Texte intégral
RTL – France Inter – mercredi 29 juillet 1998
« Pourquoi tant de bruit ? Ce n'est pas un accord sur les 35 heures : c'est un accord qui n'est pas disponible aujourd'hui, puisqu'il explique lui-même qu'il ne sera applicable qu'au 1er janvier 2000. Je rappelle qu'il y aura une deuxième loi d'ici là. Et c'est un accord qui, disons, décline plutôt des opinions que des faits – en l'occurrence, il n'y a aucun élément pratique. C'est d'ailleurs une innovation dans le droit français de voir une convention collective qui est en quelque sorte un accord virtuel, une espèce de non-accord sur lequel les partenaires se mettent d'accord. Voilà. Alors, si ça a fait plaisir à l'UIMM, c'est déjà bien ; ça n'aura aucun effet sur les salariés, puisque ce n'est pas applicable. Il vaut mieux attendre la loi de fin 1999. Donc, tout ceci nous donne du temps pour réfléchir ; cela donne surtout le temps aux entreprises de la métallurgie de signer de bons accords de réduction de la durée du travail. »
« Pour l'instant, il ne s'agit pas d'un accord qui va rentrer dans les faits. Je pense que c'est un accord qui contient des opinions, plus que des réalités. Toute opinion est bonne à prendre. Je vais l'analyser. Il y a sans doute des choses intéressantes dans cet accord. Mais moi, je préfère la réalité. Et la réalité, c'est qu'aujourd'hui, il y a des branches qui signent des accords qui sont applicables tout de suite, et qu'il y a des entreprises, y compris dans la métallurgie, qui signent des accords, et c'est cela qui m'intéresse au premier chef. Vous savez, les chefs d'entreprise sont des hommes et des femmes réalistes. Ils voient les opportunités de la loi, ils voient les aides que leur apporte l'Etat. Dans l'accord qui a été signé, en aucun cas, les aides de l'Etat ne peuvent, par exemple, intervenir. C'est quand même étonnant que ceci n'ait pas été pris en compte, par exemple. »
Q - Alors, la CFDT a dit qu'elle essayait de vous convaincre qu'il ne fallait pas étendre cet accord à l'ensemble du secteur de la métallurgie, et l'UIMM, hier soir, a dit que si vous n'étendiez pas, elle sortirait la bombe atomique, qui est de dénoncer la convention collective de la métallurgie ?
« D'abord, l'UIMM ne m'a pas saisie d'une demande et puis, encore une fois, qu'est-ce qui m'imposerait de donner une réponse pour un accord qui n'est applicable qu'au premier janvier 2000 ? Quant à la bombe atomique, je ne sais pas qui explosera en vol. Est-ce que ce sera la convention collective, ou est-ce que ce sera l'UIMM s'il n'y a plus de convention collective ? La question se pose et je pense que ses dirigeants se la poseront avant de prendre ce type de geste. »
Q - Avant de parler des dossiers de votre ministère, qu'est-ce que vous en dites, vous, de l'Etat dans lequel est le Tour de France ?
« Je dirais d'abord que je pense un peu comme tous les Français, c'est-à-dire que c'est un peu triste, le Tour de France est une fête sur les bords de route, c'est une fête devant les télévisions, c'était actuellement une fête formidable en Italie avec ce formidable coureur qui a réussi à remonter sur un vélo. En même temps, je crois que les Français sont partagés c'est-à-dire qu'ils se disent que pour eux, le sport est d'abord la transparence, le respect de l'autre, c'est le combat homme à homme et de redécouvrir que le dopage est aussi important les rend très malheureux parce qu'ils aiment le sport. Donc, si cette année, et malgré – je le comprends – le désarroi d'un certain nombre de cyclistes qui ont l'impression d'être tous considérés comme des coupables – ce qui n'est à l'évidence pas le cas -, si cette année on arrive à faire le ménage dans ce sport – et je pense derrière aux organisateurs et aux sponsors dont on ne parle pas assez parce que le cyclisme est souvent lié à tout cela – eh bien on n'aura pas perdu notre temps et on retrouvera le sport, celui que les Français aiment. »
Q - On reste sur cette perspective et on passe aux dépenses de santé.
« C'est moins gai. »
Q - Les mesures d'économies annoncées hier, 2,7 milliards. A votre avis, l'objectif d'un déficit des dépenses de santé de 4,9 milliards devrait être atteint, comme c'était prévu ?
« Oui, on s'est engagé sur un déficit total de la Sécurité sociale de 12 milliards et sur l'équilibre l'année prochaine. Je l'ai dit : je tiens comme tout le monde et comme tous les Français à la Sécurité sociale et je ferai tout pour que cet équilibre soit atteint. Il sera atteint parce que nous mettrons en place une clause de régulation économique qui fera en sorte que nous rentrions dans les clous. Si cela n'était pas le cas, c'est-à-dire que si les dépenses maladies – puisque ce sont elles aujourd'hui qui dérapent et particulièrement celles des spécialistes -, les prescriptions de médicaments ne rentreraient pas dans les clous avant la fin de l'année… Je pense que les choses changent, aujourd'hui. D'abord les patients commencent à se rendre compte : avec Bernard Kouchner, nous avons rendus publics deux rapports sur les antibiotiques, sur les antidépresseurs. La France consomme, par exemple, deux fois et demi de plus d'antibiotiques que nos principaux voisins. On a aujourd'hui des germes qui sont résistants à cause de cela. Il faut que les Français comprennent que mieux se soigner ce n'est pas obligatoirement manger plus de médicaments. Cela peut, au contraire, avoir des effets nocifs sur leur santé. Et puis les professions médicales commencent à bouger. Je l'ai vu dans les discussions que nous avons eues avec eux. Nous avons eu des protocoles d'accord avec quatre professions – cela n'est pas assez dit – et qui ont eu le courage de se mettre autour de la table et de regarder avec nous comment on pouvait effectivement limiter ses dépenses. C'est vrai des biologistes, des orthophonistes, c'est vrai des masseurs-kinésithérapeutes ou ceux qui fabriquent des matériaux de prothèses. »
Q - Vous avez eu une méthode qui consistait en quelque sorte à leur imposer l'acceptation.
« Non, on a fait un peu différemment qu'auparavant : on n'a pas taxé de manière aveugle et comptable tout le monde. On a regardé – cela est un travail de 12 mois – par exemple sur les médicaments : nous avons regardé quels étaient les laboratoires qui n'avaient pas respecté les accords passés avec l'Etat et la CNAM sur les volumes et les prix, les classes de médicaments dans lesquelles les volumes dépensés étaient beaucoup trop important, ce qui a entraîné des revenus complémentaires pour l'industrie pharmaceutique. Et nous avons demandé des baisses de prix, là où nous savons, aujourd'hui – ce n'est pas moi qui le dit, ce sont les experts et cela n'est pas contesté – que certains médicaments avaient un effet médical faible. Ce que dit l'industrie pharmaceutique : « vous nous faites payer 1,8 milliard, c'est beaucoup. » Je comprends qu'elle dise cela. Mais en même temps nous avons, avec elle, une concertation forte et aucune mesure concrète n'a a été prévue, et celle qui touche 200 ou 300 types de médicaments n'a pas été concerté car c'est un travail de fond qui part de la santé des malades, de l'intérêt médical de chacun des médicaments et non pas encore une fois d'une mesure aveugle et générale. »
Q - Est-ce que vous avez l'impression d'avoir un peu tardé – vous aviez peut-être de vraies raisons – à prendre ces mesures d'économies ?
« Très franchement, je ne crois pas parce qu'il fallait travailler. Si justement nous voulions éviter les mesures aveugles qu'avait prises le Gouvernement, il y a trois ans, d'une taxe sur l'industrie pharmaceutique, il fallait ce que nous avons fait depuis 12 mois : travailler sur les classes les unes après les autres, antibiotiques, antidépresseurs, vasodilatateurs, demander à des experts de nous dire où sont les médicaments qui n'ont pas d'effet médical. Car moi, ce qui m'intéresse c'est la santé des malades. Ce n'est pas de prendre des mesures générales et comptables. Que nous puissions prendre des mesures ponctuelles qui soient effectivement adaptées – et ces mesures, vous le remarquerez, ne sont pas contestées par l'industrie pharmaceutique. Et je voudrais redire que les malades ne sont pas touchés pour la première fois. Il n'y a pas déremboursement. Il n'y a aucun problème pour les assurés. »
Q - Ce sont des mesures en quelque sorte conjoncturelles destinées à rectifier une dérive. La réforme de fond structurelle arrivera quand et comment ?
« Sur l'industrie pharmaceutique, ce sont à la fois des mesures conjoncturelles et structurelles car les baisses de prix sont acquises. »
Q - Oui, mais pour le reste ?
« Ce que j'ai toujours pensé, c'est que ce n'était pas des mesures de coercition entre les médecins qui feraient changer les comportements. Nous devons mieux les informer. Si, par exemple, en début d'année, les médecins avaient résisté à leurs malades et n'avaient pas donné des antibiotiques pour une grippe à virus, il y aurait eu 1 milliard de moins de dépenses alors que les antibiotiques n'étaient pas nécessaires en début d'année. Il faut que les médecins soient mieux informés. D'où l'informatisation des logiciels sur leurs bureaux qui les informe à tout moment des bonnes prescriptions et des bons protocoles. Il faut travailler sur les médicaments génériques qui sont moins coûteux. Nous avons sorti une liste très importante – un travail d'une année. Il faut mieux former les médecins et il faut une responsabilité collective que les syndicats de médecins acceptent de plus en plus – et je m'en réjouis. Tout ceci, peu à peu donnera des résultats et même les malades, eux-mêmes, dans le cadre des états généraux – nous en parlerons avec eux – devront comprendre qu'elles sont les bonnes façons de consommer – si je puis dire – notamment des médicaments. Tout ceci doit porter ses fruits au fur et à mesure. En attendant, nous ne laisserons pas déraper la Sécurité sociale car c'est notre bien collectif. »
Q - L'accord sur le temps de travail signé, avant-hier, par le patronat et trois syndicats de la métallurgie qui porte sur les heures supplémentaires, les forfaits salariaux plutôt que sur la réduction du temps de travail et l'emploi. Comment vous l'expliquez au fond ?
Vous avez parlé d'un accord virtuel. Mais la motivation qu'il y a derrière cet accord, c'est la revanche du patronat qui ne veut pas des 35 heures ?
« Je n'ai pas du tout envie de prendre ce ton-là. L'UIMM avait annoncé effectivement, au départ, un projet d'accord qui prenait complètement à contre-pied la loi que j'ai fait voter sur les 35 heures. Je crois qu'elle en a rabaissé les prétentions. Cet accord, aujourd'hui, ne s'applique pas puisque d'eux-mêmes ils disent que cet accord ne s'appliquera pas puisque d'eux-mêmes ils disent que cet accord ne s'appliquera qu'au 1er janvier 2000 après l'avoir revu ensemble au mois d'octobre. D'ici là, une deuxième loi sera votée qui prendra en compte, là, non pas des accords virtuels mais la réalité de ce qu'auront négocié le patronat et les syndicats dans les entreprises et dans les branches. »
Q - Vous allez ignorer cet accord-là ?
« Pas du tout. Je l'ai dit : il y a dans cet accord non pas des réalités – moi, je préfère les réalités – il y a surtout des opinions. Mais toutes les opinions sont bonnes à analyser. »
Q - Il ne risque pas de servir d'exemple à d'autres négociateurs ?
« Cela ne peut pas être un exemple puisque que ce n'est pas un accord sur les 35 heures. Il ne situe pas dans cette logique-là. En revanche, il y a des choses intéressantes. »
Q - Il indique une direction pour contourner les 35 heures ?
« Non, il n'y arrive pas. Aujourd'hui, les 35 heures ne peuvent pas être contournées. Je ne vais pas entrer dans des mesures techniques mais au-dessus des heures complémentaires, on paye des repos compensateurs qui abaissent la durée du travail. Je dirais simplement que cet accord est un accord qui ne s'applique pas tout de suite, de l'avis même de ceux qui l'ont signé. Moi, je vois qu'il y a 80 entreprises qui ont déjà signé des accords, trois branches qui ont déjà signé dans l'esprit de la loi, c'est-à-dire des accords qui sont une opportunité pour les entreprises de mieux fonctionner, de mieux répondre aux besoins de leurs clients, qui sont une opportunité pour les salariés de mieux travailler et qui créent des emplois – déjà plusieurs milliers d'emplois. »
Q - Cela ne porte pas préjudice à la loi sur les 35 heures ?
« Cela ne porte pas préjudice parce que cela ne s'applique pas, tout simplement. Heureusement d'ailleurs. Et à partir de là, je regarderai les opinions qui sont dans ce texte mais vous comprendrez avec moi que j'aime mieux les réalités, c'est-à-dire ce qui s'applique plutôt que les opinions. »
Q - Une réalité – autre sujet là aussi - : le Conseil Constitutionnel a censuré 7 articles sur 159 de la loi contre l'exclusion qui venait d'être votée. C'est surtout sur le logement que cela porte : ces décisions dénaturent-t-elles en partie ou beaucoup la loi en question ?
« Cette loi comme vous le savez visait à ce que chaque Français puisse avoir accès au droit, à l'emploi, à la santé, à la culture, au sport, aux loisirs. Pour ne prendre que cet exemple. Là-dessus, aucun problème de la part du Conseil Constitutionnel. Le seul chapitre qui a fait l'objet de discussions, c'est celui sur le logement. Luc Besson a essayé, surtout avec les parlementaires qui ont beaucoup amendé ce texte, de faire en sorte qu'en France chacun puisse avoir un logement. Le Conseil Constitutionnel a considéré que le droit au logement n'était qu'un objectif dans la Constitution et pas un véritable droit. C'est sur ce fondement-là qu'il a annulé la plupart des dispositions. Il a d'autre part considéré que le droit de propriété était plus important que le droit d'un certain nombre de personnes de bonne foi à rester dans les lieux. »
Q - Cela remet en cause l'équilibre ?
« Cela ne remet pas en cause l'équilibre général du texte. Cela porte sur le logement. Luc Besson avait l'intention de présenter une grande loi sur l'habitat dans les semaines qui viennent. Il va falloir reprendre cela avec notre objectif double : faire de la mixité sociale dans nos villes pour que les gens vivent mieux ensemble et deuxièmement faire en sorte que chacun ait un logement. Mais le reste de la loi va s'appliquer et je peux d'ailleurs vous dire qu'en ce qui concerne mon ministère – Santé, Emploi – les choses sont déjà en place pour le mois de septembre. »