Interview de M. Pierre Mauroy, ancien Premier ministre et sénateur PS, dans "Pouvoirs locaux" d'avril 1994, sur les lois de décentralisation, la nécessité des regroupements de communes ou de villes, les relations entre l'Etat et les collectivités locales, la fiscalité locale et les réformes nécessaires pour renforcer les compétences des collectivités locales.

Prononcé le 1er avril 1994

Intervenant(s) : 

Média : Pouvoirs locaux

Texte intégral

Pouvoirs Locaux : En 1981, lors de votre arrivée au pouvoir, le dossier de la décentralisation était-il prioritaire ?

Pierre Mauroy : C'était en tout cas l'un des dossiers qui avait bénéficié de la meilleure préparation. La commission de la décentralisation, que je présidais – Catherine Lalumière en était le rapporteur –, avait étudié pendant deux ans pratiquement tous les sujets touchant aux lois de décentralisation. Et le groupe socialiste avait, non sans débats, déposé sous la signature de François Mitterrand et la mienne plusieurs propositions de loi très précises.

Gaston Deferre, maire de Marseille, président de la région Provence-Alpes-Côte-D'azur, avait suivi les travaux de cette commission. Il voulait être l'homme de la décentralisation, comme il avait été l'homme de la loi-cadre pour l'autonomie des territoires de la France d'outre-mer. D'où son souhait très affiché d'un ministère de l'Intérieur qui serait aussi celui de la décentralisation, de préférence à la présidence de l'Assemblée nationale que François Mitterrand lui avait proposée. Voilà comment, moyennant un travail très rapide de mise en forme, j'ai pu moi-même présenter ces textes à la tribune du Parlement.

Q. : La vision de Gaston Defferre sur ce dossier correspondait-elle tout à fait à la vôtre, par exemple concernant la tutelle des préfets, dont il avait gardé la cuisante expérience à Marseille ?

R. : Nous voulions tous supprimer la tutelle des préfets, devenue insupportable et archaïque. Nous avons eu de vraies discussions, mais jamais de divergences fondamentales sur ce sujet. Plus tard, nos différences ont davantage porté sur le rôle du ministre de l'Intérieur, sur sa façon de traiter les problèmes d'ordre public, que sur les lois de décentralisation. C'était une ère nouvelle pour les élus, qui étaient à l'ombre de la casquette des préfets dont le pouvoir d'intervention, accepté par des générations d'élus locaux, était immense, voire total, sur les petites communes.

Et les oppositions ont souvent été plus tard celles des ministres, qui trouvaient toujours de bonnes raisons pour que leur représentant départemental et régional puisse se soustraire à l'autorité préfectorale. Sur ce point, j'ai multiplié les mises en garde et les rappels à l'ordre pour assurer l'application stricte du principe bien connu : le préfet représente le gouvernement dans son entier et chaque ministre en particulier. Sans exception. La nouvelle liberté donnée aux collectivités territoriales ne peut être assurée que si elles ont un interlocuteur dont le pouvoir est sans contestation sur les services départementaux et régionaux.

La décentralisation, c'est le droit à l'initiative, à l'imagination et au développement. Reconnaissons d'ailleurs que la réussite est impressionnante. La fonction de l'élu – du maire par exemple – est passée de l'administration du début du siècle à la gestion, puis à l'animation de la commune. Le pouvoir a été véritablement rendu aux citoyens par l'intermédiaire de leurs élus.

Q. : Lors de la préparation des lois du 2 mars 1982, a-t-on débattu de la simplification de notre système territorial ? L'étagement de nos exécutifs locaux correspond-il à une tradition française à conserver ?

R. : La simplification de notre système territorial a été effectivement débattue. J'étais moi-même pour une forte diminution du nombre de communes – près des deux tiers des communes françaises (22 000 sur 36 000) ont en effet moins de 500 habitants ! – ou tout au moins, pour la mise en place d'une intercommunalité obligatoire, à l'instar de ce qui avait été réalisé avec « les communautés urbaines ».

Par ailleurs, partisan de régions plus grandes, je souhaitais, à titre expérimental, procéder à une consultation pour le rattachement de la Somme et de l'Aisne au Nord-Pas-de-Calais et de l'Indre au Limousin. Les sondages effectués à cette époque étaient massivement favorables. Mesurant l'effort de persuasion à accomplir, j'ai remis à plus tard ces propositions, d'autant que nous voulions aussi instaurer l'élection au suffrage universel des conseillers régionaux. Le département n'a pas été remis en cause, il bénéficiait comme la commune d'un fort attachement républicain et nous savions la place qui était la sienne dans la France rurale où le président du conseil général était « resté roi » ! Nous étions pourtant nombreux à penser que la région s'imposerait avec le temps. Cette nouvelle collectivité nous apparaissait novatrice, en concordance avec notre engagement européen. J'étais de ceux-là, après avoir mené comme président une expérience passionnante et efficace dans le Nord-Pas-de-Calais.

Mais les temps changent et une réforme fondamentale de nos échelons locaux est aujourd'hui bien irréaliste. Les communes se sont renforcées et il serait inutile et dangereux de faire la guerre aux villages. Mais tout peut se rattraper si le volontarisme intercommunal devient la règle, c'est-à-dire si on veut vivre son temps dans l'évolution et l'efficacité. Nous sommes loin du compte !

Les départements se sont aussi renforcés. Et pour diverses raisons, dont le recours à un mode de scrutin inadapté, la région sort affaiblie de la compétition des douze dernières années. Elle peut se reprendre à la condition de lui donner un exécutif stable capable de voter son budget, ce qui est bien le minimum d'une collectivité en bonne santé !

Un jour viendra où la construction de l'Europe conduira à reprendre ces grandes options fondamentales et à choisir. Nous n'y sommes pas ! L'évolution sera lente et il nous faudra attendre le siècle prochain. Mais bien des réformes utiles et attendues peuvent être faites.

Q. : À quelles réformes songez-vous ?

R. : À des réformes importantes : un nouveau découpage de régions, une généralisation de l'inter-communauté, de profondes modifications de la fiscalité locale. Et plus simplement à des réformes plus immédiates d'approfondissement de la décentralisation en précisant les compétences et en mettant ainsi fin à des confusions regrettables qui amènent les collectivités territoriales à traiter des mêmes sujets.

Q. : Vous posez aussi le problème de leur mode de scrutin…

R. : Les régions ont été piégées, par un mode de scrutin inadapté. La proportionnelle intégrale leur interdit la stabilité : le tiers d'entre elles n'a pas de majorité franche, comme c'est le cas dans le Nord-Pas-Calais. Notre loi municipale est perçue par tous comme un modèle : elle assure une proportionnalité acceptable de représentation et garantit une majorité. Généralisons-la.

Q. : La dégradation du pouvoir régional vous handicape-t-elle dans votre tâche de maire de grande ville ?

R. : Oui ! L'État annonce : « Le plan ». Or, pour établir le plan entre la région et l'État, il faut prendre préalablement un certain nombre de précautions. La plupart des régions n'en ont rien fait. Quant à lui, le Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais a sorti un premier document où rien n'était proposé pour la métropole lilloise : un million d'habitants sur quatre négligés ! C'était la conséquence d'une politisation excessive et de la part trop grande laissée aux idées à la mode – l'opposition à la ville, le retour à la campagne –, qui ne sont pas toujours les meilleures.

Depuis lors, la métropole a été introduite dans la nouvelle version du document et le conseil régional demande, à juste titre, un milliard de francs supplémentaires à l'État pour prendre en compte les intérêts métropolitains. J'espère vivement qu'il n'est pas trop tard ! La leçon que je tire de cet épisode, c'est l'insuffisance du dialogue institutionnel entre l'État et les différents acteurs. La région doit devenir le laboratoire du Plan et de l'aménagement du territoire, ce qui suppose une préparation approfondie entre la Région, les départements et les grandes métropoles.

Soyons plus précis encore : lorsque l'État demande à la communauté urbaine de Lille d'arrêter un schéma directeur d'aménagement urbain dans une perspective de quinze à vingt ans, lorsqu'il discute avec elle d'une charte d'objectifs pour obtenir un effet de « métropolisation », lorsque de surcroît, il a la charge d'appliquer un contrat d'agglomération, on est dans le royaume d'Ubu si les travaux menés dans cette direction ne peuvent être pris en compte dans le Plan d'État-région pour des raisons de méthode et de calendrier.

Si une métropole ne peut rien sans sa région, la région n'a pas de sens sans sa métropole. Ce lien naturel de la vie économique, de la vie quotidienne devrait devenir une donnée majeure de la préparation du Plan.

Q. : La dérive gestionnaire, tentation de toutes les collectivités locales, n'alimente-t-elle pas le reproche majeur que subit la décentralisation : ne pas avoir fait assez place à des modes renouvelés de représentation démocratique du citoyen ?

R. : Le reproche n'est pas justifié ! La décentralisation, loin de limiter la représentation démocratique du citoyen, l'a déjà grandement améliorée en multipliant les lieux de représentation et en rapprochant les centres de décision, transférés aux élus du peuple. Mais la décentralisation pourrait améliorer l'exercice de la démocratie si de nouvelles réformes définissaient plus clairement les compétences des collectivités, limitaient drastiquement les financements croisés et leurs conséquences néfastes et répondaient tout simplement à la question essentielle : « qui fait quoi ? » et « comment ? ».

Pour aller plus loin encore, nous devrions permettre l'application du principe de subsidiarité afin que les tâches de gestion soient assumées par la collectivité la plus proche et, la mieux à même d'associer les citoyens.

Ainsi, les conseils généraux ont de très gros budgets sociaux, notamment avec l'aide sociale. Ils attribuent pour ce faire aux communes une somme globale, le « contingent social ». Mais peu à peu, ils créent à travers les départements des réseaux communaux qui sont pourtant les mieux adaptés. Ne pourrait-il pas y avoir un système de conventionnement entre le département et les communes qui peuvent assumer cette gestion ?

Cela suppose naturellement une définition claire des compétences majeures des différentes collectivités et leur respect. Ainsi, les régions sont compétentes pour l'implantation des lycées. Elles doivent décider entièrement de cette implantation, en fonction de l'intérêt général et non des avantages que leur octroie telle ou telle commune.

Q. : Cette réforme vous paraît-elle prévisible à court terme ? Et peut-on modifier les financements croisés sans toucher à la fiscalité locale ?

R. : La décentralisation, pour trouver son second souffle, a manifestement besoins d'une réforme d'envergure. Certaines mesures relèvent du bon sens et d'une bonne gestion. D'autres – notamment la fiscalité locale – dépendent des orientations générales qui animent le débat national.

La réponse appartient aujourd'hui au gouvernement et à sa majorité. Mais rien n'interdit à l'opposition de faire des propositions ! Le fondement même de la fiscalité locale doit être revu et corrigé. Les correctifs apportés par l'intercommunalité – communautés de villes et de communes – sont des palliatifs utiles mais insuffisants, et la pratique abusive des transferts de charge de l'État vers les collectivités aggrave la situation de ces dernières.

Les collectivités doivent certes administrer, gérer. Mais elles peuvent apporter une valeur ajoutée au développement économique du pays. L'État devrait le comprendre et leur en donner les moyens par une fiscalité rénovée, des régions plus grandes et une intercommunalité renforcée.

Q. : La décentralisation ne pourrait-elle permettre de constituer un ensemble comprenant les politiques de lutte contre l'exclusion, de formation professionnelle et d'emploi ? Enfin, compte-tenu du contexte financier, les collectivités locales peuvent-elles se mobiliser ?

R. : Oui, si elles disposent de responsabilités élargies. En matière de formation professionnelle, la région aurait les moyens de mener une grande politique si elle possédait un service de formation professionnelle en liaison avec les entreprises et avec chaque bassin d'emploi, disposant d'une carte de l'emploi et de l'insertion. À cela devrait s'ajouter une capacité de dialogue actif à l'ANPE et tous les instruments situés dans la région. Il s'agit, encore une fois, de faire en sorte que la région dispose des compétences de conception, et non de gestion. En matière de politiques sociales, par exemple pour lutter contre la drogue, c'est au département de définir les orientations, à partir d'une politique arrêtée par l'État, et à la commune de les mettre en œuvre avec un financement conventionné.

Loin de moi l'idée d'opposer villes et campagnes, France urbaine et France rurale. Nous approchons d'un équilibre, qu'il faut sauvegarder. Mais on le fera par des mesures particulières visant à établir par une intercommunalité beaucoup plus poussée le maillage des villes petites et moyennes. L'espace rural a besoin, davantage encore que l'espace urbain, d'être structuré en respectant les communes, mais en les associant avec la ville pilote dans une unité de développement. Dans l'espace urbain, l'aménagement du territoire n'a pas suivi les transferts massifs de population et, dans la majorité des cas, la ville est à l'étroit et en déséquilibre. Elle est à l'étroit parce qu'elle manque de terrain, parce qu'il faut davantage d'espace collectif et individuel par habitant, parce que les frontières d'hier ne sont plus adaptées. Plus grave encore, l'absence d'une politique foncière ambitieuse a rejeté à la périphérie les populations les plus modestes et les plus jeunes, et cette évolution est si accentuée dans certaines grandes villes qu'elles risquent – comme notre capitale – d'être réservées aux plus favorisés et aux personnes âgées qui sont propriétaires.

Comment rétablir l'exigence de démocratie dans les villes, si ce n'est pas une intercommunalité renforcée ? La loi ATR a créé, dans un effort louable, les communautés de villes et les communautés de communes. C'est une bonne évolution, mais qui sera vite insuffisante. Pourquoi ne pas généraliser davantage les communautés urbaines qui restent la forme la plus élaborée de l'intercommunalité ? Elles étaient six voici vingt-cinq ans. Elles sont neuf aujourd'hui. Et pourtant, elles ont souvent permis un développement exemplaire de leur espace urbain. Il faudra associer aussi davantage les citoyens et, demain, faire désigner leurs élus par le suffrage universel direct en même temps que les communes. La décentralisation a ici un champ immense.

Q. : Le gouvernement est-il armé pour lancer cette réforme ?

R. : Il ne traite pas ces problèmes-là. Or, pour l'heure, la multiplication des législatives aggrave le morcellement au détriment d'une vision d'ensemble. Et naturellement, cette situation nous expose à des dérèglements inutiles.

La relance de la décentralisation commande un grand mouvement : de la clarté dans les compétences territoriales, et à chaque collectivité son espace, sa force, son budget. D'ailleurs, la loi portant dotation de solidarité urbaine va dans le bon sens et n'est pas à remettre en cause, et pas davantage, dans le cadre de la loi ATR, l'élargissement de la taxe professionnelle à tout le territoire d'une communauté de communes ou de villes. Cela dit, les réactions des citoyens sur la fiscalité sont surprenantes. Ainsi, que lit-on dans le sondage lancé récemment par le département du Nord ? « La fiscalité est trop lourde ». Durant mes dix premières années de mandat, j'augmentais la fiscalité municipale de 15 à 16 %, quand l'inflation était de 9 %. En revanche, depuis sept ans, ma fiscalité n'augmente pas. Mais les citoyens n'ont pas dissocié la fiscalité de Lille et celle du conseil général et du conseil régional, qui, elles, ont augmenté. Seule une minorité a perçu la différence.

Q. : Cette réorganisation implique-t-elle de modifier des situations acquises au profit de régions plus pauvres ? Le modèle allemand de péréquation entre régions riches et régions pauvres – adapté aux particularités de notre pays – vous paraît-il adaptable à la France ?

R. : Eh bien non ! On ne peut pas à la fois vouloir le marché, l'Europe, s'organiser autour de cette « banane bleue » qui va de Londres à Milan en passant par la Ruhr, et appliquer un principe d'égalité massif qui amène à traiter la façade atlantique de la même façon que l'Est ou le Nord-Pas-de-Calais. Il faut réduire des inégalités criantes, exercer la solidarité, mais sans promettre à toutes les régions un droit impossible à une égalité totale.

Cette approche est illusoire. L'industrie répond à un marché libre, qui s'inscrit dans une géographie qu'elle utilise et dont on ne peut faire fi. Une telle redistribution mènerait à s'appauvrir. Pour éviter tant l'égalitarisme mécanique que les inégalités systématiques, créons des ensembles plus grands, où la solidarité et l'égalité s'appliqueront naturellement.

Si les villages, les petites communes autour des villes créaient ensemble une communauté, les citadins, tout naturellement, et sans qu'on leur demande beaucoup d'argent, s'occuperaient des villages. Ce serait là une forme de péréquation naturelle dans un ensemble communal ou régional élargi.

En outre, rechercher des égalités impossibles sur le plan national serait un désordre et un handicap. La France est toujours attirée, dans ses moments de faiblesse, par le repli sur la petite maison, le petit jardin, le petit chien… Alors qu'elle accède au rang de quatrième exportateur mondial, faut-il vraiment lui imposer des pesanteurs étouffantes ?

Organisons notre ruralité pour que la ville paie pour la campagne, car elle le peut ! Les villages manquent de personnel ? Organisons la complémentarité entre les villes de 5 000 habitants et les villages alentour, afin que la fonction publique de la ville vienne appuyer le village voisin.

Q. : La Haute assemblée dans laquelle vous siégez est-elle adaptée à ces exigences et à ce besoin de novations ?

R. : D'une certaine façon, par sa représentation, elle appartient à l'Ancien régime. Son président, par conviction, veut manifestement l'animer, la rénover même, lui donner un nouveau rôle. Mais rien ne sera vraiment possible sans une réforme préalable du mode de scrutin. Le Sénat est resté pendant douze ans exagérément l'image renversée de la nation. Il garde aujourd'hui une majorité qui lui sera permanente, quelles que soient le évolutions politiques. Il ne peut connaître l'alternance et, à ce titre, pèche gravement sur le plan démocratique.

En attendant que le Sénat fasse sa révolution, peut-être serait-il utile de lui conférer des pouvoirs spécifiques qui en feraient le collège des collectivités territoriales, une instance d'arbitrage sur les compétences, qui émettrait un rapport solennel sur l'évolution de notre décentralisation.

Q. : La gauche n'a-t-elle pas manqué l'occasion d'entreprendre ce chantier-là ?

R. : Dès son arrivée au pouvoir en 1981, la gauche a engagé, avec la décentralisation, une des plus profondes réformes du siècle. Elle ne pouvait tout réaliser à la fois. La droite est aujourd'hui à pied d'œuvre. Si elle manque d'idée ou d'audace, il faudra attendre le retour de la gauche ! Quant au Sénat, n'oublions pas qu'une réforme constitutionnelle qui le concernerait doit être acceptée par lui-même !

Q. : Considérez-vous que la décentralisation fasse partie du patrimoine intellectuel de la gauche ?

R. : Paradoxalement, la gauche a une double culture, s'inspirant de la Révolution française. Elle a développé, du XIXe jusqu'à la dernière guerre, une tradition jacobine pour imposer à une province conservatrice les idées nouvelles de liberté et d'égalité. Mais son implantation progressive sur tout le territoire lui a également donné une culture décentralisatrice et la municipalité fait partie, depuis plus d'un siècle, du patrimoine de la gauche.

Il y eut le socialisme municipal, l'illusion que prendre des municipalités serait aussi prendre le pouvoir dans le pays. La cause des citoyens, qui est portée par la gauche, est passée tantôt par une République centralisée, tantôt par une République qui reconnaît davantage la diversité. La décentralisation doit être notre horizon et sa culture fait désormais majoritairement partie du patrimoine intellectuel de la gauche.

Q. : Cette réflexion sur la décentralisation peut-elle être un enjeu pour une élection présidentielle à venir ?

R. : C'est une bonne question, parce que la décentralisation a réussi, en donnant le pouvoir aux élus, à le redonner en partie aux citoyens.

Mais la décentralisation fait partie de ces grandes réformes dont le citoyen ne mesure pas assez les acquis. Les Français n'ont pas toujours conscience qu'elle a renforcé leur citoyenneté. Il nous faudra encore approfondir cette évolution et l'élection présidentielle peut être l'occasion de redéfinir le rôle de l'État, la place des collectivités territoriales et des citoyens dans une République toujours à construire.