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La Lettre de la Nation Magazine : Vous êtes depuis un an et demi à la tête d'un ministère nouveau : quel bilan en tirez-vous ?
Alain Madelin : La création d'un ministère "en charge" des entreprises et du développement économique est effectivement une nouveauté. Il n'est pas habituel, dans notre pays, de voir apparaître dans la définition des compétences d'un ministre la mission d'œuvrer à l'amélioration de la compétitivité d'une entreprise. Quel est le bilan après dix-huit mois de travail ?
Il a fallu d'abord faire face à une situation d'urgence, celle des dépôts de bilan en cascade de beaucoup d'entreprises, liés aux difficultés conjoncturelles de l'an passé. Le gouvernement s'est employé à redresser la situation financière des entreprises pour leur permettre de passer ce cap difficile, en mettant en place un ensemble de mesures comme le remboursement de la créance liée au décalage d'un mois de TVA, ou la création du Fonds de garantie pour le renforcement des capitaux permanents des PME. Je crois que cet ensemble de mesures a permis de limiter nettement le nombre de faillites. Mais notre rôle était aussi de mener une politique de l'environnement de l'entreprise, d'éliminer, autant que faire se peut, tous les obstacles qui se dressent devant ceux qui entreprennent. La loi du 11 février 1994 consacre cette approche, en réunissant un ensemble de mesures de simplification, d'amélioration, de renforcement des garanties juridiques et de la protection sociale des entreprenants. Certaines de ces mesures, comme la déductibilité des cotisations d'assurance volontaire qui rétablit l'équité, en matière de protection sociale, entre salariés et entrepreneurs individuels, étaient attendues depuis longtemps ! La plupart des décrets d'application de ce texte sont sortis.
Notre objectif était aussi de restaurer le bon fonctionnement des circuits normaux de financement des PME, en renforçant la sécurité juridique des garanties pour permette une meilleure appréciation du "risque PME" par les banques. Avec la loi du 10 juin 1994, nous avons beaucoup avancé dans ce sens, en améliorant significativement le traitement des difficultés des entreprises. Il reste encore beaucoup à faire en matière de simplification administrative, car la loi ne suffit pas. Il faut concrètement alléger les contraintes administratives qui pèsent sur les entrepreneurs. Nous avons mené des expériences sur la mise en place de guichets uniques, avec succès. Nous étudions leur généralisation. En matière de transmission des entreprises aussi, car trop de PME disparaissent quand leur dirigeant part et qu'il n'a pas pu préparer la relève. Un projet de loi sur ce sujet est en cours d'examen.
La Lettre de la Nation Magazine : Qu'est-ce qui peut inciter aujourd'hui, selon vous, les chefs d'entreprise à plus d'optimisme ?
Alain Madelin : L'horizon s'éclaircit, c'est certain. Nous venons de traverser une période de récession particulièrement grave, la plus difficile, probablement, depuis cinquante ans. Beaucoup de nos entreprises sont aujourd'hui prêtes à redémarrer, compétitives, dynamiques, très présentes sur les marchés mondiaux. Il y a aussi cette extraordinaire capacité d'initiative de nos chefs d'entreprise, qui prennent souvent beaucoup de risques mais qui, à condition qu'on les laisse faire leur métier, sont capables de se battre et veulent se développer.
Tout cela rend optimiste pour demain. C'est l'entrepreneur qui crée l'emploi et c'est l'emploi qui crée la croissance, en déclenchant un processus de création de richesses.
La Lettre de la Nation Magazine : Les petits commerçants et les artisans tiennent une place importante dans l'économie rurale : quelles mesures avez-vous prises en leur faveur ?
Alain Madelin : La présence de commerçants, d'artisans dans le monde rural est une condition d'équilibre pour notre territoire national. Nous devons veiller au maintien de cet équilibre, permettre à ces petites entreprises de s'installer, de se développer, de se transmettre. Cela vaut pour les villages, mais aussi pour le centre des petites villes, certains quartiers difficiles.
Ainsi, l'opération "Mille Villages" a permis d'accompagner l'implantation ou la modernisation de plus de 350 commerces dans des zones rurales, en y installant des services publics ou commerciaux complémentaires. Une dotation aux jeunes entrepreneurs ruraux a été mise en place au début de l'année, avec le concours des chambres des métiers, pour faciliter l'accès au conseil et au financement des jeunes artisans qui s'installent.
Enfin, depuis dix-huit mois, un effort particulier de maîtrise du développement des nouvelles surfaces commerciales a été assuré, pour ralentir le rouleau compresseur de la grande distribution et laisser sa chance au commerce de proximité, particulièrement dans nos petites villes et nos campagnes. La réglementation a été adaptée pour permettre une meilleure appréciation des conséquences de chaque nouvelle implantation lorsqu'elle est soumise à la concertation locale.
Je crois que les efforts entrepris par le gouvernement en matière d'aménagement du territoire porteront leurs fruits, et que nous sommes à un tournant. Maintenir un commerce, stimuler un artisanat de qualité dans les zones rurales, ce n'est pas préserver le passé, mais préparer l'avenir.
La Lettre de la Nation Magazine : Vous avez créé au mois de mars dernier l'association "Idées Action" : quel est son but ?
Alain Madelin : Rassembler, dans un esprit d'union de la majorité, ceux qui sont attachés à ces valeurs libérales que sont l'initiative, la liberté, l'éthique de la tolérance, la responsabilité personnelle. Rassembler ceux qui, citoyens responsables, ressentent un besoin d'action et veulent s'engager pour exiger de nouveaux espaces de liberté.
Il n'y a pas de réforme possible si ceux qui agissent, ceux qui ont le sens des responsabilités, qui exercent des responsabilités, ne s'engagent pas. Beaucoup d'entre eux ressentent aujourd'hui les blocages, les rigidités et les habitudes qui empêchent de tirer parti de l'initiative et de l'énergie des Français. Ils veulent parler, s'exprimer dans le grand débat qui s'ouvre, donner leur analyse mais aussi dessiner leur vision de l'avenir, agir pour réformer.
Nous devons rendre possible demain ce qui est nécessaire. Il y a une méthode pour cela, qui consiste à expliquer et à convaincre, à faire entendre fortement une voix autre que celle, très forte, des conservatismes et des corporatismes, une voix qui plaide pour des réformes qui ne peuvent être mises en œuvre que si elles ont été acceptées. Ces réformes sont d'autant plus nécessaires que la machine à exclure fonctionne actuellement à plein régime, et que trop de Français pensent avoir perdu leur chance, se disent que cette société n'est pas faite pour eux, que la loi n'est pas la même pour tous. C'est pour eux que nous devons agir.
La Lettre de la Nation Magazine : À la veille d'une échéance électorale capitale pour notre pays, quels sont d'après vous les grands défis que la France doit relever ?
Alain Madelin : D'abord celui de l'emploi, naturellement. Nous devons faire en sorte que notre économie puisse fournir à tous les Français la possibilité d'avoir un travail. Le chômage plus élevé en France qu'ailleurs, ce n'est pas un accident. C'est la conséquence de nos rigidités, le produit de notre système. Nous devons mettre en œuvre une nouvelle approche de l'emploi, inventer de nouvelles formes de travail plutôt que d'attendre passivement le retour de la croissance ou nous lancer dans de faux débats sur des solutions illusoires, comme le pseudo-partage du travail. Et pour cela, si l'on veut multiplier les emplois, il faut multiplier les entrepreneurs et réduire les obstacles qui sont sur leur route.
Deuxième défi, celui de la maîtrise de nos dépenses publiques. Le gouvernement s'y est engagé. Pour que la machine à créer des richesses et des emplois fonctionne à nouveau à plein régime, il faut la débarrasser de ce boulet que constituent aujourd'hui les dépenses publiques excessives. Une grande partie des capitaux disponibles est détournée vers le financement de nos déficits, au détriment des investissements productifs et des entreprises.
La cohésion sociale, enfin. C'est elle qui, plus que tout, fonde notre pacte républicain : à chacun sa chance, la change d'améliorer sa situation, et de progresser, "d'élever", au plein sens du terme, ses enfants. Or, aujourd'hui, ce modèle fonctionne mal, ou ne fonctionne plus. Le chômage, le désespoir des banlieues, le cumul des handicaps et des inégalités pour les plus modestes : notre tissu social risque de se déchirer. Il y a danger.
Pourtant, jamais les Français n'ont autant éprouvé le désir d'exercer leur capacité d'initiative et de prendre leurs responsabilités. C'est peut-être là la meilleure des réponses aux défis auxquels nous sommes confrontés.