Interview de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé, dans "Le Figaro" le 23 octobre 1998, sur la campagne nationale et la législation sur les dons de sperme ou d'ovocyte (notamment à propos de l'anonymat du donneur).

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Circonstance : Campagne nationale sur le don de gamètes dans les centres CECOS (Centres d'études et de conservation des oeufs et du sperme humain) les 23 et 24 octobre 1998

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Texte intégral

Le Figaro. – Selon certaines enquêtes, un couple sur quatre serait amené à consulter pour des difficultés à avoir un enfant ? Quelles sont les raisons d'un tel phénomène ?

Bernard Kouchner. – Elles sont sans doute multiples. À commencer par l'âge plus tardif des femmes lors de leur première grossesse, ce qui rend souvent plus difficile la conception d'un enfant. Mais aussi la baisse de la fertilité du sperme dans les sociétés occidentales, mise en évidence par plusieurs études réalisées par les Cecos, les Centres d'études et de conversation des oeufs et du sperme humain. Sans doute, notre mode de vie n'est pas étranger à tous ces problèmes qui concernent aussi bien l'homme que la femme.

Le Figaro. - C'est une terrible souffrance pour un couple de ne pas réussir à avoir un bébé. Mais faut-il accéder à cette demande d'un enfant à tout prix ? N'avons-nous pas une réponse trop médicalisée ?

- C'est tout le débat actuel. De tout temps, les sociétés ont cherché à trouver des aménagements à cette situation. Et la réponse apportée aujourd'hui est à l'image de notre société, très technique, avec un corps médical de plus en plus sollicité sur toutes les questions de société. C'est pourquoi il faut bien replacer cette campagne de dons de gamètes dans son contexte. Il ne s'agit pas de faire croire que tout est possible, et n'importe comment. Les contraintes inhérentes à ces techniques restent lourdes, et les indications, très précises.

Le Figaro. – Si le don de spermatozoïdes est simple, il n'en est pas de même pour celui d'ovocytes. Quelles en sont ses modalités ?

– C'est un geste lourd pour la donneuse qui nécessite tout un traitement médical préliminaire – stimulation hormonale – puis, une intervention sous anesthésie pour prélever les ovocytes avant de les faire féconder in vitro par le sperme du conjoint du couple receveur. L'embryon est alors congelé durant six mois avant d'être réimplanté, le temps de s'assurer qu'il n'existe aucun risque de transmission de maladies infectieuses ou héréditaires.

Le Figaro. – La mise en place de critères de sélection de plus en plus poussés, n'est-elle pas à l'origine de cette pénurie de donneurs, hommes ou femmes ?

– Certes, la sélection est stricte, mais c'est une nécessité pour les couples receveurs et les futurs enfants. Les centres ont des responsabilités à leur égard. On élimine les dons provenant de porteurs de virus des hépatites et du sida, et de la syphilis. De plus soit le sperme, soit l'embryon issu de l'ovocyte sont mis en quarantaine durant six mois, le temps d'avoir la certitude qu'ils ne sont pas contaminés. En Allemagne, faute de ces garanties, une femme a été infectée par le virus du sida, le donneur étant en phase de séroconversion. On recherche également soigneusement par l'interrogatoire, l'éventualité de maladies génétiques ou infectieuses (maladie de Creutzfeldt-Jakob) qui feraient courir des risques à leur descendance.

Le Figaro. – Le nombre d'enfants issus d'un même donneur est fixé à cinq. Ne serait-il pas possible d'augmenter un peu ce seuil pour pallier la pénurie ?

– Cette limitation a été prévue par la loi pour éviter une consanguinité excessive. Il est vrai que les Cecos retenaient plutôt autrefois, le chiffre de dix. Mais ce point pourrait être rediscuté l'année prochaine dans le cadre de l'évaluation de la loi de bioéthique.

Le Figaro. – Existe-t-il des banques de sperme privées comme il a pu en exister par le passé avec toutes les dérives que l'on a pu connaître et notamment celle de transmission de maladies graves par absence d'analyses virologiques des dons ?

– Non, absolument pas. La loi réserve l'activité de don de gamètes au secteur non lucratif. Il y a 23 centres publics et une vingt-quatrième structure associative à but non lucratif. L'ensemble est extrêmement contrôlé. Et pour éviter des dérives mercantiles, le don est gratuit : aucune rémunération ne peut être allouée au donneur ou à la donneuse, sauf le remboursement des frais supportés. En revanche, il est strictement interdit aux gynécologues de procéder eux-mêmes à des collectes de spermatozoïdes pour faire des inséminations artificielles. Nos services font régulièrement des inspections pour vérifier la bonne application de cette mesure et aucune anomalie ne nous a été signalée récemment.

Le Figaro. – Certains remettent en cause le principe de l'anonymat du donneur, estimant que ces enfants de la science, pourraient un jour souffrir de difficultés liées à ce secret de filiation.

– Un enfant a-t-il le droit de savoir qui est son père ou sa mère biologique ? Vaste problème qui sera certainement étudié l'an prochain lors de la discussion des lois de bioéthique, puis en 2004, puisque ces lois sont régulièrement réaménagées. Certains pays comme la Suède ou la Nouvelle-Zélande ont décidé de rompre l'anonymat. Pour l'instant en France, il n'est pas question de revenir sur ce principe, sauf dans le but de procéder à une enquête génétique en cas de survenue d'une pathologie de ce type chez un enfant né pas don de gamètes.