Déclaration de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur la politique agricole, notamment l'aide à l'installation des jeunes agriculteurs, le contrat territorial d'exploitation et les aides à l'agriculture et l'économie agricole dans le cadre de la mondialisation, Auch le 18 juin 1998.

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Circonstance : Congrès du CNJA à Auch le 18 juin 1998

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,


Je voudrais tout d'abord féliciter votre nouveau président pour son élection à cette lourde mais passionnante responsabilité, et lui souhaiter plein succès dans l'accomplissement de son mandat. Soyez certain, monsieur le Président que je serai toujours attentif aux réflexions et aux propositions que vous me présenterez, car je sais que le CNJA est une force de proposition fertile et constructive.

Je tiens également à rendre hommage à Madame Lambert, dont j'ai apprécié la conviction et l'engagement, et qui a démontré pendant quatre années à la tête de votre organisation sa capacité à proposer pour faire avancer les débats et les dossiers et défendre ainsi une vision de l'agriculture et de son avenir.

Un congrès syndical c'est d'abord un moment de réflexion et de dialogue. C'est l'occasion de tirer le bilan de l'action passée et des problèmes rencontrés, mais aussi et surtout de définir les actions à entreprendre pour atteindre les objectifs souhaités.

Le congrès des jeunes agriculteurs est naturellement plus tourné vers l'avenir que vers les bilans.

C'est donc de l'avenir de l'agriculture que je vous parlerai aujourd'hui.

Mais je me dois en premier lieu de répondre aux nombreuses questions que le président Coste m'a adressées. La plupart sont relatives à des aménagements au système d'aide à l'installation, ce qui est normal.

L'installation de jeunes agriculteurs, vous le savez, est une des priorités du Gouvernement. Le Premier ministre l'a indiqué dans son discours d'orientation, je l'ai moi-même dit à la tribune de votre congrès il y a un an. C'est pourquoi les moyens consacrés à l'aide à l'installation ont été confortés dans le budget de mon ministère, afin de développer une agriculture dynamique, fondée sur des exploitations nombreuses sur tout le territoire, capables d'assurer un revenu aux jeunes qui veulent embrasser cette carrière. Les engagements pris ont été tenus. Les  150 MF de crédits inscrits à mon budget pour 1997 au titre du FIDIL ont été intégralement notifiés aux préfets de région. Le « fonds pour l'installation en agriculture » (FIA), doté de 160 millions de francs en 1998, a pris le relais du FIDIL, et permis d'en amplifier les effets. Le cofinancement communautaire obtenu dans ce cadre a permis la mise en oeuvre d'actions nouvelles, en particulier l'aide à la transmission de l'exploitation agricole. Les programmes pour l'installation des jeunes en agriculture et le développement des initiatives locales (PIDIL) concertés avec les collectivités territoriales ont été renforcés. Voilà pour un premier bilan provisoire.

Vous me demandez, monsieur le président, de modifier l'interprétation faite actuellement par l'administration de la notion de « modification de la consistance de l'exploitation agricole ». Jusqu'à présent seule la dimension économique et financière du projet d'installation est prise en compte. C'est ainsi qu'il est exigé que l'exploitation s'agrandisse ou qu'un nouvel atelier de production soit créé pour que le candidat à l'installation puisse bénéficier des aides publiques.

Le fait de ne s'intéresser qu'aux capacités de production me paraît en effet exagérément restrictif. Cela est totalement contraire à l'orientation que je souhaite donner à l'agriculture que je vous exposerai dans un moment. La réflexion que nous conduisons en commun en ce moment autour du contrat territorial d'exploitation vise précisément à valoriser la multifonctionnalité de l'exploitation agricole, son rôle dans la gestion du territoire et la prise en compte des activités de diversification.

C'est pourquoi sans attendre la mise en oeuvre du contrat territorial d'exploitation, je vais donner de nouvelles instructions aux préfets pour qu'ils apprécient dans cet esprit les projets d'installations qui leur sont soumis. Dorénavant, la modification de consistance de l'exploitation ne sera plus assimilée à son agrandissement. L'augmentation de la valeur ajoutée, la redistribution des activités au sein de l'exploitation, les efforts conduits pour mieux faire participer l'exploitation au développement local ou à la sauvegarde de l'environnement seront également pris en considération. J'adresserai les instructions nécessaires aux préfets avant la fin de l'été. Mais je tiens à être claire, la qualité des projets d'installation sera l'élément déterminant. Les jeunes candidats et leurs associés devront faire la preuve que les aides publiques sont justifiées. Il ne faudrait pas en effet que la simple capacité d'une exploitation à fournir un revenu à un nombre déterminé d'agriculteurs lui donne en quelque sorte un droit de tirage sur les aides à l'installation.

Au-delà de ces mesures, je reste ouvert à un débat portant sur l'installation et les différentes formes qu'elle peut revêtir, je pense notamment à l'installation progressive. Je souhaite que nous en reparlions.

Vous avez évoqué, Monsieur le Président, un certain nombre de questions fiscales et sociales. Nous aurons l'occasion de travailler ensemble sur ces questions dans les mois qui viennent, puisque j'ai indiqué que le groupe de travail du C.S.O. qui a commencé ses travaux sur les contrats territoriaux d'exploitation, les poursuivrait pour approfondir les questions relatives au statut fiscal et social des exploitations, ainsi qu'aux modalités qui pourraient être retenues éventuellement pour mettre en place dans notre pays un système d'assurance revenu ou d'assurance récolte.

Je me garderai donc de donner aujourd'hui des réponses définitives aux questions que vous avez évoquées. Je dirai simplement ceci : s'agissant des droits d'enregistrement liés aux acquisitions de parcelles agricoles réalisées par les jeunes agriculteurs, vous réclamez l'extension à l'ensemble du territoire de la mesure appliquée dans ce qu'il est convenu d'appeler « les territoires nouveaux de développements prioritaires ». Dans ceux-ci, le taux normal de 6,40 % est abaissé à 0,60 %. Comme vous avez évoqué par ailleurs la politique de la montagne, je noterai qu'il est difficile de demander en même temps des mesures spécifiques pour certaines zones plus difficiles que d'autres et l'alignement de tous sur ce statut exceptionnel. Je veux dire par-là que même si la politique d'installation est prioritaire à mes yeux, il n'est pas anormal qu'elle s'exprime de façon différente en fonction des problèmes spécifiques posés dans différents endroits du territoire.

Par ailleurs, le taux appliqué hors des territoires ruraux de développement prioritaire est d'ores et déjà très favorables aux jeunes agriculteurs, puisqu'il est inférieur de sept points au taux de droit commun applicable aux immeubles ruraux acquis par des non-jeunes agriculteurs. Enfin l'ensemble des acquisitions réalisées par l'intermédiaire des SAFER bénéficie sous certaines conditions du taux de 0,6 %.

S'agissant du basculement des cotisations AMEXA sur la C.S.G., le Gouvernement s'était engagé à respecter la neutralité dans le basculement entre cette cotisation sociale généralisée et les cotisations assurance maladie. Cette neutralité a été respectée s'agissant des cotisations AMEXA. En effet, la cotisation AMEXA a diminué de 5,5 % pour une augmentation de la C.S.G. de 4,1 %. Les jeunes agriculteurs ont vu comme les autres exploitants leurs cotisations maladie diminuer de 5,5 %. li est donc compréhensible que le montant de l'exonération de cotisations dont bénéficient les jeunes agriculteurs diminue, puisque la cotisation AMEXA elle-même a diminué.

Dans le même esprit, vous réclamez l'annulation des effets de la C.S.G. sur la bourse accordée aux stagiaires. Vous le savez, l'objet de la C.S.G. est d'assurer un financement plus équitable et plus large de la protection sociale, en faisant contribuer l'ensemble des revenus à l'exception des minima sociaux. La bourse à l'installation et les indemnités versées aux stagiaires ne figurent pas à cette rubrique des minima sociaux. S'ils ne sont pas exonérés de C.S.G. et de C.R.D.S., les stagiaires bénéficient corrélativement d'une suppression de la cotisation d'assurance maladie. Ils bénéficient également d'un avantage en terme de taux de cotisations et d'assiettes, dont les modalités de calcul sont plus favorables que celles appliquées aux autres catégories professionnelles.

Vous avez souhaité également que les agricultrices qui exploitent en société dans le cadre d'un G.A.E.C. ou d'une S.A.R.L. puissent bénéficier du congé parental et de l'allocation parentale d'éducation dans les mêmes conditions que les autres agricultrices.

Les agricultrices qui exploitent dans le cadre d'une E.A.R.L. ou d'une S.C.E.A. peuvent dès à présent bénéficier de l'allocation parentale d'éducation dès lors qu'elles remplissent les conditions de droits communs, et deviennent par voie de conséquence associées non-exploitantes de la société pendant la période considérée.

En revanche, pour les G.A.E.C., cette possibilité était en pratique jusqu'à présent inexistante, puisque tous les associés doivent obligatoirement participer effectivement au travail sur l'exploitation. Il ne peut pas y avoir d'associé non-exploitant dans un G.A.E.C., sauf dans de rares cas dont la liste est fixée par décret. Dans ces conditions une agricultrice associée de G.A.E.C. devait pour bénéficier de I' A.P.E. quitter purement et simplement le groupement en vendant ses parts, quitte à le réintégrer ensuite. Pour sortir de cette situation anormale, mon ministère a engagé la modification du règlement incriminé, afin d'inclure dans la liste des dispenses de travail des associés de G.A.E.C. les cas où une agricultrice ou un agriculteur demandent à bénéficier de l' A.P.E. Le décret traduisant cette décision est actuellement en cours de signature par les différents ministres concernés.

Je sais par ailleurs que vous vous inquiétez de l'état d'avancement du décret modifiant le régime des prêts bonifiés aux jeunes agriculteurs. II est maintenant signé par mon collègue de l'Economie et des Finances et sera publié dans les tous prochains jours.

Voilà pour les principaux sujets d'actualité que vous avez souhaité évoquer, monsieur le président. J'en viens maintenant à la seconde partie de mon intervention qui portera sur les perspectives que je souhaite ouvrir pour notre agriculture et les jeunes agriculteurs qui la feront vivre dans un proche avenir.

L'agriculture c'est d'abord une activité avant d'être une politique. C'est l'application de l'intelligence de l'homme à la maîtrise du vivant, pour satisfaire les besoins vitaux de l'humanité.

L'agriculture c'est aussi un métier, exigeant, qui demande un niveau de formation sans cesse plus élevé, mais aussi le sens du concret et la compréhension des exigences de la relation entre l'homme et la nature.

Cette activité, ce métier ont devant eux un grand avenir. C'est ma conviction.

Cet avenir tient à la nature même du métier d'agriculteur. Tant que vivront les hommes ils auront besoin de se nourrir, et ils le feront avec des produits sans cesse plus sophistiqués et diversifiés à mesure qu'augmentera le niveau de développement de nos sociétés.

Et puis il faut le dire, notre pays a une vocation agricole.

La France dispose d'un vaste territoire, et au-delà de nombreux terroirs présentant des potentiels variés qui peuvent être valorisés par nos agriculteurs.

L'agriculture française est faite par des femmes et des hommes dont le savoir-faire, la compétence technique sont reconnus.

Nous disposons d'infrastructures modernes et bien organisées. Nous disposons d'un réseau d'organisation du monde agricole qui n'a pas d'équivalent dans les autres pays. Je ne pense pas simplement aux organisations professionnelles agricoles, mais également à tout le réseau de formation, de recherche et de développement dont bénéficient nos agriculteurs.

La qualité de nos produits agricoles et agroalimentaires contribue à la notoriété de notre pays dans le monde entier.

Tout cela et la mobilisation des hommes expliquent que la France soit le premier pays agricole de l'Union européenne, et un des tous premiers au monde.

C'est aussi le fruit d'un travail long et patient conduit par vos aînés.

Ce travail il ne s'agit pas de le nier et de prétendre en faire table rase. Bien au contraire ce à quoi je vous invite, avec la loi d'orientation agricole adoptée la semaine dernière par le conseil des ministres, c'est à vous appuyer sur tout cet acquis pour aller plus loin. Ce à quoi je vous invite c'est à dire ce qu'est une agriculture moderne en cette fin de siècle. Et, comme l'ont fait vos aînés il y a près de quarante ans, à définir les objectifs et les moyens d'un nouveau développement de l'agriculture et du métier d'agriculteur.

La modernité se déclinait hier au travers d'un certain nombre de mots et d'idées promus par les leaders agricoles et les Pouvoirs publics, qui ont progressivement conquis le monde agricole : augmentation de la productivité, intensification, afin de produire en plus grandes quantités pour le marché intérieur et le marché international, agrandissement et spécialisation des exploitations, au prix bien entendu de la disparition d'un grand nombre d'entre elles. Tels étaient les grands objectifs d'hier. Tel était le contenu de la modernité au début des années 60.

Le monde a changé, les objectifs doivent être adaptés en conséquence. Ce qui était moderne hier devient archaïque aujourd'hui.

Je définirais, pour ma part, la modernité en matière d'économie agricole de la façon suivante.

Nous devons nous intéresser aujourd'hui plus à la compétitivité de nos exploitations qu'à leur productivité. En d'autres termes, nos agriculteurs doivent prêter attention plutôt à la marge que dégage leur activité plutôt qu'au volume de production qui en résulte.

A l'avenir, la compétitivité de notre agriculture tiendra plus à sa capacité de différenciation des produits sur des marchés de plus en plus segmentés, qu'à sa compétitivité sur le prix des produits standards.

La valeur ajoutée produite et si possible conservée par les agriculteurs en dépendra également.

Nous disposons en France non seulement d'espaces mais aussi de terroirs. Ce mot de terroir est complexe, puisqu'il désigne à la fois un espace délimité, des potentialités particulières propres à cet espace, mais qui n'existent que pour autant que des hommes par leur activité, aient permis l'expression de ces potentialités.

Je vois là également une source de richesse et d'avenir pour notre agriculture. Nos exploitations devront, peut-être plus que par le passé, trouver une source de profit dans la diversification de leur activité, et dans la recherche de moyens permettant de valoriser les atouts des terroirs dans lesquels elles sont situées. Le soucis d'adapter les exploitations aux conditions naturelles et commerciales qui les entourent doit l'emporter sur la volonté de les spécialiser qui apparaissait hier comme un gage de succès.

La recherche de modes de production respectueux de l'environnement doit devenir une réflexions essentielle du monde agricole.

Il n'y a pas à mes yeux de contradiction entre écologie et économie, entre respect de l'environnement et de la nature, et une économie agricole prospère. Bien au contraire.

Les modes de production les plus intensifs, portant atteintes à l'environnement, ne sont pas forcément les plus rentables, ni pour l'économie toute entière, ni même pour les agriculteurs.

Cela rejoint l'idée que j'évoquais tout à l'heure de rechercher plutôt la compétitivité que la productivité. Une agriculture économe de moyens, soucieuse des conséquences des pratiques qu'elle met en oeuvre sur les ressources naturelles, leur préservation et leur renouvellement, est une agriculture d'avenir.

Je voudrais vous convaincre qu'il s'agit là d'une stratégie de développement de notre agriculture.

Comme l'industrie, l'agriculture doit considérer la protection de l'environnement comme une opportunité de développement et non comme une contrainte. L'économie de l'environnement, la montée en puissance des activités industrielles liées aux préoccupations environnementales créent des emplois. Pourquoi cela ne serait-il pas vrai également pour l'agriculture ? Je suis convaincu que la réponse à cette question est positive. A long terme, les produits issus de procès de production respectueux de l'environnement auront sur les marchés une cote supérieure à celle des produits qui le négligent.

Nous devons tirer les leçons de la bataille que livrent les marques pour s'approprier les signes de qualité, de même que nous devons prendre en compte l'explosion de la demande de produits issus de l'agriculture biologique. Ce sont là des indicateurs commerciaux qu'il faut prendre en considération.

La modernité, c'est aussi, à mes yeux, se préoccuper de l'équilibre du territoire, et de son occupation.

Ce n'est pas simplement l'expression d'une préférence, d'une nostalgie. C'est aussi un raisonnement économique qui conduit à cette conclusion. La concentration de l'activité et des populations a un coût économique et social. L'abandon de pans entiers de notre territoire représente ni plus ni moins que la destruction d'une partie de la richesse que notre pays est capable de produire. L'équilibre du territoire, le soutien aux régions les plus difficiles doit en conséquence rester une de nos préoccupations majeures.

Je voudrais à ce propos répondre à la question que vous m'avez posée, Monsieur le président, sur la revalorisation des indemnités compensatoires de handicaps naturels.

Mon prédécesseur avait décider de revaloriser les ICHN au bénéfice des seuls éleveurs de bovins viande et d'ovins, en 1996, pendant la crise de l'ESB. Il avait également décidé de ne pas prolonger cette revalorisation au-delà de 1996, ce qui avait conduit la commission à considérer que les ICHN avaient été utilisées à des fins conjoncturelles alors qu'il s'agit d'aides structurelles, et à demander le remboursement des aides payées en 1996. Si bien que j'ai dû à mon arrivée rue de Varenne négocier avec la commission la revalorisation des ICHN et le non remboursement de ce qui avait été payé aux éleveurs. Voilà comment nous en sommes arrivés au compromis que vous connaissez, qui représente un effort significatif en faveur des éleveurs des zones de montagne. Je sais que cela n'est pas parfait, mais il est impossible d'aller plus loin cette année. Je compte bien reprendre ce dossier en 1999 pour parvenir une solution plus satisfaisante pour les éleveurs laitiers.

La modernité, c'est aussi pour moi placer les hommes au coeur des politiques publiques. « L'emploi d'abord », tel doit être le mot d'ordre de tous les responsables économiques et politiques. Il n'est pas tolérable, alors que l'Europe est confrontée à un chômage massif, que les aides publiques contribuent à la destruction de l'emploi.

Alors oui, la politique agricole doit comme les autres politiques publiques contribuer au maintien de l'emploi.

Elle le fera si elle n'encourage pas la concentration de l'exploitation, et si au contraire elle contribue à la viabilité économique de structures d'une taille raisonnable, qui puissent être aisément transmises à des jeunes agriculteurs désireux de s'installer.

C'est à mon sens un des éléments essentiels d'une politique agricole qui dit faire de l'installation sa priorité.

Pour éviter la concentration des exploitations, il faut un contrôle des structures efficace. C'est ce que je propose dans la loi d'orientation agricole, en étendant le contrôle des structures aux sociétés, et en instaurant transparence et information sur l'évolution des structures d'exploitation.

J'ai entendu que cela provoquait des inquiétudes. Mais il faut choisir. On ne peut pas à la fois dire que l'installation des jeunes agriculteurs est une priorité, et refuser de se donner les moyens de freiner la concentration des exploitations.

Le libre jeu de l'économie, en agriculture comme dans l'industrie, conduit à la concentration, à la constitution d'entreprises de taille toujours plus grande, quand il ne s'agit pas dans certains secteurs de l'économie de monopoles privés.

Si on veut privilégier une agriculture faite par des agriculteurs indépendants, responsables sur leur exploitation, alors il faut se doter des outils que je propose dans ce projet de loi.

A la modernité des objectifs fixés à la politique agricole doit répondre celle des moyens employés pour la conduire.

Les relations entre l'administration et les citoyens ne sont plus aujourd'hui les mêmes que celles qui existaient il y a quarante ans. Les Pouvoirs publics ne peuvent plus procéder par directives d'application générale sur tout le territoire. Cela est particulièrement vrai en matière d'économie.

Et puis de tels modes d'administration ne correspondent certainement plus aux exigences de diversité, d'adaptation des moyens mis en oeuvre aux situations locales dont, je rappelais l'impérieuse nécessité tout à l'heure.

C'est pourquoi la politique agricole doit faire toute sa place aux contrats entre les pouvoirs publics et les agriculteurs. En disant cela ici, devant le congrès du C.N.J.A., je suis certain d'être entendu, puisque c'est une idée que vous défendez vous-même depuis déjà un certain temps.

L'idée de gérer une part croissante des aides publiques aux agriculteurs sous forme contractuelle ne résulte pas de je ne sais quelle lubie ou de la tentation de céder à la mode. Elle résulte de tout ce que je viens d'expliquer. Une agriculture compétitive plutôt que productive, une agriculture productrice de valeur ajoutée, une agriculture équilibrée, valorisant les terroirs, une agriculture qui fait de la protection de l'environnement et de la qualité des produits une stratégie de développement, produit bien autre chose que des produits alimentaires.

Elle génère par son activité même des effets positifs sur le milieu dont bénéficient l'ensemble des citoyens. Il est juste que ces effets positifs résultant de l'activité agricole soient pris en compte par la politique publique, et que les agriculteurs soient rémunérés pour cela. Le marché ne le fait pas et ne le fera pas. Seul le découplage progressif entre les aides et la production agricole au sens strict, et la répartition des aides dans un cadre contractuel, prenant en compte et rémunérant tous les aspects de l'activité agricole ainsi décrit permettra d'y parvenir.

C'est le sens des contrats territoriaux d'exploitation que je vous propose.

Ils encourageront les projets de développement des exploitations agricoles non pas de façon horizontale, par extension progressive de la surface exploitée, mais dans un sens verticale. Celui de la valeur ajoutée et de la véritable création de richesse sur l'exploitation agricole. Ils encourageront le maintien ou la création d'emploi sur les exploitations.

Ils encourageront aussi des pratiques respectueuses de l'environnement, contribuant à la protection et au renouvellement des richesses naturelles. Ils encourageront et rémunéreront la contribution apportée par les agriculteurs à l'occupation équilibrée du territoire.

Voilà ce que seront ces contrats territoriaux d'exploitation.

Nous travaillons en ce moment dans le cadre d'un groupe de travail du Conseil Supérieur d'orientation agricole à la définition plus précise du contenu et des modalités de gestion de ces contrats territoriaux d'exploitation. Le CNJA est bien sûr représenté dans ce groupe de travail.

Je crois que sur ses grands principes nous sommes déjà d'accord.

Les Pouvoirs publics définiront les objectifs généraux qu'ils assignent à l'agriculture. Ces objectifs seront précisés au niveau des régions, dans le cadre des négociations des contrats de plan Etat régions. Dans ce cadre, il reviendra aux départements de définir le contenu des contrats territoriaux d'exploitation types, avec leur cahier des charges.

Pour passer du discours aux actes, nous définirons avec vous, et avec les autres partenaires, à la fin de ce mois, la liste des départements et régions dans lesquels sera réalisé un travail de préfiguration de ces contrats territoriaux au cours du second semestre de cette année. Il ne s'agira pas de signer des contrats territoriaux d'exploitation ou de les mettre en oeuvre à titre expérimental. Je rappelle d'ailleurs que la loi d'orientation n'étant pas votée cela serait difficile. Elle ne sera votée qu'à la fin de cette année. Ce dont il s'agit c'est d'imaginer dans des départements présentant des problèmes très différents, des réalités agricoles différentes, quel pourrait être le contenu des contrats territoriaux d'exploitation qui seront mis en vigueur effectivement à partir de l'année prochaine.

Il s'agit donc de donner un contenu précis à l'orientation générale que je viens de décrire devant vous, de façon à être en mesure au début de l'année 1999, lorsque le décret d'application de la loi relatif aux C.T.E. aura été signé, d'envoyer dans toutes les provinces un guide d'élaboration des contrats territoriaux d'exploitation.

En disant tout cela je pense avoir commencé à répondre à ceux qui accusent mon projet d'ignorer l'économie agricole, et ce qu'il est convenu d'appeler la mondialisation.

Mais je voudrais pour compléter mon propos revenir sur la question des exportations, pour mettre, si c'est possible, un point final à ce qui m'apparaît comme le type même du faux débat.

La question n'est pas de savoir si l'on est pour ou contre les exportations, mais de regarder ce qui se passe sur les marchés mondiaux depuis plusieurs décennies.

Première constatation, le commerce agroalimentaire français est de plus en plus une affaire européenne. Près des trois-quarts des exportations françaises sont à destination d'un pays de l'union européenne. Au total, 80 % de l'excédent de notre balance commerciale agroalimentaire provient de nos échanges avec nos partenaires européens. Curieusement alors qu'on ne cesse de parler de mondialisation, cette spécialisation européenne des échanges extérieurs est de plus en plus marquée, et nos exportations orientées autrefois sur les pays non-européens le sont de plus en plus en direction de l'Europe.

Deuxième constatation, le moteur de ces échanges agroalimentaires est aujourd'hui constitué par les biens transformés, et les « biens primaires finals », c'est à dire les produits agricoles immédiatement consommables par le consommateur final.

Depuis 1991 le solde des I.A.A. est supérieur au solde agricole. C'est lui qui assure le maintien de notre excédent agroalimentaire malgré le déclin de l'excédent agricole consécutif à la réforme de la PAC.

Mais cette stagnation des matières premières, et notamment des céréales ne résulte pas simplement de la réforme de la PAC. Depuis le début des années 80 les échanges de céréales sont stables, à la différence de ce qu'il en est pour les produits transformés.

A mesure que s'affirme le rôle des produits transformés dans le commerce agroalimentaire, s'affirme aussi celui des firmes, en particulier des firmes multinationales. Sait-on par exemple que la production des groupes agroalimentaires étrangers en France est supérieure aux importations françaises de produits agroalimentaires. C'est dire que la stratégie de ces groupes multinationaux, l'évolution de leur structure, sont dès maintenant et seront encore plus demain déterminantes pour l'évolution du commerce international.

Le commerce mondial des produits agroalimentaires n'est donc pas un commerce de produits standards, régulé par des prix au terme d'une concurrence entre producteurs. Il prend plutôt la forme d'échanges régionaux, organisés par les Pouvoirs publics et les groupes multinationaux, portant sur des produits différenciés, transformés, et de plus en plus proches de la consommation finale.

Ce sont ces constatations qui ont dicté les prises de position que j'ai exprimée à Bruxelles sur la réforme de la PAC.

Dans une telle situation, la baisse systématique et généralisée du prix des matières premières agricoles, afin de regagner des parts de marché en Europe et d'en conquérir à l'exportation ne me paraît pas être une réponse appropriée.

La façon dont l'Union européenne sera capable d'intégrer les pays d'Europe centrale et orientale, le développement économique des nouveaux adhérents à l'Union européenne, l'organisation du marché européen élargi, me paraissent plus déterminants pour l'évolution de nos exportations agroalimentaires que ce que nous pourrions gagner par une baisse forte des prix des céréales ou de la viande bovine. Je constate malheureusement que le débat sur ces questions est pour le moment réduit à son stricte minimum dans les enceintes bruxelloises, et faut-il le dire malheureusement aussi souvent en France.

Ce développement de l'économie agricole, et de l'organisation de nos échanges extérieurs agroalimentaires soulèvent une autre question : celle des relations entre les agriculteurs et les industries de transformation et la distribution.

On me reproche de ne pas avoir fait dans la loi d'orientation une place suffisante à ce que l'on appelle l'organisation économique des filières.
 
Je ferai remarquer en premier lieu que la vision de l'agriculture que j'ai présentée tout à l'heure, et la façon dont je conçois le contrat territorial d'exploitation, constituent une première réponse. Les contrats territoriaux d'exploitation s'inscriront dans les orientations générales données par l'État et validées par le C.S.O., précisées dans les régions ; ils seront ensuite préparés dans les départements et soumis à l'avis des CDOA. Ils traduiront des projets à la fois individuels et collectifs. Si nous faisons cela, si nous veillons à la cohérence de l'ensemble, nous orienterons le développement de l'économie agricole de façon cohérente.

Le cadre législatif de l'organisation économique des agriculteurs existe depuis le début des années 1960, peut-être faut-il le moderniser. Je suis ouvert à l'examen de toutes propositions que vous voudrez bien me faire et que les autres organisations professionnelles agricoles voudront bien faire également. Je suis un homme de dialogue et sur ce sujet comme sur tous les autres je suis ouvert à la discussion, prêt à entendre les propositions et si elles me paraissent pertinentes à les mettre en oeuvre.

Je demanderai cependant à mes interlocuteurs de faire preuve de la même cohérence que celle qu'ils attendent de moi. Ainsi, je ne peux que m'interroger lorsque ceux qui plaident avec vigueur pour le renforcement de l'organisation économique des producteurs me demandent de ne pas faire de l'adhésion à l'organisation économique une condition des aides accordées aux producteurs de fruits et légumes, comme je l'avais proposé.

Si l'organisation des marchés relève en partie de structures nationales, elle dépend au niveau communautaire des règles relatives aux organisations communes de marché.

Sur ce point je ne voudrais pas être trop long puisque j'ai déjà eu l'occasion de faire connaître mon point de vue sur la réforme de la PAC à de nombreuses reprises, et je pense que vous en avez été informés.

Je n'accepte pas le projet de réforme de la PAC qui a été proposé, parce qu'il repose sur une solution unique, appliquée à des secteurs qui connaissent des problèmes différents, qui justifieraient de solutions adaptées à leur situation.

La baisse de prix généralisée ne règle rien. On voit bien que même dans le secteur pour lequel cela pose apparemment le moins de problème, je veux parler des grandes cultures, tout ne va pas aussi simplement. Si les producteurs de blé sont prêts à accepter une baisse de prix compensée, les producteurs d'oléagineux qui soit dit en passant sont souvent les mêmes, refusent le principe d'une prime unique pour les grandes cultures proposée par la Commission. Ils réclament le maintien d'une aide spécifique à ce type de production, demande qui me paraît totalement légitime et que j'ai relayée avec force à Bruxelles. En effet, la production d'oléagineux, déficitaire en Europe, serait gravement menacée si elle ne bénéficiait pas d'une prime supérieure à celle des céréales. Et puis les producteurs de maïs se sont rendus compte que les propositions de la Commission ne leur convenaient pas. Et que là aussi il fallait un régime d'aide particulier.

La proposition relative à la viande bovine est totalement contraire aux intérêts de notre pays, mais plus globalement aux intérêts de ce secteur de l'économie agricole. C'est pourquoi je propose de retenir une réforme qui comprenne un ensemble équilibré de mesures portant à la fois sur l'adaptation des prix à la compétitivité de la viande blanche, et de maîtrise de la production. Nous devons en être conscient, nous ne pourrons pas tout demander en même temps. Nous ne pouvons pas à la fois refuser la baisse de prix de 30 % de la viande bovine, et récuser les efforts de maîtrise de la production que nous devrons consentir comme les autres pays européens.

Enfin, je continue à considérer que l'heure n'est pas venue d'ouvrir une brèche dans le régime des quotas laitiers instaurés en 1984, et que ses avantages l'emportent sur ses inconvénients. Bien sûr, il ne pourra fonctionner durablement que si l'Europe maintient dans le cadre des négociations de l'organisation mondiale du commerce une protection suffisante de son marché intérieur, faute de quoi il serait impossible de ne pas baisser les prix intérieurs des produits laitiers. Mais que je sache la Commission n'a pas reçu mandat de négocier demain avec l'organisation mondiale du commerce une nouvelle baisse de la protection communautaire.

Enfin, la proposition de réforme présentée par la commission n'est pas cohérente avec la vision de l'agriculture que je viens de développer devant vous.

Si la PAC réformée veut s'intéresser aux hommes et aux exploitations, et pas seulement aux rapports de prix sur le marché mondial, il faudra qu'elle traite au fond la question des droits à prime et des droits à produire. La France a plaidé dans le passé pour que ceux-ci soient liés à la terre, pour éviter leur « délocalisation ». C'est le principe qui a guidé l'essentiel de nos décisions dans ce domaine. Il a eu beaucoup d'effets très positifs sur le maintien des productions sur le territoire. Sans doute faut-il évoluer, mais avec prudence, de façon à trouver un équilibre entre la volonté d'administrer la gestion des droits à produire qui existe en France et celle d'en faire une valeur échangeable sur un marché qui anime la plupart de nos partenaires.

Nous n'aurons une politique agricole durable et légitime, que si nous faisons, à l'occasion de cette réforme, une place suffisante au découplage partiel entre les aides et la production et que si celle-ci permet de rémunérer la multifonctionnalité de l'agriculture dans un cadre contractuel tel que celui que j'ai décrit précédemment. C'est pourquoi j'ai défendu l'idée d'une modulation des aides versées aux agriculteurs devant mes collègues européens. Je constate avec plaisir que cette proposition a maintenant trouvé droit de cité à Bruxelles, à tel point qu'elle a été reprise dans la dernière déclaration du conseil agricole sur la réforme de la PAC.

C'est ainsi que nous contribuerons à préparer l'Union européenne à aborder les prochaines négociations de l'OMC dans de bonnes conditions. Nous avons un devoir d'anticipation comme nous avons un souci de cohérence. Nous devons continuellement éclairer et amender le projet que nous voulons pour notre agriculture à la lumière des exigences de la construction européenne, à laquelle nous tenons de toutes nos forces, comme à celle des conséquences du traité de Marrakech.

Tenir compte de l'environnement international ne veut pas dire le subir. Notre projet n'a de valeur que s'il ouvre des perspectives pour toutes les agricultures, s'il est un point d'appui dans le débat européen et multilatéral.

Nous sommes tous conscients de traverser des moments absolument décisifs pour l'agriculture pour sa reconnaissance dans nos sociétés, pour sa place dans le renforcement et l'élargissement de l'Union européenne, pour son apport à un ordre économique mondial que nous voulons plus équilibré.

Cet avenir sera notre avenir. Ne gâchons pas cette responsabilité qui nous incombe. Faisons que le métier d'agriculteur et d'agricultrice qui est le vôtre soit pleinement un métier en phase avec les attentes de notre société d'aujourd'hui et surtout de demain . La noblesse de votre métier, comme de tout métier, réside dans sa capacité à relever les défis nouveaux qui surgissent, vous le savez. Gardez toujours à l'esprit que l'agriculture, parce qu'elle assure notre sécurité alimentaire comme la gestion de nos territoires garde tous ses atouts pour demeurer un vecteur puissant de la construction européenne. Travaillons sans relâche à cet objectif, jamais atteint, toujours contesté.

Enfin, affirmons l'originalité de l'agriculture et de l'alimentation dans le débat international. N'avons-nous comme perspective à offrir, dans ce débat, que de reprendre à notre compte les arguments de nos adversaires que nous sommes prompts à dénoncer mais que d'aucuns voudraient imiter et supplanter. Ou sommes-nous capables de contribuer à faire en sorte que dans le débat international soit reconnu un avenir pas seulement à notre agriculture mais à toutes les agricultures et à toutes les paysanneries.

Au nom de quelle valeur pourrions-nous nous arroger le droit d'étouffer l'avenir de paysans et de pays auxquels l'approche strictement commerciale de la mondialisation ferme toute perspective ?

Je crois que l'histoire de votre Syndicat est aussi l'histoire d'une générosité - qu'il sait partagée - C'est peut-être aussi cela l'identité agricole européenne.