Déclaration de M. Pierre Méhaignerie, ministre de la justice, sur la délinquance juvénile et le rôle de la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse, Paris le 5 mai 1994.

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Circonstance : Journées nationales de l'Association française de sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence, Paris le 5 mai 1994

Texte intégral

Monsieur le Président de l'Association Française de Sauvegarde à l'Enfance et l'Adolescence, 
Mesdames, Messieurs,

Vous avez bien voulu m'inviter aujourd'hui aux journées nationales que, depuis 25 ans votre association organise sur des grands thèmes touchant les problèmes de l'enfance et de l'adolescence et qu'elle consacre cette année à "Avoir 20 ans en l'an 2001". 

Cette invitation montre l'importance que Vous accordez à la place du Droit et de la Justice dans l'accompagnement de la Jeunesse vers demain.

Je pense que vous avez raison.

Mais le Droit et la Justice ne peuvent tout réguler, même si notre société recherche aujourd'hui ce type d'intervention dans tous les domaines. En effet, aucune prescription juridique ne remplacera l'exemple de rigueurs et de courage donné par des adultes responsables. 

C'est pourquoi, pour que le Droit et la Justice soit efficaces, ils doivent s'insérer dans des mécanismes d'intégration. 

La famille bien sûr continue de remplir sa mission essentielle. Mais on le sait, elle est aujourd'hui gravement fragilisée par le chômage et son cortège d'insécurité.

1. Sous le coup des difficultés, elle se démembre et certains parlent de "famille incertaine". Pour autant premier modèle et quelquefois dernier refuge pour les jeunes, nous savons que rien ne peut se faire sans elle. Toute politique d'intégration doit être d'abord une politique de famille. 

2. L'école ensuite, formidable instrument d'intégration mais pourtant attaquée, rejetée, critiquée.

La déscolarisation n'aboutit pas forcément à la délinquance mais toujours à la régression. Alors, s'il est vrai que nul ne devrait quitter l'école sans un savoir, il faut aussi que nul ne la quitte sans être mis sur le chemin d'une vie adulte. Cela s'appelle l'apprentissage de la citoyenneté et de la cité. 

3. Il faut enfin citer le travail, dont l'importance dépasse largement ses aspects économiques. Nous savons ce qu'il en est du chômage des jeunes et les difficultés à trouver des solutions. Il y a là une grande question de société et même de morale. Il n'est pas possible qu'un monde d'adultes ne ressente pas la nécessité de faire sa place aux générations montantes. Que celles-ci soient privées de participer à l'œuvre commune, qu'elles n'accèdent pas à la dignité de créer à leur tour des ressources et des richesses.

Ce qui serait redoutable aujourd'hui, c'est que les jeunes ne connaissent des adultes que leur absence ou leur égoïsme.

Or les jeunes ont besoin de se confronter au monde adulte, à ceux qui détiennent le pouvoir. Ils ont besoin d'adultes capables de confrontation mais aussi capables de leur donner leur place dans la société.

Pourquoi en effet ne pas choisir la voie de la violence, de la délinquance, de la destruction, si ceux qui sont chargés d'aider les jeunes à grandir, démissionnent ou vous oublient. 

Je me pose la question en tant que ministre de la Justice.

Comment le Droit et la Justice peuvent apporter leur contribution dans cette grande œuvre ? C'est ce que je voudrais aborder maintenant. 

Un constat d'abord. Le Droit et la Justice sont aujourd'hui au cœur des débats sur la jeunesse dont les difficultés se traduisent en délinquance juvénile tout autant qu'en situations de danger.

Or, le Droit appliqué à la jeunesse s'envisage de deux façons. D'abord comme un système de valeurs : ce qui est permis, ce qui est interdit dans la société où nous vivons. Mais également comme les droits de l'enfant, ceux dont il est titulaire et qui doivent être garantis par l'autorité judiciaire. Tout autant que l'adulte, le droit de regarder le jeune à la fois comme objet de protection mais aussi comme sujet d'obligations.

Dès lors, il est évident et normal que l'on demande à la Justice des comptes sur ce qu'elle fait en matière de délinquance et que l'on attende autant de ses juges pour protéger tant il est vrai qu'il n'y a pas loin de la jeunesse en difficulté à la jeunesse délinquante.

Je suis convaincu de la nécessité d'être présent sur ces deux domaines et de façons équilibrée. 

Toutefois, face à la montée de la délinquance juvénile que nous constatons tous, tous les jours et dans tous les domaines, j'ai souhaité donner une impulsion forte et nouvelle à son traitement.

1. Dans le cadre du Programme Pluriannuel pour la Justice, il paraît en effet indispensable de recentrer la Protection Judiciaire de la Jeunesse, sur ce qui constitue la justification régalienne de son existence, l'exécution des décisions pénales. 

Pour limiter, voire arrêter la délinquance, il faut que les mineurs rencontrent, le plus tôt possible, un obstacle sur leur chemin de traverse. Des magistrats plus nombreux, mieux entourés doivent pouvoir intervenir rapidement, rappeler l'interdit et sanctionner la transgression.

La nécessité de réponses judiciaires visibles, rapides et proportionnées ne fait pas de doute. C'est pourquoi mon ambition est de renforcer les pouvoirs des juges des enfants afin que les règles de procédure pénale permettent jeune d'être mis vite et mieux face à la victime de ses actes. J'entends ainsi développer par exemple, la réparation et le traitement en temps réel afin d'abréger au maximum le temps séparent la commission de l'infraction de son traitement.

De même, je souhaiterais voir développées les capacités d'hébergements pour les cas les plus lourds chez les délinquants, afin qu'une prise en charge spécifique, coupée de leur environnement social, amical voire familial, leur soit appliquée.

Parallèlement, il est nécessaire de renforcer les possibilités de prise en charge des mineurs délinquants par les services de milieu ouvert situés le plus souvent dans des zones réputées difficiles.

Le Programme Pluriannuel pour la Justice devrait nous fournir des moyens supplémentaires pour mettre en œuvre ces orientations, afin que les moyens de la Protection Judiciaire de la Jeunesse soit renforcés, tout autant que la qualité de ses interventions.

2. Dans le même temps, il importe que le droit et les juges contribuent à l'éducation et à la protection des mineurs. Pour toutes les raisons que j'ai indiquées ci-dessus, beaucoup trop sont dans une situation d'abandon familial, déscolarisation, de désœuvrement. Là aussi je souhaite accroître nos capacités d'accueil, de traitement et d'insertion. Les situations qui arrivent actuellement aux magistrats sont souvent très dégradées. Non seulement les jeunes sont dans cet état mais également leur environnement, si bien que les prises en charge s'avèrent plus lourdes et plus longues avant de trouver des solutions.

III. – Les défis que doit relever le Monde éducatif sont aujourd'hui considérables. Et ceci tout particulièrement dans le domaine judiciaire, à l'heure où précisément l'augmentation de la délinquance nous impose de réagir fermement.

1. Il appartient en effet aux personnels éducatifs de ce secteur de mettre en œuvre des décisions judiciaires dans une période où c'est quelquefois la norme elle-même qui est mise en cause. Mais où surtout ce sont les relais de la loi qui manquent. Je rejoins là les précédentes réflexions que je livrais sur l'importance fondamentale et incontournable de la famille.

Il leur appartient de proposer des modèles d'identification aux jeunes et de trouver les méthodes qui conduisent à leur adhésion. Dans le contexte familial, social et économique que nous connaissons, cela demande un engagement, un esprit d'invention et une ténacité sans égale. Sachez que j'en suis parfaitement conscient.

Et pourtant, cette tâche est à accomplir, et à chaque fois, pour chaque jeune qui se présente. La démarche éducative doit établir chaque être dans sa singularité en même temps qu'elle reconstitue ses liens avec son environnement. Elle doit permettre à chacun de retrouver une identité et un équilibre. 

À cet égard, et face précisément aux personnalités déstructurées auxquelles la Protection Judiciaire de la Jeunesse est confrontée, l'accompagnement psychologique, psychiatrique et social ne se fera que si l'on recrute le personnel qualifié nécessaire.

Je crois que nous avons tous conscience de la nécessité de l'œuvre éducative. Et tout particulièrement les pouvoirs publics qui ont mis en œuvre tout au long de ces années des moyens importants pour la réinsertion.

Toutefois, l'action sociale, en particulier, l'aide aux jeunes en difficultés, ne saurait être la seule affaire des Pouvoirs Publics. Elle est également celle des citoyens.

À cet égard, la structure associative est un moyen propice pour conduire le plus grand nombre vers des tâches d'intérêt général. 

Par sa souplesse, elle permet des réponses rapides à des besoins nouveaux, la mise en œuvre de pratiques originales.

Ainsi, il convient de réaffirmer la nécessité du secteur associatif, notamment dans le domaine de la protection judiciaire de la jeunesse. 

Vous faites partie des grandes associations nationales reconnues d'utilité publique qui interviennent dans le secteur de la protection judiciaire de la jeunesse. 

Depuis 1965, vous exercez une fonction fédérative auprès des associations départementales, lesquelles gèrent localement un ou plusieurs établissements ou services prenant en charge des mineurs. Ces structures sont de qualité et appréciées des juridictions.

Vous assurez ainsi sur l'ensemble du territoire une mission de service public et vous vous inscrivez donc parfaitement, dans une dynamique décentralisatrice.

Or, à l'heure de la décentralisation, alors que la protection de l'enfance repose sur deux autorités : l'autorité administrative et l'autorité judiciaire, il y a lieu d'organiser au niveau départemental un dispositif de protection judiciaire cohérent.

La complémentarité des missions et des actions, l'imbrication des financements et des moyens doivent conduire les deux autorités à une concertation étroite. Elle doit aboutir à une clarification des missions et des besoins de chacun.

"Une concertation insuffisante aboutit à une dénaturation du rôle de chacun" soulignait le rapport du comité interministériel d'évaluation des politiques publiques l'année dernière. 

Il faut poursuivre les démarches déjà entreprises en ce sens. C'est à quoi mes services s'attachent en visant l'élaboration d'une politique départementale dans le cadre des schémas de protection de l'enfance, en favorisant l'élaboration de schémas conjoints, Justice/Conseils Généraux. Cette démarche, certes contraignante, est indispensable à une réflexion approfondie.

De même, je veux encourager la confrontation des réflexions des juges des enfants, des conseils généraux et des représentants de la protection judiciaire de la jeunesse sur la saisine de l'autorité judiciaire pour mieux appréhender les situations de danger et rendre tout son sens et son efficacité à l'intervention judiciaire. 

J'espère que si nous prenons conscience de toutes ces questions et si nous nous mettons ensemble à ces différentes entreprises, telle est en tout cas mon ambition, nous pourrons avoir de l'espoir à donner à ceux qui auront 20 ans en l'an 2001.