, il prévoit une réduction du temps d'exercice professionnel au terme duquel les inspecteurs de police et les militaires de la gendarmerie nationale pourront acquérir la qualité d'officier de police judiciaire.

Je précise que compte tenu de l'allongement de la formation de ces personnels, la réduction de ce délai n'aura pas pour conséquence un affaiblissement de leur niveau de compétence, mais permettra une augmentation non négligeable du nombre des officiers de police judiciaire.

Par ailleurs, il modifie les dispositions de l'article 18 du Code de procédure pénale, qui limitent à l'excès la compétence territoriale des officiers de police judiciaire et nuit à l'efficacité des enquêtes qu'ils conduisent.

Mais la disposition la plus importante du titre Ier est celle-ci : la détermination des catégories de services de police judiciaire et de leur compétence territoriale devra désormais faire l'objet d'un décret en conseil d'état pris sur le rapport du garde des sceaux et des ministres intéressés. Une telle disposition consacre l'existence d'une concertation entre les ministères de la justice, de l'intérieur et de la défense. Il en résultera une meilleure prise en compte de la complémentarité des points de vue.

La compétence territoriale des services exerçant des missions de police judiciaire, qui résulte aujourd'hui de textes divers, relèvera donc désormais du décret en conseil d'État.

Dans le titre consacré à la police judiciaire a été insérée une disposition relative à l'application des règles de la procédure civile aux mesures d'instruction ordonnées par le juge pénal.

Cette deuxième disposition soulève toutefois, comme l'a excellemment relevé M. Pasquini dans son rapport, de très importantes difficultés, puisqu'elle aurait pour conséquence de paralyser le déroulement des instructions. Je suis donc tout à fait favorable à sa suppression, qui est proposée par votre rapporteur. Mais je suis cependant plus que réservé sur le dispositif que ce dernier vous demande d'y substituer, à savoir l'intervention de l'avocat au cours des expertises médicales, psychiatriques ou psychologiques. J'aurai l'occasion de m'en expliquer plus longuement au cours de la discussion des articles.

Le titre II du projet de loi concerne la poursuite, l'instruction et le jugement des infractions économiques et financières.

Le législateur de 1975 avait prévu qu'au sein de chaque cour d'appel un tribunal serait compétent pour connaître de certaines infractions en matière économique et financière. Cette compétence concerne notamment les infractions en matière économique, fiscale ou douanière, et en matière de construction ou d'urbanisme.

Au terme de presque vingt années d'application, le projet du gouvernement entend tirer les conséquences de la pratique et procéder à une adaptation du dispositif en vigueur, sans remettre pour autant en cause la philosophie de la loi du 6 août 1975.

Les modifications apportées au droit actuel portent essentiellement sur deux points.

En premier lieu, la liste des infractions entrant dans la compétence des juridictions spécialisées a été modernisée et étendue aux infractions de corruption, de concussion, de trafic d'influence et d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats devant les marchés publics.

Par ces dispositions s'exprime la volonté du gouvernement dont vous savez combien elle coïncide avec la mienne de renforcer la lutte quotidienne contre la corruption.

En deuxième lieu, la procédure de saisine du tribunal spécialisé est assouplie et pourra désormais intervenir dès le stade de l'engagement des poursuites par le parquet.

Cette extension d'une compétence qui, je le rappelle, est facultative, ne génère toutefois aucun transfert important de contentieux.

Par ailleurs, pour répondre à certaines observations formulées par la commission des lois du Sénat, il a été précisé que les juridictions spécialisées ne devraient être saisies que des affaires complexes. Le projet qui vous est soumis ne comporte donc plus d'ambiguïté sur ce point.

Le titre IV du projet de loi comporte diverses dispositions dont l'adoption s'est avérée nécessaire dans la perspective de l'entrée en vigueur du nouveau code pénal.

Ces modifications présentent essentiellement un caractère technique.

Peuvent ainsi être cités : la rectification d'une erreur dans la rédaction du délit de violation des secrets de la défense nationale ; la coordination des nouvelles règles d'intervention de l'avocat en garde à vue avec le nouveau code pénal ; l'élargissement de la voie de l'appel en matière de contraventions ; la réintroduction de la peine d'interdiction des droits civiques à l'encontre des condamnés pour fraude électorale ; la clarification des dispositions de droit transitoire en matière d'interdictions des droits civiques. À cet égard, votre rapporteur vous propose de réintroduire dans le projet une disposition que le Sénat avait retirée – car elle présentait une certaine ambiguïté – et dont l'objet est d'éviter certaines situations absurdes, tel que permettre à une personne condamnée pour crime de siéger en cours d'assises. Je suis donc évidemment favorable à cet amendement.

Enfin, dans son titre V relatif à diverses dispositions de procédure pénale, le projet tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 11 août 1993.

S'agissant de la garde à vue, en matière d'infractions à la législation sur les stupéfiants et de terrorisme, il prévoit l'intervention de l'avocat à la 72ème heure. Cette règle me paraît indispensable pour assurer, dans le respect des droits de la défense, l'efficacité des enquêtes en ces matières particulièrement complexes.

Par ailleurs, il organise, en l'entourant de toutes les garanties exigées par la décision du Conseil constitutionnel, la retenue des mineurs de dix à treize ans en cas de crime ou de délit puni de sept ans d'emprisonnement. Une lecture de ce texte montre que cette retenue ne pourra intervenir que dans des situations exceptionnelles et pour une durée strictement limitée. En cette matière toutefois, on ne prend jamais suffisamment de garanties et c'est pourquoi, éclairé par la discussion menée au Sénat, et notamment par le sénateur M. Maurice Schumann, j'ai déposé un amendement destiné à renforcer encore le contrôle des magistrats sur le déroulement de ces mesures. Leur durée maximum sera ainsi fixée non plus à 20 heures, comme le prévoyait le projet initial, mais à 10 heures, sauf prolongation exceptionnelle ordonnée par le magistrat.

Je vais maintenant aborder la partie essentielle du projet, c'est à dire les dispositions relatives à la répression de certaines formes d'assassinat ou de meurtre commis à l'encontre des mineurs de quinze ans.

Je crois que j'ai, sur ce texte, entendu tout ce qu'il était possible d'entendre.

Et au fur et à mesure que grandissait le débat, croissaient à la fois mon étonnement et ma résolution.

Étonnement, car ce texte, axé sur la prévention de la récidive est un texte équilibré. – un texte osant tirer, dans le domaine des crimes marqués de l'horreur absolue, les conséquences des diagnostics des experts – un texte instaurant, en matière de crimes sexuels, un système de dépistage et de prévention jamais organisé à ce jour – un texte enfin qui s'accompagne d'un effort de réflexion et d'une volonté de réformer et de faire progresser tout le système des longues peines, quel que soit le motif de la condamnation.

Résolution : si je comprends en effet l'ampleur du débat, je dois cependant affirmer que ce texte apporte une solution concrète à des risques majeurs de récidive devant lesquels il était impensable qu'un responsable politique puisse rester inactif.

Ainsi, je vais si vous le voulez bien, reprendre quelques-unes des questions ou des attaques dont ce texte fait l'objet.

1°) Ce texte serait un texte de circonstance exploitant l'émotion d'un événement atroce.

"Il n'est pire sourd qui ne veut entendre". J'ai dit, redit, et même écrit qu'il fut mis en œuvre à la fin du mois de juin après que j'ai reçu des familles des victimes. Elles ont exposé leurs préoccupations directement au ministre de la Justice, ce qu'elles attendaient, depuis plus de 10 ans. Leur message était : "faites que le martyre de nos enfants serve au moins à en éviter d'autres. Alors que la récidive est certaine, que faites-vous ?"

Dès le 9 juillet, la direction des affaires criminelles et des grâces était invitée à procéder à l'élaboration du projet.

2°) Ce texte, qui enferme à vie, est pire que la mort.

Comment peut-on soutenir cette idée ? Avant même la modification apportée au Sénat et à laquelle j'avais travaillé avec M. Jolibois, ce système comportait en lui-même une projection positive sur l'avenir : celui de l'essor des traitements médicaux, du lancement d'une véritable recherche associée à une démarche résolument préventive : la preuve s'en trouve dans l'article 7 du projet qui inscrit l'obligation d'un bilan psychiatrique minimum périodique pour certaines infractions. Pourquoi ce bilan, s'il ne devait pas correspondre à l'élaboration d'un véritable suivi ? Ce texte laisse ouvertes les marges de l'espoir car il réserve les progrès de la science.

3°) Ce texte est sans portée, il n'instaure qu'une période de sûreté de 30 ans qui existe déjà.

Erreur, pour deux raisons :

a) La période de sûreté de 30 ans incompressible n'existe pas. La seule période de sureté incompressible qui existe est de 20 ans. En effet, si le nouveau code pénal prévoit la possibilité d'une sûreté de 30 ans. Celle-ci peut être réduite jusqu'à n'atteindre que 20 ans. C'est ce qui résulte des dispositions mêmes de l'article 720-4 du CPP.

b) Erreur aussi, parce que le système qui résulte de l'amendement du Sénat n'est pas une mesure de sûreté. En cas de mesure de sûreté, le retour au droit commun de la peine est automatique. Ici, il est éventuel car subordonné à la disparition de la dangerosité. C'est d'ailleurs pourquoi j'ai été favorable à l'amendement du Sénat car il ne change pas la philosophie du texte. Le point de savoir si cette décision doit être prise par une commission ou une juridiction est du domaine de la nuance. À une différence près, le système du Sénat a recueilli également l'adhésion de votre commission. J'y souscris.

4°) Ce texte est inutile parce qu'il suffit que le garde des Sceaux ne libère pas les condamnés pour que la perpétuité prononcée s'exécute réellement.

L'argument qu'on m'oppose est purement théorique. Chacun sait qu'au terme d'une évolution regrettable mais certaine, les libérations conditionnelles anticipées sont devenues systématiques. Cela est normal puisque cette possibilité existe. Il est toujours plus facile de dire oui plutôt que non.

Le résultat est inscrit dans les chiffres :
- nombre de condamnations à la perpétuité prononcée de 1971 à 1990 : 1 193
- de condamnés présents au 1-7-92 : 476
- nombre de détenus présents après 20 ans de détention : 18
- nombre de détenus présents après 22 ans de détention : 5

Sur le plan des principes, il faut reconnaître que là où la loi permet la libération avant terme, il est juste que ce soit elle qui précise quand cette possibilité doit être supprimée.

J'ajouterai enfin que, par suite de cette érosion, la peine à perdu sa signification et sa crédibilité.

5°) Vous rallumez le débat sur la peine de mort.

Cette perte de crédibilité de la sanction est à mon avis l'une des raisons essentielles, selon moi, du regain de faveur que la peine capitale connaît de nos jours chez certains.

La responsabilité s'en trouve donc aussi chez ceux qui après nous l'avoir promis, car nous le demandions, n'ont jamais mis à l'étude une véritable peine de substitution à la peine de mort.

Je ne prétends pas que ma solution soit parfaite. Je dis seulement qu'à des hypothèses bien définies. Elle apporte une solution pragmatique et humaine. Le 29 novembre, une centaine de spécialistes de psychiatrie légale et de criminologie clinique, réunis à Toulouse, le qualifiait de "réponse justifiée".

Protéger sans détruire, tel est l'esprit de ce projet axé sur la prévention de la récidive que je vous propose d'examiner avec moi maintenant.

Ce texte, en réalité, s'attaque à un réel problème : celui des longues peines. Ce problème est déjà présent dans nos établissements pénitentiaires : s'y retrouvent, dans cette catégorie, des personnalités bien diverses. Parmi celles-ci, puisque ce texte parle d'eux, les délinquants sexuels.

Chacun, intuitivement, pense que de tels cas relèvent, en prison, de la médecine psychiatrique.

Sans même aller plus loin, voyons donc ce que l'on fait pour leur traitement :

a) Dans le secteur public traditionnel des prisons : la moyenne nationale est de 1/2 heure de vacation psychiatrique, par détenu et par an.

b) Dans le secteur du programme "13 000" la proportion, certes légèrement améliorée est tout aussi insuffisante. Ainsi, pour un centre de détention de 600 places est-il prévu 1/3 d'emploi à temps plein psychiatrique.

c) Enfin, dans les secteurs où l'hospitalisation publique est déjà entrée : les services médicaux psychologiques régionaux (SMPR), s'ils constituent, eux, une réelle avancée, leur nombre est très nettement insuffisant et sont pour la plupart situés en maison d'arrêt.

Bilan édifiant ! Et qui autorise certainement ceux qui en ont la responsabilité à me reprocher de ne pas privilégier les soins !

Le contenu éducatif de la peine, aurait pu, dans une certaine limite, combler une part de ce déficit.

Force est également de constater que, faute de structures adaptées et diversifiées, donc spécialisées, l'action éducative n'a pas produit l'effet escompté.

J'ai décidé d'agir.

Et d'abord dans le domaine des structures : la transmission à la santé de la charge des soins en milieu pénitentiaire est actuellement en cours de vote devant le parlement. L'effort supplémentaire que cela représentera pour le ministère de la Justice sera de 68 MF. Voilà des faits.

De même, un crédit d'étude de 10 MF est inscrit au budget de 1994, son objet : déterminer les conditions de création de maisons centrales à petits effectifs destinées à recevoir les détenus difficiles condamnés à de longues peines, création tant réclamée par les surveillants pénitentiaires pour des raisons de sécurité tellement légitimes.

Après ce premier volet déjà réalisé, venons-en au contenu de la longue peine. En effet si, en matière de crimes sexuels, une étude particulière s'impose, il faut aussi en faire bénéficier tous les détenus à de longues peines.

J'ai installé à cet effet, le 1er décembre 1993, une commission présidée par M. le professeur Cartier qui a plusieurs lignes d'action :

a) Recherche d'abord : dans les semaines qui viennent, l'administration pénitentiaire va réserver une aile du centre de détention de Val de Rueil qui fonctionnera en centre de recherches expérimentales. Un SMPR y a été ouvert à l'été 1993.

b) Inventaire, évaluation de ce qui se fait, en France et ailleurs. Lancement de nouveaux protocoles.

c) Réflexion sur les types d'établissement pour les très longues peines.

d) Le contenu de la peine : tout le projet d'exécution de peine se trouvera ici examiné.

e) Le suivi postpénal : peut-on relâcher les déviants sexuels qui ont été condamnés à une peine à temps sans se préoccuper de leur comportement qui peut, au fur et à mesure s'aggraver ? Certes non. Ce suivi n'existe pas à l'heure actuelle. Il faut donc l'inventer. En attendant, il faut que la peine prépare à cet avenir sinon, comment prévenir la récidive ?

Alors, dans le volet législatif, cette prévention prendra deux aspects, prévus dès l'origine du projet, ce qui atteste bien d'une conception d'ensemble :

1°) Prévenir l'escalade des comportements : c'est l'article 7 du projet, exactement calé sur le volet éducatif. Ces délinquants sexuels seront obligatoirement soumis, avant toute réduction de peine, donc au moins une fois par an, à un examen psychiatrique : voilà un bilan périodique minimum obligatoire permettant une évaluation sérieuse de l'évolution du sujet qui permettra de déterminer les mesures adéquates de suivi et de contrôle après libération.

2°) Les experts s'accordent pour certains criminels sexuels ayant tué des enfants à :
- les reconnaître responsables, ce qui exclut l'internement ;
- garantir la récidive.

Il appartiendra alors à la cour d'assises de dire s'il convient de prononcer une réelle perpétuité.

En ce cas, pendant une période de 30 ans, aucune libération conditionnelle ne sera permise ni aucune permission de sortir.

À l'issue de cette période, il sera possible de vérifier si la dangerosité subsiste qui a justifié la perpétuité réelle. Dans l'affirmative rien de changé : la peine perpétuelle se poursuit. Dans la négative, l'exécution de la peine retrouvera le droit commun. Cette possibilité ne veut pas dire libération immédiate. Elle constitue une garantie et non un retour au système de l'érosion des peines.

Voilà donc l'ensemble du projet et ma démarche.

C'est en réalité à une véritable rénovation de la peine, de sa conception, de son exécution et de son utilité que ce projet procède.

Devant le progrès qu'il représente, l'avancée qu'il va permettre, je vous demande de bien vouloir l'adopter.