Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe parlementaire socialiste à l'Assemblée nationale, dans "L'Humanité" du 4 juin 1998 et article dans "L'Hebdo des socialistes" du 5, sur le bilan de l'activité parlementaire, la valorisation du rôle du Parlement, et les rapports du groupe socialiste avec les autres groupes de la majorité.

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Intervenant(s) : 
  • Jean-Marc Ayrault - Président du groupe parlementaire socialiste à l'Assemblée nationale

Média : L'Hebdo des socialistes - L'Humanité

Texte intégral

L’humanité le 4 juin 1998

Comment appréciez-vous le travail accompli depuis un an, avec un groupe qui soutient toujours le Gouvernement ?

Les députés socialistes ont le souci permanent de ne pas décrocher de l’attente de leurs électeurs. Elus après une dissolution surprise débouchant sur une victoire imprévue, ils ont le devoir d’aider le Gouvernement à mettre en œuvre ses projets, à tenir les engagements pris. Nous n’avons pas oublié l’échec de 1993. Avec environ la moitié de nouveaux députés, des jeunes, des femmes en plus grand nombre, nous parvenons à n’être ni « godillot » ni en état de fronde permanence.

Mais sans liberté de vote pour chaque parlementaire…

Un dialogue continu avec le Gouvernement favorise la cohérence et la solidarité. Mais nous revendiquons le droit d’amendement, avec esprit de responsabilité. L’essentiel, c’est le travail en amont ; Avant même le dépôt d’un projet de loi, des groupes de travail auditionnent, consultent, élaborent. Pour chaque texte gouvernemental, nous désignons un responsable parmi nous. Tous les amendements sont discutés par le groupe : nous adoptons une position sur chaque amendement proposé, en votant si nécessaire, pour fixer l’attitude du groupe. Les statuts du PS prévoient ce fonctionnement : pousser le débat entre nous, appliquer ce que la majorité a décidé. Si des députés demandent la liberté de vote, le groupe tranche.

Comment envisagez-vous la période à venir ?

Il est indispensable de préserver l’écoute entre la majorité, le Gouvernement et le pays. Pour l’instant, les orientations annoncées ont été traduites en actes. Le Gouvernement pratique la simplicité, il y a un vrai débat collectif et plusieurs lois importantes ont vu le jour. Mais les faire passer dans la réalité est le plus difficile. Prenons les 35 heures : sans vouloir dicter au mouvement social ce qu’il doit faire, il peut s’en saisir. Il ne faut pas en avoir peur. Entre 1981 et 1986, on a trop attendu de la loi.

Comment répondre aux attentes des Français ?

Il ne faut pas s’arrêter en chemin, pas de pause. Nous devons gérer au mieux les affaires du pays, mais en phase avec les attentes profondes de réformes économiques, sociales, de développement économique. Nous sommes dans une logique de mouvement. Pas tout tout de suite, mais continuer à avancer, à un rythme régulier, dans le dialogue avec l’opinion. Le pari est de réussir dans la durée, sur la législature. Nous sommes loin d’avoir fini notre travail.

Vos rapports avec les autres groupes de la majorité ?

On se parle franchement. Cela ne va pas sans tensions, mais nous vivons un type d’union nouveau. Le terme de gauche plurielle veut bien dire qu’il faut admettre que toute formation de la majorité y a sa place et qu’aucune ne doit tenter d’imposer son point de vue. Nous travaillons à cela, sans oublier que nous n’en sommes pas seuls : la droite, même affaiblie, est là, active, à l’Assemblée nationale.

L’Hebdo des socialistes le 5 juin 1998

Il y a bientôt un an, les Français ont décidé – contrairement à l’attente de ceux qui les avaient appelés aux urnes – d’accorder leur confiance à une majorité de gauche.

Les conditions étaient difficiles : le dérapage des comptes publics, la hausse constante du nombre de chômeurs qui semblait inexorable, l’aggravation des inégalités avaient fait perdre à nos concitoyens toute confiance dans leur avenir et celui de leurs enfants. Le système politique leur apparaissait inefficace, incapable de résoudre les problèmes, baissant les bras devant la puissance des lois économiques impossible à maîtriser.

Dans notre pays déstabilisé, la nouvelle majorité a su engager les réformes indispensables tout en redonnant espoir et confiance à nos concitoyens.

Peu à peu, la volonté politique retrouve sa capacité à faire changer les choses et sa prédominance sur le « tout économique » et le « tout financier ». L’emploi, la solidarité, le lutte contre les inégalités, le renforcement de la sécurité ont été les priorités du Gouvernement et l’essentiel du contenu des lois examinées ou votées par la majorité parlementaire. Parallèlement, une politique économique adaptée à su nous faire retrouver les voies de la croissance.

La revalorisation du rôle du Parlement semble depuis quelques temps être une préoccupation récurrente de la classe politique.

Certes la répartition des pouvoirs fixée par la Constitution de la Ve République pourrait laisser penser que le travail des parlementaires est une composante mineure dans la conduite des affaires de l’Etat.

Un an de législature en tant que président du groupe socialiste me conduit à penser qu’il n’en est rien et que plutôt que de revalorisation, il faudrait tout simplement parler de reconnaissance et de valorisation.

La séance publique, en effet, ne résume pas le travail parlementaire. Mais cela ne dit rien sur tout le travail qui précède ce vote : groupe de travail, débats en réunion de groupe, propositions d’amendements, examen en commission. Les interventions en séances et les votes ne sont que l’achèvement de longues heures d’étude et de discussions préalables des textes. Ce processus  se fait en liaison étroite avec le Gouvernement et le Parti socialiste. D’autant plus que nous sommes une période de cohabitation.

Le vote lui-même n’est pas une simple formalité. Nous avons une majorité plurielle avec des sensibilités différentes sur certains textes, qui conduit parfois à des prises de position divergentes. Or, si la droite et moribonde, elle continue à se battre avec virulence dans l’hémicycle, utilisant tous les moyens de procédure et les incidents possibles pour bloquer les débats ; sans parler du Sénat, qui est un véritable bastion de l’opposition et qui s’oppose à tous les textes.

En un an et dans des conditions souvent délicates, tous les textes présentés ont été votés : emploi-jeune, loi de finances, loi de financement de la sécurité sociale, loi sur l’immigration, code de la nationalité, loi sur les 35 heures, loi sur l’exclusion. Je ne cite que les principaux textes.

A ces textes s’ajoutent les propositions de loi déposées par le groupe socialiste et qui sont examinées lors de séances réservées à l’initiative parlementaire : au total plus de 20 propositions de loi, dont notamment l’interdiction des mines antipersonnel.

En plus de ces initiatives d’ordre législatif, il me faut aussi rappeler les créations de commissions d’enquête, les missions de députés auprès du Gouvernement, les missions d’information en France et à l’étranger, le travail de la délégation européenne et, enfin, les nombreux groupes de travail qui réfléchissent sur des propositions touchant aux grands problèmes de notre société. La fin de la session approche mais le travail des députés ne s’arrête pas pour autant. C’est dans leur circonscription, sur le terrain, auprès de leurs électeurs qu’ils doivent faire vivre, expliquer, aider à la mise en œuvre des textes qu’il sont votés.

En cela, ils sont, avec les militants socialistes, les relais indispensables de l’action du Gouvernement.

Cette première année de législature de gauche n’est qu’un début ! L’action des socialistes et du Gouvernement de Lionel Jospin s’inscrit dans la durée. De nouvelles réformes, de nouveaux projets de lois essentielles pour notre pays sont au programme de la rentrée de septembre. Même si la croissance est au rendez-vous, il nous incombe de l’accompagner, de l’optimiser pour accentuer la création d’emplois, la lutte contre la pauvreté, tout en continuant à maîtriser les déficits. Il nous faut aussi continuer la modernisation du fonctionnement politique de notre pays, réformer notre justice pur qu’elle soit plus indépendante et plus proche des citoyens, repenser l’aménagement du territoire, approfondir la décentralisation, réorganiser le système scolaire et éducatif pour préserver l’égalité des chances et préparer nos enfants et notre jeunesse à la vie active.

Cette énumération est loin d’être exhaustive, c’est dire l’ampleur et les enjeux de la prochaine année de législature.

Les députés du groupe socialiste, fidèles à leurs engagements, seront aux côtés du Gouvernement de Lionel Jospin pour y faire face.